N°34, Octobre 2020
Article publié par notre expert, le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctorat, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine), auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine.
Si l’intelligence artificielle médicale (IAM) permet aux médecins d’être plus performants dans l’exercice de la médecine en présentiel, elle peut l’être également dans l’exercice de la médecine en ligne [1]. Nous distinguons son impact sur les trois principales pratiques de télémédecine : la téléconsultation, la téléexpertise et la télésurveillance médicale.
L’IAM pour des téléconsultations plus performantes
Le reproche qui est souvent fait à la téléconsultation par les médecins peu enclins à la pratiquer est que la téléconsultation est un exercice médical de qualité médiocre par rapport à une consultation présentielle. Si la téléconsultation a été utile pendant la période du confinement due à la Covid-19 [2]pour conserver un lien avec les patients confinés qui ne se déplaçaient plus au cabinet médical, sa réalisation par téléphone ne pouvait être jugée qu’inférieure à une consultation en présentiel.
L’Assurance maladie a toujours considéré qu’une téléconsultation par téléphone n’était pas une pratique médicale de qualité[3] et que son remboursement pendant l’état d’urgence sanitaire ne pouvait être que temporaire et dérogatoire [4]. Une téléconsultation de qualité doit être réalisée par videotransmission pour être pertinente et remboursée par l’Assurance maladie.
Il est possible aujourd’hui de rendre les téléconsultations plus performantes que le simple échange par videotransmission entre le médecin et son patient, échange qui est suffisant lorsque la téléconsultation est alternée avec des consultations en présentiel, notamment chez des patients atteints de maladies chroniques [5].
L’usage de l’IAM au cours d’une téléconsultation peut être considéré dans deux domaines.
Un premier domaine concerne un meilleur accès au dossier médical du patient pour des informations cliniques ciblées, en particulier lorsque le médecin téléconsultant n’est pas le médecin traitant. Le dossier médical partagé (DMP) doit devenir le service socle incontournable dans la pratique d’une téléconsultation. Il doit bien évidemment être ouvert par le patient et alimenté par tous les professionnels de santé, médicaux et paramédicaux, qui gravitent autour du patient dans le parcours de soin coordonné par le médecin traitant. Il faut rendre ce DMP attractif en faisant en sorte que les données de santé qu’il héberge soient gérées par un algorithme permettant au médecin téléconsultant d’accéder directement et rapidement à l’information qu’il recherche[6].
A cet égard, les systèmes conversationnels interactifs et activés par l’IA pourraient être utilisés en télémédecine pour mieux gérer les données de santé qui figurent dans les dossiers des patients qui télé consultent[7].
Un autre domaine concerne l’usage des objets connectés qui permet d’enrichir l’examen clinique en l’absence d’examen physique. Certains opposent la téléconsultation par videotransmission à une téléconsultation « augmentée » par l’usage des objets connectés dont un nombre de plus en plus important dispose d’un algorithme à visée diagnostique [8]. Il existe aujourd’hui des kits d’objets connectés accessibles en pharmacie [9] ou sur internet [10]pour réaliser des téléconsultations qui se rapprochent de plus en plus de la consultation en présentiel.
L’IAM pour des téléexpertises reposant sur des preuves scientifiques
La téléexpertise est une pratique de télémédecine qui a du mal à décoller parce que les solutions numériques sensées permettre ces échanges entre un médecin requérant, souvent le médecin traitant de soin primaire, et un médecin requis, souvent le médecin spécialiste correspondant du médecin traitant, ne sont pas suffisamment agiles d’usage et ergonomiques pour le temps médical. Des solutions numériques plus adaptées à cette pratique sont en cours d’expérimentation, à la fois pour la téléexpertise synchrone[11] et la téléexpertise asynchrone [12].
La téléexpertise est également une pratique apprenante, aussi bien pour le médecin requérant que pour le médecin requis [13]. Les échanges et les avis d’experts doivent reposer sur les données acquises et actuelles de la science médicale.
La téléexpertise survivra-t-elle au futur traitement algorithmique des données personnelles de santé ? Nous le pensons, car même si le médecin traitant pourra avoir accès directement dans un avenir assez proche aux données actuelles de la science médicale, sans recourir à la téléexpertise telle qu’elle est proposée aujourd’hui, l’application personnalisée des avis donnés par l’algorithme devra toujours être arbitrée par le médecin traitant qui aura besoin d’en parler avec un médecin spécialiste expert. C’est la garantie humaine voulue par le législateur dans la dernière loi bioéthique française [14] pour que la démarche médicale reste humaine et non soumise aux seules décisions ou propositions d’un algorithme.
L’IAM pour une télésurveillance médicale à domicile personnalisée
C’est dans ce domaine que l’IAM est le plus attendue. Il nous faut réussir, avant 2030, la transformation de notre système de santé, c’est-à-dire passer de l’hospitalocentrisme qui a marqué les soins au XXème siècle à « l’hospitalisation au domicile » (Homespital des anglosaxons) car le nombre croissant des malades atteints de maladies chroniques dues au vieillissement risque de submerger les systèmes de santé actuels.
La pandémie due à la Covid-19 est l’exemple d’une submersion hospitalière venue s’ajouter à celle des maladies chroniques qui sont en progression depuis 20 ans. En 2050, le nombre de patients atteints de maladies chroniques aura triplé sur la plupart des continents. Les établissements de santé seront de plus en plus spécialisés, auront moins de lits d’hospitalisation de longue durée et les médecins qui y travailleront seront des ingénieurs médecins, formés à l’usage d’outils performants pilotés par des algorithmes pour des soins très spécialisés, dont la majorité se fera en ambulatoire [15].
La plupart des professionnels de santé médicaux et paramédicaux du secteur ambulatoire se consacreront à la prévention des maladies chroniques et aux soins au domicile. Leur compétence sera jugée sur leur capacité à maintenir les personnes en bonne santé le plus longtemps possible et à éviter la survenue de complications [16].
Le défi pour organiser les soins au domicile est immense et ne peut se réaliser qu’avec l’IAM. C’est le mérite d’une équipe du moyen orient d’avoir réfléchi à cette organisation nouvelle des soins (Kalid N, Zaidan AA, Zaidan BB, Salman OH, Hashim M, Muzammil H. Based Real Time Remote Health Monitoring Systems: A Review on Patients Prioritization and Related « Big Data » Using Body Sensors information and Communication Technology. J Med Syst. 2017 Dec 29 ;42(2) :30. doi: 10.1007/s10916-017-0883-4. Review.). [17]
Les auteurs de cette étude estiment que la croissance de la population mondiale ayant des maladies chroniques du vieillissement ne cesse de progresser et qu’il y aura dans le monde en 2030 plus d’un milliard de personnes âgées de 65 ans et plus. Le besoin en technologies informatiques et logiciels construites par des algorithmes pour surveiller et aider les patients atteints de maladies chroniques n’est pas discuté.
Le but de ces technologies est de stabiliser la maladie chronique, prévenir les complications graves qui justifient des hospitalisations coûteuses et permettre à cette population âgée et très âgée d’avoir une vie sociale de qualité et, le plus longtemps possible, indépendante à leur domicile.
La télésurveillance en temps réel de ces patients à leur domicile est devenue un sujet de télémédecine important pour les prochaines années. Après les nombreux échecs de la télésurveillance en mode différé [18], il devient nécessaire d’appréhender les solutions d’une télésurveillance en temps réel qui soient à la fois efficaces et d’un juste coût.
Ainsi, dans l’offre de services de santé des années à venir, les priorités pour les patients doivent être abordées. Elles soulèvent un important défi, car la prise de décision médicale relève d’un processus complexe dans lequel les patients sont directement impliqués. Ils sont en effet considérés comme les fournisseurs de données massives en santé, c’est à dire de Big Data. Le traitement de ces données doit permettre de réaliser cette télésurveillance en temps réel, 24h/24, 7jours/7.
Pour aller plus loin :
[1]La télémédecine et l’intelligence artificielle à l’heure des parcours de soins
[2] L’épidémie Covid-19 a-t-elle réellement conforté les bonnes pratiques de téléconsultation ?
[3] Le pratico-pratique d’une télésanté de qualité après la période Covid 19
[4] Comment choisir les cas d’usage d’une téléconsultation en période de Covid 19 ?
[8] On a testé la téléconsultation connectée : une nouvelle ère pour la télémédecine
[9] Avenant N°15 de la Convention Nationale du 04 Avril 2012
[10] La santé connectée pour tous
[11] Quels sont les cas d’usage de la téléexpertise pneumologique à la demande du médecin traitant ?
[12] La téléexpertise va-t-elle décoller en France dans l’après-Covid ?
[14] Projet de loi relatif à la bioéthique (SSAX1917211L)
[15] La transformation des métiers de la santé par le numérique (2)
Nous remercions vivement le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine) , auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine, pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com
Biographie du Docteur Pierre SIMON :
Son parcours : Président de la Société Française de Télémédecine (SFT-ANTEL) de janvier 2010 à novembre 2015, il a été de 2007 à 2009 Conseiller Général des Etablissements de Santé au Ministère de la santé et co-auteur du rapport sur « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins » (novembre 2008). Il a été Praticien hospitalier néphrologue de 1974 à 2007, chef de service de néphrologie-dialyse (1974/2007), président de Commission médicale d’établissement (2001/2007) et président de conférence régionale des présidents de CME (2004/2007). Depuis 2015, consultant dans le champ de la télémédecine (blog créé en 2016 : telemedaction.org).
Sa formation : outre sa formation médicale (doctorat de médecine en 1970) et spécialisée (DES de néphrologie et d’Anesthésie-réanimation en 1975), il est également juriste de la santé (DU de responsabilité médicale en 1998, DESS de Droit médical en 2002).
Missions :accompagnement de plusieurs projets de télémédecine en France (Outre-mer) et à l’étranger (Colombie, Côte d’Ivoire).
[REPLAY L’INTEGRAL DU GRAND COLLOQUE]
?Intervention du Ministre Olivier VERAN , Ministère des solidarités et de la santé
?Intervention de la Ministre Frédérique VIDAL , Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la recherche et de l’innovation.
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(ManagerSante.com était partenaire média de ce Grand Colloque)
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