[Reportage] publié par Muriel ROSSET, (coach, formatrice et enseignante en philosophie et management, qualité de vie au travail), à l’occasion de la soirée organisée par l’Institut Français de l’Expérience Patient, fondé par Amah KOUEVI, le 4 octobre 2018 à l’auditorium de cardiologie de la Pitié Salpétrière (Paris), sur le thème : « L’expérience patient made in USA, un exemple à suivre ? »
N°13, Octobre 2018
« Faites confiance aux patients ! »
#faitesconfianceauxpatients
Leur expérience va transformer nos services de santé. Apprendre à recueillir et analyser cette expérience devient un enjeu stratégique pour répondre aux besoins des personnes et orienter les priorités des professionnels. » Qu’est-ce qui se cache derrière le slogan prometteur et méritant de l’Institut Français Expérience Patient ?
Pour y répondre, l’institut de l’Expérience Patient, fondé par Amah KOUEVI, a organisé le 4 octobre 2018 une rencontre à l’auditorium de cardiologie de la Pitié Salpétrière, sur le thème :
« L’expérience patient made in USA, un exemple à suivre ? »
Pour compléter son diaporama en ligne, et diffuser son appel « faites confiance aux patients », je propose de mettre en perspective les exposés et retours de la salle en quatre étapes :
- partir de la définition de l’expérience patient, pour mieux la comprendre et préciser : expérience patient, de quoi parlons-nous ?
- éclairer la dynamique internationale en route : quelle est donc la nouveauté de l’expérience patient ?
- observer comment elle se déploie aux US, notamment à la Cleveland Clinic, 2ème meilleur hôpital du pays : patient first, medical second
- voir ce que nous disent ces modèles américains issus d’une culture médicale :
- de business, où « another day is another dollar » (chanson phare aux US),
- et de proximité, autour du friendly partnership qui se noue avec le « good doctor » (série télé américaine très populaire).
- pour nous demander que retenir de ces expériences issues d’un autre modèle (communication, logistique ou soins repensés ?) avec en appui le lancement du baromètre de l’Institut Français de l’Expérience Patient, et une surprise en chanson de Voice of Health 3.0.
1. Expérience patient : de quoi parlons-nous ?
« Aujourd’hui, notre système de santé est devenu inadapté : il ne répond plus aux attentes des patients et nourrit le mécontentement des professionnels de santé. Il est marqué par de profondes rigidités d’organisation et est confronté à des tensions financières croissantes« , nous dit la réforme « Ma Santé 2022« , annoncée le mardi 18 septembre 2018 par le président de la République. Cette réforme propose un engagement collectif et une transformation en profondeur autour de 3 engagements prioritaires :
- Placer le patient au coeur du système et faire de la qualité de sa prise en charge la boussole de la réforme. Dans cette optique et avec la mise en place des parcours de soins, ce n’est plus au patient de faire le lien entre les différents professionnels de santé, mais c’est aux soignants de se coordonner.
- Organiser l’articulation entre médecine de ville, médico-social et hôpital pour mieux répondre aux besoins de soins en proximité
- Repenser les métiers et la formation des professionnels de santé.
Ecouter l’expérience patient pour mieux les soigner et prendre soin d’eux… , il semble qu’on ne peut a priori qu’adhérer à cette évidence de base, au point de s’étonner qu’il faille l’institutionnaliser pour la rendre effective, et que l’Etat ait besoin de la mettre au coeur de sa stratégie de transformation du système de santé.
Est-ce à dire que depuis la nuit des temps on soignerait sans écouter le malade, sans l’écouter d’abord ?
Comment pourrait-on soigner et organiser les services de soin sans s’inquiéter et s’appuyer sur l’expérience patient ?
Plutôt que de répondre à de telles questions piégées, je pense à ces quelques témoignages.
Dans le film Médecin de campagne, le médecin explique à sa remplaçante assistante que 80% du diagnostic est donné par le patient, qu’il convient d’écouter jusqu’au bout.
Dans une conférence du médecin de la prison de Fleury Mérogis, retracée dans mon article l’épreuve au cœur de la vie, la traverser et l’accompagner, le docteur Anne Lecu explique qu’il faudrait pouvoir se taire plus de 17 secondes face à un malade.
Un autre médecin, alors qu’elle m’interrogeait sur mon accompagnement du e-patient au volant de sa e-santé, m’a expliqué en s’en désolant que dans ses consultations de spécialiste, elle ne connaissait que deux catégories de patients : celui qui s’en remet trop au médecin, et lui demande de tout décider pour lui et à sa place, celui qui croit savoir mieux qu’elle.
En réalité, faut-il choisir entre les compétences et le savoir de l’un et l’expérience de malade de l’autre ? Médecin et patient n’ont-ils pas chacun une expérience et compétence différente à combiner et articuler ? Pour y voir clair, il convient donc de bien définir de quoi on parle.
L’expérience patient, c’est l’ensemble des interactions d’une organisation de santé avec un patient et ses proches susceptibles d’influencer leur perception tout au long de leur parcours de santé. Ces interactions sont façonnées à la fois par la politique conduite par l’établissement et par l’histoire et la culture de chacun des patients accueillis* (définition inspirée par le Béryl Institute.)
Cette définition systémique correspond aux retours de la salle lors de la conférence organisée parl’Institut Français Expérience Patient, avec un public intéressé par le coté global de la démarche expérience patient dans tous les aspects de la vie d’un établissement, (mobilier, décors artistiques, logistique, accueil, formation des soignants…).
Heureusement, l’expérience patient n’est pas absente de notre système de soins français : des choses sont faites dans des établissements ou par la Haute Autorité de Santé.
Je retiendrai les exemples cités le 4 octobre
- «associons nos savoirs » mobilise à la fois les secteurs de la santé et de l’accompagnement social, dans la lignée de la Déclaration de Vancouver de 2015, qui posait les bases d’une participation citoyenne à la formation professionnelle,
- le « conseil des enfants » de Gustave Roussy, démarche primée par Unicancer, donne une place d’acteur à part entière aux enfants pour participer à l’amélioration de la prise en charge globale et ressentir une satisfaction plus importante vis-à-vis des soins
- les indicateurs satisfaction mis en place par la Haute Autorité de Santé : IQSS 2018 – e-Satis +48h MCO mesure la satisfaction et l’expérience des patients hospitalisés plus de 48h.
2. Quelle est donc la nouveauté de la dynamique expérience patient ?
Pour répondre à cet enjeu repéré au niveau international, posons-nous ces questions :
- Sommes-nous prêts à améliorer la qualité grâce à l’expérience et aux compétences des patients ?
- Sommes-nous prêts à les considérer comme parties prenantes du système de santé, à l’image de toutes les entreprises, qui depuis les excès et déboires de la financiarisation de l’économie et des entreprises, passent progressivement et inéluctablement d’une logique purement actionnaire (shareholders) à une logique plus partenariale (stakeholders) ?
Humainement, la réponse s’impose : la condescendance qui a pu prévaloir et continue de prévaloir pour certains professionnels de santé n’est plus de mise.
Les patients sont des sujets à part entière, et en tant qu’usagers de santé ils ont des droits et devoirs, inscrits dans la loi depuis 2002. Ce changement de paradigme reste pourtant parfois lent à accepter :
lors de sa formation à l’université des patients Pierre et Marie Curie, une patiente experte, présidente et co-fondatrice d’une association pour les femmes vivant avec le VIH, et actuellement représentante des malades et usages du système de santé, a entendu lors de son arrivée quelques commentaires qui l’ont étonnée : « on ne va pas s’asseoir sur les mêmes bancs que des personnes qui n’ont pas fait 5 ans de psychologie ou 9 ans de médecine. »
(NB J’éclairerai ce nouveau partenariat médecin-patient au congrès Med connect du 16 octobre prochain)
Pour répondre à ces médecins sachants (dans tout métier, il existe des sachants et des écoutants, ne jetons la pierre à aucun métier), il convient d’aller plus loin en vérifiant les arguments scientifiques de l’expérience patient, et de constater qu’au-delà de l’enjeu démocratique évident, il y a là un enjeu de santé : de plus en plus d’articles, nous dit le président de l’institut français expérience patient, montrent que cette expérience améliore les résultats des soins.Comment faire alors pour en tenir compte ? S’appuyer sur les patients suppose une remise en cause des pratiques pour les faire évoluer.
3. Patient first, medical second. L’expérience patient aux US peut-elle être un exemple à suivre ?
L’établissement de Cleveland est immense : 1400 lits, un budget de 8-9 milliards de dollars, plusieurs antennes… Sa perspective patient est centrée sur 5 attitudes (se sentir bienvenu, apaisé, rassuré, pris en compte et connecté), j’enfonce certes des portes ouvertes en disant cela, voyons donc sur quels axes cela se concrétise :
- l’axe du personnel : son bien-être, son attitude, sa formation, du CIO jusqu’à la femme de ménage, avec des espaces de travail partagés, sans bureau attitré pour les médecins et le personnel, un management par l’exemple dit management HEART (hear empathize, apologize, respond, thank), une attention particulière aux effets du tout numérique, qui peut oter aux soignants le sens de leur travail, etc…
- l’axe du partenariat patients familles : notamment pour aménager les endroits où ils vont attendre,
- l’axe du parcours patient du domicile au domicile : l’aider à se retrouver et patienter en arrivant à l’hôpital.
Fini les signalétiques, et même le guichet d’accueil, si difficiles à mettre en œuvre dans nos grands établissements de santé :
- des concierges sont là pour accueillir le patient en face à face, lui donner une puce de géolocalisation qui va le guider, et permettre à l’hôpital de savoir combien de temps il attend, afin d’aller le voir quand il attend trop,
- le faire sortir de sa chambre pour favoriser une reprise de vie chez soi plus rapide : bibliothèque, lieu de repas…
- lui donner la possibilité de lire et récupérer son compte rendu médical en direct : une dictée vocale permet au médecin d’avoir un compte-rendu en ligne, sur un écran partagé pour lui et le patient, informé de ce qui est écrit sur lui et pour lui
- permettre au médecin qui va dans sa chambre d’avoir toutes les informations patients sur tablette avant son entrée.
Le beryl institut, partant pour sa part du constat de la dégradation de la réaction des soignants au cours du tour soignant, mais aussi, soyons francs, de la dégradation des notes et dotations financières (les établissements américains sont notés en ligne de 1 à 5), a voulu limiter le burn out des soignants en réduisant leur frustration après un échange patient difficile, et mesurer les effets sur l’expérience patient.
Parfois, souvent même, les idées les plus simples sont les meilleures : dans les verbatim retour des formations déployées au niveau du management et des soignants, il apparaît que rester professionnel, c’est de faire des mini pauses quand le soignant en a besoin. Encore faut-il le dire et le rendre possible, ce que permet une démarche globale de transformation d’un établissement.
4. Au final, que penser et retenir de ces expériences issues d’une autre culture ? Communication, logistique ou soins repensés ?
Les retours et expériences partagées par la salle ont pointé
- le côté global de démarches déjà en route en France, démarches à décliner selon la culture de notre pays mais aussi de chaque organisation de santé concernée : il n’y a pas de modèle préconçu valable partout et pour tout le monde
- le fait que se centrer sur l’expérience patient est bénéfique pour les patients et pour les professionnels
- l’importance de ne pas seulement penser l’expérience patient en termes d’expérience usager, ou en opération de communication interne pour les établissements, mais aussi dans la décision médicale : plus que de noter la « gentille conversation » des patients avec les soignants, il convient de prendre en compte la pertinence des soins selon les patients, point crucial non évoqué ce 4 octobre.
- L’institut lance un baromètre pour mesurer l’évolution de la dynamique en France, analyser l’appropriation des leviers de l’amélioration de l’expérience patient par les professionnels, élaborer des recommandations pour accélérer la mise en pratique. Les questions sont ciblées pour les professionnels de santé, et non pour le patient lambda.
- L’institut nous propose de relayer le message « faites confiance aux patients ».
#faitesconfianceauxpatients
The voice of health 3.0
N’hésitez-pas à laisser vos commentaires… Muriel ROSSET, vous répondra avec plaisir !!!
Nous remercions vivement Muriel ROSSET, Enseignante et formatrice en philosophie et management bienveillant, qualité de vie au travail, RSE et méthodes collaboratives (Université Paris-Descartes, EPF école d’ingénieur, Haute Ecole Ferrer de Bruxelles), coach, auteur & consultante.
Muriel accompagne les professionnels et e-patients que nous sommes tous à devenir des acteurs partenaires de notre santé physique, psychologique et sociale. Elle est aussi présidente de l’association « Connexions familiales, section francophone de la NEABPD » pour la recherche et l’information sur les troubles TPL borderline, le soutien et la psychoéducation des proches.
Elle partage son expérience professionnelle pour nos fidèles lecteurs de www.managersante
Biographie de l’auteure :
« Le sens de la vie est de trouver son don. Le but de la vie est de le partager, » nous dit Picasso
Muriel Rosset est coach, formatrice et enseignante en philosophie et management bienveillant, qualité de vie au travail, méthodes collaboratives et responsabilité sociétale des entreprises (Université Paris Descartes, EPF école d’ingénieur, Haute Ecole Ferrer à Bruxelles).
Elle accompagne également des jeunes et professionnels à révéler et unifier et oser leurs talents en bilan de compétences et bilans d’orientation.
Elle est l’auteur de « oser la bienveillance au travail » dans « sortir du harcèlement moral, conseils d’experts », et de « un lit de promesse, entre amour et amitié.»
Présidente de l’association « connexions familiales, section francophone de la NEABPD » pour la psychoéducation des familles de TPL borderline, elle nous encourage à être un e-patient partenaire de ses soins, engagé dans sa santé et dans la bonne heure à agir pour être pleinement acteur de sa vie et de son travail.
Elle a travaillé 18 ans dans la gestion des talents et les méthodes qualité à Peugeot Citroën, et 7 ans comme responsable jeunesse puis solidarité dans son département.
Avec son parcours multifacettes et ses divers engagements bénévoles, elle aime créer des liens durables et casser les silos disciplinaires ou organisationnels.
Sa publication « une motivation et une démarche collaboratives, proactives et fécondes » est à paraître très prochainement.
Annonce dans les remèdes pour sortir la psychiatrie de son état d’urgence de la création de l’association « Connexions familiales » qu’elle préside.
Des modules de formation sont proposés pour les proches aidants à partir de novembre 2018 (lire en préambule Une 1ère en France en psychoéducation familiale des TPL (Troubles de la Personnalité Limite) : Connexions Familiales©
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