Article proposé par notre expert, Dominique BERIOT (spécialiste de l’approche systémique du changement et du management dans les entreprises depuis plus de 40 ans), conférencier et auteur de nombreux articles & ouvrages, dont le dernier paru en Février 2018, « Guide systémique du manager d’équipe: 40 situations managériales du quotidien« aux Editions Eyrolles)
N°7, Décembre 2018
En systémique, » l’écoute active » n’est pas un but en soi mais un mode comportemental indispensable pour faciliter les relations. En outre, cette pratique présente un caractère transverse et récurrent à toutes les situations managériales.
Dans chacune de nos activités professionnelles, nous sommes en relation avec différentes personnes, soit en tête à tête soit à distance.
Pour plus de fluidité et d’efficacité dans nos échanges, nous pouvons pratiquer » l’écoute active » en nous appropriant trois modes d’interaction : la reformulation, le silence et la synchronisation non verbale.
Dans une logique systémique, la finalité de l’écoute active n’est pas de comprendre les raisons pour lesquelles une personne a telle intention ou telle émotion. Elle est de lui donner la possibilité d’exprimer ses difficultés, ses enjeux, ses préoccupations, ses tensions et de recueillir des informations essentielles pour progresser vers un objectif commun.
Je vous propose de passer en revue successivement ces trois composants de l’écoute active.
1- La reformulation
Elle consiste à faire écho au sens d’un message dans le but de restituer ce qui a été perçu. C’est une interaction particulièrement efficace pour faciliter le dialogue. Elle prouve quotidiennement son utilité dans les échanges et s’avère indispensable dans une phase d’écoute et de recueil d’informations.
Comment reformuler ?
Reprendre le message de notre interlocuteur en lui restituant ce que nous percevons d’essentiel. Cette sorte de mini-synthèse entraine un ou plusieurs des effets décrits ci-dessus. Dans la pratique, une phrase introductive précède la reformulation et la rend plus fluide : » Si je vous ai bien compris … « , » Vous me dites que … « , » Je comprends que … « , » autrement dit … « , » Tu penses que … « , » En d’autres termes … « , » Vous voulez dire que … « .
Un aspect particulier : la reformulation du non verbal
Parfois, des sentiments ou des émotions apparaissent (agitation des membres, visage plus souriant qu’à l’habitude, précipitation du langage, voix particulièrement forte, gestes brusques …).
Voici quelques exemples de reformulations courantes de ces comportements non verbaux : » Vous avez l’air satisfait par cette proposition. « , » Vous semblez choqué par ce comportement. « , » Untel semble vous agacer. « , » Vous paraissez en colère après moi. « , » Je vous sens exaspéré par la situation . «
Un exercice pour s’entraîner
Un manager voit Alice, sa collaboratrice, entrer en trombe dans son bureau. Elle semble stressée et lui dit : » J’ai encore découvert ce matin un nouveau problème dans le service. Je ne comprends vraiment pas Tiphaine. Elle ne m’informe jamais quand elle rencontre une difficulté importante pouvant avoir des répercussions sur le travail des autres. Pourtant, ce n’est pas faute de lui avoir dit de ne pas hésiter à venir me voir. Cela ne peut plus durer, il va falloir que je lui mette les points sur les i pour qu’elle comprenne ! «
Parmi les trois réactions ci-après du manager, repérons celle qui correspond le mieux à une reformulation :
- » Tiphaine t’irrite en faisant de la rétention d’information et, puisque tu l’as déjà prévenue, tu penses qu’elle ne veut pas changer. «
- » Tiphaine te met en colère parce qu’elle ne t’informe jamais sur les problèmes importants pouvant gêner les autres et tu as l’intention de t’en expliquer énergiquement. «
- « Tiphaine t’agace ! Certainement qu’un entretien pour lui mettre les points sur les i la ferait changer d’attitude. «
– La reformulation n°1 ne traduit que partiellement ce qui est dit. » Elle ne veut pas changer » est une interprétation dans la mesure où Alice n’en a pas parlé. Le risque ici serait qu’Alice réagisse à ce dernier propos et qu’elle soit détournée involontairement de ce qui la tracasse sur le fond.
– La reformulation n°2 est une restitution globalement assez proche qui reprend à la fois les propos et l’émotion sous-jacente d’Alice perçue par le manager. Elle est ainsi susceptible de réduire la tension d’Alice, et l’amènera sans doute à une certaine détente, l’incitera à vider son sac tout en générant en elle le sentiment d’être comprise.
– La reformulation n°3 ressemble plus à un avis. Elle risque de susciter une réaction inappropriée d’Alice.
A quoi sert une reformulation ?
Nombreux sont ses avantages pour notre interlocuteur comme pour nous. Le tableau ci-après expose ses principaux effets positifs.
Des recommandations à propos de la reformulation
- Attention, si tel un perroquet nous répétons les propos, alors nous ne reformulons pas, nous faisons du psittacisme ! C’est très énervant pour l’interlocuteur.
- Quand nous percevons une émotion ou un sentiment, n’hésitons pas restituer notre perception globale sous la forme d’une synthèse des propos (cf. attitude n°2 ci-dessus). L’échange prendra alors de la profondeur. Nous parviendrons vite au cœur du message.
- Si nous reformulons de manière incomplète, sachons que notre interlocuteur pourra toujours compléter son message ou se réajuster si nécessaire.
2 Le silence opérant
Dans les trépidations du quotidien et avec la pression des évènements, nous pratiquons, voire aimons, des échanges rapides. Dans un comportement spontané, beaucoup d’interlocuteurs émettent des commentaires à tout propos, oubliant les vertus d’un silence, et cherchant avant tout, dans la dynamique de l’entretien, à donner un avis.
Ainsi n’est-il pas fréquent d’observer un manager discutant de manière réactive avec des interlocuteurs tout aussi réactifs ? Une véritable partie de pingpong !
Le silence dans une portée musicale
C’est un moyen de réguler sa réactivité et d’imprimer un certain rythme, voire de la profondeur au dialogue. Il est à distinguer du silence passif qui consiste à ne pas vouloir ou pouvoir s’exprimer pour des raisons diverses comme la peur de s’engager, d’être mis en cause dans son autorité, de ne pas maîtriser un sujet, d’être jugé sur ses propos, d’être entraîné dans un conflit …
Or le silence est un composant des échanges comme des partitions musicales. C’est une sorte d’interaction
A quoi sert un silence opérant ?
- Augmenter les capacités d’écoute et d’observation.
- Inciter une personne à s’exprimer.
- Accompagner l’autre sur son terrain sans le contraindre.
- 0btenir des informations sans poser de question.
- Favoriser un équilibre et une harmonie dans les échanges.
Comment l’utiliser ?
Le silence n’est pas seulement se taire, c’est rester à l’écoute. Il ne s’agit pas de réfléchir à ce que seront nos commentaires une fois que notre interlocuteur aura terminé, mais d’être concentré sur ses messages.
En particulier, quand nous voulons recueillir de l’information après une question ou une reformulation, il est nécessaire d’installer un silence de plusieurs secondes (3 à 5 secondes environ). Nous obtenons ainsi une expression moins réactive et plus riche.
De plus, lors du silence, en restant concentré sur l’échange, nous aurons ainsi accès à des informations moins rationnelles comme les émotions et la nature de la relation.
Des recommandations à propos du silence
- Si nous éprouvons des difficultés à créer un silence, il nous est possible de compter mentalement jusqu’à cinq après notre question ou notre reformulation.
- Par ailleurs, tout silence prolongé plus de cinq secondes risque de créer une gêne et d’entraîner un blocage de l’expression.
3 La synchronisation non verbale
Une manière systémique de se comporter consiste à s’appuyer sur les flux non verbaux de son interlocuteur pour s’adapter à lui, tout particulièrement avec des personnes de culture différente. Elle se situe hors du champ de l’interprétation, celle-ci exposant aux risques d’erreurs, et traduisant un sentiment injustifié de supériorité.
Ce langage non verbal est véhiculé par les nombreux signaux que le corps peut manifester, dénommés » indicateurs communicants » : modulation, rythme et tonalité de la voix, posture générale, coloration du visage, rythme respiratoire, mobilité des membres, déplacement des yeux, etc. Je retiens ici volontairement à ceux que les managers qui ont adopté une posture systémique utilisent le plus couramment : la posture, les gestes et la voix.
Quel est l’intérêt de se synchroniser ?
Diverses finalités existent selon le type de praticiens (thérapeutes, formateurs, coachs, consultants, professeurs, managers …). Pour les relations managériales, j’en exclus toute intention de prise de pouvoir sur l’autre et vous propose les objectifs suivants :
- Aller sur le terrain de l’autre.
- Créer des conditions favorables au dialogue.
- Gagner en qualité d’écoute dans la mesure où l’on ne perd plus de temps à interpréter le non-verbal de notre interlocuteur, surtout s’il est étranger.
Comment se synchroniser ?
S’ajuster sur la posture globale de son interlocuteur en cherchant à réduire l’écart entre notre attitude physique et la sienne. Son buste est-il en avant, droit ou en arrière ? L’ensemble du corps est-il rigide, souple ou en mouvement, sa voix est-elle forte, légère, hésitante ?
En instaurant une légère symétrie tout au long de l’échange, l’on atténue les différences trop voyantes.
Après un certain entrainement, nous pouvons compléter la qualité de notre synchronisation en s‘alignant sur tel ou tel indicateur apparent : ainsi, s’il parle plus fort et plus lentement que nous, il suffit de hausser un peu notre ton et de ralentir notre débit sans pour autant atteindre son niveau sonore ni sa vitesse d’élocution. La voix est un indicateur intéressant dans la mesure où elle est facile à repérer et à utiliser. Précieuse dans les échanges téléphoniques, elle constitue un repère efficace.
Au cours d’un entretien, un manager d’équipe constate que le candidat assis devant lui se tient très droit dans le fauteuil, les mains croisées et posées sur les genoux, l’ensemble un peu rigide. Tandis que lui-même, détendu, s’appuie sur le dossier de son fauteuil, les bras reposant sur les accoudoirs… Afin de réduire la différence d’attitude qui existe entre eux, il décide de modifier légèrement sa position : il se redresse sur son siège et croise les mains sur son bureau.
S’il fait une lecture psychologique de l’attitude du candidat, il peut penser : » Voilà un homme tendu, nerveux, je crains qu’il ne fasse pas l’affaire pour ce poste ! « . Au lieu de se laisser encombrer par ses propres projections, il choisit de se rapprocher du candidat en réduisant l’écart entre leurs deux positions. De même, comme le candidat parle plus doucement et plus lentement que lui, le manager ralentit son débit et atténue le timbre de sa voix, toujours dans le but de diminuer ces écarts et de le mettre à l’aise. Quant au candidat, il se détend peu à peu, adopte une posture plus souple, s’appuie sur le dossier du fauteuil, décroise les mains. Au fur et à mesure que l’entretien progresse, on peut constater une évolution réciproque des attitudes non verbales.
Pour renforcer cette attitude d’écoute, il est aussi possible de croiser des interactions non verbales. Par exemple en accompagnant son expression verbale par de légers mouvements de tête (sorte d’acquiescement). Cette pratique, volontaire ou spontanée, s’observe couramment auprès de professionnels : thérapeutes, journalistes, professeurs, coachs, et parfois certains managers.Il s’établit une sorte de danse comparable à celle d’un banc de poissons. Les mouvements sont rythmés, les voix concordantes. L’entretien progresse dans un climat détendu. Ce faisant, le manager se rend plus disponible pour recueillir les informations dont il a besoin afin de prendre la meilleure décision dans l’intérêt de chacun.
Se mettre en phase avec son interlocuteur l’entraîne dans un espace privilégié de compréhension et de confiance.
Recommandations à propos de la synchronisation
- Approprions-nous cette technique en nous entraînant progressivement lors d’échanges informels (cafétéria, restaurant, association …).
- Pour nous rapprocher de l’autre, l’important est de réduire un écart et non de rechercher un mimétisme. Ne singeons pas notre interlocuteur, nous tomberions dans la caricature et obtiendrions l’effet inverse !
La posture systémique n’a aucunement pour intention de s’engager dans le domaine de l’interprétation ou de la prise de pouvoir. Encore moins d’indiquer les attitudes à privilégier ou à proscrire pour être un bon communicant. Son but est d’aider les managers à tendre vers une cohérence entre leur comportement et leurs objectifs relationnels et opérationnels, en prenant en compte les enjeux et les valeurs de leurs interlocuteurs.
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Nous remercions vivement Dominique BERIOT (spécialiste de l’approche systémique du changement et du management dans les entreprises depuis plus de 40 ans), conférencier et auteur de nombreux articles & ouvrages, dont le dernier paru en Février 2018, « Guide systémique du manager d’équipe: 40 situations managériales du quotidien« aux Editions Eyrolles), de partager son expertise professionnelle avec nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie de l’auteur :
Dominique BERIOT, possède une triple expérience professionnelle. D’abord comme manager ou dirigeant dans cinq entreprises différentes de 2000 à 15000 personnes, puis comme consultant de l’entreprise de conseil qu’il a créée et spécialisée dans la conduite du changement par l’approche systémique. Il contribue à la diffusion de la pensée systémique à travers des conférences et des travaux de recherche. Dominique BERIOT a publié 6 ouvrages dans le domaine du management et, plus spécifiquement sur l’approche systémique du changement, dont les plus récents : – « Guide systémique du manager d’équipe, 40 situations managériales du quotidien« , Eyrolles, 2018. – « Manager par l’approche systémique, s’approprier de nouveaux savoir-faire pour agir dans la complexité », Eyrolles, 2014. (préface Michel Crozier). – « Du microscope au macroscope, l’approche systémique du changement dans l’entreprise« , (préface de Joël de Rosnay) ESF, 1992. Il a publié de nombreux articles sur plusieurs sites et dans différentes revues spécialisées. Dans le champ de l’ingénierie pédagogique, il a réalisé des films et produit des CD pédagogiques sur le management. Il a également une expérience dans l’enseignement sur les relations sociales dans des Grandes Ecoles prestigieuses (HEC, CESA, ENST, ESCP…). Enfin, de 1987 à 1991, il a été Président du Comité d’Ethique de l’Institut Curie à Paris pour les essais thérapeutiques sur l’homme.
Jean-Luc STANISLAS, Fondateur de managersante.com tient à remercier vivement le Dominique BERIOT pour partager régulièrement ses articles passionnants concernant l’approche systémique du changement et du management dans les entreprises
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