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« Jacques Séguéla a eu raison du docteur Knock ! » Delphine JAAFAR nous éclaire sur le plan juridique (Partie 1/2)

Nouvel Article rédigé pour ManagerSante.com par notre nouvelle experte Delphine JAAFAR, Avocat associé VATIER – Membre du Conseil de l’Ordre chez Barreau de Paris (Ordre des avocats de Paris) et co-auteure d’un ouvrage publié aux éditions du Groupe LEH intitulé « La révolution du pilotage des données de santé Enjeux juridiques, éthiques et managériaux »

 


N°1, Mars 2021


 

 

Interdites depuis plus de soixante-dix ans par l’article R. 4127-19 du Code de la santé publique au motif que la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce, la publicité et la communication sont désormais libres.

Pourquoi ?

Les principaux pays européens voisins ont très tôt adopté ce principe d’autorisation de la publicité tout en la réglementant strictement.

A titre d’exemple, alors que le principe était l’interdiction générale de la publicité, la Cour fédérale allemande s’est positionnée au début des années 2000 en faveur d’un assouplissement de sorte que depuis 2002, la communication des professions médicales est autorisée dans un but d’information objective et raisonnable.

Egalement, l’Italie a, dès 2006[1], assoupli les règles opposables aux professionnels de santé. Ces derniers peuvent communiquer au public, par voie publicitaire, des informations sur leur compétence et leur pratique médicale.

En Espagne, si la loi du 21 novembre 2003 relative à l’organisation des professions de santé permet la publicité[2], le Code de déontologie médicale, en cours de modification[3], était le seul à autoriser expressément la publicité[4].

La Belgique autorisait également la publicité, mais elle interdisait, s’agissant des chirurgiens-dentistes, toute publicité directe ou indirecte par tout moyen en vue de prestations de soins buccaux et dentaires[5].

Saisie d’une question préjudicielle par le tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre un dentiste, la Cour de justice de l’Union Européenne a considéré que l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui interdit les restrictions à la libre prestation des services, doit « être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale (…) qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires » (CJUE, 4 mai 2017, Vanderborght, aff. C-339/15).

La France étant l’un des seuls pays à interdire de manière générale et absolue toute publicité des professionnels médicaux, la position des juges européens ont conduit le Gouvernement à demander au Conseil d’Etat de mener une étude sur le sujet, aboutissant à quinze propositions en faveur de l’ouverture de la communication des professionnels médicaux[6].

En parallèle, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par la chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des chirurgiens-dentistes de Midi-Pyrénées dans le cadre de poursuites disciplinaires contre un chirurgien-dentiste pour avoir eu recours à des procédés publicitaires sur un site internet, a ajouté que l’article 8 de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000, relative au commerce électronique, doit « être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale (…) qui interdit de manière générale et absolue toute publicité des membres de la profession dentaire, en tant que celle-ci leur interdit tout recours à des procédés publicitaires de valorisation de leur personne ou de leur société sur leur site Internet » (CJUE, ordonnance, 23 octobre 2018, Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de la Haute-Garonne, aff. C-296/18).

Par suite, le Conseil d’Etat, saisi de deux recours pour excès de pouvoir contre deux décisions implicites par lesquelles la ministre des solidarités et de la santé a rejeté les demandes d’abrogation des dispositions réglementaires interdisant le recours à la publicité pour les médecins et chirurgiens-dentistes (articles R. 4127-19, R. 4127-215 et R. 4127-225 du code de la santé publique), a confirmé la non-conformité de cette interdiction générale et absolue au droit de l’Union européenne (CE, 4ème et 1ère chambres réunies, 6 novembre 2019, nos 416948 et 420225).

En conséquence, les dispositions interdisant la publicité des professionnels de santé devaient être abrogées et les sanctions prononcées par le Conseil de l’Ordre des médecins sur ce motif considérées comme non fondées.

Coiffée d’un bonnet d’âne, la France a été dans l’obligation de revoir intégralement sa copie.

Ainsi, la France a adopté plusieurs décrets, parus le 24 décembre 2020, fixant les nouvelles règles relatives à la communication professionnelle pour six professions de santé : médecins (décret n° 2020-1662 du 22 décembre 2020), chirurgiens-dentistes (décret n° 2020-1658 du 22 décembre 2020), sages-femmes (décret n° 2020-1661 du 22 décembre 2020), infirmiers (décret n° 2020-1660 du 22 décembre 2020), pédicures-podologues (décret n° 2020-1659 du 22 décembre 2020), et masseurs-kinésithérapeutes (décret n° 2020-1663 du 22 décembre 2020).

Que prévoient ces nouvelles règles ?

Si l’interdiction de pratiquer la médecine comme un commerce demeure à l’article R. 4127-19 du code de la santé publique, le principe d’interdiction de publicité cède désormais sa place à celui de libre communication et de publicité. Les professionnels de santé sont donc libres de communiquer, mais uniquement à des fins informatives et jamais commerciales.

Plusieurs évolutions peuvent être soulignées.

  • La communication sur son activité, ses compétences et son parcours

Le professionnel de santé peut communiquer sur ses compétences, ses pratiques professionnelles, son parcours professionnel et les conditions de son exercice par tous moyens y compris sur un site internet, l’idée étant que cette information contribue au libre choix du praticien par le patient.

Aussi, le professionnel qui présente son activité au public doit y inclure une information sur les honoraires pratiqués, les modes de paiements acceptés et les obligations posées par la loi pour permettre l’accès de toute personne à la prévention ou aux soins sans discrimination.

Cette communication est tout de même encadrée : elle doit rester loyale, claire, honnête et non comparative de sorte qu’elle ne doit pas faire appel à des témoignages des tiers, reposer sur des comparaisons avec d’autres médecins ou établissements et inciter à un recours inutile à des actes de prévention ou de soin. Enfin, elle ne doit pas porter atteinte à la dignité de la profession et induire le public en erreur (articles R. 4127-19-1 alinéa 1 et R. 4127-53 du code de la santé publique).

  • La communication à des fins éducatives, scientifiques ou sanitaires

Le praticien peut communiquer au public ou à d’autres professionnels de santé, à des fins éducatives ou sanitaires, des informations scientifiquement étayées sur des questions relatives à sa discipline ou à des enjeux de santé publique.

Néanmoins, prudence et mesure sont de mises car les obligations déontologiques doivent être respectées et est exclu le fait de présenter des hypothèses non confirmées comme des données acquises de la science (alinéa 2 de l’article R. 4127-19-1 du code de la santé publique).

Il en est évidemment de même lorsque le professionnel participe à une action d’information du public à caractère éducatif, scientifique ou sanitaire.

Ces interventions ne doivent pas non plus avoir pour objectif d’en tirer profit dans son activité professionnelle, ni à en faire bénéficier la structure dans laquelle le professionnel de santé intervient, ni à promouvoir une cause qui ne soit pas d’intérêt général (article R. 4127-13 du code de la santé publique).

  • La communication dans les annuaires à l’usage du public

Les professionnels de santé peuvent élargir les informations figurant dans les annuaires à l’usage du public. Si avant, ces informations étaient strictement limitées à trois éléments (identité du professionnel, adresse professionnelle, jours et heures de consultation ; situation vis-à-vis des organismes d’assurance maladie ; qualification), les professionnels peuvent désormais y indiquer leurs spécialité, titres, diplômes et fonctions reconnus par le conseil national de l’ordre ainsi que « d’autres informations utiles à l’information du public ».

Le décret ne précise pas ce qu’il faut entendre par cette dernière mention. Il appartiendra probablement au conseil national de l’ordre d’en apprécier la portée par des recommandations. Il ressort toutefois de l’idée générale des textes que ces informations sont notamment celles contribuant au libre choix du praticien par le patient.

Il reste pour autant prohibé au professionnel d’obtenir par n’importe quel moyen (comme une rémunération par exemple) un référencement numérique prioritaire dans les résultats d’une recherche internet (article R. 4127-80 du code de la santé publique).

  • La communication de l’installation ou de la modification de son exercice

Là où le code de déontologie précédent limitait le choix du support et donnait au conseil départemental de l’ordre un droit de regard préalable avant leurs publications, le professionnel sera désormais en mesure de communiquer sur tout support des annonces lors de son installation ou en cas de modification de son exercice. Le décret ne prévoit pas d’obligation de communication préalable au conseil départemental de l’ordre mais précisent que le professionnel devra tenir compte des recommandations émises par celui-ci (article R. 4127-82 du code de la santé publique).

Sans libéraliser complètement la publicité, les dispositions concernant la communication des professionnels de santé sont bien plus souples qu’auparavant.

Bien que la précision des textes permet de mieux appréhender ce qui peut être publié, il conviendra d’analyser dans une seconde partie l’impact de cette nouvelle règlementation sur l’utilisation par les praticiens des technologies du numérique, notamment les sites internet et les réseaux sociaux.

 

Lire la suite de cet article le mois prochain. 

 

Nous remercions vivement Article rédigé par Delphine JAAFAR, Avocat associé VATIER – Membre du Conseil de l’Ordre chez Barreau de Paris (Ordre des avocats de Paris) et co-auteure d’un ouvrage publié aux éditions du Groupe LEH intitulé « La révolution du pilotage des données de santé Enjeux juridiques, éthiques et managériaux »,  pour partager son expertise juridique pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com


Pour aller plus loin : 

 

[1]Décret-loi n° 223 du 4 juillet 2006

[2] Article 44 de la loi 44/2003 du 21 novembre 2003

[3]Chapitre 27 du code de déontologie médicale de la Commission centrale de déontologie, édition provisoire, Octobre 2018

[4] Article 65 du code de déontologie médicale du Conseil général des collèges officiels des médecins de 2011 qui dispose que « La profession médicale a le droit de recourir à la publicité »

[5] Loi du 15 avril 1958 relative à la publicité en matière de soins dentaires

[6] Conseil d’Etat, Règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité, Etude adoptée par l’assemblée générale plénière le 3 mai 2018

 

Biographie de l’auteure : 
Maître Delphine JAAFAR est avocat associé au sein du département Santé du Cabinet VATIER. Intégrant depuis près de 15 ans la connaissance de l’environnement réglementaire, économique et technologique du secteur de la santé, Delphine JAAFAR a une pratique reconnue en droit de l’organisation sanitaire et médico-sociale, droit des entreprises et des établissements de santé, droit des professionnels de santé, droit de l’immobilier santé, ainsi qu’en matière de santé numérique.
Elle est Membre du Conseil de l’Ordre chez Barreau de Paris (Ordre des avocats de Paris).
Son ouverture à l’international constituant un des fondamentaux de son activité professionnelle, elle a par ailleurs créé et mis en place un Desk Afrique dédié au droit de la santé sur la base d’un partenariat avec six cabinets implantés respectivement à Abidjan, Bamako, Lomé, Luanda, Niamey et Yaoundé.
Elle est co-auteure d’un ouvrage publié aux éditions du Groupe LEH intitulé « La révolution du pilotage des données de santé Enjeux juridiques, éthiques et managériaux ».

 


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Delphine JAAFAR

Delphine Jaafar est avocat associé au sein du Cabinet Vatier (Paris) et y anime l'équipe Santé. Elle consacre son activité à l’accompagnement juridique de l’ensemble des acteurs et opérateurs – aussi bien du secteur public que du secteur privé – du monde de la santé : établissements et entreprises de santé, laboratoires et entreprises du médicament, professionnels de santé, gouvernements et institutions dans le monde de la santé … Très investie à l'international, elle a créé et mis en place un Desk Afrique dédié au droit de la santé sur la base d’un multiple partenariat avec six cabinets implantés respectivement à Abidjan, Bamako, Lomé, Luanda, Niamey et Yaoundé. Elle assure des enseignement dans le domaine du droit de la santé aussi bien à l'Université (Paris II Assas et Paris V Descartes) qu'à l'Ecole Nationale des Hautes Etudes en Santé Publiques (EHESP).

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