Article publié pour ManagerSante.com par Nathalie DE GROVE-VALDEYRON, Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, Titulaire de la Chaire Jean Monnet en droit européen de la santé et des produits de santé.
L’ouvrage intitulé « Innovation et analyse des risques dans le domaine de la santé et des produits de santé dans l’Union européenne : regards croisés » sous la direction de Nathalie DE GROVE-VALDEYRON (professeure de droit public à l’Université de Toulouse Capitole, Chaire Jean Monnet) regroupe des contributions de juristes, d’enseignants-chercheurs en droit, en économie de la santé, en pharmacie, en informatique mais aussi de praticiens hospitaliers, de chercheurs à l’INSERM et au CNRS, confrontés aux enjeux et aux défis liés à l’innovation en santé, tant dans leurs recherches que dans leur pratique quotidienne.
L’innovation peut revêtir différentes formes : elle peut être incrémentale ou radicale, résulter d’un transfert de technologie ou d’un développement de nouveaux concepts, elle peut être technologique, ou même organisationnelle.
Ainsi, le développement de « l’e-santé », en vue de favoriser la transformation numérique des soins, participe de l’innovation. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) appliquées aux systèmes de santé et de soins peuvent augmenter l’efficacité de ces systèmes, améliorer la qualité de vie des patients et libérer le potentiel d’innovation des marchés de la santé.
A titre d’exemples, la télémédecine, dont l’usage a été considérablement renforcé dans le contexte de la crise sanitaire liée à la COVID-19, relève des innovations pouvant faciliter l’accès aux soins ; le recours aux réseaux européens de référence (réseaux virtuels) offre de nouvelles perspectives de diagnostics et de soins pour les patients souffrant de maladies complexes ou rares[1] et pourraient voir leur rôle étendu aux maladies infectieuses.
Par ailleurs, certaines technologies telles que l’intelligence artificielle (ci-après I.A) appliquées à la santé, stimulent l’innovation en santé à fois sur le plan thérapeutique[2] et pharmacologique. Des systèmes « apprenant » (deep learning) compilant des données sur des traitements et leurs résultats, collectés auprès de centaines de milliers de patients, peuvent faire progresser les connaissances et offrir la possibilité de soins plus personnalisés. De même, l’IA en recherche clinique couplée à des données massives offre des perspectives nouvelles pour la recherche médicale. Encore faut-il que cette technologie recourant aux algorithmes soit « digne de confiance » et utilisée dans le respect des droits fondamentaux, conformément à la stratégie de l’Union qui place l’humain au centre de son développement[3] et prône une « IA éthique »[4].
Demeure cependant une question importante, abordée dans cet ouvrage, celle de l’acceptabilité sociale de cette technologie appliquée à la santé[5] : comment l’I.A. est -elle perçue concrètement par les patients et comment peut-elle s’intégrer dans la pratique médicale et dans la relation de soin ?
L’innovation en santé est au centre de la stratégie de l’Union européenne qui se décline dans les programmes d’action pluriannuels en matière de santé publique[6] lesquels encouragent, entre autres, l’accès des patients aux innovations[7]. L’objectif poursuivi est de garantir, notamment en recourant à celles-ci, l’accès à des soins de meilleure qualité et plus sûrs.
L’innovation en santé est aussi étroitement liée à la stratégie de l’Union dans le domaine de la R&D à travers le programme « Horizon 2020 [8]» ? auquel succèdera « Horizon Europe » (2021-2027) ? et à différentes initiatives telles que l’initiative pour les médicaments innovants « IMI »2[9] etc. Ces programmes permettent de mobiliser des fonds au service de la recherche et de l’innovation dans le domaine de la santé.
La crise de la COVID-19 a fait prendre conscience du besoin de « plus d’Europe » dans la lutte contre la pandémie et également de la nécessité de construire une « Union européenne de la santé ». Elle pourra s’appuyer sur le nouveau programme « EU4 Health (2021-2027) doté d’un budget spécifique inédit de 5,1 milliards d’euros. La Commission a présenté à cet effet en novembre 2020 des propositions de règlement de même qu’une nouvelle « stratégie pharmaceutique pour l’Europe » dans laquelle l’innovation dans le domaine médical et le recours aux données de santé (notamment le recours aux données en vie réelle) auront une place de choix[10].
Les innovations en santé à la croisée de la science et de la médecine suscitent autant d’espoir que de craintes et interrogent sur leur « régulation » par le droit. Se pose inévitablement la question des risques qu’elles peuvent comporter et du rôle, devenu essentiel, de la science dans l’évaluation de ces derniers.
C’est à ces questions que les Journées Louis Dubouis sur « L’analyse des risques en santé, entre droit(s), science, éthique et attentes sociétales » reprogrammées sous forme de colloque en ligne le 12 mars 2021 et associant la Chaire Unesco en éthique science et société devraient répondre[11]. Le lecteur trouvera déjà dans l’ouvrage un certain nombre des contributions des participants au colloque.
Le domaine pharmaceutique est celui où l’évaluation des risques est sans doute la plus aboutie et la plus réglementée mais, au-delà du risque intrinsèque au produit (innocuité), les risques peuvent provenir de causes externes[12]. Sont-ils maîtrisés efficacement ? Les essais cliniques randomisés[13] sont-ils aujourd’hui encore adaptés aux innovations émergentes dans le domaine de la santé (thérapies innovantes, thérapies digitales (DTx), développement de la médecine génomique etc.) ?
Une réflexion plus générale sur la gouvernance du risque en santé et sur l’éthique s’impose, notamment dans le domaine particulièrement sensible de l’édition du génome[14] ou du recours aux essais in silico[15].
Les questions relatives à la communication sur les risques sont également centrales dans un environnement où les évaluations scientifiques font encore l’objet de controverses ou dans des domaines pour lesquels, comme dans le cas du coronavirus, la gestion des risques par les politiques est étroitement liée aux avis d’experts[16].
L’innovation et l’analyse des risques sont donc au cœur de cet ouvrage qui relève de la Chaire Jean Monnet en droit européen de la santé et des produits de la santé, obtenue dans le cadre du Programme Erasmus + de la Commission européenne (2017-2020). Il a pour ambition d’offrir au lecteur des regards croisés indispensables pour appréhender dans toute sa dimension un thème éminemment riche.
Pour aller plus loin :
[1] Voir la contribution de Claire Bories, dans cet ouvrage.
[2] L’aide au diagnostic médical apportée par l’I.A, notamment dans le traitement de l’imagerie médicale, est reconnue et l’Union soutient le développement d’une base de données commune d’images médicales avec le soutien d’Horizon 2020, en coordination avec les États membres, afin d’y appliquer de l’I.A.
[3] COM (2018)237, « L’intelligence artificielle pour l’Europe », 25 avril 2018.
[4] COM (2019) 168, « Renforcer la confiance dans l’intelligence artificielle axée sur le facteur humain, 8 avril 2019. Voir aussi à ce propos les travaux de David Gruson qui prône le recours à une IA éthique et l’ouvrage Télémédecine et intelligence artificielle en santé : quels enjeux pour l’Union européenne et les Etats membres ?, dir. N. De Grove-Valdeyron et I. Poirot-Mazères.
[5] Voir contribution dans cet ouvrage de C. Castets-Renard, S. Cussat-Blanc et P. Monsarrat.
[6] Programme santé publique (2014-2020) établi par le règlement (UE) 282/2014 du 11 mars 2014 (JOUE n °L 86 du 21 mars) qui sera suivi par « l’Union européenne pour la santé » ou « EU4Health programme », COM (2020) 405, 28 mai 2020.
[7] Qu’il s’agisse de médicaments innovants, de dispositifs médicaux, y compris connectés ou intégrant de l’intelligence artificielle, mais on pense aussi, bien que non réglementées au niveau de l’Union, aux avancées liées aux techniques de séquençage en génétique (NGS, Next generation Sequencing) et plus globalement à la médecine génomique, ou au recours à l’in silico en matière d’essais cliniques, autant de thèmes abordés dans l’ouvrage.
[8] Règlement (UE) n°1291/2013 du 11 décembre 2013 portant établissement du programme-cadre pour la recherche et l’innovation « Horizon 2020 » (2014- 2020) et abrogeant la décision n° 1982/2006/CE, JOUE n° L 347, 20 décembre 2013, pp. 104-173.
[9] Règlement (UE) n°557/2014 du Conseil du 6 mai 2014 portant établissement de l’entreprise commune « Initiative en matière de médicaments innovants 2 », JOUE L 169 du 7 juin 2014, pp. 54- 76.
[10] F. Berrod. Les données en vie réelle : ce que le droit de l’UE peut dire d’une meilleure appréhension de la balance bénéfice/risque des médicaments, cet ouvrage p. 293.
[11] « Analyse des risques en santé : Entre droit(s), science, éthique et attente sociétale, approches européenne et nationale », e-colloque IRDEIC/CEEC
[12] Contributions de F. Taboulet et A Julliard Condat dans cet ouvrage.
[13] Contributions de J-P Demarez, de F. Berrod dans cet ouvrage.
[14] Contribution d’A. Mahalatchimy et Emmanuelle Rial-Sebbag, dans cet ouvrage.
[15] Contribution de N. Dubruel et E. Gennet dans cet ouvrage.
[16] Contribution de D. Blanc dans cet ouvrage.
Nous remercions vivement Nathalie DE GROVE-VALDEYRON, Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, Titulaire de la Chaire Jean Monnet en droit européen de la santé et des produits de santé, pour la publication de cet article, pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com.
Présentation de l’auteure :
Nathalie DE GROVE-VALDEYRON est professeure de droit public, titulaire d’une chaire Jean Monnet depuis 2017 et directrice de plusieurs diplômes d’université dont le « DU DESAPS » consacré au droit européen de la santé et des produits de santé. Elle est chercheure à l’IRDEIC (institut de recherche en droit européen, international et comparé) au sein du Centre d’excellence Europe Capitole à l’Université Toulouse 1 Capitole.
Auteure d’un ouvrage sur le droit européen de la santé (2ème éd. 2018) elle est responsable de la chronique santé publique de l’Annuaire de droit de l’Union européenne et participe aussi à celle de la Revue du droit de l’Union européenne au sein des politiques internes.
Elle collabore à différentes revues européennes et est l’auteur de plusieurs fascicules notamment sur la politique de la santé et la politique du médicament (Répertoire européen Dalloz). Ses travaux de recherche portent, notamment, sur la dimension européenne (y compris numérique) du droit de la santé.
Parmi les publications récentes :
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Politique de santé de l’Union européenne et transformation numérique des soins, quels enjeux pour quelle compétence ? in Revue de l’Union européenne, n°624, dossier Santé publique (dir. Nathalie De Grove-Valdeyron), janvier 2019.
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« Télémédecine, objets de santé connectés et IA : quelles perspectives en matière de normalisation européenne ? » in Télémédecine et IA en matière de santé : quels enjeux pour l’Union européenne et les Etats membres, Cahiers Jean Monnet, Presses de l’Université de Toulouse 2/2020.
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Direction de l’ouvrage E-santé dans l’Union européenne : Regards sur la télémédecine. Etudes comparées. Cahiers Jean Monnet, Presses de l’Université Toulouse1 Capitole 2/2019.
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La gestion du COVID 19 par l’Union européenne : la réponse sanitaire, RUE, mai 2020 n°638, p.277.
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La pénurie d’équipements médicaux de première nécessité et de médicaments : que fait l’Union européenne, RUE n°639, juin 2020
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DE GROVE-VALDEYRON (Nathalie), « Les applications de traçage contre la covid-19 : l’exception française dans le contexte européen », RGDM, n° 76, 2020, p. 131-144.
- Santé publique , Répertoire de droit européen Dalloz (octobre 2020)
- Fascicule Médicaments , Répertoire de droit européen Dalloz (à paraître )
DERNIÈRE PUBLICATION SOUS LA DIRECTION DE
NATHALIE DE GROVE-VALDEYRON
DECEMBRE 2020
Résumé de l’ouvrage :
Sous la direction de Nathalie De Grove-Valdeyron, Professeure à l’Université Toulouse 1 Capitole, Chaire Jean Monnet en Droit Européen de la Santé et des Produits de Santé (DESAPS).
Cahier Jean Monnet N°8 ,IRDEIC/CEEC, Nathalie De Grove-Valdeyron
Cet ouvrage regroupe des contributions de juristes, d’enseignants-chercheurs en droit, en économie de la santé, en pharmacie, en informatique mais aussi de praticiens hospitaliers, de chercheurs à l’INSERM et au CNRS, confrontés aux enjeux et aux défis liés à l’innovation dans le domaine de la santé et des produits de santé.
Qu’elle soit incrémentale ou radicale, qu’elle résulte d’un transfert de technologie ou du développement de nouveaux concepts, l’innovation en santé présente la particularité d’être à la croisée de la science et de la médecine. Elle suscite autant d’espoir que de craintes, notamment quand il est recouru à certaines techniques (I.A., séquençage du génome, essais » in silico « , recours aux données en vie réelle etc.) et pose la question de sa » régulation » par le droit.
L’innovation appelle aussi à s’intéresser à la question des risques qu’elle peut comporter, à la perception qu’en a le citoyen mais aussi au rôle, devenu essentiel, de la science dans l’évaluation des risques et dans la communication sur ceux-ci.
C’est sur ces différents thèmes, aussi divers que riches, rassemblés autour de l’innovation et des risques en santé que les contributeurs ont croisés leur regard, chacun offrant sa vision, compte tenu de sa discipline et de sa spécialité, de l’innovation en santé.
PROCHAIN COLLOQUE
12 Mars 2021
Dans le cadre de la chaire DESAPS du Professeur Nathalie De Grove-Valdeyron se tiendront les Journées Louis Dubouis qui associeront cette année la Chaire Unesco coordonnée par Emmanuelle Rial Sebbag, Directrice de recherche Inserm, LEASP, Université Toulouse III-Paul Sabatier.
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