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En quoi la personne est-elle porteuse de sens ? Par le Pr Eric DELASSUS (5ème partie)

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N°19, Décembre 2018


 

Article écrit par Eric, DELASSUS, (Professeur agrégé (Lycée Marguerite de Navarre de Bourges et  Docteur en philosophie, Chercheur à la Chaire Bien être et Travail à Kedge Business School). Il vient de co-publier un nouvel ouvrage le 25 Septembre 2018 intitulé « Ce que peut un corps« , aux Editions l’Harmattan, sous la direction d’Eric Delassus et Sylvie Lopez-Jacob.  Ses recherches portent plus particulièrement sur des questions d’éthique (médicale, managériale, ou sur les nouvelles technologies) et les usages actuels de la philosophie de Spinoza. 


Relire la 4ème partie de son article

 

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La personne est relation

Nous avons pu au cours de cette réflexion au sujet de la notion de personne mettre en évidence ce qui la rend indissociable de la question du sens. Si, en effet, il n’y a de sens que là où il y a relation et si la personne se définit en termes relationnelles, il est aisé d’en déduire que c’est en reconnaissant aux hommes la dignité de personne que l’on fait émerger le sens.

En effet, la personne est relation, relation au monde et aux autres et le moteur de cette relation n’est autre que le désir, cette puissance d’être et d’agir sans laquelle notre vie ne trouverait pas la force nécessaire pour s’affirmer. «Le désir est l’essence de l’homme[1]» écrit Spinoza dans l’Éthique.

Cela signifie que l’homme est désir, qu’il est cette force qui n’a d’autre visée que de d’agir, créer, entreprendre, mais qui a besoin pour cela des autres. Le désir des uns a donc besoin de s’associer au désir des autres pour se satisfaire et, plutôt que de le réduire en servitude, il est préférable de créer les conditions d’une réelle conjugaison des désirs pour fédérer les forces à l’œuvre.

Nous retrouvons ici la notion de dépendance évoquée plus haut à propos de la dimension de vulnérabilité de la condition humaine. C’est précisément cette vulnérabilité qui nous invite à considérer les autres comme des personnes, c’est-à-dire comme des êtres reliés, afin d’aider chacun à conquérir et à construire son autonomie avec les autres. C’est dans ce cadre que l’existence de chacun prend sens par la relation qu’il entretient avec autrui.

Envisager ainsi la vie sociale, et pour ce qui nous concerne, les relations humaines au travail, c’est s’obliger à penser que tout homme est un être dont l’existence a pour l’homme plus de valeur que l’existence de tout autre chose, ce qui peut s’exprimer également ainsi : tout homme est digne de l’humanité et son existence inspire les respect.

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Respect et dignité

Les notions de respect et de dignité sont des notions essentielles en philosophie morale dans la mesure où elles renvoient à ce qui fait la valeur de la personne humaine et à la reconnaissance de cette valeur.

Si le respect est indissociable de la dignité, c’est que précisément il se définit comme le sentiment que m’inspire la reconnaissance de la dignité de la personne humaine, de toute personne humaine.

C’est pourquoi il est un sentiment singulier. Kant le qualifie de « sentiment de la raison », il ne m’est pas inspiré par un affect, mais par un jugement. C’est parce que je juge que tout être humain a, parce qu’il est un être humain, plus de valeur que n’importe quoi au monde que je ressens du respect pour lui. Il ne s’agit pas d’aimer ou de ne pas aimer, il s’agit de reconnaître en tout homme une valeur que rien ne peut altérer et qui constitue sa dignité.

On pourrait cependant opposer à cette exigence universelle de respect le fait que les hommes se conduisent parfois, pour ne pas dire souvent, de manière indigne et son eux-mêmes irrespectueux de leurs semblables.

Doit-on encore respecter celui qui se conduit de manière indigne, le criminel, le tortionnaire, l’escroc ? Ne perd-il pas sa dignité en commettant de tels actes ?

Dire cela, ce serait dire que l’homme qui se conduit de manière contraire à la morale et à l’éthique doit être retranché de l’humanité et qu’il n’y a pas de raison de le distinguer d’un animal ou d’une chose.

En effet, le terme de dignité, issu d’abord du vocabulaire aristocratique, renvoie initialement à l’idée de distinction. Jouir d’une dignité dans le monde aristocratique, c’est jouir d’un privilège dont on bénéficie parce que l’on considère que l’on se distingue par nature de l’homme ordinaire, parce qu’on se sent supérieur à lui. Avec les progrès de l’esprit démocratique le sens de ce terme a évolué et désigne désormais ce qui distingue l’homme des autres êtres qui constituent la nature.

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Or, nous l’avons également souligné, le propre de l’homme est de pouvoir réfléchir, non seulement de penser, mais de pouvoir analyser ses pensées et ses actes. De ce point de vue tout homme est détenteur d’une dignité, même le plus immoral, le plus barbare d’entre eux.

C’est d’ailleurs pour cela qu’on juge les criminels, parce que l’on les traite avec respect et que l’on considère qu’il sont toujours détenteurs d’une dignité humaine, sinon on ne les traiterait pas avec tant d’égards, ce que font d’ailleurs les régimes politiques qui ne respectent pas les droits de l’homme et par conséquent la dignité humaine.

Mais il n’en reste pas moins que je ne puis refuser tout respect à l’homme vicieux lui-même, comme homme ; car, en cette qualité du moins, il n’en peut être privé, quoiqu’il s’en rende indigne par sa conduite.

Aussi faut-il rejeter ces peines infamantes qui dégradent l’humanité même (comme d’écarteler un criminel, de le livrer aux chiens, de lui couper le nez et les oreilles), et qui non-seulement, à cause de cette dégradation, sont plus douloureuses pour le patient (qui prétend encore au respect des autres, comme chacun doit le faire) que la perte de ses biens ou de sa vie, mais encore font rougir le spectateur d’appartenir à une espèce qu’on puisse traiter de la sorte[2].

Pour reprendre une formule empruntée à Éric Fiat[3], l’homme qui se conduit mal ne perd pas sa dignité, mais agit d’une manière indigne de sa dignité. L’homme peut se comporter d’une manière indigne de sa dignité et ne pas respecter l’humanité en lui-même comme en autrui, il peut aussi vivre dans des conditions indignes de sa dignité parce qu’il est victime de la pauvreté ou de la maladie et que personne ne lui vient en aide, mais jamais il ne perd sa dignité car il est toujours susceptible d’être reconnu comme un homme par un autre homme. D’être reconnu comme une personne par une autre personne.

Nous retrouvons ici l’importance de la relation et de la reconnaissance dans la constitution de la personne et ce qui fait toute la différence entre un monde d’individus poursuivant chacun leurs intérêts particuliers sans se soucier du sort de leurs semblables – monde indigne de la dignité de l’homme – et un monde proprement humain constitué de personnes.

Lire la prochaine  partie de cet article le mois prochain


Pour aller plus loin : 

[1] Spinoza, Éthique, Troisième partie, Définition I des affects, Op. cit., p. 305.

[2] Emmanuel Kant, Métaphysique des mœurs, Deuxième partie, Doctrine de la vertu, Vrin, p. 141.

[3] Fiat Éric, Petit Traité de Dignité, Larousse, Paris, 2010.



 

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Nous remercions vivement notre spécialiste, Eric, DELASSUS,Professeur agrégé (Lycée Marguerite de Navarre de Bourges) et  Docteur en philosophie , co-auteur d’un nouvel ouvrage publié en Septembre 2018 intitulé « Ce que peut un corps » aux Editions l’Harmattan,  de partager son expertise en proposant des publications dans notre Rubrique Philosophie & Management, pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com 


Biographie de l’auteur :
Professeur agrégé et docteur en philosophie (PhD), j’enseigne la philosophie auprès des classes terminales de séries générales et technologiques, j’assure également un enseignement de culture de la communication auprès d’étudiants préparant un BTS Communication.
J’ai dispensé de 1990 à 2012, dans mon ancien établissement (Lycée Jacques Cœur de Bourges), des cours d’initiation à la psychologie auprès d’une Section de Technicien Supérieur en Économie Sociale et Familiale.
J’interviens également dans la formation en éthique médicale des étudiants de L’IFSI de Bourges et de Vierzon, ainsi que lors de séances de formation auprès des médecins et personnels soignants de l’hôpital Jacques Cœur de Bourges.
Ma thèse a été publiée aux Presses Universitaires de Rennes sous le titre De l’Éthique de Spinoza à l’éthique médicale. Je participe aux travaux de recherche du laboratoire d’éthique médicale de la faculté de médecine de Tours.
Je suis membre du groupe d’aide à la décision éthique du CHR de Bourges.
Je participe également à des séminaires concernant les questions d’éthiques relatives au management et aux relations humaines dans l’entreprise et je peux intervenir dans des formations (enseignement, conférences, séminaires) sur des questions concernant le sens de notions comme le corps, la personne, autrui, le travail et la dignité humaine.
Sous la direction d’Eric Delassus et Sylvie Lopez-Jacob, il vient de co-publier un nouvel ouvrage le 25 Septembre 2018 intitulé « Ce que peut un corps« , aux Editions l’Harmattan,   

 

DECOUVREZ LE NOUVEL OUVRAGE PHILOSOPHIQUE

Sous la Direction d’Eric DELASSUS et Sylvie LOPEZ-JACOB9782343156804r.jpg

Résumé : Modèle d’une société en mal de cohésion, ou modelé par elle et ses normes, le corps construit l’identité, et rend possible l’aliénation. Apprêté, mis en scène, observé ou transformé, il donne son étoffe au héros, ses rouages au pantin, ses prothèses à l’homme en mal de puissance. A moins que, habité en conscience, il ne devienne la source vive où l’homme peut puiser sa joie. En mars 2017, à l’Ecole Nationale Supérieure d’Art de Bourges, s’est tenu un colloque sur le thème « Ce que peut un corps ». Enseignants de philosophie, de sociologie, plasticien, maître d’arts martiaux se sont succédé pour faire état des états du corps.

 

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Professeur Éric DELASSUS

Professeur agrégé et docteur en philosophie (PhD), j'enseigne la philosophie auprès des classes terminales de séries générales et technologiques, j'assure également un enseignement de culture de la communication auprès d'étudiants préparant un BTS Communication. J'ai dispensé de 1990 à 2012, dans mon ancien établissement (Lycée Jacques Cœur de Bourges), des cours d'initiation à la psychologie auprès d'une Section de Technicien Supérieur en Économie Sociale et Familiale. J'interviens également dans la formation en éthique médicale des étudiants de L'IFSI de Bourges et de Vierzon, ainsi que lors de séances de formation auprès des médecins et personnels soignants de l'hôpital Jacques Cœur de Bourges. Ma thèse a été publiée aux Presses Universitaires de Rennes sous le titre De l'Éthique de Spinoza à l'éthique médicale ( http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=2597 ). Je participe aux travaux de recherche du laboratoire d'éthique médicale de la faculté de médecine de Tours. Je suis membre du groupe d'aide à la décision éthique du CHR de Bourges. Je participe également à des séminaires concernant les questions d'éthiques relatives au management et aux relations humaines dans l'entreprise et je peux intervenir dans des formations (enseignement, conférences, séminaires) sur des questions concernant le sens de notions comme le corps, la personne, autrui, le travail et la dignité humaine.

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Une réponse

  1. J’aime l’idée selon laquelle le sens de l’homme s’exprime dans la relation. Peut-être aussi dans sa relation avec lui-même !

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