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En quoi la gestion de la crise hospitalière peut-elle être appréhendée comme une démarche apprenante ? Alain PHILIBERT partage son retour d’expérience de Directeur d’hôpital (partie 2/2).

N°4,  Novembre 2022

Nouvel article publié pour ManagerSante.com par Alain PHILIBERT, Directeur d’hôpital honoraire – Expert ANAP (Agence Nationale d’Appui à la Performance) , Manager senior en santé, Expert outre-mer et gestion de crise sanitaire, Facilitateur en intelligence collective.

Il est également co-auteur d’un chapitre de l’ouvrage collectif interdisciplinaire de référence publié en Octobre 2021, chez LEH Edition, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins », sous la direction de Jean-Luc STANISLAS  

Relire la première partie de cet article.

Dans la première partie de cet article, nous nous sommes posé la double question de savoir si nous nous dirigeons vers :

  • Une cellule de crise durable ?
  • Une gestion des flux territorialisée ?

Cette deuxième partie se propose de questionner la gestion de crise sous différents angles, notamment l’apport de la gestion de crise comme démarche apprenante.

Malgré le peu de recul temporel que nous avons encore, nous pouvons néanmoins tirer de premiers enseignements relatifs à la gestion de cette crise, à savoir qu’on peut la considérer à trois niveaux. 

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Une aventure humaine à part entière

L’indispensable concertation

Les espaces de concertation territoriaux ont permis un rapprochement entre acteurs des soins du territoire, quel que soit leur statut, au service des patients avec des réussites inédites, comme la réalisation d’interventions chirurgicales publiques au sein de blocs opératoires de cliniques. 

Malgré toute la diversité de ces situations, j’en ai retenu une leçon : face à une crise sanitaire, seul on est rien, et le salut passe nécessairement par les autres. Tous ceux que tu sauras mobiliser deviendront tes meilleurs amis, pour un jour, un an, voire pour la vie (j’ai des exemples…).

Les activités de soins sont à ce point complexes que, pour garantir aux patients un parcours de soins aussi performant que possible, voire le moins dégradé possible, les acteurs ont besoin de coordonner sans cesse leur action. Face à une crise sanitaire majeure, ce besoin est amplifié et immédiat.

La nécessaire réorganisation

Le déclenchement du plan blanc le 16 mars 2020 aura marqué l’entrée de mon établissement dans une organisation de crise en plusieurs phases, dont l’objectif était d’assurer la capacité de l’établissement à assurer la prise en charge des malades dans des unités dédiées, notamment et avant tout en réanimation. Ce plan a donc eu pour fil conducteur la capacité en réanimation de l’établissement.

Cette première mesure s’est accompagnée d’une profonde réorganisation interne en coordination étroite avec les autres établissements de santé : augmentation des capacités de réanimation de dix à seize lits, identification d’unités dédiées COVID-19 sur les sites majeurs, transformation des unités de chirurgie ambulatoire et d’hospitalisation de courte durée en zones tampons destinées à recevoir les patients en attente de résultats, réorganisation des services d’urgences.

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Une aventure humaine entièrement à part

La responsabilité territoriale de l’hôpital mise en lumière

Les phases suivantes ont été plus tournées vers l’extérieur, et ont permis d’activer des solutions de prises en charge déportées : déploiement de deux équipes mobiles de gériatrie vers les EHPAD du territoire, mise en œuvre d’une astreinte téléphonique de soins palliatifs, ouverture temporaire de lits de réanimation déportés dans un autre établissement public hors territoire, première phase de délocalisation des lits de chirurgie sur le territoire.

Localement, le territoire de santé avait par exemple déjà été marqué par l’apparition à la mi-mars 2020 d’un premier foyer épidémique dans un EHPA du territoire. Face à l’inaction de la direction de cette résidence, mon établissement a dépêché sans attendre un praticien sur place et mobilisé les partenaires du territoire pour venir en aide à une direction absente et à une équipe en totale déshérence. La satisfaction aura été que, dans une situation similaire ultérieure, les partenaires du territoire se sont mobilisés très efficacement et sans l’intervention de l’établissement hospitalier pivot de territoire, alors très occupé à d’autres prises en charge.

L’innovation médicale sur les rails et dans les airs

L’épidémie de COVID-19 a été à la source de nombreuses innovations dans le domaine de la santé. Ce fut notamment le cas des évacuations sanitaires (EVASAN) massives, qui ont connu une très forte activité, battant records sur records, parfois par l’utilisation de vecteurs inhabituels (TGV, avions longs courriers), parfois pour des effectifs de patients transférés hors normes (24 sur certains TGV sanitaires), parfois sur des distances jusque-là jamais envisagées (Papeete-Paris avec escale à Pointe-à-Pitre), et parfois dans des conditions très spectaculaires (Strasbourg-Bordeaux : 950 km en train, avec 240 obus d’oxygène à bord), mais toujours dans la maîtrise organisationnelle, médicale et logistique.

Ces innovants programmes joliment dénommés Chardon, Hippocampe ou Morphée, qui ont mobilisé tant d’énergie et de ressources, qui ont été tant commentés voire décriés, ont permis de transférer et de sauver beaucoup de patients (660 au total) ont été effectués de manière préventive, afin de libérer des lits en réanimation de régions surchargées, avant d’atteindre le redouté seuil de saturation

Deux trains sanitaires ont ainsi été mobilisés le dimanche 5 avril, dont un en direction du Sud Bretagne, avec notamment neuf patients descendant à Lorient. Dans un contexte de relative crispation interne des équipes dans l’attente de cette vague qui n’arrivait pas, la mobilisation des forces vives autour de ce projet fédérateur, parce que porteur de l’idée de solidarité nationale, a représenté un défi collectif exceptionnel.

L’idéal aurait été d’éviter d’avoir à effectuer ces transferts inter-régionaux, voire transcontinentaux, grâce à l’extension des capacités des services de réanimation in situ. Cette alternative a été mise en œuvre à plusieurs reprises durant la pandémie COVID-19, avec à titre d’exemple le déploiement dans le Grand Est d’un hôpital de campagne du Service de santé des armées, et de celui de l’ESCRIM en Guyane et à Mayotte.

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Une aventure humaine à capitaliser

La collégialité comme mode de management

Le pilotage de la gestion d’un tel évènement en cellule de crise n’est pas une nouveauté. Les outremers, que je connais bien, nous en apportent la preuve régulièrement, et l’exemple récent le plus spectaculaire est assurément l’incendie du CHU de la Guadeloupe. En revanche, la pratique est moins courante en métropole.

Aussi, les très longs mois qui se sont écoulés sous régime de cellule de crise sont à ce titre porteurs d’une façon différente de piloter l’hôpital, qui laissera vraisemblablement des traces dans les esprits.

La cellule de crise, cette instance pas vraiment codifiée qui se substitue parfois aux instances consultatives légales et règlementaires, est surtout ce que ses membres en font. Celle de mon établissement a su s’approprier collectivement les problématiques quotidiennes, les faire siennes, et apporter les éclairages, avis et conseils, nécessaires au binôme de gouvernance, constitué du DG ou, plus souvent du DGA,  et du PCME, l’établissement n’ayant pas désigné de DMC.

C’est cette capacité qui emporte l’adhésion des participants, notamment soignants et médicaux, à ce mode de cogestion inhabituel, démocratique et participatif.

Le DMC comme nouveau leader

Une autre capitalisation à venir, est assurément celle liée à la désignation et à la mobilisation des DMC au sein des établissements.

À la « faveur » de l’épidémie de COVID-19, cette nouvelle fonction a été mise à l’épreuve dès l’année suivante, et a fait ses preuves dans les hôpitaux où elle a été déployée. C’était en effet la première fois que cette fonction est réellement devenue opérationnelle et, plus généralement, que ce dispositif, initialement développé pour la réponse médicale aux attentats terroristes, a été déployé pour faire face à une épidémie de grande ampleur.

Les retours d’expérience faits de la gestion de l’épidémie de COVID-19 par les DMC, notamment à l’AP-HP, sont ceux d’un fonctionnement pour le moins fluide avec les PCME, avec qui les DMC ont su former un réel binôme médical.

Cependant, ces retours d’expérience mettent en lumière plusieurs insuffisances : méconnaissance de la communauté médicale du mode de fonctionnement de crise, méconnaissance du rôle du DMC, absence de fiche métier pour les DMC, absence de formation préalable au pilotage de crise de la plupart des DMC.

Des progrès doivent donc être accomplis au sein des établissements de santé  en vue de la préparation à de nouvelles crises. Parmi les pistes suggérées se dégagent notamment :

  • généralisation des DMC dans tous les établissements de santé ;
  • production de fiches métiers de DMC adaptées aux différentes catégories d’ établissements de santé  ;
  • formation initiale des DMC et remise à niveau régulière des connaissances ;
  • information régulière et formation des personnels de santé à la gestion de crise.

La gestion de crise comme source d’inspiration

Parce qu’il faut agir vite et efficacement, la crise met à mal la « résistance passive », c’est-à-dire l’ensemble des comportements et habitudes, conscients ou non, qui entravent l’adaptation au changement et génère de l’inertie dans les organisations hospitalières.

L’information et la communication s’imposent comme des actes fédérateurs dans la mesure où la crise transforme le rapport au temps : au plus fort des réorganisations, toute information pouvait être rendue caduque en l’espace de quelques heures et toute décision de la cellule devait être suivie d’effet dans un temps record.

Il s’agit alors d’assurer un égal niveau d’information vis-à-vis de l’ensemble des professionnels concernés, à qui la direction de l’établissement doit la plus grande transparence possible, dans un contexte où adrénaline et stress sont au plus haut dans les équipes.

Mon établissement en a fait l’expérience à différents niveaux, avec par exemple l’élargissement du télétravail et de la télémédecine en l’espace de quelques semaines, ou encore un plan de réorganisation ambitieux et réussi avec les établissements privés du territoire dans un domaine aussi concurrentiel que la chirurgie. La crise, c’est également pour l’hôpital la rencontre d’acteurs qui contribuent à l’intérêt collectif au-delà de ses propres murs. Cela permet de nouer des liens inédits et appréciés entre acteurs du public et du privé.

Dès lors, l’expérience du COVID-19 amène à réfléchir sur le management hospitalier et invite à capitaliser sur les réussites de ce moment si particulier. La richesse des points de vue et du partage en cellule de crise ne peut en effet qu’inviter à l’association la plus large possible à la construction des projets et au processus de décision en général.

En conclusion :

Les crises changent nécessairement les rapports humains dans la mesure où, face à un désordre sanitaire de grande ampleur, on a besoin de l’autre. La vraie seule qualité qui vaille alors, c’est l’humilité, celle qui permet la prise en compte de la parole de chacun.

Le mode collégial nivelle en effet les hiérarchies, dans la mesure où ce ne sont pas des grades qui cogèrent l’évènement, mais des professionnels reconnus pour leurs compétences, leur savoir-faire et leur savoir-être. Il appartient alors au décideur hospitalier de tirer de cette aventure collective les enseignements nécessaires et de faire vivre au quotidien ceux-ci et les valeurs portées au cours de la crise.

La bonne échelle de gestion patient s’inscrit indéniablement dans le niveau territorial, sous réserve que cette gestion soit coordonnée par l’établissement de référence, ce qui suppose au préalable qu’il connaisse bien les autres acteurs. Le travail d’animation territoriale au quotidien est donc une nécessité absolue, que ne sont pas forcément appropriée tous les établissements de référence.

Quant à la CCH, dont la durée de vie est limitée, on imagine qu’il conviendrait de maintenir un suivi structuré sous la forme d’une cellule de veille à la composition resserrée et aux missions à définir, mais qui pourrait être en situation de déclencher une alerte et de mobiliser si besoin la cellule de crise.

Enfin, une piste intéressante et innovante pourrait être celle d’une territorialisation des DMC, les établissements de santé de tous niveaux et de tous statuts ayant découvert lors de l’épidémie de COVID-19 l’intérêt indiscutable de la gestion collective et coordonnée des SSE au sein d’un même territoire de santé. Il appartient logiquement aux établissements de référence de devenir des leaders de leur territoire en matière de SSE.

Pour aller plus loin :

  • Chikungunya : gestion d’une crise longue – Rapport de mission – Enseignements et propositions, Dominique Peton Klein et Camille Chaize, Direction de l’hospitalisation et de l’offre de soins, 2006
  • La mission de préparation et de gestion des crises sanitaires au sein des agences régionales de santé, Module interprofessionnel de santé publique, EHESP, 2012
  • Instruction du 27 juin 2013 relative à l’organisation territoriale de la gestion des situations sanitaires exceptionnelles, Ministère des solidarités et de la santé, 2013
  • Guide d’aide à la préparation et à la gestion des tensions hospitalières et des situations sanitaires exceptionnelles, Ministère des solidarités et de la santé, 2019
  • Instruction DGS/VSS/CORRUSS/2019/78 du 9 avril 2019 relative à l’organisation des rapatriements et évacuations sanitaires vers la France de patients atteints d’infections à risque de maladies à risque épidémique et biologique ou porteurs de bactéries hautement résistantes émergentes (BHRe), Ministère des solidarités et de la santé, 2019
  • Covid 19 : Chardon ou les prémisses du TGV sanitaire, Journal Européen des Urgences et de Réanimation, 2020
  • Retour d’expérience des six évacuations sanitaires aériennes collectives MoRPHEE durant la pandémie de Covid-19, Société Française de Médecine d’Urgence, 2020
  • Retour d’expérience sur la direction médicale de crise à l’Assistance publique‒Hôpitaux de Paris pendant la crise Covid-19, AFMU, 2020
  • Retour sur deux ans de gestion de crise, ARS Bretagne, 2022

Biographie de l'auteur :

Au cours des 20 dernières années, Alain Philibert a été successivement Directeur de Clinique PSPH, Chargé de mission en ARS, Directeur Général adjoint de CHU puis de Groupe Hospitalier, autant de postes où il a été acteur de l’organisation et de la lutte contre des crises sanitaires majeures (épidémies tropicales, cyclones et ouragans destructeurs, incendie et évacuation totale d’un CHU, et bien évidemment pandémie mondiale). 
A chaque poste occupé, il a su faire preuve d’une grande faculté d’adaptation et un parcours aussi atypique que riche et varié, construit sur :
– une mobilité géographique : France métropolitaine et Outre mers (Réunion et Guadeloupe)
– une mobilité sectorielle : Entreprises commerciales privées, Hôpital public, Fondation reconnue d’intérêt général, Etablissement de soins privé non lucratif, Groupement de coopération sanitaire, Groupement d’intérêt économique
– une mobilité professionnelle : Gérant, Employé administratif, Chef de service, Chargé de missions, Directeur Adjoint, Administrateur délégué, Chef d’établissement, Directeur général adjoint.
Aujourd’hui, Alain PHILIBERT est Directeur d’hôpital honoraire
– Expert ANAP , Manager senior en santé, Expert outre-mer et gestion de crise sanitaire, Facilitateur en intelligence collective.

Revoir les [REPLAY] du 1er Colloque National Annuel de ManagerSante.com® au Solidarités et de la Santé avec de nombreux experts intervenants.

Alain PHILIBERT

Directeur General Adjoint chez Groupe Hospitalier Bretagne Sud

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