Nouvel article rédigé par notre nouvel expert, Alexandre NIGGEL, infirmier militaire, créateur de solutions personnalisées pour le secteur de la santé, dirigeant de Learning Experience.
Depuis l’aube de la civilisation, l’humanité a été façonnée par ses inventions, de la roue à l’intelligence artificielle. Pourtant, toutes les innovations n’ont pas le même impact. Certaines transforment notre quotidien, tandis que d’autres tombent dans l’oubli. Pourquoi cette différence ?
La réponse réside souvent dans notre organe le plus complexe et le plus fascinant : le cerveau. Prenons l’exemple des godillots. Plus qu’une simple chaussure, ils symbolisent une conception qui respecte la nature humaine, épousant la forme de nos pieds plutôt que de les contraindre. C’est cette harmonie, cette compréhension profonde des besoins humains, qui est au cœur de l’ergonomie mentale.
Alors, embarquez avec nous dans un voyage à travers la science de l’adaptation, où technologie et esprit humain fusionnent en parfaite symphonie.
Le cerveau : un organe aux capacités étonnantes mais limitées
Le cerveau, cette splendeur évolutive, est un mélange fascinant de robustesse et de finesse. Composé de milliards de neurones interconnectés, chaque section, de ses lobes profonds à ses gyri ondulés, joue une symphonie coordonnée qui façonne notre réalité. Il est capable de prouesses allant de la mémorisation des paroles d’une chanson entendue il y a des années, à la régulation complexe de notre métabolisme et de notre rythme cardiaque.
Mais, à l’instar d’un musicien virtuose qui, malgré son talent, peut fausser une note sous la pression, notre cerveau a ses limites. Bien qu’il soit équipé pour traiter une avalanche d’informations simultanément, il peut être submergé, conduisant à la fatigue, à la distraction, voire à l’oubli.
Cette dualité entre ses capacités extraordinaires et ses vulnérabilités intrinsèques le rend d’autant plus fascinant et précieux. Pensez à une fois où vous avez essayé de faire du multitâche, comme répondre à des emails tout en participant à une réunion en ligne.
Remarque : Vous avez peut-être remarqué que votre performance dans les deux tâches était moins bonne que si vous vous concentriez sur une seule. C’est une illustration des limites de notre cerveau en matière de traitement de l’information.[1]
L'empan, un indicateur de notre capacité cognitive :
L’empan, bien que souvent relégué aux discussions académiques, est en réalité un élément central de notre expérience quotidienne, influençant discrètement la façon dont nous percevons et interagissons avec le monde qui nous entoure. Imaginez un instant que l’on vous présente une suite de chiffres, d’abord cinq, puis dix, et enfin vingt. Vous vous rendriez rapidement compte que votre capacité à les retenir diminue à mesure que la série s’allonge. C’est exactement là que l’empan intervient : il définit la quantité d’informations que notre mémoire à court terme peut gérer simultanément sans être submergée.
Dans notre ère numérique, où l’information est constamment à portée de main, l’empan prend une signification encore plus cruciale. Les concepteurs d’interfaces, les développeurs d’applications et même les créateurs de contenu doivent tenir compte de cette capacité cognitive limitée. Sinon, ils risquent de saturer l’utilisateur avec trop d’informations, rendant leurs produits moins efficaces et plus frustrants à utiliser.
Mais ce n’est pas seulement dans le monde numérique que l’empan joue un rôle. Pensez à la manière dont vous faites vos courses, lisez un livre ou même conversez avec un ami. Votre capacité à suivre une liste, à comprendre un argument complexe ou à vous rappeler d’un fait intéressant dépend directement de votre empan.
Conseil : En le comprenant et en l’honorant, nous pouvons non seulement créer des technologies plus adaptées, mais aussi vivre notre vie quotidienne de manière plus équilibrée et consciente.
Exemple concret :
Imaginez-vous au supermarché, votre liste de courses est courte : lait, œufs, pain. Simple, non ? Mais ensuite, votre conjoint vous envoie un texto avec d’autres articles à ajouter : avocats, jus d’orange, pâtes, sauce tomate, et du chocolat « pour le moral ». Vous vous dites que vous pouvez gérer. Mais, attendez ! Votre mère vous appelle et vous demande de prendre aussi du café et du sucre. À ce stade, votre cerveau se sent comme un jongleur maladroit essayant de garder en l’air trop de balles à la fois. Vous finissez par oublier le lait, l’élément le plus important, et rentrez à la maison avec un paquet de chips aromatisées au wasabi que personne n’a demandé. Voilà votre empan en action, ou plutôt en inaction, prouvant que même les tâches les plus simples peuvent devenir des défis comiques quand notre cerveau atteint sa limite.[2]
La surcharge cognitive : quand le cerveau est saturé
Nous sommes tous passés par là : essayant d’écouter attentivement une réunion Zoom tout en faisant défiler une série interminable d’e-mails, en jetant un œil aux notifications du téléphone, et peut-être même en griffonnant quelques notes sur un post-it. Cette gymnastique mentale, bien que souvent considérée comme une compétence essentielle à l’ère du numérique, a un coût : la surcharge cognitive.
La surcharge cognitive est comparable à ce que ressent un ordinateur lorsqu’il a trop d’onglets ouverts. Tout comme une machine ralentit, notre cerveau aussi commence à s’épuiser, perdant sa capacité à traiter efficacement les informations. Et ce n’est pas seulement la multitâche qui est coupable. Une interface utilisateur mal conçue, avec des menus déroutants ou des boutons mal placés, ou un logiciel doté de fonctionnalités excessives sans une formation adéquate, peut rapidement conduire à cette sensation d’overdose mentale.
Les conséquences de cette surcharge vont bien au-delà de la simple confusion. Elle peut entraîner des erreurs, souvent dues à des oublis ou à des actions précipitées. La frustration peut monter, surtout si l’on se sent impuissant face à une tâche qui, en théorie, devrait être simple. Dans les cas extrêmes, cela peut conduire à l’abandon d’une tâche ou même à la désinstallation d’une application.
Remarque : : Comprendre et reconnaître les signes de la surcharge cognitive est crucial, non seulement pour les concepteurs et les développeurs, mais aussi pour les utilisateurs. En prenant le temps de s’arrêter, de faire une pause et de simplifier, nous pouvons non seulement améliorer notre efficacité, mais aussi notre bien-être général à l’ère de l’information.[3]
L'ergonomie mentale : des principes basés sur la compréhension du cerveau
Bien que la compréhension du cerveau soit une quête fascinante en soi, elle prend tout son sens lorsqu’elle est appliquée à notre interaction quotidienne avec le monde. L’ergonomie mentale ne se contente pas de décortiquer les mécanismes cérébraux ; elle vise à les intégrer dans la conception de nos outils et technologies, créant ainsi une harmonie entre notre fonctionnement cognitif intrinsèque et l’environnement numérique qui nous entoure.
Pensez à l’ergonomie mentale comme à un architecte qui conçoit une maison en tenant compte non seulement de l’esthétique, mais aussi de la manière dont ses habitants vivront et se déplaceront à l’intérieur. De la disposition visuelle, qui capte notre attention et guide nos yeux, aux temps de réponse, qui respectent notre besoin de rétroaction instantanée, chaque détail est pensé pour s’aligner sur notre fonctionnement cérébral.
Remarque : La clarté des instructions assure que nous ne sommes pas perdus ou frustrés, tandis que l’intuitivité des commandes nous permet d’interagir avec la technologie comme une extension naturelle de nous-mêmes.
C’est cette fusion délibérée entre le monde numérique et notre biologie qui rend l’ergonomie mentale si cruciale à l’ère moderne. Elle construit littéralement des ponts, facilitant notre navigation dans un paysage technologique en constante évolution, tout en veillant à ce que notre bien-être et nos capacités cognitives soient toujours au premier plan.
Exemple concret dans la formation des professionnels de santé :
Lorsque j’anime des formations en réanimation cardio-pulmonaire (RCP), je suis conscient que les participants peuvent se sentir initialement dépassés par la complexité des instructions et la terminologie médicale. Pour pallier cela, j’intègre des technologies innovantes dans mon approche pédagogique. Par exemple, j’utilise un mannequin connecté qui fournit un retour en temps réel sur la qualité du massage cardiaque effectué par chaque participant. Ce feedback visuel et sonore est synchronisé avec leurs actions, permettant une boucle de rétroaction immédiate. Cette méthode d’enseignement, fondée sur les principes de l’ergonomie mentale, permet aux participants de corriger instantanément leur technique. Le résultat est saisissant : en quelques sessions seulement, ils passent d’un sentiment d’incompétence à une confiance accrue dans leur capacité à effectuer une RCP efficace. En utilisant l’ergonomie mentale, je transforme une compétence qui pourrait être perçue comme complexe et intimidante en une expérience d’apprentissage intuitive et enrichissante.
Les godillots : une leçon d’adaptabilité :
Les godillots, bien plus qu’une simple paire de chaussures, incarnent la convergence de l’ergonomie et de la stratégie militaire. Avant leur apparition, le monde des chaussures militaires était peuplé de modèles rigides et inconfortables, peu adaptés aux rigueurs des longues marches et des terrains difficiles. Ces chaussures, malgré leur allure robuste, négligeaient un élément fondamental : le confort du soldat. C’est avec l’avènement des godillots que la vision de la chaussure militaire a été révolutionnée. Ces chaussures, en adoptant une philosophie centrée sur l’humain, se sont adaptées aux contours naturels du pied plutôt que de le contraindre. Pour les armées napoléoniennes, cette évolution a eu des implications stratégiques majeures. Grâce à ces godillots ergonomiques, les soldats napoléoniens ont pu parcourir des distances plus importantes avec un confort nettement supérieur. Moins de blessures, moins de fatigue, ce qui a donné des troupes plus alertes, mobiles et prêtes pour le combat. Cette capacité à se déplacer rapidement et avec efficacité a offert un avantage stratégique sans précédent à Napoléon, ses troupes surpassant souvent des adversaires moins bien chaussés et donc moins mobiles.
Dans ce contexte, il est amusant, voire ironique, de constater que nous avons attendu le 19ème siècle pour enfin adapter nos chaussures à nos pieds, que nous voyons et utilisons chaque jour.
Alors, combien de temps faudra-t-il pour adapter nos contenus et enseignements à notre cerveau, cette mystérieuse entité que nous ne voyons jamais ?
Remarque : Cette anecdote, au-delà de son humour, nous rappelle l’importance cruciale d’une conception centrée sur l’utilisateur, qu’il s’agisse de chaussures, de technologies ou d’éducation.
Lire la suite de cet article le mois prochain.
Pour aller plus loin :
[1] Sénanque, A. (2022). Le cerveau m’a beaucoup déçu, L’esprit non.-Les révélations d’un neurologue sur les limites du cer. Les éditions Trédaniel.
[2] Aberkane, I., Burnod, Y., & Tisseron, S. (2016). Libérez votre cerveau!: traité de neurosagesse pour changer l’école et la société. Robert Laffont.
[3] MOHAMED, M. S. Diminution de la surcharge cognitive et amélioration de l’interface dans un hypermédia dynamique adaptatif générant des activités pédagogiques (HYPERGAP).