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Comment aborder la complexité d’un changement dans les organisations ? Dominique BERIOT propose sa méthode C.R.E.E.R en 5 étapes

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N°13, Juillet 2019 


 

Les organisations (entreprises, hôpitaux, associations…) longtemps considérées comme un lieu de stabilité et de sécurité où les salariés pouvaient se développer, apparaissent aujourd’hui comme instables et changeantes. Soumises à des contradictions imposées par leur environnement ou issues de leur propre structure, leur niveau de contraintes augmente et leur capacité d’autonomie se réduit. Elles sont obligées de s’adapter en permanence à des événements que leurs dirigeants ont du mal à prévoir et à maîtriser.

Au fur et à mesure qu’une organisation grandit ou s’adapte à son environnement, les modes de fonctionnement ont tendance à se modifier, les règles à se multiplier, l’agencement des structures internes à se compliquer. Elle sécrète malgré elle des orientations plus ou moins conciliables. Nombre de managers et de cadres sont soumis à des injonctions contradictoires, génératrices d’ambivalence, de tension et de stress. Ils deviennent souvent gestionnaires de doubles contraintes : quoi qu’ils fassent, ils sont pénalisés ou ont le sentiment de se tromper.

De même, entre les membres d’une équipe de direction, il est fréquent de constater des différences de vues voire des divergences de priorités, et ce malgré les orientations de leur conseil d’administration ou de leur tutelle. En effet, à un moment donné, tel dirigeant privilégie de répondre aux besoins de ses clients, un autre de se concentrer sur le profit ou de réduire les dépenses de fonctionnement ou de déclarer prioritaire tel développement technologique ou encore de mettre en place une application de l’intelligence artificielle…

C’est dans ce contexte que chacun s’adapte, consciemment ou non, en fonction de ses enjeux et de sa marge de liberté. Et les managers intermédiaires doivent obtenir l’adhésion minimale de leurs équipes et trouver les compromis utiles pour conduire les évolutions nécessaires. Et cela, dans un contexte économique et social où la survie est bien souvent tributaire du développement…

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Le changement : une nécessité quotidienne

Le changement une notion difficile à décrire, même si aujourd’hui tout le monde en parle. On peut considérer qu’il a lieu lors d’une modification de la nature ou de la qualité des relations entre des personnes (ou entre des entités) ; ou lors de la mise en œuvre de nouveaux processus dans l’élaboration ou la création de nouvelles technologies, de produits ou de services ; ou encore par une combinaison de ces caractéristiques.

Pour des raisons de survie et d’adaptation, il s’impose comme une nécessité dans notre quotidien et prend un caractère permanent. Mais plutôt que de théoriser, je choisis un angle de vue concret en présentant des situations problématiques réelles relatives à différents champs d’application où je montre que le changement a bien eu lieu.

Des exemples :

Exemple 1 :  Les relations entre un Cadre de Santé et l’un de ses collaborateurs sont tendues : ils ne s’écoutent pas, se font des procès d’intention, n’échangent pas les informations utiles, se plaignent d’une incompétence réciproque …

On pourra parler de changement si l’on constate des modifications dans leurs relations : Ils prennent le temps de s’écouter, ils gèrent leurs différends en face à face, ils cessent de s’accuser mutuellement, ils échangent les informations nécessaires

Exemple 2 : Le service commercial d’une entreprise de roulement à billes se plaint des retards fréquents de livraison de l’une de ses usines. De son côté, la direction de cette usine considère que le service commercial lui adresse trop tardivement ses commandes et manque souvent de précision. D’où des demandes d’explication qui font perdre du temps et génère des retards de fabrication. De plus, les cadres s’envoient des notes comminatoires, s’agressent par e-mails, se plaignent auprès du directeur général et sollicitent son arbitrage.

Le changement sera effectif quand :  les notes de rappel auront presque totalement disparu, les mails seront courtois, les relations téléphoniques seront aimables, le directeur général n’arbitrera plus, les clients seront livrés dans les délais…

Exemple 3 :  Lors de la construction d’un nouveau bâtiment dans un hôpital, les chefs de projet ne savent pas comment obtenir du maître d’ouvrage des commandes claires : ils sont obligés de s’entretenir avec lui à plusieurs reprises.  De plus, à chaque nouvel entretien, les besoins évoluent. Il s’ensuit des malentendus et des pertes de temps, parfois des contentieux. Les chefs de projet sont exaspérés, le maître d’ouvrage insatisfait et chacun rejette la responsabilité sur l’autre.

Le changement existera si ces différents symptômes disparaissent : le maître d’ouvrage accepte de passer du temps pour clarifier ses besoins avec les chefs de projet, les demandes de modifications diminuent, la productivité dans le traitement des informations nécessaires aux études de faisabilité augmente…

Exemple 4 :  Les directeurs d’établissement d’une importante entreprise publique ont de réels problèmes pour assurer les relations avec les partenaires sociaux, gérer les conflits individuels et collectifs qui surgissent dès qu’une modification du travail est envisagée. Ils reconnaissent qu’ils n’ont pas la compétence requise pour maîtriser ces situations et qu’ils appréhendent les audiences syndicales et les négociations. De leur côté, les syndicats expriment leur mécontentement sur la manière dont ils sont traités par la hiérarchie.

On pourra parler de changement si de nouvelles relations apparaissent :  des échanges en réunion plus sereins et moins systématiquement conflictuels, des réflexions en commun sur les problématiques qui les réunissent, une concertation systématique avant le lancement d’une grève…

Le but d’un changement consiste donc à établir une cohérence satisfaisante entre des comportements et une cible vers laquelle on veut tendre. S’il n’est pas un but en soi, il devient, plus que jamais, un élément déterminant de la vie d’une organisation dans la mesure où il représente une condition sine qua non de son adaptabilité. Et si changer est coûteux, y compris sur le plan humain, ne pas changer peut l’être plus encore.

Y a -t-il vraiment quelque chose de nouveau dans ces réflexions ? Assurément, dans la mesure où les organisations doivent aujourd’hui faire évoluer leur culture, leurs technologies, leurs compétences et leurs pratiques managériales simultanément sur plusieurs axes :

  • renforcer sans cesse la qualité et la proximité de la relation avec le client,
  • encourager le développement de nouveaux produits et services,
  • engager une dynamique de veille, d’anticipation, d’innovation et de réactivité, qui soit le fondement de leur développement,
  • adapter les processus de transformation et l’accompagnement managérial,
  • s’appuyer sur des ressources humaines en tenant compte des enjeux des personnes, de l’évolution des valeurs, de la dispersion des acteurs, du développement des équipes multiculturelles…
  • respecter une éthique tant vis-à-vis de l’environnement que des aspects humains propres à l’organisation.

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Pour tenir compte de ces impératifs, les organisations sont contraintes de modifier les relations entre les entités internes et externes (clients, fournisseurs, partenaires, concurrents…). Aussi, le management devra intégrer les nouveaux dispositifs et outils mis à la disposition du personnel, prévoir les modalités d’accompagnement correspondantes et gérer les comportements y afférant.

L’accélération croissante des découvertes scientifiques et le développement des applications de l’intelligence artificielle (I.A.) apporteront leur lot de nouveautés, de surprises et de ruptures.

Ces évolutions que les organisations subissent déjà et subiront davantage encore touchent directement leurs salariés. Ainsi s’engage-t-on dans une autre manière de voir, de comprendre et de conduire le changement. Cela suppose une capacité à trouver, au sein du système concerné, les stratégies et les actions qui le favoriseront. Les éléments déclencheurs viennent souvent de l’extérieur, les forces avec lesquelles il faut composer se situent à l’intérieur : c’est là toute la difficulté.

Pour tenter d’appréhender cette complexité liée aux interactions multiples entre les personnes et les entités, je vous présente une démarche basée sur des éléments invariants des systèmes humains, dénommés « composants fondamentaux ».

Engrenages

Un référentiel systémique d’accès à la complexité

Toute action de changement basée sur une demande initiale peut être reçue par un dirigeant, un manager, un collaborateur, un consultant, un coach, un formateur, un fournisseur, un partenaire…

Le référentiel représenté ci-dessous, sous la forme d’un mobile, avec ses composants fondamentaux constitue les informations clés nécessaires à la clarification de cette demande. Ils se répartissent selon trois angles d’observation.

Figure 1 Conduite du changement

Figure 1 : Le référentiel d’accès à la complexité et ses composants fondamentaux

 

Ses orientations constituées des informations porteuses de sens :

  • La demande, à saisir sans se laisser entraîner par elle.
  • Le déclencheur, pour situer les positions du demandeur.
  • L’objectif n+1, de niveau supérieur à la demande, pour en repérer sa cohérence.
  • Les résultats attendus, pour concrétiser l’objectif n+1 et construire des réponses adaptées.

Ces informations servent explicitement ou implicitement de contrat entre le récepteur de la demande et le demandeur.

Son système à considérer définissant ses caractéristiques et ses limites

  • Les acteurs influents, pour identifier les points d’appui et gérer les résistances.
  • Les relations récurrentes incohérentes, pour identifier des leviers nécessaires à l’élaboration d’une stratégie.
  • Les enjeux, pour connaître ce que les acteurs ont à gagner ou à perdre.

Ses marges de manœuvre situant les limites de l’intervention

  • Les contraintes et ressources, pour en tenir compte dans le choix de la stratégie.
  • Les solutions tentées, pour éviter de reproduire « plus de la même chose pour rien ».
  • Les évolutions prévisibles, pour adapter les solutions au moyen terme.

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Une approche systémique du changement avec la méthode C.R.E.E.R

Piloter un changement selon les principes systémiques, c’est définir des orientations, trouver une solution optimale et accompagner les acteurs. Toute intervention est spécifique et sujette à des options multiples, indéfinissables à l’avance. La logique systémique qui appréhende les diverses complexités (environnementales, relationnelles, matérielles, économiques…), permet d’avancer en terrain plus dégagé.

Pour y parvenir, je propose une méta-méthode composée d’une succession de grandes étapes Il s’agit d’une démarche, tenant plus de la création que de l’application de modèles, baptisée par les membres du réseau systémique : CRÉER [1] (cf ci-dessous).

C’est pour en faciliter la compréhension que j’adopte une logique linéaire. Dans la pratique, même s’il existe une chronologie à respecter, les relations interactives et circulaires nécessitent parfois de revenir à l’étape déjà franchie pour repréciser, réajuster, rester en harmonie avec l’évolution du système et de son environnement.

La figure 2 schématise les principales étapes à franchir pour accompagner des personnes vers un changement d’état.

Figure 2 Conduite du changement.jpg

Figure 2 : Représentation simplifiée des étapes d’une approche systémique en réponse à une demande de changement

 

– Étape 1 : Cadrer la demande

On cherche ici à découvrir les contenus des composants fondamentaux (cf : référentiel d’accès à la complexité) à prendre en compte pour intervenir. On réunit en particulier les informations nécessaires pour que l’objectif du demandeur soit clairement défini, et cela même au-delà de sa demande.

– Étape 2 : Représenter l’influence des acteurs

Compte tenu de l’objectif de la demande, une modélisation du système à considérer est réalisée en représentant les acteurs concernés, en faisant émerger leur position vis-à-vis de l’objectif, leur influence sur le terrain et la nature de leurs relations récurrentes. De plus, découvrir ce que les acteurs ont à gagner et à perdre dans l’atteinte de l’objectif, permet d’estimer la nature du travail d’accompagnement et son impact sur la stratégie.

– Étape 3 : Élaborer une stratégie

Trouver une stratégie d’ordre systémique consiste à définir la manière dont on envisage d’agir sur un système. Celle-ci émerge des données issues du cadrage, de la modélisation des acteurs et en particulier des relations récurrentes incohérentes. Elle identifie, parmi douze principes systémiques, dits « évolutifs » ou de « rupture », celui qui permettra le mieux, dans l’intérêt des parties, d’assurer la progression du système.

Un principe stratégique de type « évolutif », correspond à un processus destiné à faire progresser le système par la prise de conscience, la coopération, la contribution des acteurs concernés. C’est le plus courant dans le management, mais il présente néanmoins le risque, si l’on n’y prend garde, d’un retour au statu quo – c’est ce qu’on appelle  » l’homéostasie  » des systèmes.

Un principe stratégique de type « rupture », est moins habituel, plus surprenant, plus déstabilisant et entraîne une intervention brève. Souvent bien perçu par les personnes qui en font la demande pour elles-mêmes, il peut par contre poser un problème éthique, psychologique et parfois de survie pour ceux qui subissent son impact. En revanche, il empêche l’homéostasie, entraîne une irréversibilité des relations qui posaient problème et instaure de nouvelles relations entre les sous-systèmes concernés. En outre, il conduit à une plus grande efficacité opérationnelle.

– Étape 4 : Engager une dynamique de changement

À partir de la stratégie élaborée, on déclenche une première action. Dans une stratégie de  «  rupture », la première action est déterminante puisqu’elle se donne pour objectif un résultat presque immédiat. Dans la stratégie « évolutive », elle est constituée d’un processus opératoire impliquant des acteurs.

– Étape 5 (transverse) : Réguler le cheminement du système

Les entités ou les acteurs concernés se trouvant contraints de modifier leurs relations et de remettre en cause leurs habitudes, passeront par des phases plus ou moins difficiles avant de retrouver leur équilibre. Il sera par conséquent nécessaire de les aider à cheminer vers un nouveau mode de fonctionnement en favorisant la résilience[2] de chacun.

 

Tout changement, quelle que soit nature ou sa dimension, impacte les relations entre les personnes concernées. Il nécessite de pouvoir trouver un chemin d’accès à la complexité sans s’y noyer en mettant en particulier l’accent sur le résultat attendu et non sur l’analyse du problème ou de ses causes. L’approche systémique se situe hors du champ de l’explication, de l’analyse, des généralités, des classifications, des interprétations et des modèles de management. Elle propose une nouvelle façon de regarder le fonctionnement des relations entre les personnes et de les accompagner pour favoriser leurs évolutions dans l’intérêt des salariés et de l’organisation.

 


Pour aller plus loin : 

[1] Manager par l’approche systémique, Dominique Bériot, Eyrolles, 2014.

[2] Le prochain article portera sur les modalités favorisant la résilience d’un système humain.

 

 

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Version 2

 

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Nous remercions vivement  Dominique BERIOT  (spécialiste de l’approche systémique du changement et du management dans les entreprises depuis plus de 40 ans), conférencier  et auteur de nombreux articles & ouvrages, dont le dernier paru en Février 2018, « Guide systémique du manager d’équipe: 40 situations managériales du quotidien » aux Editions Eyrolles), de partager son expertise professionnelle avec nos fidèles lecteurs de www.managersante.com


Biographie de l’auteur : 
Dominique BERIOT, possède une triple expérience professionnelle. D’abord comme manager ou dirigeant dans cinq entreprises différentes de 2000 à 15000 personnes, puis comme consultant de l’entreprise de conseil qu’il a créée et spécialisée dans la conduite du changement par l’approche systémique. Il contribue à la diffusion de la pensée systémique à travers des conférences et des travaux de recherche. Dominique BERIOT a publié 6 ouvrages dans le domaine du management et, plus spécifiquement sur l’approche systémique du changement, dont les plus récents : – « 

Pour aller plus loin : 

 


 

Photo Dominique BERIOT et JL STANISLAS

 

Jean-Luc STANISLAS, Fondateur de managersante.com tient à remercier vivement Dominique BERIOT pour partager régulièrement ses articles passionnants concernant l’approche systémique du changement et du management dans les entreprises et les établissements de santé publics et privés.

 


 

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Dominique BERIOT

Dominique BERIOT, possède une triple expérience professionnelle. D'abord comme manager ou dirigeant dans cinq entreprises différentes de 2000 à 15000 personnes, puis comme consultant de l'entreprise de conseil qu'il a créée et spécialisée dans la conduite du changement par l'approche systémique. Il contribue à la diffusion de la pensée systémique à travers des conférences et des travaux de recherche. Dominique BERIOT a publié 6 ouvrages dans le domaine du management et, plus spécifiquement sur l'approche systémique du changement : - "Guide systémique du manager d'équipe, 40 situations managériales du quotidien", Eyrolles, 2018. , - "Manager par l'approche systémique, s'approprier de nouveaux savoir-faire pour agir dans la complexité", Eyrolles, 2014. (préface Michel Crozier). - "Du microscope au macroscope, l'approche systémique du changement dans l'entreprise", (préface de Joël de Rosnay) ESF, 1992. - Management et Sécurité, la protection des personnes et des biens, Fayard, 1971. - Les tests en procès, (en collaboration avec Alain Exiga), Dunod, 1970. - Passeport pour l'emploi, (en collaboration avec Alain Exiga), Fayard, 1969. Il a publié de nombreux articles sur plusieurs sites et dans différentes revues spécialisées. Dans le champ de l'ingénierie pédagogique, il a réalisé des films et produit des CD pédagogiques sur le management. Il a également une expérience dans l'enseignement sur les relations sociales dans des Grandes Ecoles prestigieuses (HEC, CESA, ENST, ESCP...). Enfin, de 1987 à 1991, il a été Président du Comité d'Ethique de l'Institut Curie à Paris pour les essais thérapeutiques sur l’homme.

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