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« Oui, mais il est brillant… » En quoi la crise du Covid-19 va t-elle impacter les modes de management pour notre société ? Marc FRACHETTE nous éclaire

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N°3, Avril 2020


 

Nouvel article publié par notre expert,   Marc FRACHETTE,   Docteur en Sciences de Gestion, Intervenant-chercheur, Dirigeant de Cap O2, société de conseil

 

Généralement c’est une phrase que l’on entend quand un décideur est incompris ou a commis une erreur : « Oui, mais il est brillant… », ce à quoi j’ai souvent envie de répondre que c’est la moindre des choses…

 

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Une crise sanitaire mondiale sans précédent 

Notre planète et notre pays traversent une crise inédite tant dans son type et son ampleur – une épidémie mondiale –  que dans son contexte – le début du XXIème siècle hyperconnecté ; nous le savons, j’enfonce une porte ouverte !

L’observation et la mise en perspective des événements indiquent que les dirigeants assurent et coordonnent la mise en œuvre des premières mesures sanitaires, économiques et sociales, avec un sens de leurs responsabilités envers leurs peuples, et ce, globalement quel que soit le régime politique; les situations extrêmes nous ramènent à l’essentiel…

Les stratégies mises en place peuvent à la fois varier d’un pays à l’autre, tout en suivant les recommandations édictées par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) : les systèmes sanitaires, les moyens des Etats, les cultures des populations amènent à des mesures locales qui finissent par converger vers une coopération et un confinement indispensables; nous sommes définitivement une petite planète unie dans un même destin !

La fin de la Seconde guerre mondiale a vu le monde s’affronter en deux blocs et la construction d’une Europe qui nous a permis de rester en paix pendant des décennies et de vivre des expériences communes, Erasmus en étant une illustration concrète pour les jeunes étudiants.  Cette même Europe est progressivement diminuée par son embourbement bureaucratique et tente de résister à l’implosion et aux tentations populistes ; et finalement, elle est menacée par un tout autre ennemi, un virus qui ne connait pas les frontières…

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Mais quel rapport avec le titre : « Oui, mais il est brillant …» ?!

Le rapport est que nous changeons d’époque et que les Dirigeants formés dans les plus prestigieuses écoles au XXème siècle ont de plus en plus de difficulté à faire adhérer les peuples aux solutions souvent rationnelles qu’il proposent. Cela se traduit par une incompréhension croissante entre le vécu des populations, en bas, et les injonctions qui leur sont administrées d’en haut ; et pour excuser le décideur qui a la lourde tâche de trancher et peut se tromper, l’on répond admiratif de son agilité intellectuelle: « Oui, mais il est brillant… » !

Nous touchons là au cœur de notre fonctionnement : des élites techniquement parfaitement formées à déployer des solutions, et des populations de plus en plus informées qui veulent comprendre ce qu’on leur impose ; et même plus si affinité : participer à la réflexion et à la construction des projets…

Ce logiciel,  paramétré pour raisonner « Top-Down » reste la norme ; et ces réflexes se crispent encore plus quand les situations deviennent complexes et les citoyens – ou les collaborateurs – pressants.

Bien sûr de nombreux travaux ont essayé de bousculer cette pensée en proposant de développer un fonctionnement plus participatif de type « Bottum-Up » [Mac Grégor, théories X et Y , 1960 (1)] ; mais force est de constater que rien n’a vraiment changé, si ce n’est l’adjonction d’une psychologisation infantilisante, vive l’happycratie !

En fait nos systèmes restent infectés par un autre virus apparu au début du XXème siècle : le virus TWF [Taylorisme-Weberisme-Fayolisme, (2, 3, 4)], décrit par Henri Savall et Véronique Zardet en 2006 (5,6). Ces approches fondatrices du début de l’ère industrielle continuent de gérer tous nos modèles : division du travail, dichotomie entre conception, décision et réalisation des activités, dépersonnalisation du travail, des organigrammes, des processus, des méthodes et des règles ; bref le modèle technocratique dans toute sa splendeur…

Dans un monde qui va de plus en plus vite, on pourrait croire qu’il faut agir avec des scenarii parfaitement rodés, à déclencher de manière automatique; c’est certainement très utile pour affronter des situations d’urgence, le modèle aéronautique en est un bel exemple. Mais dans la majorité des activités humaines, les solutions techniques sont systématiquement impactées par le facteur humain ; et l’on s’aperçoit alors que c’est le nombre d’interactions entre les acteurs, entre le bas et le haut, le haut et le bas, qui font la qualité des consensus, leur adaptation à la stratégie, et permettent la construction et l’acceptation d’actions efficaces !

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La crise que nous traversons doit impérativement permettre de nettoyer ces logiciels.

Pour cela il y a plusieurs chemins : prôner la mise-à-pied des élites, promettre des procès vengeurs; certes il faudra identifier les responsabilités, mais cette option ne nous fera pas passer à un mode de fonctionnement en société adapté à notre époque. Ou alors, enfin, adopter une culture plus systémique, moins techno-centrée, partant de diagnostics approfondis des problématiques, sans aller rapidement à des solutions pré-établies avec facilité par des officines dont c’est la rente.

Les allers-retours entre l’écoute structurée du terrain, le temps incontournable de restitutions ordonnées, la conception de décisions partagées, puis leur mise en œuvre à tous les échelons de responsabilité et d’action, doivent devenir une nouvelle ingénierie des coopérations, avec des délégations efficientes, qu’il convient d’orchestrer à un rythme à la fois soutenu et adapté.

Cette manière de procéder sera le principal moyen de légitimer les décisions et leurs ajustements, mais cela appelle de nouvelles compétences et de nouveaux comportements ; il n’y a pas de secret, on ne peut pas faire l’économie du labeur quotidien , dans la durée, sur le terrain : étoiles filantes du carriérisme s’abstenir…

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Qu’en est-il pour le secteur sanitaire en pleine crise pandémique au-delà de la pandémie ?

Les professions de santé ont depuis bien longtemps mis en place des itérations entre formation et compagnonage des futurs soignants, recherche fondamentale et clinique, colloque singulier avec les malades et organisation des soins, impératifs de santé publique. Leur formation clinique leur enseigne la nécessité d’approches inclusives (7) et leur ont fait rejeter des solutions gestionnaires, techniques,  univoques, comptables, peu agiles face aux complexités sanitaires, sociales, économiques et politiques du système.

Les soignants manquent de codes managériaux modernes ; ils ne leur sont pas enseignés et sont peu développés au sein du système. Il convient d’ouvrir un grand chantier entre soignants, administratifs et politiques pour fonder collectivement une épistémologie managériale propre au système de santé, plutôt que de plaquer des solutions adaptées d’autres écosystèmes et qui assez souvent échouent à engager tout le monde.

Notre Président semble avoir bien perçu la nécessité de ces changements ; après un temps d’adaptation au moment de la crise des gilets jaunes et des grands débats qui ont suivi, il apparaît plus connecté aux réalités et à la prise en charge des situations complexes de notre époque … que nombre de ses prédécesseurs et surtout de leurs conseillers !

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La présente crise sanitaire met à mal des années, des décennies de décisions parfois désarticulées, guidées de plus en plus souvent au fil des crises financières par des calculs budgétaires immédiats ; on ne saurait complètement les en blâmer, même si c’est leur responsabilité. L’exemple des stocks de masques est emblématique : on parle de quelques dizaines de millions d’euros versus plusieurs dizaines de milliards au moins que le gouvernement actuel va injecter pour soutenir le pays, sans parler des conséquences sanitaires auxquelles les autorités, les professionnels de santé et toute la population doivent faire face ; la balance médico-économique semble pourtant évidente…

Il va falloir désormais intégrer d’autres données dans le PIB des pays et les bilans comptables des entreprises, afin d’inventer un contrôle de gestion beaucoup plus réel, en y associant les conséquences qualitatives, quantitatives et financières des décisions. Une approche, notamment, existe, robuste et qui fonctionne en routine : la théorie socio-économique et son ingénierie associée des coûts-performances cachés, qu’il conviendrait de mobiliser plus largement [Savall & Zardet, 2003, (8)]…

« Mis à part les actualités internationales depuis le début de l’année et l’inquiétude de savoir des proches à l’étranger, j’ai vu concrètement cette crise début février avec les premières affichettes sur les portes de médecins généralistes indiquant d’appeler le 15 ; et c’est seulement mi-mars que j’ai pleinement réalisé que le fait d’appuyer sur un bouton d’ascenseur ou un terminal de carte bancaire pouvait transmettre immédiatement le virus, tout en essayant d’adopter entre-temps les bons gestes recommandés par une communication difficile à suivre. »

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Le pouvoir, à juste titre, s’indigne du manque de sérieux de la population. Que s’est il passé ? N’avons nous pas compris ? Avons nous désobéi ? Les consignes ont-elles été claires ? Il nous faudra, la aussi, en tirer les enseignements; mais pour l’instant ce n’est pas l’heure, nous devons rester chez nous, limiter nos interactions sociales pourtant si précieuses, et soutenir ceux qui nous permettent de vivre : soignants, chauffeurs, caissières, acteurs engagés derrière toute une chaîne sanitaire, alimentaire, administrative.

En attendant, conformons nous aux décisions politiques de confinement de confinement des autorités !

 

Et soyons rassurés : à chaque situation d’urgence, les professionnels de santé, leur administration et tous les services associés savent faire corps au service de la population ; c’est dans leurs gênes. La Nation devra s’en souvenir et reconnaître justement et financièrement leurs mérites.

Au final nous n’avons pas besoin de gens qui brillent ; nous avons désormais besoin de personnes qui concertent largement et agissent courageusement, d’une approche plus globale et complète, plus scientifique et rigoureuse, moins technocratique et aride, bref plus humaine et clinique (9) de nos fonctionnements, de notre management et de sa gouvernance ; à tous les niveaux de la société. Cette crise doit nous amener à refonder notre pacte, national, international et social et permettre à nos enfants d’entrer enfin dans un XXIème siècle mouvementé et passionnant.   

     #Restezchezvous    


Pour aller plus loin : 

(1) Mac Gregor D. (1960), The Human Side of Enterprise, Marc GrawHill, 1960 traduit en français en 1969 sous le titre : La dimension humaine de l’entreprise.

(2) Robbins S. et al (2014), « Que doit-on à Frederick Taylor ? » dans : Management. L’essentiel des concepts et pratiques, 9e édition, Pearson, 2014, p. 2-5.

(3) Weber M., (1922), Economie et société, Paris, Plon, 1995

(4) Meier 0 (2009), « H. Fayol, les principes de « saine » administration de l’entreprise » dans   Sandra Charreire Petit, Isabelle Huault, Les grands auteurs en management, Éditions EMS, 2009, p. 43-56.

(5) Savall H. (1975), Enrichir le travail humain : l’évaluation économique, Université Paris-Dauphine 1974, Dunod, 1975

(6) SAVALL H., ZARDET V. (2006) Émergences des micro-théories psychosociologiques cachées dans la théorie socio-économique des organisations, Actes du Congrès IPM, 2006

(7) Frachette M. (2019), Entre déterminisme et expérimentation médicale : quelle proximité avec les Sciences de Gestion ?, ManagerSante.com, aout 2018 dans la théorie socio-économique des organisationsActes du Congrès IPM, 2006

(8) Savall H., Zardet V. (2003), Maîtriser les coûts-performances cachés, Economica, 2003

(9) Frachette M. (2018)   De l’administration standardisée vers le « Management clinique »….Et si c’était possible à l’Hôpital ?, ManagerSante.com, février 2018

 

Marc FRACHETTE

Nous remercions vivement  Marc FRACHETTEDocteur en Sciences de Gestion, Intervenant-chercheur, Dirigeant Cap O2, société de conseil, en proposant le partage de ses articles, pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com


Biographie de l’auteur :
Docteur en Sciences de Gestion (PhD), spécialisé dans la performance socio-économique des entreprises et en management sanitaire et pharmaceutique. Consultant sénior en ingénierie des organisations, il accompagne des institutions de santé : CEO SAS Cap O2. Intervenant-chercheur associé à l’ISEOR, chargé d’Enseignement à l’IAE de Lyon en Master 2 santé (CTERSAMS), ainsi qu’à IFCS-TL ; il anime des séminaires de management au sein de facultés de médecine-pharmacie et auprès de décideurs hospitaliers.


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Parce que les soignants ont plus que jamais besoin de soutien face à la pandémie de COVID-19, l’association SPS (Soins aux Professionnels en Santé), reconnue d’intérêt général, propose son dispositif d’aide et d’accompagnement psychologique 24h/24-7j/7 avec 100 psychologues de la plateforme Pros-Consulte.

[TÉLÉCHARGEZ LE COMMUNIQUE DE PRESSE]

 

Flyer officiel SPS, ManagerSante, 23 03 2020

ManagerSante.com soutient l’opération COVID-19

initié par l’Association Soins aux Professionnels de Santé 

en tant que partenaire média digital


[OUVRAGE DISPONIBLE]

 

Partenariat LEH & MS

 

Plusieurs experts de MANAGERSANTE.COM 

publient chez notre partenaire,

les éditions du Groupe LEH

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Les Editions Hospitalières propose une publication disponible depuis le 15 Février 2020, rédigée par plusieurs auteurs consacré à la  « Qualité et sécurité en établissement de santé », un ouvrage de référence concret d’expériences d’acteurs de santé confrontés au jour le jour à des organisations managériales partiellement sécurisées.

 


 

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Marc FRACHETTE (PhD)

Manager pendant 20 ans dans l’industrie pharmaceutique, Marc FRACHETTE (PhD) exerce, depuis une dizaine d’années, en qualité de consultant sénior spécialisé dans la performance socio-économique des institutions sanitaires et sociales ; il accompagne les organisations et les équipes, notamment hospitalières dans la conduite de leurs projets de transformation. Chercheur associé à l'Institut de socio-économie des entreprises et des organisations (ISEOR), il est enseignant à l’Institut d'Administration des Entreprises (IAE) de Lyon sur le programme de Master 2 "Conduite du Changement dans les Territoires,Etablissements et Réseaux Sanitaires et Médico-sociaux" (CTERSAMS). Il est auteur de publications et d'articles dans son champ d'expertise. Marc FRACHETTE anime régulièrement des séminaires en management auprès de décideurs hospitaliers, auprès d étudiants en facultés de médecine-pharmacie et auprès des Cadres Hospitaliers en Institut de Formation des Cadres de Santé (IFCS-TL).

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