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Comment un cerveau humain apprend-t-il pour stimuler efficacement les apprentissages ? Etienne GALMICHE nous en parle dans son ouvrage sur la «pédagogie expérientielle».

Nouvel article proposé par Étienne GALMICHE, fondateur de L’Agence Activement Bousculante (LAAB), précédemment directeur de TalentCampus.

Passionné par la pédagogie et les expériences apprenantes, il s’est donné pour mission de redonner foi en la formation et l’apprentissage.

Formateur et ingénieur pédagogique, Etienne a formé plusieurs centaines de formatrices et formateurs dans différents secteurs d’activités (éducation nationale, entreprises, praticiens indépendants).

Il est auteur de l’ouvrage intitulé « Innovez en formation grâce à la pédagogie expérientielle, les neurosciences au service de vos formations.: Plus de 50 fiches activités pour développer les soft skills » (2023).

Dans mon livre « innovez en formation grâce à la pédagogie expérientielle », je partage 10 ans d’expériences en pédagogie dans le champ des compétences sociales.

Ces compétences, souvent appelées aujourd’hui « soft skills », sont attendues dans tous les secteurs, marchands ou non marchands. Ce qui était appelé avant de la débrouillardise est devenu l’adaptabilité et le sens des initiatives. Quand on parlait hier de savoir-vivre, on préfère maintenant les aptitudes collaboratives ou l’intelligence émotionnelle. Si les mots évoluent, c’est que l’attention aux « savoir-être » a considérablement grandi : on recrute de plus en plus au regard de ces compétences et on forme beaucoup plus généreusement aux soft skills, des personnes en situation de management à celles en situation de devoir gérer du stress, une communication complexe ou des conflits.

Dans le domaine de la santé, j’ai pu voir passer des formations à la communication positive et non anxiogène où certaines formules comme « ne vous inquiétez pas » étaient bannies au profit de « tout va bien se passer ». Ces évolutions du langage sont très souvent justifiées par une progression des connaissances sur le fonctionnement du cerveau. Dans l’exemple précédent, on insiste sur le fait que le cerveau ne comprend pas la négation et qu’ainsi il retient surtout le verbe « s’inquiéter », ce qui n’est précisément pas le but du personnel de santé qui cherchait à rassurer son patient ! Pour vous en convaincre, voici un exemple que j’aime énormément : « ne pensez pas à la tour Eiffel ». Paf ! Vous y avez pensé…

Si ces savoirs sur le cerveau évoluent, ils charrient aussi toute une foule de « neuro mythes » et d’abus d’usage. La communication positive peut devenir ainsi caricaturale et forcée, éloignant le soignant d’une réelle relation empathique avec le patient. Je suis un peu sceptique sur les logiques de mots choisis et considère que la sincérité reste préférable à beaucoup d’autres stratégies de communication. Quant aux neuro mythes, ils nous démontrent que le cerveau est un organe très complexe dont on ne sait pas encore tout ! Cerveau droit / cerveau gauche ? Neuro mythe… Les profils d’apprentissage auditif, visuel et kinesthésique ? Neuro mythe également…

L’apport des neurosciences sur les théories de l’apprentissage

L’auteur qui a beaucoup aidé dans ce domaine, c’est Stanislas Dehaene. C’est un neuroscientifique qui a écrit notamment Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines, Odile Jacob 2018. Stanislas Dehaene a formalisé une théorie qui tient solidement sur 4 piliers. Les 4 piliers de l’apprentissage sont les suivants :

  • L’attention
  • L’engagement actif
  • Le retour d’information
  • La consolidation

Pour faire simple, l’Homme apprend à peu près de la même façon qu’il a appris à marcher ou à parler : il se concentre sur la tâche à effectuer, essaie, se trompe mille fois et corrige chaque fois un peu mieux.

C’est cela que je trouve remarquable dans les sciences cognitives modernes : elles nous permettent de comprendre pourquoi et comment nous apprenons efficacement quand nous sommes enfant et surtout en quoi les méthodes proposées à l’école peuvent être terriblement inefficaces. Les méthodes dites transmissives partent de l’idée qu’un maître « sachant » transmet son savoir à des élèves « non sachants ». La simple présentation, transmission et explication de ses connaissances suffisant à l’apprentissage. Beaucoup d’enseignants et formateurs considèrent que leur responsabilité est celle d’un émetteur de connaissances. « J’ai respecté le programme ». Cette posture se heurte violemment contre les piliers de l’apprentissage.

Je les reprends brièvement :

L’attention est le mécanisme qui nous sert à sélectionner une information et à en moduler le traitement. Dit plus simplement, c’est la porte d’entrée pour accéder au cerveau. Si la porte est fermée : pas d’apprentissage. C’est donc un prérequis à tout apprentissage. Cette porte de l’attention a une taille limitée. Nous ne pouvons pas être attentifs simultanément à tout ce qui est autour de nous (et en nous!) Pour ne pas risquer la surchauffe du système, l’attention agit comme un filtre. Elle sélectionne certaines informations et en délaisse d’autres. Ce processus est très majoritairement inconscient et dépend de ce qui nous a façonné (notre éducation, nos croyances, notre âge, nos origines…) et des émotions qui nous traversent tout au long de la journée.

La première responsabilité d’un formateur est donc d’être conscient que l’attention n’est pas une posture choisie par l’apprenant (ce n’est pas une dette ou un devoir quelconque) mais plutôt un état d’ouverture ou de fermeture sur lequel chacun peut agir. Je recommande aux formatrices et formateurs que j’accompagne de placer l’attention au centre de la relation avec l’apprenant. Par exemple, en utilisant un « attentiomètre ». Chaque participant dessine un rond rouge sur un post-it et peut le placer au moment où il sent qu’il perd son attention. Cela permet à toutes et tous d’être « attentifs à l’attention », ce qui favorise…l’attention !

L’engagement actif désigne le fait que le cerveau a besoin de faire des hypothèses, d’être motivé et curieux. Ainsi, si l’effort de compréhension, de réflexion ou d’analyse est faible, le cerveau ne sera pas suffisamment activé pour apprendre. De même, si l’apprenant est persuadé qu’il connaît déjà ce dont on lui parle (l’illusion de connaissance), il aura de grandes difficultés à suivre.

C’est au sujet de l’engagement actif que j’aime citer les travaux de Rolland Viau (La motivation en contexte scolaire (de boeck) 2009). Son travail sur la motivation des élèves a une portée bien plus globale. Pour résumer son approche, un apprenant se perçoit souvent en train d’apprendre. Cette auto perception peut soutenir l’envie d’apprendre (et donc l’engagement actif) si quatre sentiments sont positifs :

  • Sentiment de compétence: je suis mis au défi de mes compétences, avec des consignes claires, de façon ni trop simple, ni trop complexe. Dans ce cadre, je suis régulièrement encouragé et je reçois souvent des feedbacks.
  • Perception de valeur: les activités qui me sont proposées ont du sens pour moi, les objectifs sont clairs, les bénéfices évidents.
  • Sentiment de contrôle: je suis acteur de ma formation, je fais des choix, prends des décisions, je peux expérimenter de façon responsable.
  • Sentiment de plaisir: l’ambiance est bonne, l’humour est permis, les activités sont ludiques et variées.

Le retour d’information est un pilier tout à fait complémentaire du précédent. Si le cerveau a besoin de faire des hypothèses, il faut également qu’il obtienne un retour sur ses prédictions : juste ou erreur. L’erreur est donc tout à fait indispensable pour l’apprentissage. La notion de faute en orthographe est à ce titre tout à fait préjudiciable !

La consolidation est le fait d’ancrer l’apprentissage par un certain nombre de répétitions. Comprendre n’est pas apprendre ! Je le montre à tous mes stagiaires en formation de formateurs : à l’issue d’une matinée (passionnante) sur les 4 piliers de l’apprentissage, je leur demande de me citer ces 4 piliers. Question relativement simple en apparence. Pourtant, tous en oublient au moins un ! Suis-je un mauvais formateur ? J’espère que non… Surtout, les cerveaux de mes apprenants ont besoin de répéter de façon nouvelle et ludique les connaissances déjà abordées. Pourquoi ne pas jouer au Time’s up par exemple pour reprendre des concepts en jouant ? Effet mémorisation garanti !

Les neurosciences en « pédagogie expérientielle »

A ce stade de la lecture, vous pourriez vous dire : « il est bien gentil le petit Etienne mais on fait comment ? » (OK, vous avez le droit. En revanche, je ne veux pas entendre de « Stanislas il nous les casse », c’est tout à fait grossier !)

Je vais vous donner quelques repères qui me sont très utiles :

Tout d’abord, la modalité pédagogique qui me semble la plus efficace est ce que j’appelle la « pédagogie expérientielle ». De quoi s’agit-il ? De faire vivre des expériences. Tous les apprentissages (pratiques ou théoriques) peuvent faire l’objet d’expériences. Par exemple, pour remplacer un exposé mortel de 2 heures sur les conditions de fonctionnement d’un dispositif d’insertion, j’ai proposé que ce soient les stagiaires eux-mêmes qui réalisent la présentation de ce dispositif en travaillant sur des documents qui leur étaient remis en séance. Au final, les personnes ont été mobilisées activement, ont développé des compétences en recherche d’information et en communication à l’oral (avec l’aide de l’animateur) et ont bien plus appris et retenu d’informations pratiques sur le dispositif.

Pour modéliser cette pratique pédagogique, je me suis appuyé sur les travaux de David Kolb (Experiential Learning: Experience As The Source Of Learning And Development, 1984) qui propose un apprentissage sous forme de cycle :

  1. Pratiquer. Commencer par une expérience qui sera vécue par les apprenants,
  2. Analyser. Proposer un temps de prise de recul sur ce qui a été vécu (de type débriefing),
  3. Généraliser. Formaliser ou faire formaliser des apprentissages plus conceptuels (c’est le moment de la théorie),
  4. Transférer. Recommencer une expérience pour vérifier la pertinence des apprentissages et leur caractère applicable.

C’est une approche souvent assez intuitive qui peut vous aider à construire vos séquences pédagogiques.

Je propose une première expérience qui souvent va durer 15-20 minutes, avec parfois un temps de restitution. Ensuite, je détermine quelques questions à poser au groupe pour structurer un débriefing. Parfois, les questions viennent en émergence à partir de ce qui a été vécu. Encore 20 minutes. Puis vient le temps où l’on cherche ensemble à formaliser les apprentissages. Souvent, les apprenants peuvent le faire eux-mêmes, le formateur étant en appui au tableau pour organiser les idées, compléter, exiger un approfondissement, etc. Vous venez de passer encore 20 minutes. Vous pouvez alors proposer une nouvelle activité qui reprendra les nouveaux acquis et mobilisera peut être de nouvelles compétences, etc.

Vous venez de passer une heure, les séquences ont été variées et courtes. Si vous proposez une expérience nouvelle ensuite et que vos modalités de débriefing sont différentes, vous aurez rapidement passé une demi-journée active et plaisante.

Un exemple concret pour mieux se rendre compte 

Dans le livre, je propose de nombreuses fiches avec des activités permettant de développer les soft skills.

En voici une pour vous donner un exemple concret d’activité. Il s’agit du « carré parfait » que je propose régulièrement en formation pour les managers.

Consignes

Les participants sont répartis par groupes de 4 à 6 personnes.

Donner la consigne : vous disposez de 15 minutes pour trouver votre stratégie. A l’issue du temps de préparation, chaque équipe aura 2 minutes pour réaliser un carré parfait au sol avec la corde en ayant les yeux bandés et sans se parler. Tous les membres de l’équipe doivent participer et se trouver à l’intérieur du carré à l’issue des 2 minutes.

Préciser : au démarrage de l’activité, un membre du groupe tiendra la corde dans la main. Vous pouvez vous positionner librement dans l’espace mais je me réserve la possibilité de faire bouger certaines personnes. Je ne changerai pas le porteur de corde.

Les groupes s’organisent librement pendant la préparation. Quelques précisions pour répondre à des questions éventuelles : pas de nœuds à la corde, il est possible de faire des sons si ce ne sont pas des paroles, les personnes peuvent s’entrainer, utiliser le mobilier ou les rainures du carrelage, … à vous de décider ce que vous autorisez ou pas !

Débriefing possible

Plusieurs sujets peuvent être abordés :

– Travail en équipe et communication (prendre le temps de s’organiser et de se coordonner). L’activité permet de tester la répartition des rôles dans le groupe.

– Prendre le leadership / être accepté en tant que leader

– Prendre sa place / être accepté dans la place qu’on occupe

– Verbaliser ses ressentis et émotions. Pour ce faire, chaque participant donne une note sur 10 pour sa perception de l’atteinte de l’objectif et pour son vécu du processus de travail (ces notes illustrent bien les différences de perception)

– Un éclairage sur les émotions est possible.

Comment s’y prendre pour lever les éventuelles inquiétudes ?

La pédagogie expérientielle avec l’appui de cet exemple devrait vous paraître plus claire. Mais il est possible que certaines résistances subsistent.

En voici trois pour lesquelles je tente quelques réponses :

  • « oui mais quand je dois donner une conférence, je ne peux pas faire vivre des expériences ». Parfois c’est vrai quand votre temps est très limité. Mais bien souvent, il est possible de proposer des choses à vivre, même face à 500 personnes. Par exemple, poser des questions et proposer aux participants de voter en faisant des signaux reconnaissables pour dire oui ou non. C’est déjà une forme d’expérience. Il est possible également de proposer des activités à réaliser rapidement avec son ou ses voisins. Voire proposer une conférence interactive où les sujets que vous aborderez seront choisis par les participants : régulièrement, vous donnez un choix avec deux orientations assez différentes. Testé et approuvé !
  • « Oui mais je donne la plupart de mes formations en distanciel ». J’ai tendance à croire qu’une mauvaise formation en présentiel est pire en distanciel. Surtout, elle permet aux apprenants de s’évader vers leurs mails ni vu ni connu. A l’inverse, une bonne formation arrive à passer l’épreuve de la distance. De nombreux logiciels permettent en effet de placer les participants en sous-groupes, ce qui vous donne la possibilité de les faire travailler ensemble, ce qui est motivant et impliquant.
  • « oui mais pour la pédagogie expérientielle, il faut une posture d’animateur, moi c’est pas mon métier ». Vous avez raison, il vaut mieux être conscient de ses limites mais comme tout métier, ça s’apprend. Et pour ne pas être originaire de la formation, je vous promets que l’expérience mérite d’être vécue ! Ici, il est question de postures. Pour vous donner quelques repères :
    • Le plus important selon moi c’est d’être convaincu que ce qu’on apporte aux personnes est important et que la méthode choisie est pertinente. Si vous avez un doute, n’y allez pas, vous allez porter malgré vous une posture pas très alignée. Commencez petit et prenez des risques progressivement. Chacun fais de son mieux et c’est déjà très bien !
    • La pédagogie expérientielle exige ensuite un dosage équilibré de dynamisme, de bienveillance et de cadre. Pour donner envie aux personnes de s’engager dans une expérience, il faut les encourager, ce qui implique d’y mettre une certaine énergie. Souvent, le formateur est debout, il est enthousiaste et il s’implique physiquement dans la consigne qu’il propose. Expérimenter, c’est potentiellement se tromper. Une dose de bienveillance est donc préférable pour rassurer les apprenants sur le fait qu’ils sont encouragés à faire des erreurs. Animer implique enfin de savoir donner un cadre : le timing est tenu, la parole de chacun est respectée par exemple.

En conclusion

J’espère que ces quelques lignes vous auront inspiré ou conforté dans vos pratiques ! Quand j’ai découvert ces pratiques, cela m’a permis de comprendre que je n’étais pas l’OVNI que certains collègues pointaient du doigt mais un formateur en chemin pour essayer de faire du mieux qu’il pouvait en faveur d’un apprentissage solide et joyeux chez ses stagiaires.

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