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Refonte de la formation infirmière : quel modèle d’accompagnement vers la réussite ? Nadia PEOC’H explore plusieurs processus d’apprentissage pertinents (Partie 2/2).

Article rédigé par notre nouvelle  experte, Nadia PEOC’H (PhD), est directrice des soins et chercheure formée aux humanités. Dans le cadre de l’universitarisation des formations en santé, sa double posture lui permet d’apporter à l’enseignement supérieur une connaissance des terrains et d’y créer des filières d’enseignement avec le souci épistémologique de confronter les praticiens à la recherche, à l’analyse de leurs pratiques et à la compréhension juste de l’accompagnement des apprentissages.

Elle est également auteure et co-auteure de plusieurs articles et ouvrages professionnels et scientifiques.

En 2021, elle a apporté sa contribution en qualité de  co-auteure d’un chapitre de l’ouvrage collectif de référence publié depuis le 04 Octobre 2021, sous la direction de Jean-Luc STANISLAS  chez LEH Edition, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins » .

 

N°06, Août 2023

Relire la première partie de cet article. 

 

Le Modèle d’Accompagnement Pédagogique Personnalisé (MAPP) en tant que modèle opérant s’inscrit dans une visée éthique et anthropologique de l’accompagnement de l’étudiant en soins infirmiers, à savoir sa professionnalisation. Le lecteur découvrira dans cette 2ème PARTIE, cette mise en tension complexe qui fait évoluer le modèle de la formation en passant du Mode d’Accompagnement Pédagogique transmissif (MAP-T) à celui du Mode d’Accompagnement Pédagogique appropriatif (MAP-A) et à celui du Mode d’Accompagnement Pédagogique dialogique (MAP-D).

 

Qui dit refonte de la formation infirmière questionne le comment de l’accompagnement à la réussite

Traiter des dimensions de l’accompagnement d’un étudiant en soins infirmiers, dans la perspective de la refonte de la formation infirmière, c’est prendre en compte le changement, les modifications, les variations de celui-ci. Dans la typologie des changements, Le Moigne (1984, pp. 90-91) précise « Agir, ou intervenir, sur un objet donné c’est affecter sa position dans le temps toujours, puis souvent dans l’espace (le transport ou la transmission) et/ou dans ses formes, dans sa morphologie (la transformation).

Faire, agir, traiter, intervenir, fonctionner, changer donc, c’est toujours affecter la position d’au moins un objet dans un référentiel TEF : Temps, Espace, Forme ».

Le temps (T) : Dire que la démarche d’accompagnement agit sur l’objet en affectant sa position dans le temps, c’est énoncer le principe même que le formateur ne peut pas intervenir n’importe quand sur la trajectoire d’apprentissage de l’étudiant en soins infirmiers. Ainsi l’accompagnement s’inscrira dans la durée des études conduisant au diplôme d’état d’infirmier, avec un début et une fin (cycle de formation en alternance sur trois années).

L’espace (E) : Dire que tout ce qui détermine l’accompagnement agit sur l’objet en affectant sa position dans l’espace, c’est énoncer le principe même que la démarche d’accompagnement ne peut pas intervenir n’importe où. Cet accompagnement se réalisera au sein des Instituts de Formation aux Métiers de la Santé (Ecole) et au sein des lieux d’apprentissage en stage (Terrain). Deux entités qui définissent le cadre de la formation par alternance intégrative.  

La forme (F) : Dire que la démarche d’accompagnement agit sur l’objet en affectant sa position dans ses formes, c’est énoncer le principe même que le formateur ne peut pas intervenir pour n’importe quoi et de n’importe quelle façon au sein de la formation. Son accompagnement s’inscrira dans le cadre d’une formation réalisée en alternance, en tenant compte des trois différents pôles :

  • Le pôle situation socio-professionnelle : les stages sur le terrain.
  • Le pôle développement personnel : l’apprenant.
  • Le pôle cognitif : contenus et méthodes

Quatre Modes d'Accompagnement Pédagogique (MAP)

En référence aux travaux de Morin (1992) sur l’approche par la complexité, quatre pôles en interaction permettent par le jeu des logiques « tensionnelles » qu’ils entretiennent de situer les différents modes d’accompagnement pédagogique attendus pour accompagner l’étudiant en soins infirmiers dans sa construction identitaire et sa professionnalisation.

L’interaction de ces pôles, dans leur hétérogénéité et leur complémentarité, constitue ensemble cette figure tétralogique (ci-dessous) dans le référentiel Temps – Espace – Forme, permettant une prise de conscience, ou tout du moins les prémisses d’une modélisation d’un accompagnement qui conjugue les dimensions du tutorat et du mentorat.

Fig. 1 : L’accompagnement dans son approche Temps – Espace – Forme
  • Le Mode d’Accompagnement Pédagogique transmissif : MAP-T (Nord) :

S’inscrit dans une logique didactique, à orientation normative. Il intéresse l’apprentissage de l’étudiant au regard de la théorie, et pose la question du « comment il apprend ? ». Cet accompagnement est plus centré sur le processus former. Le formateur serait un conférencier. Il est le vecteur de la tradition soignante. Il sait, il transmet, il enseigne quelque chose à l’étudiant. L’accompagnement est vu dans son inscription pédagogique, à savoir dans l’existence de normes et de valeurs que les étudiants en soins infirmiers doivent acquérir pour exercer une activité sociale fortement codifiée (le diplôme d’état d’infirmier). Il répond à la question « Que dois-je devenir ? Quelles sont mes obligations ?». Le formateur est ici une personne qualifiée possédant la maîtrise des savoirs à transmettre et la didactique de transmission de ces savoirs.

  • Le Mode d’Accompagnement Pédagogique appropriatif : MAP-A (Est) :

S’inscrit dans une logique sociale et expérientielle. Il intéresse la formation professionnelle dans son articulation entre les terrains de stage et le développement personnel de l’étudiant au regard de son vécu expérientiel. Le formateur serait un jardinier. Il souhaite favoriser l’autonomie, l’autoévaluation de l’apprenant en l’aidant à cultiver et à s’approprier sa propre terre. L’accompagnement est vu dans son inscription sociale réelle des situations de soins et dans les rapports sociaux qui les circonscrivent.  Il répond à la question « Compte tenu de la situation dans laquelle je suis pris et partie prenante avec d’autres : qu’est-ce que je peux faire pour transformer cette situation ? ». C’est l’étudiant lui-même qui s’explique les difficultés rencontrées avec l’aide d’une mise en situation décodée par le formateur. Le formateur est ici un jardinier qui souhaite favoriser l’auto–évaluation et l’auto-transformation en stimulant les potentialités sociales et expérientielles de l’apprenant.

  • Le Mode d’Accompagnement Pédagogique dialogique : MAP-D (Ouest) :

S’inscrit dans une logique psychologique et existentielle, à orientation personnelle. Il intéresse le développement personnel de l’étudiant en soins infirmiers en tenant compte de son apprentissage sur les terrains de stage et au sein de l’Institut de Formation. Le formateur serait un éveilleur[1]. Il prend en compte l’apprenant en l’aidant à développer la prise de conscience qu’il a de lui-même, ses valeurs et ses modes de fonctionnement émotionnel, affectif et intellectuel. Cet accompagnement s’inscrit dans une activité communicationnelle, dans l’interaction, dans l’intercompréhension. L’accompagnement est vu sous l’incitation quasi socratique à se connaître soi-même. Il répond à la question « qui suis-je et que puis-je être ? ». C’est l’étudiant lui-même, par démarche réflexive, par introspection, par la confrontation aux autres, qui se construit et construit son propre savoir. Le formateur est ici un éveilleur qui favorise l’expression et la communication, en stimulant les potentialités existentielles, psychologiques et culturelles de l’apprenant.

  • L’accompagnement dans sa visée éthique et anthropologique (Sud) :

S’inscrit dans une finalité en termes de « Accompagnement Pédagogique Personnalisé », de but à atteindre, à savoir la professionnalisation de l’étudiant en soins infirmiers. C’est probablement le temps fort de l’accompagnement autour duquel convergent tous les autres modes d’accompagnement pédagogique.

Conclusion :

Avec la crise sanitaire mondiale liée à la pandémie du COVID-19, les infirmiers et infirmières ont montré leur expertise clinique, leurs savoirs disciplinaires, leurs compétences et leur agilité. Cependant, en 10 ans, selon les statistiques du Ministère de la santé et de la prévention, le taux d’abandon des étudiants en soins infirmiers a triplé.

La formation initiale infirmière se fait en alternance intégrative (Malglaive, 1994), avec des temps d’enseignements en institut de formation aux métiers de la santé et des temps de stages dans les établissements de santé sanitaire, médico-social et social. La confrontation avec le réel se fait dès les premiers stages. Ces stages d’apprentissage du métier marquent le premier contact avec les lieux de soins. Le mode d’accompagnement dans son acception « Mode d’Accompagnement Pédagogique Personnalisé » (Péoc’h, 2008) de ces jeunes adultes sur le terrain est ainsi une question majeure et centrale.

« Ce dont l’homme a besoin, ce n’est pas seulement d’un indispensable discernement des questions ultimes, mais également du sens de ce qui est faisable, possible, approprié au moment présent » (Gadamer, 1976).  A travers la pensée et la volonté d’un agir politique et stratégique, le lancement d’une grande concertation pour refonder « complètement » la formation infirmière et la profession infirmière ouvre le champ des possibles. 

Tout ce qui va dans le sens d’un « prendre soin » pédagogique de l’étudiant en soins infirmiers, va dans le sens d’un « prendre soin » de la personne soignée. Tout au long de l’existence, nous agissons dans la nécessité de former et ainsi dans le devoir de former. Nous le faisons dans le temps de nos possibilités, dans l’espace situé et limité de notre déploiement existentiel, dans la forme du « devoir prendre soin » indispensable à l’« avoir à former ». C’est ainsi. A travers l’utilisation terminologique des mots « tutorat » et « mentorat » se dessine une approche bipolaire. L’une centrée sur le désir et la volonté de prendre soin de l’apprenant dans une visée humaniste et existentialiste. L’autre centrée sur la réflexion, la prise de distance, l’opérationnalisation pédagogique, dans une visée didactique et transmissive.

Note :

[1] Le terme éveilleur peut être entendu ici dans la parole métaphorique de R. CHAR, (1983), Feuillets d’Hypnos, 51, p. 187 : « L’arracher à sa terre d’origine. Le replanter dans le sol présumé harmonieux de l’avenir, compte tenu d’un succès inachevé. Lui faire toucher le progrès sensoriellement. Voilà le secret de mon habileté ». En définitive, la dimension que nous pouvons lire au plus profond de l’éveil, c’est précisément de reconnaître la présence, la différence et l’équivalence d’autrui pour l’accompagner et favoriser son autonomie. C’est probablement cultiver, jour après jour, la rencontre du « je » et d’un « il » ou d’un « elle », pour l’aider à découvrir au fond même de son humanité (ses sédiments), la lecture nouvelle de ses valeurs, de ses croyances, de ses représentations, de ses prérequis, de sa liberté, de ses manques (sa propre terre), pour naître à l’avenir (son projet).

Pour aller plus loin :

  • Braun, F. (2023). Séminaire « Refondation du métier infirmier » – Discours de clôture du ministre François Braun » 
  • Collière, M. F. (2001). Soigner… Le premier art de la vie. Paris : Masson.
  • Gadamer, H.G. (1976). Vérité et méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique. Paris : Seuil.
  • Le Moigne, J-L. (1984).  La théorie du système général, théorie de la modélisation. Paris : PUF.
  • Morin, E. (1992). Introduction à la pensée complexe, Paris : ESF.
  • Malglaive, G. (1994). Les rapports entre savoir et pratique dans le développement des capacités d’apprentissage chez les adultes. Éducation permanente, (119), 125-133.
  • Péoc’h, N. (2008). Le MAPP (Mode d’Accompagnement Pédagogique Personnalisé) Un modèle opératoire de compréhension d’une pratique d’accompagnement de l’étudiant en soins infirmiers. Recherche en soins infirmiers, (1), 95-105.
  • Weick, K. E., & Quinn, R. E. (1999). Organizational change and development. Annual review of psychology, 50(1), 361-386.

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Nous remercions vivement Nadia PEOC’H, MSc., PhD, Directrice des soins, PREFMS CHU de Toulouse IFCS EIA EIBO et membre élue du département Médecine Maïeutique et Paramédical au sein de la Faculté de Médecine de l’Université Paul Sabatier Toulouse III pour les Sciences infirmières, pour partager son expertise auprès de nos fidèles lecteurs de notre plateforme média digitale d’influence et de référence  ManagerSante.com

Biographie de l'auteure :

Nadia PEOC’H est directrice des soins, directrice des Ecoles et Instituts (EIBO, EIA et IFSI, IFCS) du PREFMS du CHU de Toulouse et membre élue du département Médecine Maïeutique et Paramédical au sein de la Faculté de Médecine de l’Université Paul Sabatier Toulouse III pour les Sciences infirmières. Elle est en charge de la promotion de la recherche en soins au CHU de Toulouse.
Docteure en Sciences de l’Education et de la Formation, qualifiée aux fonctions de Maître de Conférences en Sciences Infirmières (CNU, Section 92),
Dans le cadre de l’universitarisation des formations en santé, sa double posture lui permet d’apporter à l’enseignement supérieur une connaissance des terrains et d’y créer des filières d’enseignement avec le souci épistémologique de confronter les praticiens à la recherche, à l’analyse de leurs pratiques et à la compréhension juste de l’accompagnement des apprentissages.
Nadia PEOC'H

Directrice des soins, PREFMS CHU de Toulouse IFCS EIA EIBO Co-coordinatrice du DE-IPA Faculté de Médecine, UPS

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