Article rédigé par notre nouvelle experte, Florence TANTIN, Directrice d’Hôpital honoraire, Auteure, Executive MBA, NEOMA Business School, Coach certifiée professionnelle et personnelle MHD
Co-auteure de l’ouvrage « Santé & Management » (Juillet 2021), sous la direction de Jean-Michel HUET et d’Arlette PETITJEAN.
N°04, Juin 2022
La première partie de cet article décrivait comment s’est fondée la légitimité des collectivités territoriales dans le système de santé. La crise de la COVID-19 a donné aux collectivités territoriales l’opportunité d’affirmer celle-ci, s’appuyant sur le besoin de proximité des usagers et leurs propres compétences et rôle de représentation dévolus par la constitution.
Pour autant, cette légitimité s’accommoderait-elle d’un simple dessaisissement de compétences de l’Etat au profit des collectivités territoriales ? ou d’une importance numérique dans les institutions sanitaires ?
La réponse n’est pas si évidente quand on considère ce qu’ont mis en lumière la crise des gilets jaunes rejetant toute autorité intermédiaire et d’une certaine manière le système de démocratie représentative ainsi qu’une enquête menée par le CEVIPOF[1] relevant que « les élus locaux ne sont pas identifiées comme les plus efficaces « par la majorité des personnes interrogées. En outre 45% de ces personnes répondent qu’elles ont le sentiment de n’appartenir à aucune communauté, ni nationale, ni géographique ou linguistique, ni selon le mode de vie ou des valeurs partagées, ce qui leur ferait dire « en démocratie, rien n’avance. Il vaudrait mieux moins de démocratie mais plus d’efficacité ». Enfin, la décentralisation leur apparait plutôt complexe et ne fait pas l’objet d’une demande prioritaire.
Comment expliquer cette situation ?
- Etat et collectivités territoriales[2] partagent le reproche de « millefeuille » illisible pour leurs usagers. Les nombreuses réformes qui avaient pour ambition le renforcement de l’autonomie des collectivités territoriales, la simplification de l’organisation territoriale n’ont pas mis fin à l’empilement des strates administratives et à l’enchevêtrement des compétences. Si la loi 4D[3] apporte des améliorations, limitée par la constitution[4] , elle semble avoir fait passer l’organisation territoriale « du millefeuille au crumble »[5]. Et le rôle de chef de file créé par la loi[6] est non décisionnaire et ne peut concerner que les compétences partagées. En outre L’Etat semble avoir du mal à se désengager complètement des missions qu’il transfère aux collectivités territoriales en en conservant les leviers financiers ou le pilotage par le biais notamment des appels à projet. Enfin, le recul des impôts directs locaux au profit de dotations compensatrices de l’Etat vient affaiblir le lien entre le contribuable local et sa collectivité.
- La territorialisation de la santé souhaitée par l’Etat n’est pas plus lisible pour les usagers avec ses multiples découpages territoriaux fragmentés entre la ville et l’hôpital (GHT, CPTS[7]). Même si la définition des territoires de santé par les Agences régionales de santé reconnait les bassins de vie, la démarche reste encore trop formelle et ne laisse pas suffisamment de place à l’usager ou à ses représentants.
- Les collectivités territoriales sont encore majoritairement focalisées sur la gouvernance du système de soins et l’accès aux soins (la loi 4D[8] leur apporte quelques réponses). Il est vrai que là aussi c’est une critique faite au système de santé français en général trop orienté sur les soins et la maladie[9].Or la définition la plus communément admise de la santé actuellement est celle qui est formulée par le préambule de la constitution de l’OMS[10] un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».Les dimensions individuelles, socio-économiques et environnementales et leurs interactions complexes sont venues enrichir le concept d’état de santé d’une population et mobilisent un grand nombre d’acteurs qu’ils soient professionnels de santé, structures de santé, pouvoirs publics, associations, usagers qui tous revendiquent leur propre légitimité …La charte d’Ottawa[11] a élargi le concept en définissant la santé comme une ressource de la vie quotidienne et non comme le but de la vie »
- Les collectivités territoriales par leurs compétences disposent d’ores et déjà de leviers d’action sur les déterminants sociaux : habitat, environnement, hygiène, prévention de la santé, nutrition…Mais n’en ont pas totalement tiré les enseignements en termes de politique publique de santé globale et inclusive.
- L’usager, de plus en plus connecté et informé, par ses exigences fortes en matière de qualité et d’accès au service, de prise en charge globale dans son parcours de santé, par l’évolution de ses modes de vie caractérisés par une mobilité accrue[12] remet en question les notions traditionnelles de représentation, de proximité, de méthodes de communication. Ainsi une enquête IPSOS du 17 avril 2020 montrait que seules 35% personnes se sentent bien représentées par des élus régionaux et 34% par des élus départementaux, les maires faisant l’exception avec 60% des personnes mais comme on l’a vu plus haut, pas forcément efficaces.
- La proximité, après avoir été vilipendée[13] est devenue un modèle incantatoire qui imprègne les textes[14] et discours, désormais supposée légitimer naturellement l’action des collectivités territoriales et ressourcer la démocratie représentative. Cette proximité est d’abord vécue sur un mode spatial et physique. La crise sanitaire en imposant la distanciation physique oblige à réinventer ce concept qui acquiert une signification polysémique (proximité géographique, organisationnelle, socio- économique, sociale, environnementale) complexifiée par les attentes différenciées des usagers en fonctions des catégories d’âge, de genre ou socio-professionnelles
On peut donc affirmer en résumé que la légitimité revendiquée par les collectivités territoriales ne peut plus être basée sur la seule représentation formelle et normative dont le discours de proximité banalisé ne sert qu’à cacher les pratiques habituelles.
De même, la légitimité « top-down issue de l’expertise exclusive des sachants que seraient les collectivités territoriales [15] fortes de leurs compétences et de leurs ressources humaines et matérielles n’est plus acquise naturellement par les usagers/citoyens qui souhaitent que leur parole et leurs connaissances soient reconnues, ainsi que le recommandent Ma santé 2022 et le Ségur de la Santé.
La légitimité ne peut plus reposer sur une gestion et une organisation brouillée, complexifiée à l’excès qui gêne la compréhension et le contrôle que les usagers souhaitent pouvoir exercer.
Quelle peut être alors la légitimité des collectivités territoriales attendue des usagers ?
Les enjeux auxquels est confronté le système de santé, sont trop complexes, mettent en jeu plusieurs niveaux d’intervention (nationaux, internationaux et infra nationaux) une multiplicité d’acteurs de toutes origines statutaires et pluridisciplinaires dans un environnement où la technologie et les défis technologiques sont de plus en plus prégnants. Les réponses ne peuvent plus provenir d’une seule instance. Il faut donc sortir d’une logique de combat pour le pouvoir où la décentralisation[16] serait la réponse unique aux dysfonctionnements constatés notamment dans le système de santé qui ne seraient que reportés à un autre niveau,
Toute légitimité doit désormais s’inscrire dans une logique de coopération, de dialogue, associant toutes les parties prenantes à la préparation de la décision et à la décision elle-même, à sa mise en œuvre et à son évaluation.
Cela passe d’abord par une clarification des responsabilités, des organisations entre Etat et collectivités territoriales mais aussi entre collectivités territoriales en cohérence avec les attentes des citoyens. De même est attendue une meilleure articulation des périmètres de l’administration sanitaire avec ceux des collectivités territoriales.
L’espace de coopération et de dialogue fait s’interroger sur le type de proximité et les modes d’expression adéquats pour une bonne prise en compte des attentes des usagers/citoyens. Sans rentrer dans les débats des écoles sur la proximité[17], La proximité géographique a ses limites car elle peut créer de l’exclusion[18] mais l’importance des relations de face à face est souvent mise en avant pour gérer les conflits importants ou échanger collectivement par exemple. S’est développée la proximité organisée dite relationnelle qui vise à organiser les interactions en son sein, à les faciliter notamment grâce aux technologies de l’information et de la communication. Celles-ci permettent d’abolir la distance, de gérer d’importantes données et de raccourcir le temps de traitement. Si la crise de la COVID a montré leur intérêt, elle a aussi mis en exergue de besoin de proximité géographique. C’est ainsi que « Géographiques ou organisées, les proximités s’imposent aux acteurs, qui doivent apprendre à en jouer et à les utiliser pour en faire des outils de leur développement et de leur vie au quotidien »[19]
La légitimité des collectivités territoriales gagnerait enfin à inscrire la santé comme un fil rouge dans toutes les missions et compétences dont elles ont la charge en s’appuyant sur une observation fine de leurs territoires favorisant l’autonomie et la participation les usagers/citoyens, [20] par une simplification des informations diffusées par les professionnels de la santé sans la dénaturer, le développement de l’information et leur accessibilité » notamment sur les résultats des décisions prises, « par des démarches innovantes d’accompagnement et d’éducation pour la santé ». Se servant ainsi des déterminants sociaux de la santé dans leur domaine de compétences, les collectivités territoriales illustreraient ainsi pleinement le concept de santé globale dans les programmes qu’elles mettraient en œuvre ;
En conclusion :
En conclusion, Plus qu’une approche de décentralisation/déconcentration par laquelle la loi 4D semble indissolublement lier l’Etat et les collectivités territoriales, pas dupes du discours incantatoire et banalise sur la proximité qui masque surtout le contrôle des leviers de décision, les citoyens/usagers sont plutôt en recherche paradoxale de plus de démocratie participative de la décision tout en ayant la garantie de la protection de l’Etat.
Ceci transforme les bases de la légitimité des collectivités territoriales, comme celles de l’Etat, de la représentation formelle et normative sans la supprimer, vers une légitimité de proximité[21] où la coopération, le dialogue prendraient toute leur place, associant les usagers/citoyens dans la prise en compte de leurs besoins de santé dans une approche à la fois plus personnalisée et plus globale, la proximité s’inscrivant comme un outil différencié suivant le contexte et les populations dans un projet collectif ; le code de la santé officialise d’ailleurs cette démarche en indiquant que « le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne ». Professionnels, établissements, tous organismes participants à la prévention, aux soins, ou à la coordination des soins, les autorités sanitaires, les collectivités territoriales, les usagers contribuent à « développer la prévention, garantir l’égal accès de chaque personne aux soins, la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible »
Il en ressort une complexité importante en termes de clarification des responsabilités, démarches inclusives, accès aux bases de données, formation, accompagnement tout en sachant respecter l’autonomie, méthodes innovantes de participation. Complexité d’autant plus importante que, pour s’adapter en permanence aux attentes des usagers, la légitimité n’est jamais acquise, « toujours précaire, continuellement remise en jeu, dépendante de la perception sociale, de l’action et du comportement de l’institution[22]. C’est pourtant le propre de la démocratie.
Pour aller plus loin :
[1] CEVIPOF, Centre de recherche politique de sciences Po, vague 12 du baromètre de la confiance politique réalisée entre la fin janvier et le début février 2021 dans 4 pays européens (France, Allemagne, Italie, Royaume Uni)
[2] 5ème rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques locales publié le 11 octobre 2017
[3] Loi n°2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale
[4] Article 72 de la constitution : « aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre »
[5] Dalloz Actualité 2 mars 2021
[6] Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la république
[7] Communautés professionnelles territoriales de santé
[8] Transformation des conseils de surveillance en conseils d’administration des agences régionales de santé avec une place plus importante donnée aux élus locaux numériquement et qualitativement (places de vice-présidents). Nouvelle mission de fixer les grandes orientations de la politique contractuelle de l’Agence. Possibilité pour les communes et les départements de recruter du personnel soignant pour les centres de santé. Base légale pour contribuer au financement des programmes de financement des établissements de santé
[9] Dépenses courantes de santé : 270 Md€ dont 208 Md€ pour la consommation de soins et de biens médicaux. Cour des comptes : Santé : garantir l’accès à des soins de qualité et résorber le déficit de l’assurance maladie
[10] Organisation mondiale de la santé 1946
[11] Charte d’Ottawa, vers une nouvelle santé publique, 17-21 novembre 1986 : la santé « c’est la mesure dans laquelle un groupe ou un individu peut d’une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et d’autre part, évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci »
[12] CGET (Baccaini et al., 2018) cité par Carole Brunet et Géraldine Rieucau, Mobilités géographiques, emplois et inégalités, Open Edition journals « La France est ainsi le pays d’Europe où les navettes domicile-travail sont les plus longues, sachant par ailleurs que trois quarts des déplacements urbains domicile-travail sont effectués en voiture ».
Enquête nationale Mobilité et modes de vie 2020 : L’enquête révèle que ces nombreux déplacements dans le cadre du travail relèvent majoritairement des classes populaires (par exemple dans l’exercice d’un emploi d’aide à domicile),
[13] Clientéliste, corporatiste, coûteuse, inégalitaire
[14] Loi de février 2002 sur la démocratie de proximité
[15] Ceci vaut aussi pour l’Etat, les professionnels ou tous corps intermédiaires
[16] Même si le principe de substitution[16] a ses avantages qu’il convient cependant de mettre en œuvre avec discernement
[17] École hollandaise qui retient 5 types de proximité (géographique, organisationnelle, cognitive, sociale et institutionnelle). L’École français qui en développe 2 (la proximité géographique et la proximité organisée)
[18] Conseils de quartier refermé sur les intérêts individuels avec perte de vue de l’intérêt général d’une collectivité plus larg. Le présentiel favorise les plus impliqués et mieux communicants
[19] Les différentes approches de la proximité, André Torre, Soins cadres n°111 mai 2019
[20] Patient partenaire, patient expert. De l’accompagnement à l’autonomie, Hugues Lefort et Thérèse PSIUK. Éditions Vuibert, mars 2019,
[21] La légitimité démocratique, impartialité, réflexivité, proximité, Pierre Rosanvallon, Seuil, 2008
[22] Idem
N’hésitez pas à partager cet article
Nous remercions vivement Florence TANTIN, Directrice d’Hôpital honoraire, Auteure, Executive MBA, NEOMA Business School, Coach certifiée professionnelle et personnelle MHD, pour partager son expertise auprès de nos fidèles lecteurs de notre plateforme média digitale d’influence et de référence ManagerSante.com.