Article proposé par notre nouvel expert, Jérôme BERANGER (Co-Fondateur et CSO du Label ADEL (Algorithm Data Ethics Label). Chercheur (PhD) associé à l’Inserm 1027 de l’Université Paul Sabatier de Toulouse. Il est expert dans l’éthique du numérique. Ses recherches sont centrées sur l’approche morale et humaine de la révolution numérique. Il a publié plus de 80 contributions écrites sur le sujet ainsi que de 3 ouvrages (« Les SI en santé et l’éthique » , « Les big data et l’éthique »). et « le code éthique algorithmique » (2018)
N°1, Juin 2018
L’éthique de l’information médicale au cœur de la relation asymétrique médecin-patient
L’information médicale fait systématiquement partie de la communication médecin-patient notamment pour permettre l’adhésion au traitement. Généralement, une information est nécessaire pour permettre la participation du patient dans une prise de décision le concernant. Ce transfert d’information va alors fortement dépendre des caractéristiques de la décision médicale telles que le contexte, les conséquences, la complexité et l’incertitude. Une telle situation fondée sur la transmission, l’échange, le partage et l’équilibre de l’information médicale explique la complexité intrinsèque de ce colloque singulier entre le médecin et son patient. Cette relation asymétrique appelle naturellement à des réflexions éthiques comme cela est le cas pour la notion de réciprocité qui se trouve dans l’échange.
Quels enjeux éthiques pour les technologies de l’information et communication en santé ?
Après des siècles de « paternalisme médical » préservant le malade de l’information médicale et de la vérité, on assiste depuis une vingtaine d’années à un rééquilibre de la relation soignante où le patient devient plus acteur de sa santé. Avec le développement de l’e-santé, de la télémédecine de la m-health, et des Big data médicaux, le malade devient plus demandeur d’information. On assiste à une véritable révolution numérique et digitale sans précédent bouleversant le secteur de la santé. Dès lors, l’évolution par un management éthique devient nécessaire. Cela revient à s’interroger sur les nouvelles formes de communications organisationnelles, mais aussi sur le rapport que chacun de nous entretient dans la relation de soin.
Quelle place, quel rôle est dévolu au malade dans la prise en charge de sa santé au sein d’organisations en pleine révolution de nouvelle gouvernance et sur fond de modèles managériaux fortement chahutés ?1
L’évolution de la technologie et des mentalités a-t-elle abandonnée certaines valeurs, règles et principes humains devant l’importance grandissante de l’information médicale ? L’informatisation et la numérisation des données médicales mettent-elles en péril certains fondements sociaux et moraux de la médecine tels que la confidentialité et la sécurité de l’information médicale ? Le droit à l’accès, la fiabilité et la légitimité de cette information sont-elles remis en cause ? Le développement technologique n’a-t-il pas banalisé la « sacralisation » de l’information médicale en la rendant de plus en plus accessible à tous ?
Dans un cas plus grave, cette modernisation des outils de l’information et de la communication illustrée notamment par la télémédecine, ne risque telle pas de reléguer au second plan la pratique clinique et thérapeutique en la déshumanisant ?
Autant de questionnements qui restent souvent en suspens, faute de réflexions institutionnelles de fond sur et autour de la question du management en santé.
Ainsi, la e-communication médicale doit participer à la recherche d’un équilibre relationnel favorisant la concertation et le développement des personnes afin d’apporter une meilleure prise en charge des patients. Dans ces conditions d’équilibre et d’harmonie relationnelle, la morale individuelle s’allie à la raison collective afin de résoudre au mieux les questions d’ordre éthique médicale.
D’après Jean Abbad2, une communication sociale est indispensable à l’épanouissement, au développement et à l’affirmation de chaque organisation médicale marquée par un système de valeurs, de normes et de réalisations. C’est pourquoi, pour interpréter le comportement des personnes en situation de communication, il faut chercher à comprendre le sens que ces derniers donnent à leur action. Ce sens est le produit d’une interaction entre le fait de communiquer et l’ensemble des éléments qui forment le contexte médicale.
Il en ressort divers paramètres tels que : l’environnement physique et sensoriel, l’organisation spatiale, les données temporelles, les normes, les processus de positionnement des individus et d’expression identitaire, la nécessité de la « qualité relationnelle ». C’est donc au travers de cette combinaison complexe de ces critères de processus qui forment un système, que le médecin et son patient vont donner un sens à leur façon de communiquer et d’agir entre eux.
Quelle place tient l’éthique dans la communication médicale ?
La décision médicale soulève de plus en plus souvent des questions difficiles sur le plan éthique. Elle a un champ de recherche en pleine expansion, puisant ses sources dans l’éthique, la connaissance fondamentale, mais aussi la pratique et l’expérience3.
Généralement, la e-communication ne demande pas une réflexion éthique prononcée, mais s’appuient plus sur le savoir-faire, le respect du code de déontologie, la concrétisation des protocoles et des recommandations de bonnes pratiques professionnelles ainsi que les compétences technologiques du praticien.
La prise de décision éthique est très complexe et nécessite prudence et expérience. L’éthique intervient lorsque le professionnel de santé est confronté à des choix pour lesquels ses valeurs, ou des valeurs socialement partagée, entrent en conflit les unes avec les autres. En d’autres termes, l’éthique est la réflexion qui naît d’une tension entre nos valeurs. La décision médicale s’inscrit donc dans un dispositif relationnel aux multiples facettes.
L’action médicale s’appuie sur la capacité de raisonnement du praticien et son aptitude à prendre des décisions alors que les données médicales sont potentiellement entachées d’incertitude notamment avec l’usage des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Cette incertitude peut être d’origine multiple : possibilité d’erreur dans la saisie des données, ambigüité de la représentation de la connaissance, etc. Dans ces conditions, l’incertitude devient le moteur éthique de la décision médicale nécessitant une nécessité absolue d’une vigilance morale.
L’éthique doit rester une discipline rationnelle, ouverte et accessible à tous les acteurs des sciences humaines et médicales ainsi qu’aux usagers de santé.
Ceci nous amène à nous poser la question de savoir quelles valeurs éthiques pourraient être admises par tous ?
Quel socle d’analyse éthique pour ces Technologies de l’Information et de la Communication ?
Après étude approfondie de la littérature internationale sur la bioéthique, nous pouvons dégager quatre principes éthiques fondamentaux qui se retrouvent comme une constante selon les pays :
- Autonomie4 : Faire participer le patient dans la décision médicale ;
- Bienfaisance5 : Apporter un bien auprès de l’usager de soins ;
- Non-malfaisance6 : Eviter au patient des préjudices ou des souffrances inutiles ;
- Justice7 : Partager entre tous les patients des ressources disponibles équivalentes (temps, énergie, écoute, argent, etc.)
On constate que ces quatre principes éthiques ont été formalisés pour la première fois par T.L Beauchamp et J. Childress (2001). La notion de « principe » fait référence à celle de « valeur » en la formalisant. Selon Pierre Le Coz8, l’éthique désigne la réflexion qui naît du conflit entre ces valeurs. Si tous ces principes vont dans le même sens alors cette réflexion s’introduit sur le terrain de la morale constituant un ensemble d’obligations qui s’imposent à nous.
Par conséquent, ce management éthique se positionne dans une sorte de médiation, de « l’entre » : placé entre l’individu et l’action, entre l’interaction de la personne et sa mise en place, entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle.
Son action est donc significativement importante auprès des acteurs de la relation médecin-patient car elle s’oriente en premier lieu vers la finalité et le sens d’un acte médical. Ceci passe inévitablement par une bonne maîtrise et un partage éthique des informations qui circulent.
En conséquence, nous pouvons affirmer que les NTIC modifient bien le circuit communicationnel, les responsabilités, et la chaîne de valeur du domaine médical9. Au-delà du fait que ces nouvelles technologies permettent de trouver le bon diagnostic, nous assistons tout de même à une déshumanisation de la relation de soin, déjà assez froid et effrayant pour les non-initiés.
Tout se réduirait-il à une offre de « process », c’est-à-dire de procédures au détriment de la conscience professionnelle, de la créativité, de l’instinct et de l’inventivité occasionnelle permettant un meilleur usage des moyens ?
La technique occulte ou remplace telle la relation médecin-patient ?
A notre sens, une des solutions passent fondamentalement par un effort de sensibilisation et d’éducation éthique auprès des professionnels de la e-santé et des usagers de soins…
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1 Coudray M. A, Barthes R. (2006). Le management hospitalier à la croisée des chemins. Gestion hospitalière, Janvier, p.18-19.
2 Abbad J. (2001). Organisation et management hospitalier. Berger-Levrault, Paris.
3 Llorca G. (2004). Guide pratique de la décision médicale : L’éthique en clinique. MED-LINE Editions.
4 Faire participer l’individu à un processus décisionnel en garantissant son consentement éclairé via une information claire, précise, adaptée et compréhensible.
5 L’action entreprise doit être bénéfique et apporter le bien-être envers la personne.
6 Eviter le mal afin de ne pas causer du tort à la personne.
7 L’action effectuée est fondée sur l’égalité et l’équité envers les individus.
8 Le Coz P. (2007). Petit traité de la décision médicale. Seuil, Paris.
9 Silber D. (2009). L’Internet et le partage de la décision médicale entre patients et professionnels de santé. La Presse Médicale, Vol.38, N°10, p.1491-1493.
Biographie de l’auteur :
Jérôme BERANGER est Conférencier, Entrepreneur et Chercheur en éthique du numérique .
Auteur d’une thèse doctorale obtenue en Juillet 2012, en « Pathologie Humaine » (option : Ethique) sur le : « Modèle d’analyse éthique des systèmes d’information en santé appliqué à la cancérologie ».
Jérôme BERANGER poursuit ses travaux de recherches depuis 9 ans et à publié plus d’une 80aine d’articles ainsi que de 3 ouvrages (« Les SI en santé et l’éthique » et « Les big data et l’éthique »).
Jérôme a participé à de nombreux concours et a été plusieurs fois nominés. Aujourd’hui, il collabore avec de nombreux acteurs du numérique. Il est co-fondateur du label ADEL (Algorithm Data Ethics Label) sur l’éthique du traitement des données numériques via les SI automatisés (incluant les SI, les bases de données (Big Data), et les algorithmes de traitement).
Chief Strategy Officer chez ADEL, il contribue à développer le premier Label Ethique autour des systèmes d’information automatisé et des Big Data, de portée internationale dans le secteur de la santé, de l’assurance et de la finance en France, puis à l’international.
Il a co-rédigé en 2018 un livre blanc sur les bonnes pratiques éthiques autour du traitement algorithmique des données numériques : « Vade-mecum sur le traitement des données numériques : Réflexions et bonnes pratiques éthiques ».
Téléchargez gratuitement le livre blanc : ADEL (Version Française)
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