Nouvel Article proposé par notre expert, Dominique BERIOT (spécialiste de l’approche systémique du changement et du management dans les entreprises depuis plus de 40 ans), conférencier et auteur de nombreux articles & ouvrages
N°18, Septembre 2021
Dans nos échanges en présentiel ou en distanciel, nous recueillons de l’information sur nos interlocuteur en « interprétant » leurs messages non verbaux.
En systémique, nous apprenons à contourner cette pratique de l’interprétation en nous appuyant sur les « indicateurs communicants » exprimés par les comportements.
L’objectif de cet article consiste à montrer, en nous appuyant sur les travaux de la PNL (programmation neuro-linguistique) issue des travaux de l’École de Palo Alto, une nouvelle façon d’utiliser ces comportements non-verbaux afin d’améliorer sa communication et son art de faciliter nos échanges.
Le comportement "non verbal" est sujet à interprétation
Toute parole échangée s’accompagne de gestes, de mimiques, de toute une expression non verbale qui contribue souvent à lui donner du sens. Que nous le voulions ou non, les signaux émis par notre corps sont constamment interprétés par nos interlocuteurs qui, selon leur culture, leur expérience, leur tempérament, la situation et les circonstances, leur attribuent un sens différent. En effet, plusieurs personnes qui donnent leur avis sur un comportement, une attitude, une expression, se trouvent rapidement confrontées à des différences de conclusions. Chacun interprète, justifie ses interprétations, juge par rapport à ses modèles, et cela avec la conviction de la pertinence de son analyse.
Au cours d’une réunion avec ses collaborateurs, un manager annonce son intention de préparer, à la demande de la direction générale, un plan de réduction du personnel et il en commente les raisons. Après un long silence, il se renverse sur le dossier de sa chaise et cache son visage dans ses mains. Le front plissé, il demeure ainsi immobile.
Chacun alors interprète à sa façon ce comportement. Pierre comprend que ce sujet le tracasse particulièrement. Josiane, sa secrétaire, a cru qu’il tentait de dissimuler un léger malaise physique (elle sait qu’il a quelquefois des maux de tête). Quant à Paul, il est persuadé que son patron n’a nullement envie de s’étendre sur cette question de crainte d’être obligé de l’approfondir. Sachant que son manager a déjà effectué un licenciement collectif dans son entreprise précédente, Philippe pense que le souvenir de ces tensions le perturbe. Quant au manager, comme il a fêté la veille entre amis son anniversaire, il pourrait dire qu’il ressent peut-être tout simplement la fatigue d’un dîner trop arrosé.
Dans notre culture, il est bien difficile de ne pas interpréter et encore plus difficile de savoir quelle interprétation est juste. Et pourtant le langage non verbal de notre corps fait bel et bien partie intégrante de la communication. Il serait dommage de se priver de sa richesse ou, au contraire, de l’utiliser sans discernement en émettant sur-le-champ des interprétations subjectives.
Dans un échange, les signaux non verbaux ont évidemment des sens différents. Ils peuvent :
– constituer un message conscient porteur d’un contenu précis ;
– correspondre à une méta-communication sur la relation ;
– véhiculer un message en contradiction avec les propos tenus ;
– traduire un état intérieur de bien-être ou de malaise ;
– montrer une rupture, une lassitude, un décrochage de l’échange ;
– indiquer le contexte d’une situation ;
– manifester une gêne physique ;
– révéler des émotions d’origines diverses…
On pourrait encore allonger la liste….
Par ailleurs, si un même signe traduit parfois la même chose chez une même personne, il est évident que sa signification diffère d’une personne à l’autre. Ainsi, le fait de croiser les bras et les jambes au cours d’un entretien peut, selon les personnes, correspondre à :
– une réaction psychologique interne de défense ;
– une mobilité naturelle du corps qui peut exprimer une aisance physique et psychologique ;
– un besoin de se recroqueviller pour se maintenir au chaud dans une pièce où la température ne convient pas ;
– un mouvement inconscient exprimant un désaccord, conscient ou non, sur un point abordé ;
– une nécessité psychologique pour se concentrer.
Et bien d’autres choses encore !
Le nombre de signaux non verbaux et la multitude des sens qu’on peut leur accorder exposent celui qui s’aventure dans le champ des interprétations à des erreurs fréquentes. Une formation particulière, associée à une pratique quotidienne, mettrait-elle «l’interprète » à l’abri de projections puisées dans sa mémoire ? Ce n’est pas sûr… Toujours est-il que la plupart d’entre nous n’ont pas bénéficié d’un tel enseignement et n’hésitent pourtant pas à se livrer à des interprétations avec la conviction de détenir la vérité. Par ailleurs, pendant que nous élaborons une explication sur la réaction de notre interlocuteur, notre qualité d’écoute nécessairement diminue. Et, dans le même temps, nous sommes tentés de poser des questions pour confirmer nos hypothèses, de donner des avis, de faire des procès d’intention ou de prendre des décisions hâtives.
Après une heure de débat portant sur le montant d’une prime, le directeur général de la société Télémix fait une proposition aux organisations syndicales. Celle-ci est suivie d’un long silence. Interprétant ce silence comme un refus et voulant absolument mettre un terme à cette revendication, le directeur général reprend la parole pour proposer un montant légèrement supérieur – il précise que c’est sa dernière offre. Quelque temps après, le DRH qui assistait à la négociation apprend par un négociateur syndicaliste que le silence était dû à une surprise générale, il s’attendait lui-même à un refus catégorique d’augmentation. Il a donc été doublement étonné quand le directeur général a majoré le montant de cette prime.
Le langage non verbal est un langage analogique, donc global et imprécis. Traduire la quantité d’informations contenue dans une expression non verbale nécessite un nombre de mots très élevé. Il n’existe pas de codification universelle de ce mode de communication. Certains comportements non verbaux font partie des règles relationnelles d’une culture spécifique, mais au niveau individuel, on ne saurait leur attribuer une signification précise. Cela n’empêche pourtant pas des spécialistes de la communication ou du coaching de se référer à des modèles qui n’ont comme intérêt essentiel que de renforcer leur pouvoir à partir d’un savoir dont la pertinence est quasiment impossible à démontrer.
Ajoutons que dans une perspective d’amélioration d’une communication, voire d’un changement, l’interprétation est assez souvent mal vécue, sauf peut-être dans le cas particulier d’une relation thérapeutique.
Si, dans la vie courante, nous ne pouvons nous empêcher de chercher à donner une signification aux attitudes non verbales, il nous est par contre possible de l’éviter, dans certaines situations professionnelles.
L’école de Palo Alto, nous propose une nouvelle logique pour son utilisation. Nous l’avons dénommé : synchronisation interactionnelle. C’est un nouveau regard qui permettra aux non-spécialistes de l’interprétation de cheminer sur un terrain plus sûr.
La synchronisation interactionnelle renforce la qualité des échanges
Le langage non verbal est véhiculé par des indicateurs communicants, c’est-à-dire par tous les signaux que le corps manifeste à un interlocuteur : modulation, rythme et tonalité de la voix, coloration du visage, rythme respiratoire, postures, mobilité du corps et de ses membres, déplacement des yeux, etc. Notre culture ne nous a pas appris à observer ces différents signaux. Des exercices avec des stagiaires montrent les limites de nos capacités d’observation dans ce domaine. Et pourtant, en s’appuyant sur ces indicateurs non verbaux, sans les interpréter, on renforce sa capacité à se mettre en relation. Surtout si l’on adhère à ce postulat essentiel : faciliter la communication avec quelqu’un, c’est aller vers lui, entrer dans son système de pensée et de valeurs, accéder à ses représentations, à sa logique, et non l’entraîner dans un autre système et dans une autre logique.
La figure donne un aperçu des principaux signaux qui peuvent servir d’indicateurs de communication. Les managers qui la pratiquent se limitent aux trois indicateurs les plus faciles à observer et à accompagner, à savoir : « la posture, les gestes et la voix ».
Nous allons voir comment nous appuyer sur ce matériau pour améliorer notre capacité à recueillir l’information.
Se synchroniser, c’est s’ajuster globalement sur son interlocuteur en cherchant à créer une certaine similitude entre deux attitudes physiques. Cela consiste à réduire les écarts entre ses signaux non verbaux et les siens propres.
On veille à maintenir cette légère symétrie tout au long de l’échange afin de gommer les différences trop voyantes ; il s’agit d’effectuer un rapprochement vers l’autre.
Ensuite, on cherche à s’aligner sur tel ou tel indicateur spécifique évident :
s’il parle fort et lentement, il suffit de hausser un peu le ton et de ralentir son débit sans pour autant atteindre son niveau sonore et sa vitesse d’élocution. La voix est un indicateur intéressant dans la mesure où elle est accessible, et par ailleurs facile à percevoir dans les échanges à distance.
Il n’est évidemment en aucun cas question de singer son interlocuteur, on tomberait dans la caricature et on obtiendrait un effet inverse à celui escompté ! Mais il s’agit d’atténuer toute différence globale du corps et d’adapter son rythme à partir d’un indicateur particulier facile à percevoir et à modifier chez soi. Cette façon de se mettre en phase favorise chez l’interlocuteur un sentiment de compréhension et de confiance.
Au cours d’un entretien de recrutement, Quentin constate que le candidat assis devant lui se tient très droit, les mains croisées et posées sur ses genoux, le regard un peu fixe. Il semble rigide. Tandis que lui-même, détendu, s’appuie sur le dossier de son fauteuil, les bras reposant sur les accoudoirs … Afin de réduire la différence d’attitude qui existe entre eux, il décide de modifier légèrement sa position : il se redresse sur son siège et croise les mains sur son bureau. S’il avait fait une lecture psychologique de l’attitude du candidat, il aurait pu penser : « Voilà un homme tendu, nerveux, rigide, je crains qu’il ne fasse pas l’affaire pour ce poste ! ». Mais au lieu de se laisser encombrer par ses propres projections, il s’est rapproché du candidat et a réduit l’écart entre leurs deux positions. De même, comme le candidat parle plus doucement et plus lentement que lui, Quentin ralentit son débit et atténue le timbre de sa voix, toujours dans le but de réduire ces écarts et de mettre à l’aise son candidat. Ce faisant, Quentin se rend plus disponible pour recueillir les informations dont il a besoin afin de prendre la meilleure décision dans l’intérêt de chacun. Quant au candidat, il se détend peu à peu, adopte une posture plus souple, s’appuie sur le dossier de son fauteuil, décroise les mains. Pour rester synchrone, Quentin modifie également sa position. Au fur et à mesure que l’entretien progresse, on peut constater une évolution naturelle et réciproque des attitudes non verbales. Il s’établit une sorte de danse des corps comparable aux déplacements d’un banc de poissons. Les corps sont rythmés, les voix concordantes. L’entretien progresse dans un climat détendu.
Pour celui qui prend l’initiative de se synchroniser, l’effet obtenu est double. Tout d’abord, il évite d’émettre des messages non verbaux sujets à interprétation par son interlocuteur. En effet, nous savons que toute information est une donnée nouvelle qui crée une différence et modifie l’image mentale que le récepteur a de la réalité. Par conséquent, toute différence notoire entre nos propres signaux et ceux de notre interlocuteur est une information qui peut donner matière à interprétation. Il en est de même pour tout changement de posture, du ton de la voix ou de la mobilité des gestes.
Le second effet pour celui qui se met en phase, c’est l’instauration d’un état de concentration sur son vis-à-vis qui l’empêche de se mettre lui-même à interpréter et le conduit à une plus grande capacité d’écoute : il est naturellement conduit à mieux capter les informations qui lui sont transmises.
Une observation attentive des comportements montre que les personnes particulièrement en phase présentent des indicateurs non verbaux tout à fait proches, un même rythme de mouvements, de mimiques, et de ton, alors que l’inverse se produit entre des interlocuteurs en désaccord.
Certaines personnes qui découvrent cette technique posent parfois la question d’ordre éthique suivante : alors que la communication doit être naturelle et spontanée, une telle technique ne dénature-t- elle pas l’échange en le rendant plus artificiel ? Et cette manipulation est-elle morale ?
Ma réponse s’appuie sur le principe de Palo Alto : « nous ne pouvons pas ne pas influencer les autres. » Si nous les influençons de toute façon, et malgré nous, sans obtenir de résultats satisfaisants pour chacun, quel bénéfice apporte la spontanéité ? L’objectif est-il d’être naturel ou de faciliter l’échange ? Chacun a pu se rendre compte des méfaits de certains comportements spontanés ! Sachant que nous influençons nécessairement les autres, autant le faire de façon cohérente par rapport un objectif commun .
L’aspect moral sous-jacent à ce type de comportement réside dans l’optique de celui qui utilise cette technique : agit-il exclusivement dans son intérêt personnel ou dans l’intérêt des deux parties ? Heureusement, et c’est là que la morale s’y retrouve, celui qui manipule autrui dans son intérêt propre crée rapidement autour de lui des résistances, voire un mutisme qui réduit peu à peu la qualité des échanges.
Cette utilisation du non-verbal est un moyen d’entrer en relation plus qu’un acte de domination, une recherche permanente de progrès pour soi-même plus qu’une prise de pouvoir sur les autres. La synchronisation interactionnelle est un art plus qu’une technique.
Nous remercions vivement Dominique BERIOT (spécialiste de l’approche systémique du changement et du management dans les entreprises depuis plus de 40 ans), conférencier et auteur de nombreux articles & ouvrages, dont le dernier paru en Février 2018, « Guide systémique du manager d’équipe: 40 situations managériales du quotidien » aux Editions Eyrolles), de partager son expertise professionnelle avec nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie de l'auteur :
Dominique BERIOT, possède une triple expérience professionnelle. D’abord comme manager ou dirigeant dans cinq entreprises différentes de 2000 à 15000 personnes, puis comme consultant de l’entreprise de conseil qu’il a créée et spécialisée dans la conduite du changement par l’approche systémique. Il contribue à la diffusion de la pensée systémique à travers des conférences et des travaux de recherche. Dominique BERIOT a publié 6 ouvrages dans le domaine du management et, plus spécifiquement sur l’approche systémique du changement, dont les plus récents : – « Guide systémique du manager d’équipe, 40 situations managériales du quotidien« , Eyrolles, 2018. – « Manager par l’approche systémique, s’approprier de nouveaux savoir-faire pour agir dans la complexité », Eyrolles, 2014. (préface Michel Crozier).«
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