N°1, OCTOBRE 2017
On m’interroge souvent sur les notions d’empathie et d’altruisme, notions proches certes, mais néanmoins distinctes du point de vue des circuits cérébraux impliqués. Poser la question de savoir s’il faut être empathique pour exercer dans les métiers de la santé peut paraître incongru, voire déplacé, tant cette disposition d’esprit paraît intrinsèquement liée à votre mission de soignant.
N’y voyez là pourtant aucune provocation de ma part. La question se pose à mon sens pour les deux raisons suivantes :
- L’empathie permet-elle d’être plus efficace dans le soin à l’autre ?
- L’empathie est-elle tenable dans le temps pour le soignant, sans le placer devant un risque accru de syndrome d’épuisement professionnel ?
Pour avoir longuement travaillé pour la Croix-Rouge dans les pays de guerre, cette question de l’empathie m’a souvent questionné.
Nous avions des réticences à recruter des profils trop affectifs car nous savions par expérience que ceux-ci étaient potentiellement sujets à risque sur le plan émotionnel lorsqu’ils seraient confrontés en direct aux atrocités de la guerre.
Ce n’est qu’ensuite, en travaillant sur les ressorts neuronaux de l’empathie, que certains aspects se sont clarifiés dans mon esprit, en particulier sur le fait qu’il n’existe pas une empathie mais bien plusieurs.
L’empathie est « la faculté intuitive à se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent ».
Il faut en réalité distinguer deux formes d’empathie qui emploient des circuits cérébraux spécifiques :
- L’empathie cognitive : système conscient permettant de comprendre les émotions d’autrui en prenant en compte ses particularités (caractère, contexte culturel, social, etc.). On parle de « compréhension empathique ». Notons que l’empathie cognitive, qui comprend mais ne subit pas les émotions de l’autre, peut être utilisée à bon ou à mauvais escient, notamment pour manipuler son interlocuteur grâce à la connaissance que nous en avons (le propre des pervers narcissiques qui utilisent leur compréhension des émotions de l’autre à des fins destructrices).
- L’empathie affective : système automatique non conscient permettant de ressentir et partager instinctivement les émotions d’autrui. On parle alors de « résonance émotionnelle » impliquant les neurones miroirs. L’empathie affective peut parfois empêcher toute action de secours lorsque la personne se retrouve submergée par les émotions de l’autre (détresse/contagion émotionnelle paralysante pouvant aller jusqu’au burn-out).
Il est ainsi essentiel de savoir utiliser alternativement ces deux formes d’empathie pour se mettre émotionnellement à la place de l’autre tout en gardant la distance nécessaire.
C’est le concept « d’empathie mature » chère à Martin Hoffman, préalable indispensable à l’action utile à l’autre.
Si certains travaux en neurosciences semblent démontrer que l’empathie pourrait être quasi génétiquement programmée chez les nouveaux nés, il n’en est pas de même pour la gestion de nos émotions qui reste d’une très grande complexité pour chacun de nous.
Rappelons que les émotions sont une réaction psychophysiologique complexe et intense avec un début brutal et une durée relativement brève. Elles naissent en général d’un changement dans les relations entre un individu et son environnement.
Les émotions sont issues de processus largement inconscients, à la différence des pensées les accompagnant sur lesquelles on peut agir consciemment.
En bref, cela signifie concrètement que la gestion émotionnelle s’apprend ! Même si nous n’avons pas tous les mêmes prédispositions naturelles (et heureusement sans quoi le monde serait d’un ennui infini !), il nous est ainsi largement possible de travailler notre intelligence émotionnelle, c’est-à-dire notre capacité à reconnaître, comprendre et maîtriser nos propres émotions et à composer avec celles des autres. Deux conditions pour cela :
- Au niveau personnel, avoir la volonté sincère de se placer dans un processus d’apprenant et d’amélioration continue qui signifiera de devoir rompre avec partie de nos certitudes et comportements automatiques. En matière de changement, vous seul avez la possibilité d’actionner votre plasticité cérébrale !
- Au niveau managérial, il est impératif que la direction de votre structure soit convaincue du caractère absolument essentiel de promouvoir l’intelligence émotionnelle qui n’est pas un luxe mais bien une nécessité opérationnelle.
Cette mutation managériale est d’autant plus indispensable qu’elle intervient dans un contexte de montée en puissance exponentielle de l’intelligence artificielle qui remplacera avantageusement l’humain dans un grand nombre de tâches répétitives et ingrates. Dès lors, la différenciation homme – machine se fera ainsi sur deux qualités fondamentales : l’empathie et la créativité.
A nous de jouer !
N’hésitez-pas à laisser vos commentaires… Erwan DEVEZE, vous répondra avec plaisir !!!
Nous remercions vivement Erwan DEVEZE, Dirigeant Fondateur de Neuroperformance Consulting, cabinet conseil en neuromanagement, Conférencier,Executive coach – Recherche, Auteur de l’ouvrage « Neuro-boostez vos équipes ! » Préfacé par Pierre Gattaz (éditions EMS, 2017), Diplômé de l’Institut Supérieur de Gestion, pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie de l’auteur :
Dirigeant Fondateur de Neuroperformance Consulting, cabinet conseil en neuromanagement (application des neurosciences au management). Auteur : « Neuro-boostez vos équipes ! » Préfacé par Pierre Gattaz (éditions EMS, 2017). Prochain ouvrage aux Editions Larousse (sortie février 2018) – Conférencier : Référencé chez A-Speakers – Formateur : En binôme avec Bernard Anselem, Médecin neuropsychologue spécialisé en imagerie cérébrale fonctionnelle, auteur (Ed Eyrolles) et conférencier – Executive coach – Recherche : Co-organisateur d’une étude pilote sur le burn-out élaborée avec une équipe de neuroscientifiques d’un grand hôpital parisien. Parcours professionnel antérieur : Postes de direction et missions opérationnelles & stratégiques en France et à l’international dans des environnements complexes et exigeants, dont : – Organisations internationales (Direction générale du CICR & missions humanitaires / négociateurs dans de nombreux pays en guerre) – Secteur privé (Développement stratégique) – Collectivités territoriales (campagnes électorales / Directeur de Cabinet) Diplômé Institut Supérieur de Gestion 1989 , Artiste peintre professionnel (Nom d’artiste : Deçan – www.decan.ch)
Une réponse
Bonjour, article très intéressant qui met en effet en évidence les limites que peut avoir l’empathie.
Pour être personnellement passé par ces phases où l’empathie pouvait générer des difficultés dans ma vie, il m’a fallut alors à la dompter comme on dompte un cheval sauvage.
Pour cela, je suis passé par un travail intérieur où j’ai appris à me connaître, à connaître particulièrement mes démons afin de pouvoir trouver des stratégies me permettant ainsi d’anticiper des excès d’émotions.
Mais surtout de créer des filtres en revoyant toutes mes croyances et mes valeurs, ce qui m’a permis de mieux comprendre mon propre fonctionnement cognitif et émotionnel, mais aussi la manière de fonctionner dans mes relations sociales.
Aujourd’hui je peux dire que l’empathie est devenu un cadeau qui m’aide à me dépasser, mais aussi à mieux vivre dans une société complexe.
Alors dans le monde médical, l’empathie doit être le moteur de ce beau métier car elle est vecteur de guérison pour le patient, néanmoins le soucis sera justement dans la capacité qu’aura le soignant à utiliser ses propres filtres, et est-ce que ses filtres seront bien adaptés à son métier ?
Ces questions sont même, je pense, le fondement des problèmes de notre société.
Voici pour mieux comprendre mes propos, un aperçu de mon chemin de vie et de la manière dont j’ai travaillé sur moi. :https://larbreabienetre.com/notre-monde-est-il-perdu-ou-cest-nous-qui-le-sommes/
Bien à vous
Paul Peixoto