Article publié par notre expert en Neurosciences pour managersante.com, le Docteur Bernard ANSELEM, auteur de plusieurs ouvrages dont, « Je rumine, tu rumines, nous ruminons » (aux Editions Eyrolles, 2017) et « Ces émotions qui nous dirigent » (aux éditions Alpen éditions, 2017)
N°5, Mars 2018
« Entre les événements et notre comportement, existe un espace. Cet espace est notre pouvoir de choisir. C’est là que se situe notre liberté ». Viktor Frankl
Frankl était un psychiatre Autrichien, qui possédait une certaine expertise en termes de liberté et de choix, puisqu’il avait survécu à l’horreur des camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale. Il avait alors remarqué que les plus résistants n’étaient pas les plus costauds, ni les plus dominateurs, mais au contraire, ceux qui paraissaient les plus faibles. « Face à l’absurde, les plus fragiles avaient développé une vie intérieure qui leur laissait une place pour garder l’espoir et questionner le sens ». Ceux qui avaient pu trouver un sens devenaient plus forts.
Quelle est donc cette mystérieuse capacité capable de changer un destin, face à une situation imposée ?
Les neurosciences nous permettent de lever une petite partie du voile : Tout au long de la vie les capacités évoluent, se transforment, certaines se développent, d’autres diminuent. L’explication ne vient pas du nombre de neurones, mais de leur capacité à se connecter entre eux.
Notre cerveau se modifie en fonction de nos activités et de nos pensées, cette faculté est connue sous le nom de « plasticité cérébrale ».
Les neurones communiquent entre eux par signaux électriques. Les points de contact (les synapses) permettent la diffusion des informations. Une image, un son, une pensée vont déclencher des réactions électriques et chimiques à l’origine de la circulation des informations.
Ce qui est important à comprendre, c’est qu’à chaque connexion entre 2 neurones, la capacité de communication se renforce. Autrement dit, plus vous utilisez vos neurones, mieux ils fonctionnent.
La connexion s’établit plus vite et plus fort à chaque usage. Les expériences vécues modifient en permanence la structure intime du cerveau avec création de nouvelles connexions entre les neurones. L’organisation charnelle du cerveau, la formation des réseaux de neurones sont le reflet intime de notre vécu.
Cette notion formulée par D. Hebb en 1949, s’est vue confirmée au niveau biologique microscopique par E. Kandel, sur des escargots de mer (ce qui lui a valu un prix Nobel). De nombreuses études notamment chez le rat, ont retrouvé cet effet, au niveau des facultés de mémorisation.
Chez l’humain, un ensemble d’études portant sur la morphologie du cerveau (mesures de microvariations du cortex) avant et après 8 semaines d’exercices de mindfulness (pleine conscience) a montré un renforcement de plusieurs zones liées à la régulation des émotions et à la perception de soi, par rapport à un groupe témoin[ii].
Cette information, d’apparence banale, est révolutionnaire pour nos capacités mentales. Nous possédons du pouvoir sur notre cerveau !
En un temps aussi court que 8 semaines, un choix délibéré peut modifier nos capacités cérébrales qui, à leur tour, vont modifier nos comportements : vertigineuse mise en abîmes de nos potentiels !
Les pensées vont ainsi remodeler les réseaux cérébraux.
Nous possédons du pouvoir sur notre cerveau !
Il a été montré que ces qualités persistent tout au long de la vie, des personnes âgées ont pu apprendre à jongler (une activité nécessitant rapidité, précision et concentration, des qualités que l’on n’imagine pas forcément associées à l’âge), encore mieux, leurs performances étaient comparables aux tranches d’âge 30-60 ans ou à celles des adolescents[i]
Plus généralement, les performances sont directement liées à 2 facteurs : la motivation (d’où l’importance de trouver du sens à nos actions) et la répétition (d’où l’importance de la persévérance).
Bien sûr, ces capacités ne sont pas sans limites, il existe une part de compétences innées intangibles, mais cette composante est beaucoup moins influente qu’on ne l’imagine.
Démonstration à partir de 4 applications pratiques :
Nous pouvons modifier nos performances en agissant sur notre cerveau. Il existe tout un pan de la psychologie qui étudie la possibilité d’améliorer nos comportements à partir de changements de perceptions et d’exercices, la psychologie positive.
Par des méthodes scientifiques, apparentées aux travaux médicaux ou pharmaceutiques, elle vise à repérer les actions efficaces dans la durée.
Par des choix délibérés, il a été montré que nous pouvons améliorer durablement nos émotions, notre estime de soi, notre résistance au stress, notre créativité, notre motivation (à travers la recherche de sens) et même notre santé physique et mentale.
1) Nos pensées sont contagieuses pour nous-même.
Une pensée en entraîne une autre du même registre. Si nous renouvelons une idée, les connexions se font mieux et les pensées se reproduisent. Cette capacité peut s’utiliser, par exemple, pour modifier des pensées ou actions indésirables (doutes, craintes, regrets).
Pour cela, nous allons apprendre à orienter notre attention sur les événements positifs, ou vers le présent (pleine conscience), ou vers la distraction par une activité et surtout vers le développement de relations de qualité à travers l’empathie, l’écoute de l’autre ou l’affirmation de soi dans un mode respectueux. L’entraînement développe les capacités à s’éloigner des comportements néfastes.
Attention cette faculté plastique peut également nuire à notre bien-être. Si nous multiplions les pensées d’hostilité, de crainte, de regrets, de reproches, ressentiments ou autocritiques, nous cultivons alors la colère, la peur, la tristesse, la rancœur ou la culpabilité. À chacun de choisir ce qu’il préfère développer !
2) Nos pensées sont contagieuses pour les autres.
Les paroles, le ton de notre voix, les attitudes plus ou moins conscientes sont perçus par les autres, à leur insu. Ces informations répétitives, plus ou moins agréables, que nous adressons aux autres, vont favoriser chez eux la création de circuits neuronaux, en réaction. Ces modifications inconscientes vont conditionner leur humeur, leurs émotions et leurs réponses.
Si nous multiplions les signaux positifs, nous développons chez l’autre des connexions similaires.
3) Une pensée n’est qu’une pensée.
Elle est modifiable, consciemment ainsi que dans sa traduction neuronale, à condition de prendre conscience du présent : s’observer penser « je ne supporte pas cette situation » est différent de le penser au premier degré. Cette prise de distance ou « défusion » permet d’orienter volontairement ses pensées et comportements, elle constitue une condition indispensable à l’agilité mentale et à l’intelligence émotionnelle. Notre personnalité profonde vaut mieux que nos préoccupations et craintes du moment.
4) Pour une action durable, outre la confiance dans nos capacités à changer, la motivation et la perception d’un sens à nos actions sont des moteurs indispensables (iii).
Il existe autant de solutions que d’individus, celles qui reviennent le plus souvent sont les notions de progression, de compétence, d’accomplissement d’une œuvre, d’appartenance à une communauté (famille, équipe, entreprise, nation, etc.), de conquête d’autonomie, d’engagement pour les autres, pour une cause, ou de dépassement spirituel.
Connaitre les possibilités d’évolution de notre cerveau à tout âge, permet de modifier les pensées néfastes et d’établir des objectifs motivants, à condition d’accepter un minimum d’effort d’apprentissage nécessaire pour consolider les bonnes intentions de départ.
« Celui qui aime la gloire met son propre bonheur dans les émotions d’un autre. Celui qui aime le plaisir met son bonheur dans ses propres penchants. Mais l’homme intelligent le place dans sa propre conduite« . Marc Aurèle
Pour aller plus loin :
[i] Hölzel, B. K., Carmody, J., Vangel, M., Congleton, C., Yerramsetti, S. M., Gard, T., & Lazar, S. W. (2011). Mindfulness practice leads to increases in regional brain gray matter density. Psychiatry Research, 191(1), 36–43.n.
[ii] C. Voelcker-Rehage K. Willimczik 2006. Motor plasticity in a juggling task in older adults. A developmental study. Age Ageing (2006) 35 (4): 422-427.
[iii] Seligman, M.E.P., Steen, T.A., Park, N., Peterson, C. (2005) Positive psychology progress. American Psychologist, 60.(5) 410-21
Nous remercions vivement Docteur Bernard ANSELEM, Médecin spécialiste en imagerie médicale, master de recherche en Neuropsychologie (Toulouse, Lyon, Grenoble), titulaire d’un Certificat de « science of happiness » (Berkeley) et Formateur professionnel pour médecins ou entreprise. Il est également Auteur de plusieurs ouvrages dont, « Je rumine, tu rumines, nous ruminons » (Editions Eyrolles, 2017) et « Ces émotions qui nous dirigent » (Alpen éditions) conférencier.
Membre du comité d’éthique de l’université de Savoie,
Il propose de partager son expérience professionnelle en Neuropsychologie pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie de l’Auteur :
Médecin spécialiste en imagerie médicale, master de recherche en neuropsychologie (Toulouse, Lyon, Grenoble), certificat de « science of happiness » (Berkeley) et formateur professionnel pour médecins ou entreprise. Auteur conférencier.
Membre du comité d’éthique de l’université de Savoie.
Thèmes de travail : émotions, motivation, anxiété, prise de décision et efficacité, IRM fonctionnelle. Il souhaite créer des ponts entre les avancées récentes des recherches sur le cerveau ou le bien-être, et les applications pratiques au quotidien, à l’intention des personnes ne disposant pas de temps pour aborder les ouvrages théoriques ou académiques.
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