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Secret professionnel & partage d’informations : les nouvelles dispositions de la Loi Santé 2016

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N°1, Janvier 2017


Depuis la Loi santé du 26 janvier 2016 (1), les professionnels de santé peuvent échanger des informations avec les professionnels du médico-social et du social. Quelle est la portée de cette disposition? Voici quelques explications et commentaires.

NB : cet article a été mis à jour par l’auteure suite aux décrets du 20 juillet 2016.

1/ Un « décloisonnement » sans précédent 

Le secret professionnel institué par notre code pénal (article 226-13) est un principe fondamental de notre droit.

Au fil du temps, le législateur a néanmoins autorisé le partage d’informations dans certaines situations et sous certaines conditions : partage d’informations entre professionnels de santé institué par la loi sur les droits des malades de 2002 (2), partage d’informations entre professionnels du médico-social et du social dans la cadre de la protection de l’enfance et dans le cadre de la prévention de la délinquance en 2007 (3) et (4).

Mais jusqu’ici, il n’y avait pas de texte qui autorisait le partage d’informations entre professionnels de santé et professionnels du médico-social ou du social. C’est maintenant chose faite : la loi Santé autorise cet échange d’informations et modifie le code de la santé publique en conséquence (nouvel article L110-4 du code de la santé publique).

Il s’agit donc d’un « décloisonnement » sans précédent de la circulation d’informations entre les professionnels des trois secteurs d’activité. Cette réforme majeure du secret professionnel semble néanmoins être passée pratiquement inaperçue, « noyée » dans la masse d’informations de la nouvelle loi Santé de janvier 2016.

2/ Les conditions de l’échange d’informations  

La Loi prévoit plusieurs conditions :

 « […] II.- Un professionnel peut échanger :

  • avec un ou plusieurs professionnels identifié
  • des informations relatives à une même personne prise en charge,
  • à condition qu’ils participent tous à sa prise en charge
  • et que ces informations soient strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention ou à son suivi médico-social et social. »

(Article L1110-4 du code de la santé publique, alinéa ll)

3/ La définition du « strictement nécessaire » 

La nouvelle Loi ne définit pas la notion de « strictement nécessaire », ce qui veut dire qu’il appartient au professionnel de le définir au cas par cas, sous le contrôle des tribunaux en cas de procédure pour atteinte au secret professionnel.

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Un décret du 20 juillet 2016 (5) est venu préciser la question de l’échange d’informations entre professionnels de santé et autres professionnels des champs social et médico-social.

Ce décret précise notamment quels sont les professionnels concernés : d’une part les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du Code de la santé publique (quel que soit leur mode d’exercice) et d’autre part une longue liste de professionnels du champ social et médico-social.

Figurent dans cette liste, par exemple, les assistants de service social mais aussi les ostéopathes, les chiropracteurs, les psychologues, les psychothérapeutes, les aides médico-psychologiques, les assistants maternels….

Soit toute une série de professionnels qui, pour la grande majorité d’entre eux, ne sont pas soumis au secret professionnel d’après le code pénal et n’ont pas la même « culture » du secret.

Il faudra donc aux professionnels de santé une réflexion éthique importante pour définir précisément quelles sont les informations à transmettre aux professionnels du médico-social et du social mentionnés par ce décret (qui sont nombreux).

Par ailleurs, la question qui se pose est la portée de cette nouvelle loi sur les échanges par voie numérique.

Quid de la protection des données ?

Allons-nous à terme vers un dossier unique « santé/social/médico-social ?

Qui aura accès à ces données ?

Ceci sachant qu’à ce jour, certains professionnels comme les secrétaires à l’hôpital ont déjà accès au dossier médical des patients.

4/ Les avantages de cette disposition

Cette loi facilite la coordination entre les différents intervenants, la continuité des soins, la prévention et le suivi. Elle va donc améliorer, sur beaucoup d’aspects, la prise en charge des personnes concernées.

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Elle permettra par exemple de donner un cadre juridique au partage d’informations entre professionnels pour assurer la continuité des soins d’une personne âgée soignée à l’hôpital (santé) qui intègre une maison de retraite (médico-social).

Ou bien de faciliter la continuité du parcours de soins d’un enfant porteur de handicap suivi par son médecin traitant (santé) et l’institut médico-éducatif qui l’accueille (médico-social).

Dans certains cas de figure, les professionnels partageaient déjà des informations, mais ce partage se faisait sans autorisation de la loi. Ces nouvelles dispositions de la loi santé viennent donc entériner une pratique existante en lui donnant des limites et des conditions.

Cette nouvelle loi vient même élargir les possibilités de partage là où ils n’avaient pas forcément lieu auparavant, ce qui provoquait parfois des difficultés. Comme exemple, la circulation d’informations entre un hôpital psychiatrique (santé) et un foyer de réinsertion sociale pour jeunes travailleurs (social).

Imaginons le cas d’un jeune homme dont l’état de santé comporte des risques de comportement agressif, nécessitant d’éviter certaines situations favorisantes, ou bien ayant besoin d’un suivi pour la bonne prise de son traitement. Avant, si le médecin révélait des informations médicales à un tiers non autorisé, il portait atteinte au secret professionnel.

Mais s’il ne disait rien, cela pouvait poser problème pour l’adaptation de la personne à son nouvel environnement et résulter en une exclusion, une aggravation de son état de santé, voire des dommages collatéraux (imaginons que le jeune homme agresse un autre résident ou casse du matériel…. Ce sont des cas qui arrivent sur le terrain). C’est là que la portée de cette loi aura ses effets les plus importants : car un médecin, dans ce cas, pourra échanger des informations avec le foyer. Mais il aura comme interlocuteur un travailleur social et non un professionnel de santé, ce qui modifie considérablement la donne par rapport à son cadre de travail habituel.

5/ La nécessaire vigilance des professionnels

 

L’application de cette Loi amène toute une série d’interrogations : quels sont précisément les interlocuteurs concernés ? Quelles informations partager avec qui ? Dans quel but ? Et surtout, jusqu’où ? Autant de questions auxquelles les professionnels seront confrontés.

Il faudra donc que les professionnels connaissent les conditions précises de cette nouvelle Loi mais aussi, qu’ils adaptent leurs pratiques de manière cohérente avec leur éthique et leur déontologie. La mise en pratique de cette nouvelle Loi s’annonce donc compliquée, d’autant plus que  l’élargissement du champ du partage d’informations est énorme.

Il faudra aussi de la part des professionnels concernés, une certaine vigilance pour respecter les droits des patients ou usagers, notamment sur la question du consentement.

Car la loi prévoit certains cas où le patient (ou personne accueillie, ou usager) peut refuser le partage d’informations (6).

Mais combien le feront? Par crainte ou au contraire par excès de confiance dans le système de santé, peu useront de leur droit à s’opposer aux échanges d’informations. D’autant plus qu’ils sont en situation de vulnérabilité.

N’oublions pas que cette loi concerne les personnes prises en charge par les professionnels de santé et par les professionnels du médico-social et du social, donc par définition des personnes en situation de vulnérabilité.

Jeanne CAPODANO


Références juridiques :

(1) Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 réformant le système de santé, article 96 repris par l’article L1110-4 du code de la santé publique

L’article L1110-4 du code de la santé publique est accessible ici :

(2) Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé dite loi Kouchner

(3) Loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance

(4) Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.

(5) Décret n° 2016-994 du 20 juillet 2016 relatif aux conditions d’échange et de partage d’informations entre professionnels de santé et autres professionnels des champs social et médico-social et à l’accès aux informations de santé à caractère personnel.

Le décret comporte la liste complète des professionnels concernés par l’échange d’informations.

(6) Article L1110-4 du Code de la Santé Publique alinéa lll et IV et décret n° 2016-994 du 20 juillet 2016 relatif aux conditions d’échange et de partage d’informations entre professionnels de santé et autres professionnels des champs social et médico-social et à l’accès aux informations de santé à caractère personnel. Source : Legifrance

 

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Nous remercions vivement notre spécialiste, Jeanne CAPODANO, Juriste Spécialisée, Consultante et Formatrice dans le secteur sanitaire et médico-social, de partager son expertise en proposant des publications dans notre Rubrique Juridique, pour nos fidèles lecteurs de http://localhost/managersante 

 

Jeanne CAPODANO

Juriste spécialisée Santé/ Médico-Social

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6 réponses

  1. Très bonne analyse. Ces nouvelles dispositions laissent cependant beaucoup d’interrogations dans la pratique. La mise en place de dispositifs d’échange et de partage est très difficile au vue du manque de clarté des textes.
    -D’ailleurs comment va s’exercer le consentement du patient à ces échanges et partages notamment avec l’instauration du nouveau règlement européen sur la protection des données personnelles ? (hors et au sein d’une équipe de soins)

  2. Effectivement une nouvelle loi donc beaucoup d’info a assimiler alors merci pour ces précisions sur ce décloisonnement que je vais de ce pas soumettre au service social de mon institution qui a tendance à poursuivre le secret de leur action mises en place aux soignants et donc aucune tracabilite
    En qualité de cadre je n’ai droit qu’à des transmissions orales ….un peu léger pour une HAD

    1. Merci de votre commentaire, oui en HAD effectivement la communication est cruciale pour que tout fonctionne au mieux ! Pour l’avoir vu fonctionner autour de moi chez des amis ou de la famille (avec succès!) et avoir échangé avec les professionnels sur le sujet, je sais que la HAD demande beaucoup de coordination entre les différents professionnels : professionnels de l’Hôpital ( professionnels de santé mais aussi assistant de service social, services administratifs,…), le patient, sa famille, le transport, la pharmacie, le fournisseur de matériel médical nécessaire pour le patient, les différents intervenants à domicile et le médecin traitant ! J’ai pu constater toute la complexité de l’opération!

      Parfois certains problèmes d’ordre social (logement, finances, entourage familial,…) peuvent favoriser ou au contraire poser problème lors de la muse en place de la HAD. C’est pourquoi il faut une bonne communication avec l’assistant de service social de l’Hôpital qui accompagne le patient pour bénéficier de certaines prestations sociales par exemple. Certains problèmes doivent être résolus au cas par cas, ce qui demande parfois de trouver des solutions adaptées à chaque patient et donc nécessitent une très bonne communication entre les services de l’Hôpital. .

      Si vous allez travailler sur ces questions de communication avec le service social de votre institution suite à la réforme du secret professionnel, je me permets une suggestion: de communiquer les textes, bien sûr, mais aussi de proposer une réflexion sur la notion du « strictement nécessaire » (condition mentionnée par la nouvelle loi).

      Cette réflexion préalable, en concertation avec les différents professionnels, s’avère souvent très utile et constructive. Car elle permet à chacun des professionnels de réfléchir à ce qu’il convient de communiquer à qui, dans quel but.

      D’après les nombreuses formations auprès des professionnels que j’ai animées sur le sujet, il ressort que pour un assistant de service social, une communication en termes de besoins à partir des éléments confidentiels dont il dispose, (quels sont les besoins du patient, concrètement, pour la mise en place de la HAD?) fonctionne assez bien.

      Cette approche permet de faciliter la HAD mais aussi de préserver une certaine confidentialité (donc le respect de la dignité du patient).

      Une remarque ; ce nouveau texte amène une exception par rapport au principe du secret professionnel, mais le secret professionnel reste quand -même le principe (je veux dire qu’il ne faut pas inverser les principes)

  3. Merci beaucoup de votre commentaire et de votre témoignage de terrain.
    Effectivement, dans les EHPAD une bonne communication dans l’équipe pluridisciplinaire est indispensable ; cette loi vient donc entériner une pratique existante.

    Mais un certain nombre de questions demeurent, comme ,les informations partagées avec les personnels administratifs, les stagiaires, les bénévoles ou les informations partagées avec les partenaires extérieurs.

    Concernant les bénévoles, cette question m’est fréquemment posée en formation et elle mérite réflexion: faut-il tout partager avec eux ou seulement certains éléments? ? faut-il leur donner accès au dossier? doivent-ils participer aux transmissions? il me semble qu’il est utile de réfléchir à cette question non seulement sur un plan juridique (le droit des personnes accueillies à la confidentialité, risque de responsabilité juridique de l’établissement en cas de non-respect de la confidentialité par un bénévole), mais aussi sur un plan éthique.

    En tous cas, il est utile d’informer/former les bénévoles sur la question de la confidentialité.

    Sur le plan des outils internes , certains établissements élaborent des « chartes éthiques » autour du partage d’informations en équipe ou avec les partenaires, ce qui s’avère très utile pour cadrer les échanges.

  4. C’est sûrement une bonne chose cette nouvelle loi santé sur le secret professionnel partagé car de toute façon, dans certains établissements médico-sociaux, le personnel soignant ne cloisonne pas les informations médicales à divulguer ou à taire. Lors des transmissions, même les agents de service participent(stagiaires, remplaçants, bénévoles…) et les secrétaires administratives peuvent avoir accès aux dossiers. Quant au consentement de la personne âgée accueillie, j’aimerais croire qu’il est recueilli et respecté mais mon expérience personnelle ne va pas dans ce sens malheureusement…Éthique et morale doivent être encore et encore au cœur des formations dans le milieu de la santé. Chaque professionnel de santé ou travailleur social devrait penser qu’un jour il peut être patient où résident et qu’à ce moment là, secret professionnel partagé peut avoir un autre sens! Quand aux données médicales sur informatique, c’est pas pire que des dossiers papiers qui passent de mains en mains dans les EHPAD?

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