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Situation de crise des personnels aux Urgences : comment la Télémédecine peut-elle proposer des solutions organisationnelles innovantes ? Réponse du Docteur Pierre SIMON

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N°21, Mai 2019


 

Article publié  par notre expert, le Docteur Pierre SIMON    (Medical Doctorat, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine), auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine.    

 

La grève des personnels de santé des urgences hospitalières révèle à nouveau la surcharge de travail de ces services, due en grande partie à la progression régulière (+ 3,5%/an) de leur fréquentation par nos concitoyens depuis une bonne dizaine d’années. Cette progression d’activité est liée aux passages de personnes qui ont une urgence « ressentie » de soin primaire, non prise en charge par leur médecin traitant, indisponible ou surchargé. Elle n’est pas due à une augmentation des hospitalisations dont le taux (22% des venues aux urgences en 2017) a plutôt tendance à diminuer régulièrement depuis 20 ans.

 

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Quel état des lieux de l’accès aux services hospitaliers d’accueil des urgences en 2019 ?

C’est faute de solutions ambulatoires que nos concitoyens sont contraints d’aller aux urgences hospitalières et d’attendre plusieurs heures avant d’être examinés par un médecin urgentiste. Cette démarche vers les services d’urgences est d’ailleurs encouragée par les médecins traitants, lorsque ces patients en ont un, ceux-ci ayant de plus en plus de difficultés à répondre à la demande de soins non programmée de leur patientèle. Seules les structures d’exercice regroupé (MSP, Centres de santé, autres organisations) assurent ces demandes non programmées avec un intéressement financier accordé par l’Assurance maladie. L’exercice regroupé de soin primaire représente en 2019 moins de 20% des médecins généralistes, mais il est en progression constante.

Pour les quelque 80% de médecins généralistes qui exercent en mode isolé, le message habituel enregistré sur le répondeur téléphonique, le vendredi soir ou lorsqu’il s’absente pour des raisons professionnelles ou privés sans avoir pu trouver un médecin remplaçant, est le suivant : »pendant mon absence, en cas de problèmes de santé, appeler le 15 ou rendez-vous directement aux urgences hospitalières ». Ce sont les seules alternatives qu’un médecin traitant peut proposer à sa patientèle lorsqu’il est absent.

La mission hospitalière de soin primaire a un coût exorbitant. Alors que l’Assurance maladie, depuis décembre 2003, la finance à hauteur d’environ 1,5 milliards d’euros/an, incluant les frais d’accueil et le traitement des urgences (ATU), le coût réel est bien supérieur puisque la Cour des comptes l’évaluait déjà en 2007 à près de 4 milliards d’euros.

En 2018, ce sont 20,2 millions de passages/an que doivent assurer les services d’urgences, soit une dépense hospitalière d’au moins 5 milliards d’euros/an si on reprend le coût moyen d’un passage en 2007 (200 à 300 euros selon les régions). La recette apportée par l’ATU de l’Assurance maladie est toujours environ 1,5 milliards d’euros/an et l’hôpital doit alors puiser dans ses propres recettes T2A pour assurer cette mission (environ 3,5 milliards d’euros/an). Or, selon un récent rapport de la DREES, 43% de ces passages (près de 9 millions) relèveraient d’une prise en charge en soin primaire par un médecin généraliste, si celui-ci avait la disponibilité et la volonté d’assurer les demandes non programmées.

Augmenter les moyens humains dans les services d’urgences, sans recettes supplémentaires pour les hôpitaux, est un véritable casse-tête dans le système T2A, surtout lorsque la stratégie politique est de diminuer l’ONDAM hospitalier chaque année. Il est grand temps de réintroduire un peu de budget global dans les budgets hospitaliers pour faire face aux missions de service public qui ne génèrent pas de recettes suffisantes.

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N’existerait-t-il pas néanmoins des organisations professionnelles innovantes pour faire face à cette demande de santé en pleine progression dans la population française ?

Le rapport de Thomas Mesnier, appuyé par des membres de l’IGAS, intitulé « Assurer le premier accès aux soins » et publié en avril 2018, et le rapport des délégués nationaux à l’accès aux soins (Dr Sophie Augros, médecin généraliste, Dr Thomas Mesnier, député, Mme Elisabeth Doineau, sénatrice), publié en octobre 2018, sont intéressants à parcourir. Ces deux rapports sont sensés apporter de nouvelles solutions au premier accès aux soins, en particulier non programmés.

Que proposent ces rapports ?

Le premier rapport précise pour les soins non programmés qu' »aucun schéma type ne saurait être imposé par le niveau national, tant la diversité des situations est grande sur chaque territoire et dès lors que l’initiative ne saurait être prise que par les professionnels de santé. Les nombreuses auditions réalisées ont montré que les professions médicales et paramédicales sont pleinement conscientes de leur responsabilité en la matière à l’égard de leur population, de leur territoire ».

Selon le rapporteur, la solution doit être trouvée au niveau de chaque territoire à travers les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) dont c’est la mission prioritaire. Cette mission des CPTS a d’ailleurs été reprise dans l’avenant 6 de la Convention médicale consacré à la télémédecine.

Concernant la solution télémédecine, le rapport précise que le développement rapide de la télémédecine doit trouver, en matière de soins non programmés, un point d’application tout particulier pour les personnes à mobilité réduite demeurant à domicile et dans les EHPADs où, par ailleurs, les médecins coordonnateurs doivent se voir reconnaître une capacité de prescription pour pallier l’absence du médecin traitant du résident. 

Et le rapporteur rappelle ensuite que l’usage de la télémédecine ne doit pas exclure les pratiques plus traditionnelles, telles que les visites à domicile : « pour autant, au-delà des potentialités offertes par la télémédecine, la rémunération des visites à domicile doit être revalorisée, tant pour les médecins que pour les infirmières, pour que soit pris en compte le manque à gagner, par rapport à des consultations en cabinet, induit par le temps de déplacement »

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Plus loin, le rapport recommande de renforcer la mission du Centre 15 :  l’appel au centre 15 « permet, dans deux tiers des cas, de prodiguer un conseil téléphonique évitant un passage aux urgences, voire une consultation médicale. C’est le modèle Medgate en Suisse : l’usage de la télémédecine pour améliorer l’accès aux soins primaires pourrait être développé dans ce cadre.

A l’instar du modèle suisse, cette régulation (par le centre 15) doit permettre de déclencher des transports remboursables par l’assurance maladie vers les organisations de prise en charge des soins non programmés ayant passé contrat avec l’ARS. Elle permet également d’orienter convenablement le patient dans un parcours de soins qui lui est très peu familier. Elle doit être déployée progressivement, et pouvoir être effective sur tous les territoires d’ici à deux ans. C’est la volonté de régler les difficultés d’accès aux soins au niveau territorial avec l’aide des CPTS, lesquels seront accompagnées par les ARS. 

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L’organisation territoriale portée par les CPTS sera t’elle opérationnelle et efficiente à très court terme ? 

Les négociations tarifaires avec l’Assurance maladie se terminent et le niveau de financement d’une CPTS dépendra du périmètre et de la population prise en charge.

La réponse aux demandes de soins non programmées au niveau territorial par une structure organisée par les CPTS a indiscutablement un enjeu médico-économique considérable : il s’agit de réduire la dépense hospitalière au niveau des services d’urgences de 2,5 à 3 milliards d’euros, puisque l’étude de la DREES, reprise dans le rapport de Thomas Mesnier, estime que 43% des passages aux urgences devraient être assurés par des structures de soins primaires territoriales.

Si les 9 millions de passages aux urgences, relevant des soins primaires, étaient remplacés par des consultations médicales présentielles ou des téléconsultations organisées au niveau territorial, il en coûterait à l’Assurance maladie 225 millions d’euros de plus sur l’ONDAM ambulatoire et 2,5 milliards d’euros de moins sur l’ONDAM hospitalier.

On peut regretter que les contributeurs à ces deux rapports de 2018 sur l’accès aux soins n’aient pas traduit les mesures qu’ils ont préconisées en termes d’impact économique potentiel. Ces chiffres ne sont probablement pas très éloignés de la réalité. Il existe indiscutablement des niches d’économie à l’hôpital public et la solution aux difficultés de fonctionnement des services d’urgences est plutôt dans un transfert d’une partie de leur activité hors de l’hôpital plutôt que dans une augmentation des moyens humains hospitaliers.

Les CPTS sont-elles alors capables de relever à court terme un défi organisationnel à fort impact médico-économique ? Certains en doutent, d’autres l’espèrent.

Ceux qui en doutent pensent que les CPTS ne peuvent organiser un parcours territorial  de soins sans intégrer les projets médicaux territoriaux des GHT. Il serait ainsi souhaitable d’organiser les parcours de santé de la population d’un territoire au sein d’un GST (groupement de santé territorial) qui réunirait les CPTS de la médecine ambulatoire et les GHT, sans oublier les élus locaux et régionaux qui doivent être associés à ces transformations..

Pour qu’un impact médico-économique de ces nouvelles organisations puisse être démontré, il faut renforcer la coopération entre la ville et l’hôpital au sein du territoire. La télémédecine peut y contribuer. Par exemple, les GHT peuvent mettre en place des plateformes de téléexpertises spécialisées pour aider les médecins traitants à mieux coordonner les parcours de leurs patients atteints de maladies chroniques (voir le billet GHT et TLM dans la rubrique « On en parle »). Un ORDAM (Objectif Régional des Dépenses d’Assurance Maladie), commun à l’ambulatoire et au secteur hospitalier, serait probablement plus approprié qu’un ONDAM bicéphale (ambulatoire et hospitalière), si on veut mieux appréhender les impacts médico-économiques des nouvelles organisations territoriales de l’accès aux soins.

D’autres espèrent que les CPTS en l’état réussissent. C’est du moins l’engagement pris par les cinq syndicats de l’avenant 6 de la Convention médicale. Les CPTS sont les enfants des deux dernières lois sanitaires (Loi sur la modernisation du système de santé du 26 janvier 2016 et le projet de loi Ma santé en 2022 en cours de discussion). Bien que les rapports précités fassent état d’une forte réserve des professionnels de santé médicaux vis à vis de ces nouvelles organisations, les auteurs misent sur la dynamique créée par une coopération multidisciplinaire et pluriprofessionnelle au sein du territoire pour obtenir l’adhésion des médecins traitants.

Dans le champ de la télémédecine, les CPTS, selon l’avenant 6 de la Convention médicaledoivent apporter les réponses territoriales à l’accès aux soins « hors parcours ». En clair, lorsqu’un patient n’a pas de médecin traitant ou que ce dernier n’est pas disponible dans un délai compatible avec l’état de santé, les CPTS doivent apporter à ces patients une solution d’accès à un médecin au niveau du territoire, soit en consultation présentielle, soit en téléconsultation.

Il est urgent que les CPTS  montrent leur capacité à répondre aux attentes des citoyens vivant dans le territoire de santé, car aujourd’hui l’attraction vis à vis des plateformes nationales de téléconsultation ponctuelle est de plus en plus grande : plus de 100 000 téléconsultations ponctuelles dans les six derniers mois contre 8 000 téléconsultations relevant de l’avenant 6 sur la même période. Espérons que le prochain bilan que publiera la CNAM dans 6 mois montrera une forte progression des téléconsultations dites de « parcours », à l’initiative du médecin traitant.

 

In fine, qui gagnera la palme de l’efficience en réponse aux besoins et demandes de soins non programmés de nos concitoyens, tout en réduisant une dépense hospitalière inutile de 2 à 2,5 milliards d’euros ? La CNAM ou les complémentaires santé ? 

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Nous remercions vivement le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine) , auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine,  pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com


Biographie du Docteur Pierre SIMON :
Son parcours : Président de la Société Française de Télémédecine (SFT-ANTEL) de janvier 2010 à novembre 2015, il a été de 2007 à 2009 Conseiller Général des Etablissements de Santé au Ministère de la santé et co-auteur du rapport sur « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins » (novembre 2008). Il a été Praticien hospitalier néphrologue de 1974 à 2007, chef de service de néphrologie-dialyse (1974/2007), président de Commission médicale d’établissement (2001/2007) et président de conférence régionale des présidents de CME (2004/2007). Depuis 2015, consultant dans le champ de la télémédecine (blog créé en 2016 : www.telemedaction.org).
Sa formation : outre sa formation médicale (doctorat de médecine en 1970) et spécialisée (DES de néphrologie et d’Anesthésie-réanimation en 1975), il est également juriste de la santé (DU de responsabilité médicale en 1998, DESS de Droit médical en 2002).
Missions :accompagnement de plusieurs projets de télémédecine en France (Outre-mer) et à l’étranger (Colombie, Côte d’Ivoire).

 

 

Interview du Dr Pierre SIMON, Les Rencontres Africa Santé, 4 Octobre 2018

Jean-Luc STANISLAS (Fondateur du site, [photo à droite]) tient à remercier chaleureusement le Docteur Pierre SIMON (Past-Président de la Société Française de Télémédecine, SFT-ANTEL) pour  proposer régulièrement le partage de son expertise de la Télémédecine à travers ses nombreux articles publiés gracieusement sur notre plateforme média digitale ManagerSante.com®

[Vidéo ]

de l’interview du Docteur Pierre SIMON par Jean-Luc STANISLAS (Fondateur de managersante.com) sur

« L’impact de la télémédecine dans le contexte du projet de transformation de notre système de santé en France, suite aux annonces du programme #MaSanté2022 », 

à l’occasion des 3èmes Rencontres #RencontresAfrica Sectorielles Santé au Palais des Congrès de Paris les  24 & 25 Septembre 2018, dont managersante.com était un des partenaires médias officiels de l’événement 2018


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Docteur Pierre SIMON

Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine, Past-CGES French Ministry of Health Praticien Hospitalier en néphrologie pendant près de 35 ans, il s'est intéressé a la Télémédecine des le milieu des années 90 en développant une application de Télémédecine en dialyse, devenue opérationnelle en 2001. Cette application a été évaluée par la HAS en 2008-2009 (recommandations publiées en janvier 2010). Après avoir co/signe le rapport ministériel sur "La place de la Télémédecine dans l'organisation des soins", avec Dominique Acker lorsqu'il était Conseiller Général des Etablissements de Sante (2007-2009), il a été, de janvier 2010 à décembre 2015, président de la SFT-ANTEL Société savante de Télémédecine, qui regroupe plus de 400 professionnels de santé, médecins et non médecins ( infirmiers, pharmaciens, etc.). et dont l'objet est de promouvoir et soutenir les organisations nouvelles de soins structurées par la Télémédecine, apportant la preuve d'un service médical rendu aux patients. La SFT-ANTEL organise chaque année un Congres européen de Télémédecine et a crée un journal de recherche clinique en Télémédecine ( Européan Research in Télémédecine) publie par Elsevier.

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