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 Alors ? supervision ou coaching pour les personnels de santé ? Denis BISMUTH nous propose son éclairage sur cette question (2/2)

 

Nouvel Article rédigé pour ManagerSante.com par Denis BISMUTH, membre de l’EMCC France (European Mentoring and Coaching Council) et animateur de la commission recherche. Il est Dirigeant du cabinet de coaching Métavision) et auteur de plusieurs ouvrages.*

 


N°7, Mars 2021


 

Relire la 1ère partie de cet article.

Dans une première partie nous avons tenté de définir une frontière entre la supervision et le coaching. Cette frontière peut paraitre assez flou. Il peut paraitre délicat pour un prescripteur de faire un choix judicieux entre ces deux modalités. Au travers du discours des utilisateurs dans leur feed-back des séances nous pouvons tenter de percevoir une différence entre le coaching et la supervision du point de vue de l’utilisateur. Tout en étant conscient qu’une bonne part des remarques émises lors des feed back de séances de coaching pourraient auraient pu être émise lors de séances de supervision.

Le coaching

Pour l’essentiel le travail de coaching consiste à accompagner une personne pour l’aider à re-questionner la manière dont elle donne du sens à son expérience : Quand un acteur de l’entreprise est pris dans les problèmes du quotidien, il a tendance à se focaliser sur ce qu’il perçoit comme étant un problème et à vouloir traiter ce qu’il perçoit. C’est ce qu’on pourrait appeler l’effet lorgnette. Sous la pression de l’urgence, tout ce qui n’est pas ce qu’il perçoit comme étant la manière dont le réel lui résiste, n’existe plus.

 

Le travail du coach est de l’aider à faire un « dézoomage systémique », c’est-à-dire à intégrer dans sa perception des éléments du système qui contribuent à produire le problème. Pour l’essentiel ce que perçoit le coaché et ce à quoi il donne de l’importance ce n’est pas au problème mais  à la façon dont il se manifeste, ce qu’il en voit. Le travail du coach consiste essentiellement à l’aide d’un questionnement adapté, à le conduire à agrandir son champ de perception pour y intégrer des éléments qui contribuent à produire la situation. C’est ce que nos amis Quebécois appellent « problémer ». En réalité le client ne vient pas avec un problème mais il vient avec un sentiment confus d’échec, une frustration de voir le réel résister à ses solutions. Cela devient un problème quand on a objectivé les éléments du système dans un schéma et qu’il a opéré ce « dézoomage systémique. » « J’ai compris que bien poser le problème c’est déjà trouver la solution.(homme 45 ans manager de terrain depuis 20 ans) »

La situation de coaching est un espace dédié au travail d’introspection/réflexion « Ça m’a permis de prendre le recul nécessaire à une analyse sans porter de jugement. » (femme chef de service 45 ans), un temps institutionnel dédié à approfondir sa réflexion « J’ai pu prendre le temps de dire les choses de manière précises, approfondies» (Homme 50 ans directeur de BU).

Le travail du coach consiste à être le témoin du travail de mise en parole du client.

Le simple fait d’en parler permet un changement de sens de son expérience (un « recadrage de sens » dirait un adepte de la Pnl) : « Quand j’en parle ça n’a plus le même sens (Educateur 30 ans  en supervision » Le changement de sens peut se produire par le seul fait de porter à l’extérieur la confrontation qui se déroule dans son for intérieur[1] . « Cette Démarche offre la possibilité de prendre du recul sur nos pratiques et appréhender avec un œil nouveau ce qu’on pensait être des certitudes». (Homme 50 ans manager de proximité dans l’industrie)

Dans une certaine mesure la posture du coach peut être modélisante pour son client.

En faisant l’expérience d’être accompagné d’un questionnement élucidant il perçoit l’intérêt qu’il peut y avoir à « poser les bonnes questions pour faire réfléchir les collaborateurs » « Ça m’a permis de prendre conscience de la nécessité d’être à l’écoute du projet de l’autre. Ça m’a permis de comprendre vraiment l’intérêt qu’il y a savoir écouter l’autre, être patient ». (DRH en transition participant à un atelier d’analyse de pratiques

Mais au bout du compte le coaching n’a pas comme fonction de résoudre des problèmes comme on le lui demande trop souvent. Sa principale mission est d’entrainer à être consciemment attentif à ce qui se passe dans sa relation à son travail.

Un bon professionnel n’est pas un quelqu’un qui ne fait pas d’erreur, c’est celui qui voit suffisamment tôt ses erreurs avec une perception suffisamment large pour pouvoir intervenir suffisamment tôt et qu’elles n’aient pas de conséquences dramatiques. Les démarches d’accompagnement comme le coaching mais aussi et surtout la supervision ont cette fonction d’être une pratique de l’attention consciente[2].

La supervision

La supervision individuelle est une rencontre entre professionnels d’un même métier, dans laquelle le superviseur permet la prise de recul et en même temps introduit un regard différent, pouvant prendre à contre-pied les croyances de son supervisé et introduire une certaine déstabilisation qui lui permet de sortir de ses certitudes. Le superviseur peut voir « au-delà » et il pousse son supervisé à élargir son regard et à avoir un regard systémique sur la situation. « Ça provoque parfois un dérangement « intérieur » La déstabilisation est intéressante car elle remet en question certains principes ancrés depuis très longtemps » (Femme 50 ans chef de service)

La supervision en groupe de pairs introduit une dimension collective qui a un effet démultiplicateur des prises de conscience. Le coaching individuel est un travail de prise de conscience conduit sous la responsabilité d’un expert en questionnement mais naïf sur le métier de son client. Ce qui fait que le client peut se retrouver avec certaines incertitudes quant à la valeur des prises de conscience qu’il échafaude dans le travail. « Au fond est ce que ce que je me dis est réel ? est-ce que ça  correspond à la réalité de mon métier ? » Avec un coach « je fais un vrai travail de prise de conscience, mais avoir des collègues de ma boite ou de mon métier qui sont là dans le travail, ça me permet d’être sûr que je délire pas ! Sinon ils me le diraient ! et je vois bien dans leurs remarques si je suis dans le réel » (femme 45 ans manager secteur de l’énergie)

La dimension collective du groupe de supervision introduit une prise de conscience immédiate qui « change tout » pour un manager souvent dans un sentiment de solitude : La première remarque qui vient dans la plupart des feed back est : « On se rend compte qu’on a tous les mêmes problèmes, du coup on se sent moins seul» (homme 35 ans manager de proximité). Cette prise de conscience permet de relativiser l’importance du problème. C’est aussi pour chacun des participants l’opportunité de commencer à prendre conscience que les problèmes qu’ils rencontrent ne sont pas (pas seulement ?) liés à eux en tant que personne, leurs compétences, leur personnalité, mais que c’est la situation qui est problématique[3]. Ce n’est pas eux le problème mais la relation qu’ils entretiennent avec la situation. Chaque participant ayant un regard différent sur la situation, le travail du collectif permet aux personnes qui proposent une situation de dépasser sa perception première et d’intégrer les différentes façons de comprendre cette situation. C’est cette multi-dimensionnalité des perceptions qui oblige la personne à sortir de la perception souvent égocentrée dans laquelle il est englué quand il arrive. « Ça permet de regarder ses problématiques sous de nombreux angles différents, avec une analyse très fine d’un thème présenté individuellement mais s’avérant souvent d’un intérêt « quasi-universel »

« Ça m’a permis de faire le tri entre les problèmes qui sont les miens et ceux que me pose l’entreprise ».(45 ans manager de proximité)

Ces quelques remarques notées dans les feed back de session de groupe de co-professionnalisation permettent de comprendre ce que les participants peuvent trouver dans un tel travail :

« Je me dis que ces rencontres m’ont beaucoup apporté. C’était le bon moment. Je peux me servir de l’expérience des autres. Quand on démarre on a besoin de l’ouverture d’esprit que donne le regard des autres. Ça permet de prendre du recul. »

« J’arrive à me dire : ne t’implique pas ! Garde du recul ! »

Je remercie les collègues pour ça.

« J’arrive à être beaucoup plus sereine. Ça a la vertu de me faire beaucoup réfléchir et fonctionner autrement. »

« ça m’a permis d’organiser ma remise en question. Je me remettais déjà en question, mais sans savoir l’organiser, bien évaluer le problème. Bien le voir sous toutes ces dimensions…. Et surtout oser. »

« Je me sens bien dans mon travail et à chaque fois je repartais encore mieux. »

Quelles différences entre coaching et supervision ?

Les stratégies d’accompagnement en entreprise sont très nombreuses. Concernant la supervision, on dénombre plus de 150 modalités différentes[4]. De la même manière les pratiques de coaching apparaissent très diverses[5]. Il peut paraitre hasardeux de se risquer à une distinction définitive. On peut toutes fois mettre en évidence une différence significative[6]. Pour illustrer cette différence on pourrait dire que le coaching c’est : « un naïf qui accompagne un expert ». Le coach est supposé faire simplement miroir et il est essentiellement en « position basse » : il n’est pas supposé savoir à la place de son client. Son expertise est dans le questionnement élucidant qu’il met en œuvre pour guider la prise de conscience de son client. Alors que la supervision c’est : « un professionnel qui accompagne un professionnel ». Je peux coacher un manager même si je ne suis pas manager, mais pour superviser un ou des managers il est nécessaire que j’ai une expertise dans le domaine d’activité de mon client.

Comme le coach, le superviseur « fait miroir » pour faire réfléchir, mais il peut aussi « voire au-delà » : Sa position d’expert du métier lui permet d’avoir un regard systémique, au-delà de ce que perçoit son client et proposer une analyse de la situation qui va plus loin que ce que peut percevoir son supervisé. Ce qui n’est pas possible pour le coach quand il est supposé « naïf » par rapport au métier de son client. Ces pratiques s’appuient sur des référentiels théoriques et des modèles pratiques divers comme l’approche systémique, la Pnl, l’Analyse Transactionnelle, la gestalt.

Le coaching est souvent utilisé en entreprise dans sa fonction « orthopédique » une fonction un peu « réparatrice » pour aider un professionnel à dépasser une situation problématique ou résoudre des difficultés professionnelles, la supervision est plutôt une démarche à long terme qui vise à permettre un développement professionnel en continu tout en contribuant à l’entretien de la santé professionnelle des personnes. Comme toutes les pratiques d’entretien de la santé, leur pratique ne répond pas au cadre de la formation : un objectif spécifique à atteindre dans un temps donné avec une évaluation d’un résultat fonction de l’objectif. La supervision est plus proche de pratiques de santé comme le yoga ou le footing : elle s’intègre à une pratique professionnelle sans qu’il soit question de contractualiser une limite de temps.

Comment choisir entre supervision et coaching ?

On peut dire d’une manière un peu simple que le coaching a tendance à répondre aux problématiques individuelles, aux difficultés liées à une situation, un contexte spécifique. La supervision a surtout un intérêt dans les démarches collectives (bien qu’il existe des démarches de supervision individuelle). La supervision permet un travail de fond. C’est dans une certaine mesure un outil d’entretien de la santé professionnelle des individus et des corps professionnels constitués (manager DRH dirigeant etc..). La supervision permet un travail de prévention des difficultés qui surgissent en créant dans une population donnée (par exemple : le management intermédiaire) une habitude de réfléchir ensemble à traiter collectivement des situations. Ce type de démarche a, de plus, un effet sur la cohésion culturelle des équipes : A force de réfléchir ensemble on finit par partager une vision du métier, de ses possibles et de ses limites.

 

Choisir une modalité n’est toutes fois pas si simple. Les frontières entre ces deux modalités sont plutôt poreuses et il n’est pas rare qu’on ait du mal à définir précisément la « bonne méthode » la « bonne personne ». C’est le lot des problématiques humaines ou la complexité et l’irrationnel se loge au cœur de l’inconscient.

Un choix judicieux est le résultat d’un ajustement fin entre les demandes des personnes et les exigences du contexte professionnel. En ce sens il est illusoire de chercher à tout verrouiller et tout anticiper par un contrôle rationnel. Il est nécessaire d’accepter qu’il puisse y avoir des ajustements à postériori en cours de route.

 


Notes : 

[1] le for intérieur porte l’idée du « forum intérieur » : le débat qui se déroule en son « assemblée nationale » intérieure, la confrontation que chacun conduit quand il est pris dans les dilemmes de choix impossibles à faire.

[2] Bismuth D Peut on apprendre à être attentif ? 

[3] Voir le texte : sachez déclarer votre incompétence https://www.linkedin.com/pulse/sachez-declarer-votre-incompetence-denis-bismuth?trk=pulse_spock-articles

[4] Moral,M., Lamy,F.; les outils de la supervision interédition 2014 une nouvelle édition augmentée est à paraitre au mois de mars

[5] Bismuth, D., Le coaching : ou en est on ? 

[6] Moral Op.cit.

 


Pour aller plus loin : 

Barbier J.M. (2000) l’analyse des pratiques : questions conceptuelles   l’harmattan

Bismuth D. La supervision des travailleurs sociaux : Une condition de leur santé professionnelle

Bismuth D., La supervision des pratiques professionnel : un champ de recherche.

Bismuth, D., Le coaching : ou en est on ?

Bismuth, D., Qu’est ce que l’analyse des pratiques 

EMCC : Référentiel de compétence de la supervision 

Moral,M., Lamy,F.; les outils de la supervision inter édition 2014

Rouzel, J. (2017). La posture du superviseur. Supervision, analyse des pratiques, re?gulation d’e?quipes…. Eres.

Thie?baud, M. (2003a). Supervision, coaching ou APP ? Les pratiques d’accompagnement formateur se multiplient. Psychoscope, N° 10, 2003, pp. 24-26. 

Tran Laurène, « Herbert Simon et la rationalité limitée », Regards croisés sur l’économie, 2018/1 (n° 22), p. 54-57. DOI : 10.3917/rce.022.0054. URL 

Viollet, P. (dir). (2013). Construire la compétence par l’analyse des pratiques professionnelles. Paris : De Boeck.

 


Denis BITHMUTH4

Nous remercions vivement Article rédigé par Denis BISMUTH, membre l’EMCC France  et animateur de la commission recherche de l’European Mentoring and Coaching Council (fédération de coach). Il est Dirigeant du cabinet de coaching Métavision) et auteur de plusieurs ouvrages.,  pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com


Biographie de l’auteur : 

Denis BISMUTH est membre et  Animateur de la commission recherche de l’European Mentoring and Coaching Council  EMCC France (fédération de coach).
Dirigeant du cabinet de coaching Métavision depuis 2000, il accompagne des grands groupes industriels comme des PME et des entreprises du secteur social qui font le choix de faire évoluer leurs pratiques managériales dans  le sens d’une responsabilisation des acteurs. Il a développé une modalité de professionnalisation par la supervision :
les groupes de coprofessionnalisation© qui lui permettent de superviser le management intermédiaire, les coaches et les dirigeants.
Spécialisé dans l’Audit d’entreprise et de centres  de formation innovants il les accompagne dans leur transformation vers une organisation apprenante.
Il est également auteur de nombreux articles publiés dans l’excellente revue HBS (Harvard Business Review)

 


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