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Refonte de la formation infirmière : quelle posture pour quel accompagnement de l’étudiant en SI ? Nadia PEOC’H met en exergue les défis à relever (Partie 1/2).

Article rédigé par notre nouvelle  experte, Nadia PEOC’H (PhD), est directrice des soins et chercheure formée aux humanités. Dans le cadre de l’universitarisation des formations en santé, sa double posture lui permet d’apporter à l’enseignement supérieur une connaissance des terrains et d’y créer des filières d’enseignement avec le souci épistémologique de confronter les praticiens à la recherche, à l’analyse de leurs pratiques et à la compréhension juste de l’accompagnement des apprentissages.

Elle est également auteure et co-auteure de plusieurs articles et ouvrages professionnels et scientifiques.

En 2021, elle a apporté sa contribution en qualité de  co-auteure d’un chapitre de l’ouvrage collectif de référence publié depuis le 04 Octobre 2021, sous la direction de Jean-Luc STANISLAS  chez LEH Edition, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins » .

 

N°05, Juillet 2023

Le 12 mai 2023, à l’occasion de la journée internationale des infirmières et des infirmiers, Monsieur François Braun, ministre de la Santé et de la Prévention annonce le lancement d’une concertation pour aboutir à la rentrée 2024 à une refonte complète de la formation infirmière. Dans le communiqué de presse, le Ministre évoque la conduite d’un changement ambitieux, pour véritablement transformer le métier dans ses trois axes structurants : les compétences, la formation et les carrières.

Dans notre pays, le mode de prise en soins [1] des usagers des soins connaît une réelle évolution. Plusieurs facteurs concourent à ces mutations : la diminution démographique de certaines spécialités médicales, des disparités régionales en termes d’offre de soins, le vieillissement de la population et son corollaire d’augmentation des pathologies chroniques, les différentes alternatives à l’hospitalisation, les progrès de plus en plus rapides de la science et de la technologie, la demande sociale légitime de soins efficients et personnalisés avec le souhait d’une meilleure information, l’exigence éthique de la bientraitance et du droit des malades…

Autant de défis actuels qui projettent la nécessaire refondation du métier d’infirmier dans une nouvelle contemporanéité avec cette perspective de lui redonner du sens. « Toute l’ambition que nous avons pour adapter l’exercice infirmier aux nouveaux enjeux de la santé, requiert de la technicité et de l’autonomie, de la rigueur ainsi qu’une véritable capacité à travailler en équipe » (Braun, 2023).  

La conception managériale de l’enseignement et de la formation dans l’élaboration d’un modèle d’accompagnement d’un changement en éducation relève de l’ici et maintenant. Le Tutorat, le Mentoring, l’accompagnement des apprentissages, l’évolution des capabilités et des compétences, la refonte des référentiels de formation, la supervision clinique et certification des stages questionnent le changement de paradigme initié dans l’ouvrage fondateur de Marie-Françoise Collière (2001) lorsqu’elle évoque le soin comme Soigner… Le premier art de la vie.  

Au « prendre soin » comme praxis soignante, l’auteur oppose le « faire des soins » (poiesis) en tant que production d’actes parcellisée en tâches dissociées. Il existerait ainsi par essence une dichotomie entre l’activité prescrite (la prescription ; le protocole ; les protocoles de coopérations) et l’activité soignante (un agir soignant qui admet l’émancipation sociale et l’autonomie du professionnel de santé). Au niveau juridique et réglementaire, le projet ambitieux d’une refonte de la formation infirmière pose la question d’un changement de paradigme de la définition même de l’exercice infirmier et des professions paramédicales, à savoir : comment réussir le changement d’une vision du soin en termes de listes d’actes à accomplir (poiesis) en une vision du soin innovante, agile en termes de missions dans un champ d’activité dédié (praxis) ? Cette modalité de changement s’insère dans la perspective du changement continu de Weick et Quinn (1999) qui font la distinction entre deux types de changement : le changement épisodique (episodic) et le changement continu (continuous). Pour ces auteurs, le changement épisodique fait référence à un changement radical qui remet en question l’organisation. A contrario, la notion de changement continu rend les sujets acteurs du changement face aux contingences qui émergent de façon continue dans la quotidienneté de l’activité. Ce sera tout l’enjeu même de ces travaux : passer d’un encadrement strict des actes autorisés à une approche plus agile par grandes missions.

Je veux, et je crois en la capacité du système à diplômer chaque étudiant qui entre en formation infirmière !

Pour le ministre de la santé et de la prévention, la visée essentielle est d’accompagner les étudiants aux profils divers dans des formations rénovées à la réussite et à leur diplomation. Le développement du tutorat et du mentorat est un objectif prioritaire, désigné grande « cause nationale » par Madame la Première ministre.

A l’aune de la rentrée 2023, un guide du mentorat sera mis à disposition des Instituts de Formations en Soins Infirmiers (IFSI) et des établissements. Dans ce contexte, notre contribution se propose de revenir sur les notions de tutorat, mentorat, accompagnement. De quel accompagnement parlons-nous ? Existe-t-il sous le foisonnement de ces appellations des traits communs, des invariants ? Au-delà de la proposition formulée par Monsieur François Braun, quelles seront les postures à développer chez les formateurs, les enseignants pour accompagner les étudiants à la professionnalisation et à leur construction identitaire ?

  • Sous l’éclairage de l’étymologie…

Les mots ont leur histoire et leur mémoire. Il nous paraît important de bien préciser le sens que nous utilisons sous le choix des mots suivants, tutorat et mentorat…  Afin de prévenir tout glissement sémantique, nous vous proposons deux définitions stabilisées même si nous savons que leur clôture définitoire n’est que partielle.

Le tutorat et l’idée d’apprentissage

Si l’on se réfère à l’étymologie latine, le tuteur désigne un défenseur, un protecteur ou un gardien (du latin « tutor – tutrix », 1225). En horticulture, ce terme désigne la tige qui soutient la jeune plante pour accompagner sa croissance, afin qu’elle grandisse en évitant qu’elle ne se brise. Dans sa terminologie juridique, nous parlons de mise sous tutelle d’une personne incapable majeure, d’un mineur. Dans ce processus de tutelle, le tuteur a un rôle protecteur (du latin « tutela » dérivé de « tueri », protéger). Son accompagnement a pour fonction de prendre soin, d’assister, d’aider. Par extension de sens, en pédagogie, le tuteur est une personne qui permet à une autre personne ou à un groupe d’individus (apprentis, étudiants, élèves, adultes en formation et en quête de savoir) d’apprendre à se connaître lui-même par le biais de sa formation. Par ailleurs, la connaissance de soi jamais achevée, sans arrêt remodelée et toujours en chantier, permettrait de construire son identité personnelle et sociale au fil du temps qui passe et à venir, situant l’apprenant dans son « être au monde ».

Dans une situation de formation professionnelle, le tutorat peut être défini comme la relation forte entre un maître et un apprenti. Il y a là une forte ressemblance avec le compagnonnage. Les deux fonctions essentielles du tutorat se trouvent en accord sur deux points :

  • La valorisation du modèle à imiter ;
  • La formation comme seule source d’accès au savoir, dans une orientation imposée.

Ce caractère à la fois normatif et prescriptif du tutorat semble trouver son essence dans son origine anglo-saxonne sous le terme de « tutorial : influencing by example or modeling ». Néanmoins, de nos jours, la conception dite hiérarchisée du tutorat (en termes de modelage) cède la place à une conception plus ouverte. A l’orientation passéiste de reproduction, s’est substituée une orientation axée sur l’expérience vécue et analysée de l’apprenant. Le rôle du tuteur s’en trouve modifié. Plus que de « tuteur modèle », on parle davantage de « tuteur médiateur » ou de « tuteur facilitateur ». Ce tuteur devient un accompagnateur, un révélateur, une aide à l’orientation, un conseiller, une personne ressource, pour l’étudiant dans l’élaboration de son projet de formation et dans l’évaluation de ce processus. L’invitation à l’implication de l’apprenant dans sa formation, succède à l’attente simple d’un savoir reproduit. La relation interactive tuteur et apprenant se déplace de son axe vertical hiérarchique, vers un axe horizontal, de partenariat. Le tutorat propose ainsi une relation d’aide pédagogique à l’apprenant, ce qui lui permet de prendre en charge sa propre formation, dans une perspective implicite de développement personnel.

Le mentoring et l’idée d’éducation

Dans la mythologie grecque, Mentor est l’ami d’Ulysse. Celui-ci lui confia l’éducation de son fils Télémaque avant de partir pour le siège de Troie. La résurgence du mentorat ou du mentoring trouverait son essence dans un contexte de crise. La perte de repères familiaux, la difficulté de maintenir le maillage inter-générationnel, des situations sociales dégradées, la transformation du tissu social et du lien social, autant d’éléments plurifactoriels qui amèneraient l’individu vers la tentation d’un repli sur lui-même, voire une difficulté à entrer dans la vie adulte. Le mentor serait associé à cette figure d’accompagnateur qui tient la place de « l’aîné ». Douze fonctions seraient accolées à sa mission. Nous les citons sans ordre préétabli : Enseigner, guider, accueillir, entraîner, répondre de, être le modèle, favoriser présenter des défis, conseiller, donner du feedback, soutenir, sécuriser…

La relation dans le mentoring est centrale. Elle recoupe dans sa pratique, les principes suivants :

  • Une relation de solidarité et de lien de réciprocité ;
  • Elle relève d’une attraction interpersonnelle : c’est une histoire de rencontre choisie et assumée ;
  • Relation asymétrique au départ (type expert / novice), elle évolue sur un mode plus égalitaire. Cette relation est interactive ;
  • Sa durée est limitée dans le temps. Elle peut être séquentielle, occasionnelle, passagère.

Au-delà de ces deux définitions, nous pouvons statuer que la relation d’accompagnement formé/formateur n’est pas qu’interpersonnelle, elle met en présence des étudiants qui appartiennent à des groupes sociaux divers et formateurs, membres d’une profession caractérisée par un statut spécifique.

Conclusion provisoire :

Toute provisoire qu’elle soit, cette conclusion clôt ici et maintenant les questions soulevées par les apports théoriques des notions de tutorat et mentorat.  Cependant, aucun des termes définis en amont ne fédère un ensemble de pratiques d’accompagnement unifiées. Présent dans de nombreuses pratiques professionnelles relatives à autrui, l’accompagnement se désigne sous la forme d’un englobant diversifié de terminologies. Il est primordial de réaliser avant tout qu’on « n’accompagne jamais en son nom propre, mais toujours au nom d’une institution (Le Bouëdec, 2001, p. 17). Si les conditions de tutorat et d’accompagnement des étudiants en santé sur les terrains d’exercice doivent être améliorées, quel est le sens de cet accompagnement, quelle en est sa portée ? Dans la PARTIE II intitulée « Qui dit refonte de la formation infirmière questionne le comment de l’accompagnement à la réussite », le lecteur découvrira les trois modes opératoires de l’accompagnement pédagogique transmissif, appropriatif et dialogique et la curieuse contradiction qui traverse les dimensions de la notion. A savoir comprendre l’ambivalence associée à la formulation des deux attributs phares, qui sont le projet de l’apprenant et l’accompagnement de cet apprenant dans une formation professionnelle initiale en alternance en se centrant sur sa réussite. Car tout ce qui va dans le sens du « prendre soin » pédagogique » va dans le sens du « prendre soin » d’autrui.

 

Lire la suite de cet article, le mois prochain.

Note :

[1] Cette formulation souligne l’éthique d’un soin juste, conforme et individualisé de la personne soignée à l’inverse de l’expression « prise en charge » qui sous entendrait que la personne soignée serait une charge voire un fardeau. Voir à ce sujet la distinction opérée par Walter Hesbeen dans ses écrits.

Pour aller plus loin :

  • Braun, F. (2023). Séminaire « Refondation du métier infirmier » – Discours de clôture du ministre François Braun » 
  • Collière, M. F. (2001). Soigner… Le premier art de la vie. Paris : Masson.
  • Gadamer, H.G. (1976). Vérité et méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique. Paris : Seuil.
  • Le Moigne, J-L. (1984).  La théorie du système général, théorie de la modélisation. Paris : PUF.
  • Morin, E. (1992). Introduction à la pensée complexe, Paris : ESF.
  • Malglaive, G. (1994). Les rapports entre savoir et pratique dans le développement des capacités d’apprentissage chez les adultes. Éducation permanente, (119), 125-133.
  • Péoc’h, N. (2008). Le MAPP (Mode d’Accompagnement Pédagogique Personnalisé) Un modèle opératoire de compréhension d’une pratique d’accompagnement de l’étudiant en soins infirmiers. Recherche en soins infirmiers, (1), 95-105.
  • Weick, K. E., & Quinn, R. E. (1999). Organizational change and development. Annual review of psychology, 50(1), 361-386.

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Nous remercions vivement Nadia PEOC’H, MSc., PhD, Directrice des soins, PREFMS CHU de Toulouse IFCS EIA EIBO et membre élue du département Médecine Maïeutique et Paramédical au sein de la Faculté de Médecine de l’Université Paul Sabatier Toulouse III pour les Sciences infirmières, pour partager son expertise auprès de nos fidèles lecteurs de notre plateforme média digitale d’influence et de référence  ManagerSante.com

Biographie de l'auteure :

Nadia PEOC’H est directrice des soins, directrice des Ecoles et Instituts (EIBO, EIA et IFSI, IFCS) du PREFMS du CHU de Toulouse et membre élue du département Médecine Maïeutique et Paramédical au sein de la Faculté de Médecine de l’Université Paul Sabatier Toulouse III pour les Sciences infirmières. Elle est en charge de la promotion de la recherche en soins au CHU de Toulouse.
Docteure en Sciences de l’Education et de la Formation, qualifiée aux fonctions de Maître de Conférences en Sciences Infirmières (CNU, Section 92),
Dans le cadre de l’universitarisation des formations en santé, sa double posture lui permet d’apporter à l’enseignement supérieur une connaissance des terrains et d’y créer des filières d’enseignement avec le souci épistémologique de confronter les praticiens à la recherche, à l’analyse de leurs pratiques et à la compréhension juste de l’accompagnement des apprentissages.
Nadia PEOC'H

Directrice des soins, PREFMS CHU de Toulouse IFCS EIA EIBO Co-coordinatrice du DE-IPA Faculté de Médecine, UPS

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