Article publié par notre experte Muriel ROSSET, Présidente de “Connexions Familiales”, pour la psychoéducation de proches de malades borderline. Elle est également coach, référente Qualité de Vie au Travail et Qualité de Vie Globale d’un projet national de bonnes pratiques sur le télétravail, et accompagne des professionnels et des jeunes en bilan de compétences et d’orientation. Muriel a fondé M-Gravity et est experte sur la plateforme digitale de E-Santé Beesens.
Elle vient de publier en Octobre 2019 un nouvel ouvrage intitulé « Dix ans en psychiatrie, une spirale infernale », aux Editions La Boîte à Pandore
N° 18, Février 2020
Cette année, les 6° journées francophones des aides-soignants portaient sur le thème de la famille dans le prendre soin
L’aide soignant et les relations complexes
avec les familles“Comment comprendre et se faire comprendre afin d’instaurer voire de restaurer la communication pour le bien de tous”
Lors de mon intervention au congrès annuel des aides-soignant(e)s, j’ai pu remercier 600 aides-soignants venu(e)s de France, Belgique, Suisse et Luxembourg pour leur beau métier, en leur détaillant
– les deux liens qu’elles/ils vivent et qui sont au fondement de la vie,
– les quatre raisons qui rendent leur métier sacré, que je vous partage à nouveau en deuxième partie de cet article, grâce au blog Management en Milieu de Santé qui était partenaire de l’événement.
Auparavant, pour répondre à la question qui m’était posée sur la place des familles dans le prendre soin, j’ai incarné mon propos par mon récit témoignage écrit à deux voix avec ma fille Hélène (Dix ans en psychiatrie, une spirale infernale), sur la traversée familiale de sa maladie psychique : comment survivre quand on est au 36° dessous, comment resté ancré dans la vie qui continue d’aller de l’avant. En m’écoutant, beaucoup de participant(e)s sont ensuite venu(e)s me demander une dédicace et surtout, me partager leurs histoires personnelles et professionnelles, difficiles ou douloureuses.
Depuis l’écriture de ce récit il y a dix ans, j’ai pu bénéficier du programme Connexions Familiales, programme international issu de 15 ans d’expérience dans plus de vingt pays du monde entier, pour la psychoéducation des proches et professionnels de troubles borderline, dits troubles TPL de la Personnalité Limite, ou encore Trouble de la Personnalité émotionnellement labile. J’ai ainsi eu la chance de me former comme formatrice avec d’autres pairs aidants et des psychiatres, pour que nous co-animions ensemble des modules pour les familles et des soignants. Nous avons fondé l’association francophone Connexions Familiales, association de pairs aidants et de psychiatres dont je suis la présidente. Nous en sommes à notre 5° session, et je reçois chaque semaine des appels de proches et soignants pour les orienter et informer sur la maladie borderline.
Les personnes borderline représentent la moitié des hospitalisations de jeunes en psychiatrie,
et plus que la somme de personnes bipolaires et schizophrènes réunies.
Selon le docteur John Gunderson, considéré comme « père » et précurseur dans la reconnaissance de ce trouble, la dysfonction interpersonnelle offre la meilleure distinction pour ce diagnostic. Cela s’explique par le fait que les personnes borderline sont semblables à des patients brûlés au 3° degré. Elles n’ont pour ainsi dire aucune protection, aucune peau émotionnelle. Même un simple regard neutre peut engendrer une grande souffrance.
Mais revenons à ce que je vous ai annoncé : le beau métier d’aide-soignant
Vous avez un très beau métier parce que vous êtes en lien direct avec les deux choses essentielles qui font la vie et qui fondent notre humanité.
La première raison qui rend votre métier si beau, c’est que vous côtoyez une réalité profonde de toute personne et de toute vie. Cette réalité que notre époque voudrait évincer, c’est notre vulnérabilité.
Humains, car mortels et vulnérables
Nous sommes tous vulnérables, psychologiquement et physiquement vulnérable. Dès lors, une bonne façon de connaître quelqu’un en profondeur, c’est de le rencontrer en situation non pas de faiblesse mais de fragilité.
“Philosopher, c’est apprendre à mourir”
“Philosopher, c’est apprendre à mourir” disait Montaigne, vous philosophez tous les jours au sens noble car incarné du terme. J’ai d’ailleurs envie de vous proposer de le faire en vous posant une question très concrète et en vous adressant une invitation :
Avez-vous rédigé vos directives anticipées ?
Si vous ne l’avez pas fait, faites- le ! Pour mieux comprendre les malades que vous soignez et votre propre relation à la vie, c’est très intéressant de répondre aux questions posées par ces directives et de les partager avec vos proches. Un tel exercice n’est ni mortifère ni gravé dans le marbre, car vous avez le droit de les changer à tout moment. Tournées vers la valeur de la vie, ces directives nous ouvrent au sens et à l’importance que nous donnons à la vie.
Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, on veut repousser toujours plus loin la souffrance et la mort. Je ne dis pas qu’il faut laisser souffrir les gens, je dis que la souffrance existera toujours dans la vie, de même que la mort. Nous sommes tous mortels, nous souffrons tous un jour ou l’autre, c’est ça qui peut nous rendre plus proches et bienveillants les uns avec les autres, et nous aider à comprendre qu’une chose essentielle dans ces moments- là, la chose que nous aimerions pour nous sans doute, c’est d’avoir quelqu’un à nos côtés, quelqu’un capable de nous écouter, de nous parler, de nous tenir la main.
Dans la tradition chrétienne, -je dis cela sans aucun prosélytisme mais juste pour vous rappeler l’importance de ce que vous faites-, l’eucharistie reprise à chaque célébration de messe est fondée par le lavement de pieds. Jésus, qui savait qu’il allait mourir et voyait ses disciples pour la dernière fois, a lavé les pieds de ses disciples en leur demandant de le faire à leur tour pour tous ceux qu’ils rencontreraient.
En tant qu’aide soignants, vous lavez les personnes, vous les écoutez, vous les installez confortablement, vous les massez, vous les apaisez.
La deuxième raison qui fait que vous avez un beau métier c’est que vous êtes au cœur de ce qui fonde une société. En effet, et c’était le thème des 6° journées francophones pour les aides-soignants, la première cellule de base de toute société c’est la famille.
Toute famille est une histoire sacrée
J’ai bien conscience que ce n’est pas facile tous les jours, que parfois vous devez être énervés, exaspérés peut-être aussi, découragés par certaines familles, par leur absence ou leur présence trop forte. Mais réjouissez-vous d’une chose : vous avez l’occasion unique de comprendre l’évolution de notre société et de rencontrer des personnes en rencontrant leurs familles, en dialoguant avec elles, en « composant » avec elles, ne serait-ce qu’en les entendant au téléphone ou en visite parfois.
Vous pouvez le vivre à la fois comme acteur de soins et comme observateur sociologique, deux façons de donner du sens à la fois aux moments constructifs et aux moments plus difficiles et complexes.
Mais comme vous le savez, toute famille est complexe, car toute famille a ses rites, ses codes, son langage, ses manies, ses secrets, sa culture. Quand on se marie, on découvre une autre famille que la sienne, et on commence par l’écouter pour la découvrir, la comprendre, l’apprécier telle qu’elle est, différente, pleine de nouveautés et imparfaite à la fois, attirante par certains côtés, énervante voire exaspérante par d’autres côtés.
Je ne sais pas si vous vous tenez informés sur l’évolution de notre monde, en tout cas je peux vous assurez que vous le connaissez mieux que quiconque en ayant accès de façon simple et non théorique avec la fragilité des personnes et la particularité de leur famille.
Avoir l’occasion de rencontrer les familles, si cela vous est possible, ce n’est donc pas pour vous seulement une perte de temps et d’énergie, c’est une occasion de mieux comprendre ceux que vous soignez, de mieux les soigner donc, et aussi de mieux comprendre notre monde.
Toute famille est une histoire sacrée, le sacré étant par défini Rudolf Utto par quatre critères faciles à retenir : l’émerveillement, le sens, le sentiment d’appartenance et la gratitude. Pour Rudolf Otto, le sacré ce n’est pas uniquement le « religieux » mais un mélange, une alchimie particulière.
Quelque chose est sacré quand on se dit :
Waoah !
Waoah, ça alors! Devant un beau paysage, on se dit waoh, on reste sans voix. Devant des beaux moments familiaux on peut aussi se dire waoh, ça alors, je n’avais jamais vu ça, on peut se dire que c’est beau et s’émerveiller quand il s’agit de beaux moments, que je vous invite à cultiver.
« La sagesse commence par l’émerveillement », disait Socrate. Ce fut mon premier article publié sur le blog Management en Milieu de Santé. C’est en tout cas ce qui fonde mon travail d’accompagnement à M-Gravity.
La vie a un sens
Le 2° critère du sacré c’est le sens, le fait de se dire qu’on ne comprend pas forcément tout, qu’on ne sait pas forcément expliquer ce qu’on voit, entend ou fait, mais que ça doit bien avoir un sens profond. La souffrance fait partie de la vie, mais pas seulement… Il y a du beau dans la vie, du beau qu’il convient de chercher et de semer, car le beau nous fait du bien. (lire mon compte rendu du livre Quand la beauté nous sauve de Charles Pépin)
L’humanité, une vie en partage
Le 3° critère du sacré est le sentiment d’appartenance. J’ai l’occasion par mon métier de coach et mes activités bénévoles de côtoyer beaucoup de familles, et je vois bien que si chacune est unique à sa façon, chacune traverse ses difficultés, des choses belles ou moins belles qui peuvent nous rassurer sur ce que nous traversons nous aussi. Souvent, on peut comprendre ce qu’on vit dans sa propre famille en côtoyant les histoires et misères d’autres familles. Je crois que l’hôpital est un lieu de révélation éclatant de la réalité de la vie, avant d’être un lieu de maladie. De même, l’Epahd n’est pas qu’un lieu de vieillesse et de mort mais aussi un lieu de sagesse de nos aînés et de rencontre de leur histoire.
Merci pour la vie, belle et difficile à la fois
Le dernier critère du sacré est le sentiment de gratitude, l’envie de dire merci à quelqu’un. Je sais que votre métier, comme tous les métiers de soin, traverse des questions de plus en plus complexes. Ce que j’ai souhaité, au terme de mon témoignage et des deux journées de ce congrès des aides-soignants, c’est que vous ayez encore envie de dire merci pour votre métier, et merci pour tous ceux que vous accompagnez au quotidien et dont vous transformez la vie sans toujours en avoir conscience.
Pour ma part je vous dis merci de ce que vous faites dans votre métier.
Pour aller plus loin :
Pour poursuivre sur le trouble borderline, mes autres articles autour de la famille et du prendre soin
- “10 ans en Psychiatrie, une spirale infernale” : une histoire poignante à 2 voix, mère et fille, par Muriel ROSSET
- “Comment prendre en charge “le Trouble de la Personnalité Limite” (TPL) des malades borderline ? Muriel ROSSET nous explique” (Juillet 2019)
- Expérience patient, quelle transformation pour quelle nouveauté ?
- L’expérience patient,
- Le e-patient au volant de sa e-santé” et “faire confiance au patient”
- Tomber les murs : l’hôpital de demain pour réussir le projet de loi “ma santé 2022”
N’hésitez-pas à laisser vos commentaires… Muriel ROSSET, vous répondra avec plaisir !!!
Nous remercions vivement Muriel ROSSET, coach en bilan de compétences, qualité de vie au travail, qualité de vie globale et expérience patient.
Biographie de Muriel ROSSET :
Muriel est également enseignante et formatrice en philosophie et management , innovation managériale et méthodes collaboratives (Université Paris-Descartes, EPF école d’ingénieur, Haute Ecole Ferrer de Bruxelles), auteur & consultante.
Muriel accompagne les professionnels et e-patients que nous sommes tous à devenir des acteurs partenaires de notre santé physique, psychologique et sociale.
Elle est présidente de l’association Connexions familiales, section francophone de la NEABPD, pour la psychoéducation des familles de personnes TPL bordeline
Elle partage son expérience professionnelle pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
[NOUVEL OUVRAGE]
PUBLIE en 2019 PAR Muriel ROSSET
Vous pouvez nous soutenir, ainsi que tous les malades et familles concernées, en partageant cet article et commandant le livre. Je serai heureuse de recueillir vos commentaires, avis et idées. Merci à tous de votre soutien, partage de cet article et de mon livre.
[A NE PAS MANQUER]
Intervention de Muriel ROSSET
Aujourd’hui, nous les femmes, avons de plus en plus accès à des postes de direction et nous avons de fortes ambitions que nous assumons pleinement !
Malgré cela de nombreuses femmes s’interrogent sur leurs capacités à gérer une équipe ou être performante financièrement.
Des success story seront pourtant là dans notre soirée, pour nous rappeler qu’il est possible d’être maman et cheffe d’entreprise, directrice d’hôpital et manager des milliers de personnels, directrice générale dans l’industrie, Professeur de Médecine et Chef de service à l’hôpital, coach internationale, fondatrice de start-up innovante …
Alors, quelle est la spécificité du management féminin ? Comment mettre en exergue la singularité de chacune ? Comment dépasser les obstacles aussi bien personnels que sociétaux ? Comment ces femmes œuvrent-elles chaque jour pour améliorer notre bien-être ? Quels conseils pour notre bonne santé (prévention, nutrition, exercices physiques …) et pour accompagner d’autres femmes à prendre soin d’elles-mêmes, les aider à sortir de la spirale du stress et de l’isolement ?
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