Article publié par notre experte, la Professeure Michèle GUILLAUME-HOFNUNG , docteure en Droit, experte à l’UNESCO, experte à l’Union Européenne et au Conseil de l’Europe, fondatrice de l’Institut de la Médiation Guillaume Hofnung), formatrice & consultante en médiation et en éthique et auteure de l’ouvrage « La Médiation » Que sais je ? (PUF. 8ème édition 2020).
N°10, Mai 2021
Relire la première partie de cet article
Il faut penser le droit avec le social, et refuser d’enfermer l’étude de la médiation dans un strict positivisme juridique qui ne permettrait pas de la saisir dans sa totalité. Il faut bien sûr présenter le cadre juridique qui s’impose à la médiation comme à toute activité humaine, mais si on veut essayer de comprendre comme nous le demandent les organisateurs la relative stagnation de la médiation dans les litiges commerciaux, il faut adopter une démarche scientifique lucide de base, nous ferons une mise au point sur les entraves que sa défaillance apporte au développement de la médiation.
Son cadre juridique
Toute réflexion qui aborderait le droit et la médiation comme des blocs indifférenciés resterait sommaire. Il faut dans la réflexion sur les rapports entre le droit et la médiation procéder à des distinctions opérationnelles tant pour le droit que pour la médiation. La distinction entre règles de procédure et les règles de fond pertinente en droit devra probablement se combiner avec la distinction entre la médiation conventionnelle, la médiation judiciaire, la médiation citoyenne.
La Commission de l’Union européenne dans une recommandation du 30 Mars 1998 relative à la résolution extrajudiciaire des litiges de consommation préconise le respect de sept principes fondamentaux proches de ce que l’article 6 de la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) impose aux procédures juridictionnelles.
D’une manière générale, le droit encadre la médiation comme toute activité humaine
Cela se comprend d’autant mieux que la médiation vient de la base alors que le droit vient du haut. Entre la médiation et le droit, il y a complémentarité et non pas concurrence. Le droit ne peut prétendre remplir tout l’espace social. Selon certains, il y aurait un vide juridique en matière de médiation ; c’est tout à fait faux. Mais le droit des contrats (y compris de la responsabilité contractuelle) et des associations assurent de toute façon à la médiation un régime juridique cohérent.
Des limites juridiques à la médiation en résultent nécessairement :
La médiation ne peut intervenir que dans des domaines où la justice d’Etat peut ne pas intervenir sans violer les règles d’ordre public. La médiation ne peut se substituer à l’intervention de la justice. C’est pourquoi en matière pénale, il vaut mieux parler de conciliation déléguée que de médiation. Une réponse non juridictionnelle peut s’analyser comme une violence sociale et un refus d’accès au droit et à la justice.
La médiation ne saurait déboucher sur une solution illégale, quand bien même cette dernière recevrait l’accord des participants à la médiation. Les nullités de protection gardent leur pertinence, notamment celles prévues par le droit du travail. Quand la sagesse populaire proclame qu’n mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès, elle fait fi à la fois de la valeur positive des conflits et du rôle protecteur du droit.
L’assouplissement croissant de la notion d’ordre public de protection n’est pas sans danger pour les médiés les plus vulnérables.
Autre corollaire : les parties à la médiation ne peuvent par un accord de médiation disposer de droits indisponibles. On trouve là un garde-fou particulièrement utile à la médiation familiale qui se déroule dans la sphère de tels droits précisément, l’état des personnes avec ses répercussions sur le droit au nom. Les droits nés d’une infraction criminelle, les questions de filiation, les matières qui relèvent directement du Conseil d’Etat constituent le noyau des droits absolument indisponibles. Les autres droits font l’objet de discussion sur l’arbitrage et la transigeabilité.
Le développement de la médiation va intensifier les discussions sur la fonction du juge qui pourrait devenir une sorte de superviseur des accords obtenus en médiation et sur la portée de l’homologation.
Plus précisément, elle reçoit les limites des textes qui l’instituent :
Là gît le problème puisque les textes qui instituent la médiation judiciaire ne fournissent aucun critère de distinction entre la conciliation et la médiation et assignent aux deux un régime juridique si proche qu’on peut les penser de même nature.
La volonté du législateur de donner un nouvel essor à la résolution amiable des conflits finit par aboutir à l’adoption de la loi N°95-125 du 8 février 1995 dont l’article 21 permet au juge de désigner après accord des parties une tierce personne pour procéder soit aux tentatives préalables de conciliation prescrites par la loi (sauf en matière de séparation de corps ou de divorce), soit à une médiation, en tout état de procédure, y compris en référé, pour tenter de parvenir à un accord entre les parties. Pas plus que son décret d’application (N°96-652 du 22 juillet 1996), elle ne sort la médiation de la nébuleuse des Modes Alternatifs de Règlement des Conflits (MARC). On cherchera vainement dans ces textes les critères distinguant la médiation de la conciliation. De nombreux auteurs en concluent (légitimement si on s’en tient au droit positif) qu’il n’existe pas de différence de nature mais seulement de degré entre la médiation et la conciliation. C’est d’autant plus inquiétant que dans les textes c’est vrai (cf J.Vincent et al., Institutions Judiciaires, 5e éd., Dalloz 1999, n°38, ou Ch. Jarrosson, Les modes alternatifs de règlement des conflits : présentation générale). Pour l’instant, ni le Livre vert, ni la directive européenne du 22 octobre 2004, ne témoignent d’une prise de conscience de la confusion terminologique. C’est pourquoi il faut saluer la qualité du rapport Floch et la prise de conscience qu’il témoigne. La constitution d’un groupe de travail permanent autour de lui serait hautement souhaitable.
Médiable or not médiable ?
Cette question ne se ramène pas à un problème de recevabilité, mais à une question de conscience, de compétence et de discernement. Le médiateur se détermine librement, à la différence d’un juge, d’un arbitre ou d’un conciliateur, il ne se pose pas des questions de recevabilité procédurale, mais il doit exercer son discernement avant d’accepter la médiation. Il doit en particulier se poser la question de sa capacité personnelle et psychique à rester tiers du début à la fin.
Il existe une double limite au champ de la médiation :
- Les situations qui rendent impossibles le déclenchement et le déroulement du processus, par exemple les situations trop dissymétriques, les situations de violence, l’absence d’animus mediandi. Le médiateur devra refuser la médiation ;
- Les situations qui l’interdisent quand la médiation consoliderait une atteinte à l’ordre public. J’ai toujours rappelé cette nécessaire vigilance ; la médiation ne doit contribuer ni à l’évaporation de l’acte de juger, ni à celle du droit, par l’intermédiaire des sirènes du droit négocié. Je ne fais pas partie de ceux qui font le panégyrique de la médiation, et je souscrit pleinement aux réserves émises par Maître Rouche.
Les limites sociologiques et mentales :
Il s’agit alors de freins à la médiation. La récupération délibérée ou instinctive que traduit le syndrome de Monsieur Jourdain et le syndrome du médiateur naturel limite son pouvoir innovant et freine son développement. Les limites à l’innovation résultent principalement de :
- La peur du tiers : la médiation ne se conçoit pas sans un tiers neutre impartial indépendant et sans pouvoir ; or le tiers est souvent insupportable :
- La difficulté à abandonner les schémas de pouvoirs.
Le terme « alternatif » comprend comme une promesse d’innovation mais jusqu’à quel point les MARC sont-ils alternatifs ? La conciliation, la transaction, l’arbitrage, la négociation font partie de l’arsenal classique du règlement des conflits. Ils ont d’ailleurs prouvé leur utilité, et il n’entre pas dans mes intentions de les critiquer. Mes remarques porteront uniquement sur la médiation, pour m’inquiéter de son assimilation à la conciliation et son assimilation (au sens de récupération) par les acteurs traditionnels de la scène du conflit. Aujourd’hui, on peut se demander si la médiation n’est trop révolutionnaire pour être acceptée dans son ampleur.
La révolution s’est-elle vraiment faite ?
Un seul mot ne fait pas la révolution des esprits quand tout le reste du lexique reste inchangé.
On se hasardera à formuler l’hypothèse suivante : la médiation est tellement révolutionnaire que de nombreux acteurs ne la conçoivent que comme une reproduction de ce qu’ils connaissent ; conciliation, la transaction, la négociation, voire l’arbitrage. Elle est pour l’instant impensable.
La formation des partenaires de la médiation me semble une nécessité ; il n’y aura pas de développement de la médiation sans celui de l’esprit de médiation.
Lire la suite de cet article, le mois prochain.
Nous remercions vivement la Professeure Michèle GUILLAUME-HOFNUNG , docteure en Droit, experte à l’UNESCO, experte à l’Union Européenne et au Conseil de l’Europe, fondatrice de l’Institut de la Médiation Guillaume Hofnung), formatrice & consultante en médiation et en éthique et auteure de l’ouvrage « La Médiation » Que sais je ? (PUF. 7ème édition du 28 Janvier 2015).
Elle propose de partager son expertise juridique pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie de l'auteure :
Michèle GUILLAUME-HOFNUNG est Docteure en droit, Professeure émérite de droit public à l’Université Paris-Sud où elle a dirigé le Collège d’Etudes Interdisciplinaires, le Master Diplomatie & Négociation Stratégique) et le 3ème cycle de droit de la santé.
Elle a créé le diplôme « La médiation » à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas.
Elle est également Conférencière, Consultante, Formatrice et Experte en médiation et en éthique. Elle est auteure de nombreux articles et d’un ouvrage sur la « médiation » aux éditions PUF (7ème édition en 2015).
Elle est fondatrice de l’Institut de la Médiation Guillaume Hofnung (IMGH) qui propose des formations et des médiations.
Elle est aussi Directrice du CERB (Centre d’Etude et de Recherche en Santé Publique et en Bioéthique). Dans le champ de la médiation, Michèle GUILLAUME-HOFNUNG a participé à la création en 1987 de la première formation de médiation en Europe. Elle est Présidente de l’Union Professionnelle Indépendante des Médiateurs et est présidente d’honneur de l’association des médiateurs diplômés de Paris 2 Panthéon-Assa (MDPA).
Dans le domaine de l’éthique, elle a apporté sa contribution à la création en 1989 des premiers diplômes d’éthique médicale à l’Université de Paris V. Elle apporte son expertise dans la gestion des ressources humaines par la communication éthique. Michèle GUILLAUME-HOFNUNG est également Vice-présidente de l’Académie de l’éthique.
Elle a été vice-présidente du comité éthique et droits de l’Homme de la Commission Nationale française pour l’Unesco entre 1995 et 2010 (en qualité d’Experte en éthique de l’Unesco, Experte en éthique de l’Union Européenne).
Elle a participé à l’accompagnement des politiques publiques dans le domaine de la médiation auprès de plusieurs ministères et diverses organisations internationales.
Son institut de médiation l’IMGH est partenaire d‘Universités, Grandes Ecoles, entreprises, hôpitaux, collectivités territoriales, associations interculturelles.
Michèle GUILLAUME-HOFNUNG s’est impliquée depuis de nombreuses années à l’internationale sur les questions liées à la médiation à travers plusieurs missions au Conseil de l’Europe, l’Union européenne et l’Unesco.
Ouvrages de l’auteure :
« La Médiation » Que sais je ? (PUF. 8ème édition 2020).
« Hôpital et Médiation, l’Harmattan 2001.
« Les modes alternatifs de règlement des conflits » in L’expertise médicale sous la direction du Professeur Hureau, 3° édition 2009.
« Médiation et santé », in médiations et société 2006
« La médiation dans le domaine des affaires », colloque de l’Association droit et commerce, 30 mars-1 avril 2007, Gazette du Palais 2007
Qu’il s’agisse du Diplôme d’Université (DU) « La médiation » de l’université Panthéon-Assas Paris-2, pris comme modèle de tronc commun par le Conseil national consultatif de la médiation familiale (CNCMF), ou des enseignements que l’IMGH (Institut de la Médiation Guillaume Hofnung) assure à la demande des établissements de santé, les contenus fondamentaux demeurent.
Le socle de principes consiste à :
présenter, analyser et justifier la définition de la médiation, en soulignant l’importance de ses quatre fonctions et de son unité ;
former au processus de communication éthique, maïeutique reposant sur l’autonomie et la responsabilité des «médiés » ;
poser le cadre de la médiation, du respect de l’ordre public ;
apprendre à respecter en toutes circonstances la confidentialité qui justifie la confiance sans laquelle la médiation n’existe pas.
La formation intègre également : « un axe sociologique (évaluer les besoins, les obstacles, les contre indications), » un axe psychologique (travailler sur soi-même pour être et rester tiers, fonctionner sans pouvoir, rechercher l’impartialité, écouter, reformuler, intégrer les éléments de psychologie, d’analyse transactionnelle, de programmation neurolinguistique), »un axe juridique (connaître les règles d’ordre public, la hiérarchie des règles de droit, la déontologie ; savoir passer le relais aux professionnels du droit), »un axe pratique (jeux de rôles reprenant des situations vécues par les enseignants ou les personnes en formation).
ManagerSante.com soutient l’opération COVID-19 et est partenaire média des eJADES (ateliers gratuits)
initiées par l’Association Soins aux Professionnels de Santé
en tant que partenaire média digital
Parce que les soignants ont plus que jamais besoin de soutien face à la pandémie de COVID-19, l’association SPS (Soins aux Professionnels en Santé), reconnue d’intérêt général, propose son dispositif d’aide et d’accompagnement psychologique 24h/24-7j/7 avec 100 psychologues de la plateforme Pros-Consulte.