Nouvel Article publié par notre experte Joséphine ARRIGHI DE CASANOVA, responsable marketing et communication santé mentale chez Qare, pionnier de la téléconsultation en France.
N°06, Août 2021
Selon l’OMS, environ 25 % de la population mondiale est touchée dans sa vie par un trouble mental, figurant au troisième rang des maladies les plus fréquentes après le cancer et les maladies cardiovasculaires.
En France, 23 milliards d’euros de remboursements (médicaments, soins, arrêts de travail) sont chaque année consacrés à la santé mentale, soit le premier poste de dépense de l’Assurance Maladie. Quant au coût du mal être au travail, il est estimé à 12 600 euros par salarié et par an[1].
La crise sanitaire liée au Covid-19 a fortement aggravé le phénomène et révélé les défaillances de la prise en charge. Car la santé mentale fait figure de parent pauvre du système de soins français[2], en raison notamment de difficultés d’accès à l’offre de soins et au remboursement, mais aussi à cause de la stigmatisation qui entoure la santé mentale.
L’émergence de solutions de e-santé pour la santé mentale
En matière de numérique et de santé mentale, c’est la télémédecine qui fait figure de pionnier[3]. Historiquement, il est intéressant de noter que l’une des premières activités de télémédecine date du début des années 1960 et concerne précisément la psychiatrie : il s’agit de la mise en réseau de programmes de téléconsultations et de télééducation autour du Nebraska Psychiatric Institute.
Plus généralement, le développement du marché de la e-santé a été guidé par deux éléments clés, au premier rang desquels le développement des usages d’Internet. L’évolution de la prise en charge de la santé mentale y a également contribué. La vision essentiellement curative, qui se limitait au traitement des maladies mentales telles les psychoses, s’est peu à peu étendue au traitement des « souffrances psychiques » comme les troubles anxiodépressifs ou les troubles du sommeil. Avec l’avènement de la psychothérapie à des fins de développement personnel, une « culture psy » s’est diffusée dans la société qui s’est illustrée par les revues spécialisées, séries TV, blogs, comptes réseaux sociaux… sans oublier les nombreuses applications de bien-être et de « mieux-être », l’ensemble ayant permis de faire parler du sujet.
Malgré cela, les solutions de prise en charge sont encore très traditionnelles en France, pour ne pas dire poussiéreuses. Alors que l’utilisation moyenne par les personnes souffrant d’un trouble psychique et les professionnels est actuellement de 8 % dans les principaux pays européens[4] (niveau faible par rapport à d’autres secteurs de soins de santé), c’est en France que le taux d’utilisation des outils de e-santé mentale est le plus bas avec moins de 1 % (contre 15 % aux Pays-Bas, niveau le plus élevé).
Il semble cependant que la crise Covid ait agi tel un révélateur, voire un accélérateur.
Crise COVID : un changement de paradigme pour la e-santé mentale ?
La crise sanitaire a produit des conséquences psychologiques sans précédent, la prévalence des troubles mentaux ayant doublé en France depuis mars 2020. Résultat : la santé mentale a beaucoup occupé la une des médias, favorisant la levée progressive d’un tabou culturellement ancré.
Autre effet collatéral produit par la crise : la modification profonde et durable des usages numériques, en particulier dans le travail avec le boom du télétravail, mais aussi dans la santé, afin de pouvoir se soigner à distance.
La combinaison de ces deux facteurs s’est montrée très favorable au développement des solutions de santé mentale.
Un marché de la téléconsultation psy dopé par la crise
La psychiatrie représente désormais 6,4 % de l’ensemble des téléconsultations en France[5], ce qui en fait la spécialité la plus consultée à distance après la médecine générale. Après un passage de 1 000 en février 2020 à près de 80 000 en avril 2020, les téléconsultations en psychiatrie demeurent à un niveau supérieur à celui observé avant le confinement. Ce phénomène est directement observable chez Qare : depuis mars 2020, les téléconsultations de santé mentale réalisées via la solution ont été multipliées par 4, représentant désormais 13% du total (contre 10% fin 2020).
De la e-santé mentale à la Psy Tech
Conséquence d’une période post-crise sanitaire particulièrement faste en matière d’investissement, les startups de e-santé inondent le marché[6]. La santé mentale à elle seule aurait donné naissance à plus de 100 start-ups dans le monde selon la société de capital-risque 7Wire Ventures. En France, on voit ainsi émerger de nouveaux acteurs de la « Psy Tech » à l’image de moka care, mind Day, upfeel ou encore Teale.
Tous ne revendiquent pas d’expertise médicale car ils se tournent plus volontiers vers le développement personnel en proposant les services de coachs professionnels et de thérapeutes aux côtés des psychologues. Pour contourner l’obstacle financier que représente l’accès à ces professionnels, la majorité des startups de la Psy Tech récentes commercialisent leurs offres en B to B auprès des entreprises.
Si ces jeunes pousses contribuent à déstigmatiser la psy et la rendre plus accessible, leur offre relève davantage de la qualité de vie au travail (QVT) que de la santé mentale, et ne s’avère pas suffisante à répondre aux réels besoins de prise en charge et de prévention.
Les outils numériques de santé mentale
En cas de troubles légers et à des fins de prévention ou de développement personnel, les utilisateurs sont de plus en plus nombreux à se tourner vers le self-care et les nombreuses applications mobiles du marché. Mon Sherpa, le chatbot de soutien psychologique développé par Qare, est conçu et supervisé par des médecins psychiatres, des psychologues et des chercheurs. Il s’adresse aux personnes présentant des symptômes d’anxiété, de stress, de dépression ou encore des problèmes de sommeil, en leur proposant des parcours d’activités sur-mesure, basés notamment sur les thérapies cognitives et comportementales. Les téléchargements de l’appli Mon Sherpa ont été multipliés par 4 en un an, avec un pic au plus fort de la crise sanitaire.
Au rang des dispositifs médicaux numériques, notons l’arrivée prochaine de deprexis® en France[7]. La thérapie numérique, qui a fait ses preuves dans d’autres pays d’Europe suite à plusieurs essais contrôlés randomisés, est indiquée en complément du traitement habituel pour les patients souffrant de dépression unipolaire ou de troubles dépressifs.
Intérêts et limites des solutions de e-santé mentale
Pour les professionnels de santé, on voit ainsi que le numérique est susceptible de compléter leur pratique et leur « boîte à outils thérapeutiques », de la même manière qu’un médicament peut compléter un traitement plus global. On parle ainsi volontiers de « pratique augmentée ». Il convient de mentionner les limites à l’utilisation de ces outils : par exemple dans le cas de patients instables, impulsifs, à risque suicidaire ou dont la symptomatologie serait exacerbée par les NTIC.
Pour les patients, ces outils sont susceptibles de favoriser l’empowerment car ils les rendent plus acteurs de leur traitement (exercices à distance, journal de bord de sa santé mentale) et renforcent l’éducation thérapeutique, au service d’un meilleur suivi. La téléconsultation permet quant à elle de réduire les délais d’attente excessivement longs en psychiatrie, et ainsi d’éviter l’errance ou les retards diagnostiques.
Il existe néanmoins des freins au développement massif de ces thérapies à distance. Le premier est technologique, car certains territoires ou catégories de population sont concernés par la fracture numérique. Le second concerne les professionnels de la santé mentale, dont seuls 25% se montrent enthousiastes envers les outils digitaux, les 3/4 restant se montrant perplexe ou neutre – notamment en raison de l’absence de preuves cliniques de l’efficacité des solutions.
Conclusion : quels enjeux pour la e-santé mentale ?
Pour continuer à se développer, les solutions devront répondre à un enjeu qualitatif. Car pour guider au mieux les utilisateurs dans leurs choix et permettre aux professionnels de santé de prescrire demain des dispositifs numériques, comme ils prescrivent aujourd’hui un traitement médicamenteux, il est essentiel de veiller à la qualité des solutions mises sur le marché et d’apporter la preuve scientifique de leur efficacité.
Par ailleurs, les solutions de e-santé mentale contribuent à contourner l’obstacle majeur à l’accès aux soins : celui de la stigmatisation. 87% des Français avouent ne pas oser parler de leurs problèmes de santé mentale à leur famille, et 76% ni même à leur conjoint/ partenaire[8]. Le ministre Olivier Véran déclarait à l’aube du second confinement : « La santé mentale est un défi complexifié par la crise. ». La crise a effectivement aggravé les failles existantes, dans la mesure où davantage de personnes ont eu besoin d’aide et d’accompagnement. Mais elle a aussi permis de lever le voile sur un sujet encore trop longtemps laissé de côté. Cela signifie-t-il pour autant que le tabou de la santé mentale est entièrement levé ? Il est trop tôt pour se prononcer car les répercussions du Covid-19 vont durer bien plus longtemps que la crise en elle-même.
Dans tous les cas, souhaitons qu’il ne s’agisse pas d’un effet d’aubaine en réponse à la pression médiatique des derniers mois, mais que l’ensemble des acteurs concernés – privés comme publics – investissent durablement le champ de la santé mentale. A ce titre, les conclusions des Assises de la santé mentale et la psychiatrie, dont la publication est attendue pour la fin septembre 2021, seront déterminantes.
Remerciements :
Merci à Fanny Jacq, psychiatre et directrice santé mentale chez Qare, pour sa contribution à la rédaction de cet article.
Pour aller plus loin :
[1] source IBET 2017
[2] https://www.lefigaro.fr/conjoncture/la-sante-mentale-parent-pauvre-du-systeme-de-soins-francais-20201208
[3] https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2006-10-page-801.htm
[4] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/180628_-_dossier_de_presse_-_comite_strategie_sante_mentale.pdf
[5] https://www.mutualite.fr/actualites/les-10-chiffres-cles-de-lobservatoire-2021-sur-la-sante-mentale/
[6] https://www.lopinion.fr/edition/wsj/boom-start-up-e-sante-submerge-marche-clients-ne-s-y-retrouvent-plus-243924
[7] https://www.caducee.net/actualite-medicale/15482/depression-deprexis-une-therapie-numerique-personnalisee-grace-a-l-ia-bientot-disponible-en-france.html
[8] Sondage YouGov x Qare, janvier 2021
Nous remercions vivement notre experte Joséphine ARRIGHI DE CASANOVA, responsable marketing et communication santé mentale chez Qare, pionnier de la téléconsultation en France. Elle propose de partager son expertise pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie de l'auteure :
Professionnelle expérimentée en marketing et communication B2B et B2B2C, multilingue, Joséphine ARRIGHI DE CASANOVA se spécialise dans les secteurs de la (e-)santé et du bien-être en 2017 après une première partie de carrière auprès de grands groupes du secteur alimentaire.
Sortie major du programme Executive Master en Marketing et Communication à l’ESCP Europe en 2019, elle obtient le prix de la meilleure thèse professionnelle pour ses travaux intitulés : « Le chatbot : outil de persuasion? Le cas de la santé en France ».
La même année, elle obtient le Diplôme Universitaire en e-santé et médecine connectée de la faculté Paris Descartes, et en 2020, un diplôme de formateur pour adultes.
Joséphine occupe aujourd’hui le poste de responsable marketing et communication santé mentale
chez Qare, pionnier de la téléconsultation en France.
A paraître le 04 Octobre 2021 écrit par de nombreux experts-auteurs de ManagerSante.com
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