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L’ « Hôpital apprenant » serait-il une solution pertinente en situation de crise pour accompagner le changement organisationnel ? . Denis BISMUTH nous éclaire (Partie 1/2).

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Nouvel Article rédigé pour ManagerSante.com par Denis BISMUTH, membre de l’EMCC France (European Mentoring and Coaching Council) et animateur de la commission recherche. Il est Dirigeant du cabinet de coaching Métavision) et auteur de plusieurs ouvrages.*


N°2, Août 2020


Les changements profonds dans les entreprises supposent à la fois un changement organisationnel (une certaine manière d’avoir des relations, de penser le travail et de l’organiser) mais aussi un apport d’outils qui assurent la pérennité de ce changement organisationnel.

Le changement organisationnel sans les outils qui l’étaient, conduit à ce qu’on revienne assez rapidement à des modes de fonctionnement habituels. 

Mais de la même manière, acquérir des outils sans installer le changement organisationnel, c’est se condamner à voir « le genre de la maison » les façons de penser habituelles, digérer rapidement les outils pour les ramener à servir la culture traditionnelle.

Construire l’hôpital apprenant c’est donc à la fois générer les transformations organisationnelles nécessaires et apporter les outils adéquats.

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Changer l’organisation pour changer les rapports humains

L’analyse des différentes démarches expérimentales déjà conduites peut nous permettre d’identifier les différents invariants d’un changement organisationnel qui permettent de penser une organisation capable de produire de l’apprentissage tant pour ses acteurs que pour elle-même.

La crise introduit toujours une part importante d’incertitude. Elle révèle la complexité des organisations. Une complexité latente mais souvent occultée en période de stabilité. Le système de santé Français s’est révélé dans sa complexité et ses failles au cours de cette crise de la Covid19. Au dire des soignants c’est la lourdeur des procédures administratives qui est la principale source de démotivation et de désengagement. Dans les situations d’incertitude, on constate que renforcer le contrôle bureaucratique n’est pas la meilleure solution pour sécuriser, organiser et rendre adaptable les institutions de santé.

En effet le renforcement du contrôle a tendance à grever l’efficacité des salariés et fatigue leur engagement. Par contre, si on responsabilise les acteurs, cela renforce leur engagement et leur donne cette capacité d’adaptation qu’exige l’incertitude et la complexité.

Les services de santé Français se trouvent devant un certain nombre de difficultés qui laissent présager la nécessité de transformer radicalement leurs modes d’organisation. Même si l’engagement parfois héroïque des soignants a pu éviter un drame plus grand, la Covid 19 est une invitation à accélérer les changements.

Économiser des ressources ou investir dans l’humain ?

Dans les situations de crise, les entreprises se posent toujours la question de savoir où faire des économies :  Faut-il diminuer la masse salariale des opérationnels au risque de perdre en capacité de production ? ou faut-il économiser sur l’organisation et le contrôle ? L’analyse en retour des expériences d’organisation responsabilisante montre que c’est en économisant sur l’organisation, en ayant confiance [1] en la capacité des opérationnels à s’auto organiser et prendre des bonnes décisions, que l’on peut laisser passer la crise et surtout pouvoir repartir après sans avoir mis en danger la santé professionnelle des acteurs [2]. Faut-il moins de personnel soignant et de lits ou peut-on économiser sur l’administration ?

Rappelons que, parmi les 199,3 milliards d’euros [3] consacrés chaque année au système de santé français, 5,7% servent à financer des dépenses d’administration. Un ratio bien supérieur à celui observé aux Pays-Bas (3,9%) et en Suède (1,7%), entre autres [4].

Ce qui nous permet de calculer assez rapidement que si le taux de 1,7% s’appliquait au système de santé Français cela représenterait une économie d’environ 8 Milliards. Au regard de la masse des dépenses de santé ce n’est qu’une goutte d’eau mais qui pourrait étancher une partie de la soif légitime de reconnaissance des soignants.

Les démarches d’entreprises responsabilisantes [5] ou apprenantes ont montré que face aux situations complexes, si on délègue aux salariés la légitimité à décider des actions et de l’adaptation des processus de travail, les gains en productivité sont quasi immédiats. Des gains faits sur la baisse des erreurs et des rebuts, mais aussi des gains importants sur l’absentéisme et l’engagement des acteurs. Rendre l’organisation apprenante suppose un changement dans l’organisation, une autre façon de concevoir et d’organiser le travail.

Qui est légitime pour produire ce changement ?

Des décennies de pratique du conseil en organisation ont permis de constater qu’un changement impulsé par une direction est souvent vécue comme une injonction à faire par les opérationnels. Cette démarche, vécue comme une injonction, a tendance à lever les résistances des opérationnels et à grever l’efficacité de la démarche. On a constaté que si la démarche de changement n’est pas portée par les destinataires, il y a peu de chance qu’elle soit efficace et durable. En ce sens les démarches d’entreprises apprenantes ont comme première caractéristique d’engager  les acteurs de l’entreprise  pour répondre aux besoins du travail.

Apprendre à pêcher plutôt que de donner du poisson

Le changement ne peut pas se faire sans ceux qui ont l’expertise du réel de l’activité. C’est donc aux acteurs de l’organisation de produire ce changement. La mission de l’organisation est alors d’accompagner les transformations se mettre au service de ceux qui l’élaborent au quotidien. La mission d’une direction est donc d’impulser le changement des pratiques tout en restant les garants du cadre et de la stratégie.

Des expériences d’innovations managériales

De nombreuses expériences très inspirantes existent de par le monde ou les institutions de soin ont choisi de mettre en place des démarches de progrès dans l’esprit de l’entreprise apprenante.

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L’erreur comme source de progrès

On pourrait parler de l’expérience Danoise[6] qui choisit de prendre comme objet de travail les erreurs médicales et d’en faire un objet d’apprentissage au travers de méthodes et en changeant l’organisation :

La routine nous fait faire des erreurs. En Europe on a une chance sur 10 de subir un accident à l’hôpital.

  • En Belgique on déplore 2000 morts par an suite à des erreurs médicales, 7000 en Espagne, 22000 au royaume uni.
  • En France il y a obligation de déclarer les erreurs, mais selon certaines sources[7], il ne s’en déclare  que 6000 alors qu’il y en aurait 250 000.

Les anesthésistes en font plusieurs par jour rectifiées par leurs collègues.

La moitié des erreurs pourraient être évitées si le système était plus transparent

Ce ne sont pas les personnes qui sont en cause mais l’organisation des soins qui ne prend pas en compte que l’humain est faillible.

L’erreur est on le sait la première marche de l’apprentissage. Un système soignant qui ne fait que judiciariser et pénaliser les erreurs se prive d’une source inépuisable de progrès. Ce qui n’est pas pour faire baisser le taux des erreurs. L’erreur doit changer de statut : le risque d’erreur est inhérent à l’humain et donc la nier c’est refuser la part d’humain dans l’acte.

L’erreur ne doit plus être cachée.

Chaque erreur cachée est une opportunité d’apprendre quelque chose pour celui qui s’est trompé ou pour ceux qui ont organisé le contexte de travail qui a conduit à l’erreur. C’est un moyen d’apprendre pour l’individu et pour l’organisation un moyen d’ajuster ses procédures de travail et d’amener les salariés à produire leur propre compétence. C’est l’occasion pour les salariés d’apprendre à ajuster les procédures quand c’est nécessaire et à s’inter-contrôler sans peur de la sanction hiérarchique. Il est évident que chacun d’entre nous aura moins tendance à cacher ses erreurs, si celui qui en est informé n’a pas d’enjeux hiérarchiques et de légitimité de sanction et que par ailleurs il existe  un contrat de coopération pour apprendre ensemble.

Le Docteur Michel BAFORT, responsable du service obstétrique de l’hôpital AZ Alma d’Eeklo, demande à ses employés de déclarer toutes leurs erreurs avec la garanti de ne pas être sanctionné. Le nombre des incidents déclarés a été multiplié par dix.

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La responsabilisation des soignants comme source d’engagement et d’adaptabilité

On pourrait parler de l’expérience de Buurtzorg [8] ou, en changeant l’organisation, les institutions de santé ont permis de remotiver les salariés en les responsabilisant.

De nombreuses expériences existent qui mériteraient par leurs richesses une analyse en retour qui permettrait de généraliser les pratiques efficientes.

L’hôpital apprenant semble l’approche qui réunit la plupart des ingrédients de cette nouvelle organisation. L’expérience québécoise est retracée dans la revue de gestion de HEC Montréal[9] nous décrit des expériences ou l’on a introduit dans le travail des soignants des outils favorisant l’apprendre ensemble.

SI l’on tente de faire une synthèse des différents invariants des démarches d’entreprises apprenantes, on peut identifier quelques éléments récurrents :

Sortir d’une conception traditionnelle de la formation

On constate depuis quelques années la faillite du modèle traditionnel organisée autour des contenus et de l’expertise contrôlant. Ne plus (seulement) penser la formation en termes de contenu délivré par un expert. Ne plus penser en termes de diplôme.

Penser plutôt en termes de motivation à progresser et capacité d’apprentissage. Penser « soft skills » (ou méta compétence) plutôt qu’en terme de connaissance. Penser à recruter des personnes capables de créer des relations, d’apprendre des autres, de progresser, d’aider les autres, de faire face à l’incertitude, capable d’humilité, plutôt que penser expert super diplômé de la plus grande école.

Tout indique qu’il est temps d’entrer réellement dans l’ère de l’apprenance en continue. C’est un moyen d’aider les acteurs de l’entreprise à :

  • Produire leurs connaissances à partir de leur expérience,
  • Produire leurs propres capacités d’apprentissage,
  • Leur rendre la légitimité à être propriétaire de leur savoir d’expérience et de leur compétence à décider de leur action.

Mettre en place et piloter de situations apprenantes.

Toutes les situations de travail sont potentiellement apprenantes. Mais elles ne le deviennent qu’à partir du moment ou elles sont orientées par une intention pédagogique et organisées au service de ce projet.

Rendre une organisation apprenante c’est, entre autre chose, développer des démarches d’apprentissage en situation de travail. ce qui suppose de développer les capacités d’accompagnement des encadrants.

Instituer la controverse.

Toutes les démarches d’apprentissage sont le résultat d’une confrontation :

  • confrontation de l’individu au réel de l’activité,
  • confrontation entre les individus d’une équipe,
  • confrontation à l’institution.

Pour que la confrontation soit possible et qu’elle ne se transforme pas en affrontement, il est nécessaire qu’elle soit instituée, c’est à dire : possible, autorisée, écologique et cadrée, contractualisée institutionnellement. Instituer la controverse c’est poser comme principe qu’il est possible de remettre en question ce qui est proposé sans que cela ne remette en question les personnes et leur autorité légitime. C’est aussi cadrer méthodologiquement la manière dont il est possible de se confronter pour ne pas aboutir à un affrontement.

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La confrontation pour prévenir le conflit

On sait bien que les conflits en entreprise s’expliquent la plupart du temps par l’impossibilité de mener régulièrement des confrontations respectueuses des personnes. Quand la confrontation devient un élément du processus de travail, on a tout intérêt à la contractualiser.

Dans son ouvrage « les décisions absurdes et comment les éviter » Christian MOREL rapporte qu’une bonne partie des catastrophes aériennes mais aussi des erreurs médicales peut être évitées en laissant exister la confrontation entre les différents niveaux hiérarchiques.

Si le personnel soignant est autorisé, sans se mettre en danger, à apporter un regard différent voire alertant sur les protocoles d’intervention, beaucoup d’erreurs peuvent être évitées.

Ce qui limite le risque d’erreur catastrophique c’est justement que puissent se confronter des points de vue différents sur une situation.  Il est donc nécessaire comme le dit Yves CLOT [10] d’instituer la confrontation. Permettre qu’existe des controverses à propos du travail. Mais ces controverses pour être efficientes doivent être organisées de façon à éviter d’atteindre le point de rupture de l’échange quand, faute de structure, c’est l’émotion qui prend le pas dans la relation comme le propose la loi de Godwin [11]

Pour éviter d’atteindre le point de rupture ou faute de partage de la méthode de penser, la confrontation se transforme en affrontement, où l’émotion et le jugement prend le pas sur la réflexion constructive, il est donc nécessaire que ces controverses soient organisées structurées par des outils. Nous verrons dans la deuxième partie de cet article des exemples d’outils et leurs fonctions.

Mettre en place des processus d’accompagnement et développer les compétences d’accompagnement des dépositaires de l’autorité : managers tuteurs mentors etc…

Un système apprenant ne fonctionne pas à partir de l’expertise technique d’un chef « le plus sachant », mais sur l’expertise des dépositaires de l’autorité à faire émerger l’intelligence des acteurs. Il est nécessaire pour cela qu’ils soient formés à l’accompagnement.

Installer un réseau apprenant numérique ergonomique et évolutif. Ce n’est plus la quantité d’information et de connaissance qu’a intériorisé une personne qui fait sa valeur intellectuelle. C’est sa capacité à aller chercher l’information ou la connaissance. Par la quantité d’information qu’ils mettent aisément à la disposition des personnes, les réseaux numériques constituent une forme d’ «intelligence augmentée» au service de la réflexion de chacun. Plus il est puissant et bien organisé plus il augmente les potentialités d’intelligence des personnes.

 

Mais ce changement n’est possible sur un long terme que si on met en place des outils de l’apprenance. Les démarches s’essoufflent parfois rapidement quand on fait le choix de changer l’organisation sans équiper les équipes et les individus des outils partagés pour penser leur travail, individuellement et collectivement.

 Lire la deuxième partie de cet article le mois prochain.


Pour aller plus loin : 

[1] « La confiance est un économiseur d’institution » disait Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, lors du colloque « La Justice du XXIe siècle », ouvert le 10 janvier 2014 à l’UNESCO

[2] je citerais pour illustrer cette question, l’histoire vraie de ces deux entreprises de la métallurgie et qui ont réagit différemment à la crise de 2008.  La première, filiale d’un grand groupe français a incité au départ les salariés pour maintenir la rémunération des actionnaires face à la baisse de l’activité. Les salariés les plus enclins à partir étaient bien sûr les plus compétents, sachant qu’ils étaient plus facilement employables. A quelque kilomètres de là une PME pour faire face à la baisse d’activité a utilisé le chômage partiel pour tous et mis l’ensemble des salariés dans une démarche intuitivement apprenante en les amenant à re-questionner leurs pratiques, reprendre l’organisation du travail, refaire les fiches documentaires obsolètes, se former les uns les autres, s’inspirer en allant voir ailleurs ce qui se faisait etc..  Il n’est pas besoin d’être un grand expert de l’entreprise pour deviner celle des deux entreprises qui est repartie en flèche à la fin de la crise et celle qui a du réinvestir lourdement pour  pouvoir repartir.

[3] Source : DREES « Les dépenses de santé en 2017 »

[4] [Enquête] Soigner la relation avec les patients pour mieux les guérir : le modèle Buurtzorg 

[5] L’entreprise responsabilisante : qu’est-ce que c’est ? (Vidéo) ; Le management par l’empowerment ou comment (re)trouver de la performance dans son organisation [Les Echos]

[6] Les erreurs médicales / Le système de retraite à points 

[7] id;

[8] Marc-Arthur Gauthey Magazine.   January 11, 2016

[9] Revue Gestion HEC Montréal : « Former dans l’action pour une organisation performante »  

[10] Yves clot « Le travail a cœur : pour en finir avec les risques psychosociaux »ed : la découverte 2010

[11] La loi de Godwin est une règle empirique énoncée en 1990 par Mike Godwin, d’abord relative au réseau Usenet, puis étendue à l’Internet : « Plus une discussion en ligne dure, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de un. »source Wikipédia.

Sources complémentaires : 

 


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Nous remercions vivement Article rédigé par Denis BISMUTH, membre l’EMCC France  et animateur de la commission recherche de l’European Mentoring and Coaching Council (fédération de coach). Il est Dirigeant du cabinet de coaching Métavision) et auteur de plusieurs ouvrages.,  pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com


Biographie de l’auteur : 

Denis BISMUTH est membre et  Animateur de la commission recherche de l’European Mentoring and Coaching Council  EMCC France (fédération de coach).
Dirigeant du cabinet de coaching Métavision depuis 2000, il accompagne des grands groupes industriels comme des PME et des entreprises du secteur social qui font le choix de faire évoluer leurs pratiques managériales dans  le sens d’une responsabilisation des acteurs. Il a développé une modalité de professionnalisation par la supervision :
les groupes de coprofessionnalisation© qui lui permettent de superviser le management intermédiaire, les coaches et les dirigeants.
Spécialisé dans l’Audit d’entreprise et de centres  de formation innovants il les accompagne dans leur transformation vers une organisation apprenante.
Il est également auteur de nombreux articles publiés dans l’excellente revue HBS (Harvard Business Review)

 


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Denis BISMUTH

Directeur de l’innovation pédagogique chez Isokan Formation

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