Article publié par notre expert, le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctorat, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine).
Auteur de plusieurs ouvrages sur la Télémédecine, il vient de co-rédiger le 07 Avril 2021, aux éditions Elsevier Masson un nouvel ouvrage intitulé « Télémédecine et télésoin : 100 cas d’usage pour une mise en oeuvre réussie ».
Il est également co-auteure d’un chapitre de l’ouvrage collectif de référence publié depuis le 04 Octobre 2021, sous la direction de Jean-Luc STANISLAS chez LEH Edition, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins » .
le Docteur Pierre SIMON est intervenu au Ministère des Solidarités et de la Santé sur la table ronde, à l’occasion du 1er Colloque national annuel de ManagerSante.com, sur la thématique « Comment embarquer les acteurs du numérique en santé ?« , le Mardi 29 Mars 2022.
N°74, Avril 2024
A l’occasion des manifestations publiques qui ont marqué le deuxième anniversaire du lancement de Mon Espace Santé (MES), le Directeur de la caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) déclarait qu’il était urgent d’expliquer aux citoyens les usages de MES.
Dans le message qu’il a délivré sur son compte Linkedin, le Directeur de la CNAM souligne que MES s’inscrit désormais dans le quotidien de nombreux assurés et professionnels de santé qui s’en emparent de plus en plus.
Le bilan à 2 ans est souligné :
Côté assurés, ce sont plus de 11 millions de Français (12%) qui ont activé leur MES, et 300 000 personnes qui s’y connectent chaque semaine. Près d’un tiers des utilisateurs ont rempli leur profil médical qui peut être partagé à leurs professionnels de santé et faciliter leur parcours de soins.
Côté professionnels de santé, pour le seul mois de janvier, ce sont 22 millions de documents envoyés, soit un rythme de plus 250 millions de santé chaque année.
Enfin, pour le Directeur de la CNAM, MES aura également un rôle clé à jouer en matière de prévention, que nous souhaitons déployer dans les prochains mois pour accompagner nos assurés dans la réalisation des examens de prévention.
Ne faudrait-il pas être plus ambitieux pour MES, si on souhaite qu’il structure à terme la santé de tous les Français ? A côté de son rôle, certes essentiel, dans la prévention des maladies, dont l’impact devra être évalué à moyen et long terme, ne faudrait-il pas considérer à court terme d’autres usages de MES pour que la majorité de nos concitoyens reconnaissent son intérêt et l’utilisent en particulier comme un dossier médical centré sur le patient .
Un bilan à deux ans qui interroge
On ne peut s’empêcher de comparer les 11 millions de Français qui ont activé MES deux ans après son lancement, aux 10 millions qui avaient ouvert l’ancien DMP à la mi-2021, alors que les pouvoirs publics avaient l’objectif de 20 millions à la fin de 2021 et de 40 millions d’ici à 2023.
Si les 11 millions de citoyens qui ont activé MES en février 2024 étaient sensiblement les mêmes que les 10 millions qui avaient ouvert l’ancien DMP à la mi-2021, on pourrait s’interroger sur la dynamique actuelle de MES.
Présenter MES comme seulement un carnet de santé électronique où s’accumuleraient des données personnelles de santé (cf. la campagne de 2022 dans les médias), est-ce vraiment suffisant pour convaincre la majorité des Français de l’intérêt de MES ? Ne vaudrait-il pas mieux expliquer TOUS les usages possibles de MES ?
Considérer comme un marqueur du déploiement de MES dans la population, le nombre croissant de dossiers de données de santé versées dans le DMP de MES, ne serait-il pas aujourd’hui un leurre vis à vis du déploiement réel, dans la mesure où l’obligation de verser désormais toutes les données de santé dans le DMP de MES servirait en priorité les 11 millions de personnes qui ont déjà activé MES ?
Si l’AM estime que la dynamique du déploiement de MES est illustrée par les 450 000 nouvelles connexions constatées en janvier 2024, nous devrions être à la fin 2024 à au moins 20 millions de MES activés, soit un peu plus de 25% de la population française.
Il serait alors souhaitable que les Pouvoirs publics et l’Assurance maladie (AM) communiquent régulièrement au cours de l’année 2024 pour confirmer cette dynamique.
Ne vaudrait-il pas mieux suivre le nombre de personnes qui active chaque mois l’application MES ? 12% de la population en 2024, deux ans après son lancement, c’est trop peu pour parler d’une réelle adhésion de la population à MES.
Nous proposons dans ce billet de révéler aux Français de façon concrète les nombreux usages de MES que l’AM pourrait faire connaître auprès de ses assurés, et que les différents professionnels de santé, libéraux et salariés, impliqués dans les parcours de soins ou de santé des Français pourraient également faire connaître à l’occasion des soins qu’ils délivrent et des comptes-rendus qu’ils sont tenus désormais de verser dans le DMP de MES.
Ne réduisons-nous pas MES au tout nouveau DMP alors que les autres services que l’application propose peuvent conduire à un engagement personnel du patient dans le suivi de sa maladie ? C’est en ce sens que MES pourrait être considéré comme le dossier médical français centré sur le patient, comme de tels dossiers se sont développés dans d’autres pays depuis le début des années 90.
Ne voulions-nous pas à travers la loi Kouchner du 4 mars 2002 rendre chaque citoyen acteur de sa propre santé, comme le rappelle l’article L.1111-4 du Code de la santé publique (CSP) ?
Avec MES, chaque citoyen a désormais la possibilité d’être acteur de sa santé et de collaborer avec les professionnels de santé grâce aux différents usages que propose cette application !
Quels sont les 5 usages de "MES" qui rendent le citoyen acteur de sa santé ?
Pour un développement de la prévention primaire.
C’est l’usage privilégié aujourd’hui par l’AM. L’action de prévention, qu’elle soit primaire, secondaire ou tertiaire, doit être personnalisée, c’est-à-dire s’appuyer sur les données personnelles de vie et de santé qui figurent dans MES, comme le poids et l’IMC, l’activité physique ou la sédentarité, l’existence ou non d’un tabagisme, les antécédents médicaux familiaux et personnels, etc.
L’AM délivre en priorité des messages de prévention non-personnalisés, car l’administration de l’AM ne peut avoir connaissance des données personnelles de vie du citoyen qui figurent dans MES. En revanche, par les remboursements effectués, l’AM a connaissance des traitements médicamenteux que prend chaque citoyen. Elle peut ainsi délivrer directement dans MES des messages de prévention sur l’intolérance possible à certains médicaments et les effets indésirables potentiellement sévères.
Par cette action, l’AM contribue à réduire les quelque 12000 effets indésirables médicamenteux annuels, dont un grand nombre nécessite une hospitalisation.
Enfin, l’AM a connaissance des taux de vaccinations chez les assurés, ces vaccinantions étant réalisées par les professionnels de santé. Elle peut ainsi inciter les citoyens à réaliser les 12 vaccinations obligatoires chez le nourrisson, l’enfant et l’adolescent, ainsi qu’à réaliser les vaccinations recommandées par les autorités sanitaires chez les personnes fragiles en période d’épidémie virale comme celle de la grippe ou du covid-19.
Une prévention primaire personnalisée peut être réalisée par les professionnels de santé qui sont soumis au respect de la confidentialité des données personnelles de santé. Comme l’a prévu la loi de janvier 2016, le secret professionnel peut être désormais partagé entre tous les professionnels qui interviennent dans le parcours de soins ou de santé d’un patient. Cet élargissement légal du partage du secret est particulièrement utile dans le parcours de soins des patients atteints de maladies chroniques.
Figurent dans le MES de chaque citoyen des informations utiles aux professionnels de santé pour engager des actions de prévention primaire et secondaire : l’existence d’un tabagisme chronique, l’existence d’un surpoids ou d’une obésité, l’existence d’une sédentarité, etc. Le patient qui souhaite engager des actions de prévention primaire peut faire connaître ses données personnelles à un professionnel de santé à qui il confie la mission de l’aider à lutter contre ces facteurs de risque.
Le médecin traitant est bien évidemment au centre de ces actions de prévention qu’il peut déléguer à une équipe de soins primaires (ESP). En impliquant le patient dans son propre suivi, figureront alors dans MES les données de suivi des actions engagées.
Pour un développement des échanges du citoyen avec les professionnels de santé.
L’activation de MES génère automatiquement l’adresse d’une messagerie sécurisée que le citoyen peut utiliser pour échanger avec un professionnel de santé de son choix. Il peut donc la partager avec le professionnel de santé avec qui il a un épisode de soins ou avec son médecin traitant.
Pour que l’usage de ces échanges personnalisés par messagerie sécurisée ne soit pas dévoyé, notamment en révélant l’adresse de la messagerie sécurisée du professionnel de santé à d’autres personnes étrangères à la séquence de soins, le patient ne devrait avoir connaissance de l’adresse mail sécurisée du professionnel de santé que lors d’un premier message que lui adresse ce dernier. Il doit exister une relation personnalisée fondée sur une confiance réciproque. Il nous semble que le patient concerné a le devoir de s’engager à ne pas communiquer l’adresse sécurisée du professionnel à d’autres personnes.
Cette possibilité d’échanger de façon sécurisée avec le ou les professionnels de santé en charge d’un parcours ou d’un épisode de soins peut correspondre à plusieurs usages : transmission des résultats d’examens biologiques déposés dans le DMP par le laboratoire d’analyses médicales au médecin traitant ou à un autre professionnel de l’ESP, transmission d’un renouvellement d’ordonnance par le médecin traitant à un patient qu’il connaît lorsqu’un examen physique n’est pas jugé nécessaire, l’information du médecin traitant par le patient d’une intolérance médicamenteuse, laquelle conduira à une nouvelle ordonnance, les échanges avec plusieurs professionnels de santé, médicaux ou non médicaux dans le cadre d’actions de prévention primaire, secondaire ou tertiaire, etc.
Pour que les rendez-vous avec les professionnels de santé soient honorés.
En période de pénurie en professionnels de santé pour faire face à une demande de soins qui ne cesse de progresser, le rendez-vous avec un médecin ou un autre professionnel de santé est devenu un moment de soins précieux qui doit être honoré par le patient qui l’a sollicité. On ne peut plus accepter que 28 millions de consultations médicales chaque année ne soient pas honorées. C’est l’équivalent de l’exercice annuel de 4000 médecins.
Grâce à l’interopérabilité de MES avec les plateformes numériques de rendez-vous, des alertes sur la proximité du rendez-vous sont adressées dans MES au patient ou par SMS, généralement 48h avant le rendez-vous. Il nous semble que le patient a le devoir de s’y rendre s’il n’a pas annulé préalablement ce rendez-vous. Ce moment de rencontre avec le professionnel de santé est trop précieux pour qu’il soit gaspillé par une absence non justifiée. L’AM a communiqué sur les rendez-vous non honorés auprès des médecins traitants. Il y a probablement le même taux de désaffection dans les rendez-vous auprès de professionnels paramédicaux comme le personnel infirmier libéral, le masseur kinésithérapeute, l’orthophoniste, l’orthoptiste et autres professions d’auxiliaire médical. L’agenda de MES sera pleinement opérationnel en 2024.
Pour que le développement de l’usage des applications numériques apporte un service aux patients, en particulier à ceux atteints de maladies chroniques afin qu’ils s’engagent à suivre leurs maladies en coopération avec les professionnels.
Le magasin (store) de MES contient des applications numériques dont l’usage est censé apporter un service médical (SMR) au patient. C’est du moins un des critères que prend en compte la commission d’agrément pour qu’une application numérique figure dans MES.
A ce jour, l’État a retenu une vingtaine d’applications «de confiance», dont la liste figure sur MES (AP-HP Espace Patients, Ameli, Doctolib, Sante.fr, Tabac Info Service, Vidal Ma Santé, Withings Health Mate, etc.). La passerelle permettant des transferts de données dans le DMP est opérationnelle depuis juillet 2023.
D’ici la fin 2026, le gouvernement souhaite parvenir à relier plus de 50 applications numériques de santé (glycémies, poids, activité cardiaque, sommeil …) à MES, pour que ce dernier puisse héberger les données relevées. L’inverse doit être également possible: l’usager pourra partager des données de MES avec ses propres applications de santé. Cet usage des applis reste encore largement méconnu des usagers. Il serait nécessaire que les autorités sanitaires communiquent davantage sur les objectifs de santé publique visés par ce service de MES et ne se limitent pas aux aspects technologiques d’interopérabilité avec le DMP.
Pour que MES devienne le sanctuaire des pratiques de télésanté.
Ce nouvel usage de MES, non repris à ce jour par les Pouvoirs publics et l’AM, a été débattu en mars 2023 lors d’une réunion de consensus organisée à l’Académie nationale de médecine. On ne peut avoir de bonnes pratiques de télésanté sans avoir, d’une part la connaissance des données de santé nécessaires à la réalisation d’un acte ou d’une activité de soin à distance (téléconsultation, télésoin, téléexpertise, télésurveillance médicale), comme le rappelle le CSP dans son article R.6316-3 (), d’autre part, l’hébergement obligatoire dans le DMP de MES de chaque compte-rendu d’acte et d’activité de soins réalisés à distance.
Dans certaines pratiques actuelles de soins distanciels, en dehors du parcours coordonné par le médecin traitant, le professionnel de santé médical ou non médical qui ne connaît pas le patient qui sollicite un acte médical ou une activité de soin à distance, ne peut avoir accès au dossier médical informatisé (DPI) professionnel du médecin traitant ou du professionnel de santé non médical qui dispose des données de santé personnelles du patient. Outre l’interrogatoire attentif et approfondi qui demeure l’essentiel du soin distanciel, il a la possibilité désormais de solliciter l’accès aux données personnelles figurant dans MES du citoyen ou du patient. Le corollaire serait qu’aucun acte médical ou d’activité de soin à distance, réalisé par un professionnel médical ou non médical, ne pourrait se faire sans que le professionnel, qui ne connaît pas le patient, ait obligatoirement accès au MES du patient pour réaliser le soin distanciel de qualité en toute sécurité.
En résumé :
Comme le faisait remarquer à juste titre le directeur de la CNAM, les différents usages de MES doivent être expliqués aux citoyens et aux patients pour qu’ils soient séduits par cette appli numérique mise à la disposition de chacun par l’Etat français. Ce sont les professionnels de santé médicaux et non-médicaux qui ont dans leurs mains les clés de la réussite de MES, en le considérant comme un dossier médical centré sur le patient. Sans leur engagement, MES ne serait qu’un mirage.
Nous remercions vivement le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine) , auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine, pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com
Biographie de l'auteur :
Son parcours : Président de la Société Française de Télémédecine (SFT-ANTEL) de janvier 2010 à novembre 2015, il a été de 2007 à 2009 Conseiller Général des Etablissements de Santé au Ministère de la santé et co-auteur du rapport sur « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins » (novembre 2008). Il a été Praticien hospitalier néphrologue de 1974 à 2007, chef de service de néphrologie-dialyse (1974/2007), président de Commission médicale d’établissement (2001/2007) et président de conférence régionale des présidents de CME (2004/2007). Depuis 2015, consultant dans le champ de la télémédecine (blog créé en 2016 : telemedaction.org).
Sa formation : outre sa formation médicale (doctorat de médecine en 1970) et spécialisée (DES de néphrologie et d’Anesthésie-réanimation en 1975), il est également juriste de la santé (DU de responsabilité médicale en 1998, DESS de Droit médical en 2002).
Missions :accompagnement de plusieurs projets de télémédecine en France (Outre-mer) et à l’étranger (Colombie, Côte d’Ivoire).
avril 2007, Gazette du Palais 2007
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