Interview exclusive accordée pour ManagerSante.com à l’occasion de la sortie très attendue de son nouveau roman-thriller, à paraître le 18 avril 2022 par David GRUSON (Fondateur d’ ETHIK-IA et Directeur Programme Santé LUMINESS) : « Tuer Camus : S.A.R.R.A. Files » (aux éditions Beta Publisher).
Il est auteur de plusieurs livres et co-auteur d’un ouvrage collectif de référence publié en Octobre 2021 chez LEH Edition, sous la direction de Jean-Luc STANISLAS, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins« .
David GRUSON est intervenu à l’occasion du 1er Colloque annuel national de ManagerSante.com le Mardi 29 Mars 2022, au Ministère des Solidarités et de la Santé sur la table ronde portant sur la thématique suivante : « Quels enjeux éthiques pour les politiques de santé de demain ? ».
N°5, Avril 2022
« Soir du 11 novembre 1940. Albert Camus, alors journaliste pour Paris-Soir, séjourne à l’hôtel Madison à Paris. Il reçoit la visite de Sarah, étudiante, qui vient se réfugier chez lui et lui apprend qu’au mépris de l’Occupant, un rassemblement de centaines de personnes vient d’avoir lieu place de l’Étoile. La Gestapo sillonne déjà les rues pour traquer les manifestants. Durant cette « nuit de toutes les nuits », une relation ambigüe se noue entre Albert et Sarah. Celle-ci va progressivement lui révéler sa véritable nature et sa mission : nous sauver de l’extinction qui s’annonce. Entre le futur auteur de La Peste et la Créature de notre modernité, qui manipulera l’autre ? Et, à la fin des fins, notre liberté aura-t-elle plus de prix que notre survie ? »
ManagerSante.com® : S.A.R.R.A.[1] avait été qualifié de « prophétique » par la critique, présenté comme annonciateur du COVID face auquel nous nous débattons encore aujourd’hui. Quatre ans après la sortie du premier livre, vous revenez avec une nouvelle fiction, à la fois autonome et articulée avec l’univers des deux premiers tomes. Cette fois, c’est tout simplement Albert Camus le personnage principal ! Pourquoi cet appel à l’auteur de La Peste ? Pour conjurer la pandémie ?
[David GRUSON] : J’avais déjà eu l’occasion de l’expliquer lors de la sortie des deux tomes de S.A.R.R.A., je ne me reconnais pas du tout dans l’idée que ces livres auraient été en quelque sorte « prescients » par rapport au contexte COVID. Le vrai fait déclencheur avait été la gestion très complexe d’une suspicion de cas d’Ebola que nous avions eue à affronter avec les équipes du CHU de La Réunion fin 2014. En revanche, dès l’écriture du premier tome, j’avais évidemment en tête La Peste et Camus dont je suis un admirateur depuis l’adolescence. Evidemment, rassurez-vous, je ne me compare pas, mais pas du tout, en termes de talent ! Camus est la référence insurpassable de la littérature épidémique. Il a mené un véritable travail de prospectiviste en conduisant une analyse précise des changements à l’œuvre dans la société de son époque et en portant un regard extrêmement documenté sur la manière par laquelle le fait épidémique pouvait interagir avec ces facteurs. La Peste, au-delà du chef d’œuvre littéraire, est aussi un incroyable tableau sociologique avec une lecture très fine – et souvent acérée – des fonctionnements économiques, sociaux mais aussi administratifs de l’époque. De ce point de vue, de nombreux aspects des prédictions de Camus se sont, toutes choses égales par ailleurs, concrétisés dans le contexte COVID. Et bien sûr, d’abord, au premier rang, le dévouement et l’efficacité des soignants pour répondre à l’épidémie. Face à la crise sanitaire, le vrai visionnaire, c’est Camus. L’élément complémentaire qu’apporte l’univers de S.A.R.R.A. et de Tuer Camus, c’est, au fond, l’irruption du fait technologique et de l’intelligence artificielle dans ce contexte. Ce nouveau livre, c’est la confrontation directe de ces deux acteurs fondamentaux – Camus et l’IA – avec le virus de notre extinction en toile de fond.
ManagerSante.com® : La temporalité étonne aussi dans ce nouvel opus. Vous positionnez l’action en 1940. Pourquoi ce retour dans le temps ?
[David Gruson] : Vous l’avez dit, Tuer Camus est à tout à la fois indépendant et lié aux deux tomes de S.A.R.R.A.. Il peut se lire sans avoir lu les premiers livres ou comme leur prolongement et leur dépassement. Le thème du voyage dans le temps était d’ailleurs préfiguré dans le second tome de S.A.R.R.A.. Le retour en 1940 permet de provoquer la rencontre à une période fascinante de la vie de Camus. Il est encore très jeune mais déjà au sommet de son art : pendant l’Occupation, il écrira L’étranger, Le Mythe de Sisyphe et Caligula et imagine déjà ce qui deviendra La Peste. L’irruption de Sarah – la Créature de notre modernité issue de l’IA – dans ce contexte permet de provoquer un échange précisément à un moment où tout n’est pas figé dans la vie de Camus et où il n’a pas encore acquis le statut iconique qu’il aura quelques années plus tard.
ManagerSante.com® :Votre livre est aussi immergé dans cette période du début de l’Occupation que vous documentez très précisément. La rencontre entre Camus et Sarah se tient le soir des événements du 11 novembre 1940 et vous placez l’ensemble de l’ouvrage sous le thème « la liberté ou la survie ». A quelques jours de la présidentielle et dans le contexte de tensions géopolitiques majeures que nous connaissons, vous avez écrit un livre politique, en fait ?
[David Gruson] : Le projet a été engagé il y a plus de deux ans, juste après la sortie de S.A.R.R.A., une conscience artificielle. Evidemment, je ne pouvais pas imaginer ce contexte d’avril 2022 et notamment ce retour dans le débat public du « fantôme de Pétain », pour reprendre le titre de l’excellent ouvrage de Philippe Collin, mais aussi, dramatiquement, le retour de la guerre en Europe. Néanmoins, ce que montre cette confrontation entre Camus et l’IA dans le contexte de 1940, c’est que notre liberté et notre démocratie sont fragiles. Elles ont des adversaires très identifiables : les extrêmes, les dictatures agressives. Ce sont les risques les plus brutaux, les plus immédiats. Mais, comme Tocqueville l’avait montré dès La Démocratie en Amérique, la liberté et la démocratie peuvent aussi, plus souterrainement, s’éroder sous le poids des habitudes, de nos renoncements, d’un égalitarisme affaiblissant notre esprit critique. Et ce ferment de dérive collectiviste existe aussi dans la systématisation des algorithmes qui régissent le cours de nos vies. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que ce sujet de l’IA et du monde cyber devienne aussi un terrain de conflictualité. C’est ce que nous observons malheureusement en ce moment même dans le conflit en Ukraine.
ManagerSante.com® : Le livre est déjà disponible en pré-commande mais sa sortie officielle est prévue le 18 avril à quelques jours du second tour de la présidentielle. C’est un acte militant ?
[David Gruson] : Je n’ai jamais cherché à donner des leçons ni dans S.A.R.R.A., ni maintenant dans Tuer Camus. Ce sont d’abord des fictions et il appartient à chaque lecteur de les recevoir comme il l’entend. Mais, depuis 2018, ces textes se sont trouvés étrangement en résonance avec ce que nous vivons, la crise sanitaire d’abord, la fragilisation de nos libertés maintenant. Je ne fais pas de militantisme dans ce livre. Mais je peux vous dire que je l’ai écrit avec une double sensation. Celle, effectivement, d’une nouvelle vulnérabilité de nos démocraties, de nos valeurs. Mais aussi avec un sentiment d’espoir : la révolte, l’esprit de Résistance incarné par Camus sont toujours là. Dos au mur, face aux plus grands périls, il y a dans l’Humain quelque chose d’insaisissable, un fragment fondamental de résistance.
ManagerSante.com® : La menace de « Tuer Camus » serait donc aussi un danger de notre époque ?
[David Gruson] : Effectivement… C’est en fait un risque permanent mais qui sans doute s’acutise en temps de crise. En période de troubles, les « meurtriers » des idées de Camus sont malheureusement plus audibles. Car les valeurs qu’il porte sont exigeantes. C’est un appel constant à ce qu’il y a de meilleur en nous mais aussi à savoir s’arracher à certains de nos mécanismes et à notre confort. L’exact inverse de la démagogie.
ManagerSante.com® : Vous décrivez dans votre livre la France de Vichy sous le signe d’’« un temps maussade et inerte pour des Temps vieux. » Nous verrions donc en 2022 le risque d’un retour de ces temps maussades ?
[David Gruson] : Le danger de l’inertie, c’est aussi celui du renoncement à nos libertés qui a pour corollaire également la perte de vue de l’intérêt général. Par facilité. Par confort. C’est ce que décrit parfaitement François Sureau. Mais, attention aux parallèles trop rapides, 2022 n’est pas 1940. Le pire n’est pas sûr. Il n’est pas trop tard. Face aux crises, nous sommes capables de résistance, nous avons une force collective. C’est ce qu’ont montré les professionnels de santé – soignants mais aussi managers – face au COVID. C’est ce qu’a su montrer la société dans son ensemble en relevant le défi de la vaccination. Il y a une force d’espoir et de résistance en nous.
ManagerSante.com® : Sur la forme aussi, Tuer Camus est original. L’essentiel du texte est un dialogue. Vous y injectez aussi des photos, une bande son et un monologue de l’IA en vidéo à la fin du livre. On a l’impression, alors même que tout ceci se passe loin dans le passé, d’une matière très fluide, très vivante. Comme si Camus et Sarah étaient là, en direct, face à nous…
[David Gruson] : Merci d’insister sur ce travail sur la forme. Il doit énormément aux talents de créatrice, de plasticienne de Camille De Decker, la fondatrice de Beta Publisher. Depuis le début du projet S.A.R.R.A., elle a su emmener le texte au-delà de lui-même avec une réflexion sur les contenus additionnels, l’interactivité avec les lecteurs. Le monologue de S.A.R.R.A. c’est l’œuvre de Marie Benati, extraordinaire comédienne de théâtre qui avait recréé cette performance pour le premier colloque du CNRS sur l’IA dans la fiction en juin dernier. Et puis la bande-son, c’est l’interprétation musicale de Jeanne-Bleuenn Renault et Gaspard B John de leur ressenti face au texte. Je dois vous dire que je n’aurais pas pensé spontanément au cor de chasse ! Mais cela donne une ampleur et une profondeur inattendues. Ce livre s’est donc d’abord un travail d’équipe !
ManagerSante.com® : Une dernière question. Si vous partiez sur une île déserte et que nous ne pouviez emporter avec vous qu’un seul texte de Camus, ce serait lequel ?
[David Gruson] : « Le Vent à Djémila » dans son recueil Noces publié en 1939. Une pure merveille… Tout y est…
Notes :
[1] S.A.R.R.A., une intelligence artificielle, juin 2018 ; S.A.R.R.A., une conscience artificielle, mars 2020/ éditions Beta Publisher.
[2] David GRUSON , « Tuer Camus: S.A.R.R.A. Files » A paraître le 18 avril 2022
Nous remercions vivement Nous remercions vivement David GRUSON (Fondateur d’ETHIK-IA et Directeur Programme Santé LUMINESS) pour nous avoir accordé cet interview et partager régulièrement son expertise pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com
Biographie de l'auteur :
David GRUSON est actuellement Directeur Programme Santé LUMINESS. Il est également Professeur à la Chaire santé de Sciences Po Paris.
Titulaire d’un doctorat de droit de la santé et d’un DEA de technologies de l’information et de la communication, il est spécialisé sur les enjeux du numérique, de l’IA, de la robotisation en santé. Ancien conseiller du Premier ministre chargé de la Santé et ancien directeur général de CHU, il s’est depuis quinze ans engagé pour le développement de la télémédecine en France.
Il est porteur de l’initiative ETHIK-IA qui vise à soutenir la recherche sur la régulation juridique, éthique et sociale du déploiement de l’IA et de la robotisation en santé. Membre de la Société française de télémédecine, il a introduit le concept de télémédecine de garantie humaine de l’IA.
Il est co-auteur et auteur de plusieurs ouvrages : « La Révolution du Pilotage des données de santé » (2019, co-publication), « La MACHINE, Le MEDECIN et MOI » (2018), « S.A.R.R.A« . (Tome 1 en 2018 et Tome 2 en 2020).
Colloque de ManagerSante.com 28 & 29 Mars 2022 (PRE-PROGRAMME)
[OUVRAGES PUBLIES PAR L’AUTEUR]
ManagerSante.com soutient l’opération COVID-19 et est partenaire média des eJADES (ateliers gratuits)
initiées par l’Association Soins aux Professionnels de Santé
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Parce que les soignants ont plus que jamais besoin de soutien face à la pandémie de COVID-19, l’association SPS (Soins aux Professionnels en Santé), reconnue d’intérêt général, propose son dispositif d’aide et d’accompagnement psychologique 24h/24-7j/7 avec 100 psychologues de la plateforme Pros-Consulte.