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Approche psychosomatique de la Douleur Chronique : quelles solutions ? (Partie 3/4)

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Article rédigé par Marie PEZE ,  Docteur en Psychologie, psychanalyste, expert judiciaire près la Cour d’Appel de Versailles. Responsable de l’ouverture de la première consultation hospitalière « Souffrance et Travail » en 1997, responsable du réseau des 130 consultations créées depuis, responsable pédagogique du certificat de spécialisation en psychopathologie du travail du CNAM, avec Christophe Dejours. Auteure de plusieurs ouvrages, dont le dernier publié en 2017,  « Le burn-out pour les nuls » aux Editions First.


N°11, Juin 2018


Relire la 2ème Partie  de cet article 

La mise à contribution excessive des défenses mentales, caractérielles ou comportementales est le lot commun de tout être humain dans le parcours d’une vie. Les événements qui nous affectent (un deuil, un licenciement, une rupture mais aussi une promotion, une nouvelle relation amoureuse ) modifient l’équilibre de nos investissements et induisent une tension que le psychisme doit décharger par tous les moyens sous peine de traumatisme. Le troisième grand secteur d’expression humaine, la somatisation, peut ainsi être mis à jour si les autres fonctionnements sont momentanément ou durablement mis hors d’état.

La somatisation est le processus par le quel un conflit qui ne peut trouver d’issue mentale déclenche dans le corps des désordres endocrino métaboliques, pont de départ d’une maladie organique

Ne nous trompons pas sur les enjeux de ce jeu subtil d’investissements mentaux et sensori-moteurs. Ils nous protègent d’une atteinte somatique. Sans cet amortisseur, les défenses immunitaires sont en première ligne. Quand elles cèdent progressivement ou brutalement, il y a mort d’homme. Il serait illusoire de penser que nous laissons notre histoire personnelle accrochée sur un cintre, dans les vestiaires de notre lieu de travail.

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Quand la reconnaissance au travail est mise à mal…

La plupart des sujets en bonne santé espère avoir l’occasion, grâce au travail, de s’accomplir, d’accéder à une reconnaissance de leur valeur. A l’âge adulte, la quête de l’accomplissement de soi va se jouer sur deux scènes majeures :

Le théâtre amoureux. Mais la rencontre amoureuse ne solde pas toujours la question cruciale de l’identité. Le sujet va la reposer sur une autre scène, celle du champ social où le travail joue un rôle central.

En contrepartie de la contribution qu’il apporte à l’organisation du travail, le sujet attend une rétribution. Pas simplement un salaire mais aussi la reconnaissance. La reconnaissance de la qualité du travail accompli est la réponse aux attentes subjectives quant à l’accomplissement de soi. Alors, les doutes, les difficultés, la fatigue s’évanouissent devant la contribution l’œuvre collective et la place que l’on a pu se construire parmi les autres

La reconnaissance est fondée sur deux jugements :

  • le jugement d’utilité , porté par le client, l’élève, le malade,  la hiérarchie, porte sur l’utilité sociale, économique ou technique du travail. Il n’évalue pas les moyens utilisés mais les objectifs atteints.
  • Le jugement de beauté porté par les pairs de la communauté d’appartenance.

Ce jugement esthétique sur le travail accompli a deux volets :

  • un volet de conformité du travail par rapport aux règles de métier qui constituent le collectif de travail.
  • un volet d’originalité du travail , pas identique à celui des autres.

Le simple respect des règles renvoie au conformisme. La pure singularité relève de la marginalité.

De nombreux savoirs sont mobilisés pour concevoir et prescrire le travail. Le travail fait l’objet de nombreux discours savants. Le juriste parle du contrat de travail, le chef d’entreprise évoque les objectifs, l’ingénieur du bureau des méthodes définit les consignes. Du côté de l’organisation du travail, l’expérience de travail est banalisée. Il suffit d’appliquer les consignes.

Sur le terrain, celui qui travaille ne peut pas se dérober à une évidence.

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Travailler implique de sortir du discours pour se confronter au monde.

Travailler, c’est tenir d’un côté la prescription et de l’autre, la résistance du réel. Car la prescription sous estime toujours la variabilité de la situation. Les directives sont données pour une situation type qui ne se présente en fait jamais. Affecté à une tâche, le travailleur cherche un ordre, une séquences de gestes, d’opérations mentales, un choix d’outils qui réalisent un mode opératoire spontané, se perfectionnant au gré des modifications successive.

La même tâche, effectuée par des travailleurs différents, n’est pas toujours réalisée selon un seul et même protocole. L’organisation libre du travail tient compte des aptitudes individuelles, des besoins de la personnalité, séparée en phase de repos et de travail permettant de respecter les besoins de l’économie psychosomatique.

C’est dans cet écart entre le prescrit et le réel que se trouve la véritable définition du travail :

« Le travail, c’est la mobilisation des femmes et des hommes face à ce qui n’est pas donné par l ‘organisation du travail. »

La mobilisation individuelle et collective vient pallier au manque mais du coup, le masque aussi. Car si le travail raté se voit, le travail efficace est invisible.

Il ne suffit pas de juxtaposer les tâches et de prévoir les communications entre les postes. Ce ne sont pas les tâches qu’il faut coordonner mais les façons de travailler. Or, il ne suffit pas d’aligner les personnels les uns à côté des autres pour que la coopération naisse. La confiance est fondée sur une communauté de valeurs.

La confiance se construit mais pas à partir du partage de conceptions théoriques. On a confiance parce qu’on sait qu’on partage les mêmes règles de métier. Cette construction suppose l’existence de discussions, de confrontations des opinions, de manière formelle au cours de réunions instituées mais le plus souvent dans les espaces informels des pauses cafés, des repas où s’ajustent les postures pratiques et éthiques personnelles.

Cette possibilité de confrontation des expériences peut être gravement perturbée par une organisation du travail axée sur le rendement uniquement, la rigidité des prescriptions.

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Les initiatives personnelles destinées à pallier les carences de l’organisation du travail permettent de faire correctement le travail réel.

Le sujet peut, si les conditions s’y prêtent, déployer des trésors d’imagination et d’ingéniosité. Or l’ingéniosité, l’imagination, la créativité, l’initiative impliquent de manquer aux règlements, aux procédures, aux prescriptions, bref, de transgresser.

S’il existe une véritable coopération dans le collectif de travail, les « tricheries » pourront être débattues, rapatriées dans le procès de travail et donc être reconnues.

L’impossibilité de partager oblige à maintenir le secret sur la tricherie. Ce qui débouche sur deux dangers :

  • la sanction : l’organisation du travail transforme en tricherie à sanctionner ce qui constitue l’essence même du travail.
  • l’impossibilité de faire remonter son expérience et d’enrichir le contenu officiel du travail. Mais reconnaître la contribution du travailleur à l’organisation du travail, c’est reconnaître que l’organisation prescrite est défaillante.

Les deux démobilisent les travailleurs.

Les contradictions qui surgissent dans l’obligation de suivre les orientation stratégiques et le réel des tâches mettent cadres et dirigeants dans une situation psychique inconfortable.

Les défenses collectives des cadres se cristallisent autour de la maîtrise technique, de la capacité de la science, de la technologie à maîtriser le réel.  Les cadres élaborent des stratégies de défense qui passent par une dissimulation des questions qui remontent d’en bas. C’est alors le personnel qui est mauvais. C’est un aveuglement défensif puissant qui laisse le travailleur à sa solitude et à sa souffrance, à l’incohérence du travail à accomplir.

Les solutions extrêmes de la souffrance au travail sont la démission ou l’absentéisme.

Si la souffrance n’est pas toujours suivie de décompensations c’est parce que nous déployons contre elle des défenses efficaces, individuelles et collectives, portées par les travailleurs eux-mêmes. Ces stratégies collectives de défenses sont estampillées par les contraintes réelles du travail.

La souffrance au travail, c’est le vécu qui surgit lorsque le sujet, après avoir épuisé ses ressources personnelles pour tenir au travail, se heurte à des obstacles insurmontables.

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Deux issues psychopathologiques :

Si le sujet ne parvient pas à faire comprendre les impasses de l’organisation du travail à la hiérarchie, il peut en venir à douter de ce qu’il tient pour vrai, perdre confiance en lui.

Dépression. Cette dépression peut prendre des formes mineures, anxiété larvée, chronicisation du sentiment d’ennui, de lassitude, de repli sur soi ou d’insatisfaction, autant de signes avant-coureur de la décompensation à venir. La pérennisation de cette souffrance latente peut déboucher sur des crises aiguës

Il peut tenter de maintenir sa croyance contre le système. Il sera tôt, ou tard dénoncé comme fou.

La peur de la perte d’emploi, la peur de ne pas tenir sur son poste de travail, engendrent des pathologies croissantes :

  • les TMS., l’épuisement professionnel,
  • le karoshi,
  • le harcèlement moral érigé en pratique managériale,
  • les passages à l’acte violents,
  • les suicides sur les lieux de travail ne sont plus des phénomènes mineurs .

La peur du chômage accentue les individualismes, le chacun pour soi, les dérives éthiques, les pratiques douteuses, l’exercice autorisé de vilaines pulsions comme le hopping.

Le cynisme est donc devenu de la force de caractère. La tolérance à l’injustice et à la souffrance infligée à autrui sont érigées en stratégies viriles. Un homme, un vrai, doit pour réussir, parvenir à ignorer la peur.

Or la peur génère des conduites de domination ou de soumission et d’obéissance. Les comportements tyranniques, le harcèlement, la persécution d’un subalterne sont fréquents.

 

Lire la suite de cet article le mois prochain…

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Nous remercions vivement notre spécialiste, Marie PEZE , psychanalyste et docteur en psychologie, ancien expert judiciaire (2002-2014), est l’initiatrice de la première consultation « Souffrance au travail » au centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre en 1996. À la tête du réseau des consultations Souffrance et Travail, ouvert en 2009 le site internet Souffrance et Travailpour partager son expertise en proposant sa Rubrique mensuelle, pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com 

 


Biographie de l’auteure :
Docteur en Psychologie, psychanalyste, expert judiciaire près la Cour d’Appel de Versailles. Responsable de l’ouverture de la première consultation hospitalière « Souffrance et Travail » en 1997, responsable du réseau des 130 consultations créées depuis, responsable pédagogique du certificat de spécialisation en psychopathologie du travail du CNAM, avec Christophe Dejours. En parallèle, anime un groupe de réflexion pluridisciplinaire autour des enjeux théorico-cliniques, médico-juridiques des pathologies du travail qui diffuse des connaissances sur le travail humain sur le site souffrance-et-travail.com Bibliographie : Le deuxième corps, Marie PEZE, La Dispute, Paris, 2002. Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Pearson, Paris, 2008, Flammarion, collection champs en 2009 Travailler à armes égales, Pearson, 2010 Je suis debout bien que blessée, Josette Lyon, 2014

 

AGENDA 2018 :

Les prochaines Conférences à ne pas manquer

avec, notre experte-auteure,  Marie PEZE :


 

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En 2018, ces rencontres continuent autour de sujets tout aussi percutants et proches des préoccupations des citoyennes et citoyens qui connaissent à leur travail des situations de souffrances.

  • Mardi 26 juin 2018 : “Devenir un salarié averti pour ne plus souffrir au travail.” Avec Marie Pezé, psychologue, fondatrice du réseau “Souffrance & Travail” (association Diffusion et Connaissance du Travail Humain-DCTH).

Informations pratiques et conditions d’entrée :

  • Lieu : café/restaurant Le Balbuzard, 54, rue rené Boulanger, 75010 Paris, métro République.
  • Heure : de 20h à 21h30.
  • Inscription obligatoire à l’adresse : cafe.sante.travail@gmail.com

Un cycle de conférences-débats organisé par l’association Cafés Théma

 


Et suivez l’actualité sur www.managersante.com,  partenaire média digital 

Officiel du Salon Européen  Expoprotection 

Paris-Porte de Versailles [#Expoprotection] du 06>08 Novembre 2018

Partenariat managersante 2018 Paris EXPO PROTECTION 2018 Version 1 .pdf

Marie PEZE

Docteur en Psychologie, psychanalyste, expert judiciaire près la Cour d’Appel de Versailles. Responsable de l’ouverture de la première consultation hospitalière « Souffrance et Travail » en 1997, responsable du réseau des 130 consultations créées depuis, responsable pédagogique du certificat de spécialisation en psychopathologie du travail du CNAM, avec Christophe Dejours. En parallèle, anime un groupe de réflexion pluridisciplinaire autour des enjeux théorico-cliniques, médico-juridiques des pathologies du travail qui diffuse des connaissances sur le travail humain sur le site souffrance-et-travail.com Bibliographie : Le deuxième corps, Marie PEZE, La Dispute, Paris, 2002. Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Pearson, Paris, 2008, Flammarion, collection champs en 2009 Travailler à armes égales, Pearson, 2010 Je suis debout bien que blessée, Josette Lyon, 2014

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2 réponses

  1. Merci pour cet article très instructif sur ce qui dysfonctionne au travail et, je crois, dans notre société. Je me demande si ce n’est pas toute l’éducation qui est à revoir. En effet, c’est incroyable comme le premier réflexe primaire dès gens est d’allumer l’autre à la première erreur, incompréhension ou au premier quiproquo. Tant que ce réflexe primaire ne sera pas neutralisé par une majorité de personnes, ça ne collera pas. Ce n’est pas simple, ça demande de prendre conscience que ce n’est jamais l’autre le problème. Mais c’est ce qu’on pense de lui le problème. Pour que ça change, il est d’abord necessaire de changer son regard sur l’autre. Mais vraiment peu de gens veulent prendre cette responsabilité. Certaines cultures semblent l’avoir mieux compris. Du coup la vie y est plus douce.

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