N°18, Février 2019
Article publié par notre expert, leDocteur Pierre SIMON(Medical Doctorat, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine), auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine.
A entendre les maires ruraux interroger le président de la République lors des premières réunions du Grand Débat, la téléconsultation (TLC) en zone rurale serait une solution à la désertification médicale. Nos gouvernants le pensent, les maires ruraux l’espèrent.
Ce n’est pas un sujet spécifiquement français. Aux Etats-Unis, en Australie, au Canada ou en Europe du nord, la télémédecine, en particulier la TLC, s’est d’abord développée en zone rurale où les difficultés d’accès aux soins médicaux étaient les plus criantes. En France, la désertification médicale a des causes multiples (voir les billets « Crise de vocation » et « TLM/désert médical » dans les rubriques « On en parle » et « Edito de semaine). Les communes rurales ont beaucoup donné pour garder leurs médecins ou en faire venir de nouveaux : construction de maisons médicales bien équipées, offre d’un salariat exonérant le médecin de toutes charges de gestion, etc.). Malgré ces efforts pour attirer les nouvelles générations, beaucoup de communes ont échoué. Seraient-elles désormais en train de découvrir l’intérêt de la télémédecine ?
Cependant, il ne suffit pas de déclarer que la télémédecine va résoudre l’accès aux soins dans les zones rurales, pour que le problème soit résolu. La réalisation est plus complexe. Il faut que des conditions techniques, organisationnelles et humaines soient réunies.
Quelle est la couverture numérique de la France en 2019 ?
Lorsqu’on veut développer la télémédecine, il faut s’assurer que le réseau numérique est bien accessible, tant chez le médecin que chez les patients . Sans réseau numérique doté d’un débit suffisant, il ne peut y avoir de TLC médicale par videotransmission.
Nos gouvernants actuels ont l’intention de connecter « chaque habitation » du territoire au très haut débit (THD) à l’horizon 2022. Lorsqu’on regarde la carte publiée sur le site de l’ARCEP (Agence de régulation des communications et de la Poste) en septembre 2018, montrant la couverture de la métropole en fibre optique (photo du billet), force est de constater que le THD est aujourd’hui déployé plus en zone urbaine qu’en zone rurale.
Le THD est-il absolument nécessaire pour faire une TLC médicale ? Non, s’il existe un bon réseau d’internet mobile (4G). Avec la 4G et bientôt la 5G, on peut obtenir une bonne videotransmission. On le vérifie chaque jour avec les applications Face Time, WhatsApp, Skype, etc. L’ARCEP donne comme définition d’une bonne couverture en 4G : pouvoir échanger des données à l’extérieur des bâtiments dans la plupart des cas. Habituellement, grâce à un débit descendant de bon niveau, la 4G permet de visualiser des images et des vidéos, comme celles de You Tube ou de Facebook, Instagram, etc.
Pour une TLC médicale de qualité (par videotransmission), il faut que les débits numériques descendants et montants soient symétriques (SDSL) et d’au moins 600 Kilobits/sec (écran HD) ou 1 Mégabit/sec (écran standard). Il faut que cette qualité soit assurée à chaque TLC programmée. Si on se réfère à la vidéo grand public (Face Time, WhatsApp, Skype), la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Pour une TLC médicale, les incidents techniques ne peuvent être qu’exceptionnels et non prévisibles. Une mauvaise qualité de la videotransmission ne peut être acceptée puisque l’on cherche à obtenir avec son patient une qualité de dialogue au moins égale à celle que l’on a lorsqu’il est présent physiquement. Comme l’a souvent rappelé le CNOM, la TLC ne peut être une forme dégradée de consultations médicale.
Du côté médical, les conditions d’un débit numérique suffisant sont généralement réunies. Il n’en est pas forcément de même du côté patient, surtout s’il habite en zone rurale.
L’ARCEP publie régulièrement l’état de la couverture de la métropole et de l’outre-mer en 4G (internet mobile). Il est facile d’y repérer les zones blanches (environ 20 à 30% du territoire en 2018).
Au 30 septembre 2018, la couverture en 4G allait de 69 à 81% pour la surface du territoire couvert par les différents opérateurs de réseau mobile et de 92 à 98% pour l’accès de la population à l’internet mobile. Si plus de 90% de la population française a accès à la 4G, cela ne signifie pas que la performance du réseau 4G est la même 24h/24. Il y a des moments dans la journée où ce réseau peut être saturé.
L’accès au réseau satellitaire peut être envisagé dans les déserts numériques. C’est la situation que connaissent plusieurs régions d’outre-mer, notamment la Guyane où le développement de la télémédecine vers les Centres de santé situés dans la forêt amazonienne passe depuis plus dix ans par l’accès au réseau satellitaire. En métropole, le réseau satellitaire a déjà été utilisé dans des zones montagneuses très isolées, comme par exemple l’arrière-pays niçois.
Les solutions technologiques sont ainsi diversifiées en zone rurale, mais sont-elles suffisamment sécurisées pour pratiquer une TLC médicale ?
L’usage de la Wi-Fi (Wireless Fidelity), tant chez le patient que chez le médecin, pour réaliser une TLC avec échanges de données médicales, mérite quelques remarques sur la sécurité de ces échanges.
Par définition, la WI-FI permet de partager une bande de fréquence sans fil entre plusieurs utilisateurs d’appareils informatiques (ordinateur, smartphone, modem internet, etc.). Le risque est un accès indu par un tiers des données relevant de la vie privée, du secret industriel, en médecine du secret médical. Lorsqu’on utilise la Wi-Fi dans un lieu professionnel ou une habitation privée, on constate qu’il existe de nombreuses autres connexions possibles dans le voisinage immédiat. On ne peut utiliser un WI-FI non sécurisé lorsqu’on réalise une TLC médicale.
Des moyens de protection sont nécessaires tant dans le cabinet médical que chez le patient. Le plus ancien moyen est l’utilisation d’une clé WEP (Wired Equivalent Privacy) communiquée seulement aux utilisateurs du réseau. C’est ce qui se passe au sein d’une famille lorsqu’on a une box qui collecte du THD par fibre, du réseau 3G et 4G, voire du réseau satellite. En fait, cette clé peut être facilement violée avec certains programmes. Pour améliorer la confidentialité, de nouvelles clés sont proposées (WI-FI Protected Access ou WPAn voire WPA2). On peut aussi utiliser un tunnel chiffré de type VPN (Virtual Protected Network).
Les opérateurs du réseau mobile développent de plus en plus le WI FI hotspot, non sécurisé, dans les lieux publics (gare, train, aéroport, centre-ville) pour décongestionner la bande passante utilisée par les réseaux 3G et 4G.
En parallèle aux accès non sécurisés par hotspot, le Wi-Fi peut être développé en zone rurale avec la technologie dite du « dernier kilomètre », notamment le WiMax (Worldwide Interoperability for Microwave Access). Il est utilisé pour permettre l’accès à l’internet haut débit dans les métropoles, les secteurs péri-urbains, les zones rurales qui n’ont pas d’infrastructure téléphonique filaire exploitable. Avec un débit de quelques dizaines de Mbits/sec, WiMax peut couvrir quelques dizaines de kilomètres. En médecine, il est déjà utilisé dans des zones hospitalières étendues. Cette solution technologique se développe aujourd’hui dans plusieurs départements français, notamment dans ceux touchés par la désertification médicale (zones rurales et montagneuses). Pour un usage médical, l’accès à WiMax doit être sécurisé.
Quelles sont les solutions organisationnelles et humaines pour réaliser une TLC en zone rurale ?
Nous avons déjà développé dans un billet précédent les choix technologiques possibles pour un médecin téléconsultant qui respecte l’avenant 6 de la Convention médicale, signé en juin 2018 avec la CNAM et publié au Journal Officiel dans un arrêté ministériel du 1er août 2018. Nous centrons notre propos dans ce billet sur les organisations professionnelles en zone rurale.
Peut-on chiffrer le besoin de TLC médicale en zone rurale ?
Selon le rapport de la DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques) publié en mai 2017, 98% de la population française était à moins de 10mn par la route d’un médecin généraliste. En fait, ce temps d’accès au professionnel le plus proche n’est pas suffisant pour évaluer l’accès aux soins. Il faut également tenir compte de la disponibilité des médecins, et c’est justement là que réside la tension entre l’offre et la demande. De plus en plus de médecins généralistes et spécialistes refusent de prendre de nouveaux patients.
D’où l’initiative de la DREES de définir un indicateur prenant en compte à la fois le temps d’accès au médecin généraliste et sa disponibilité, l’APL (Accessibilité Potentiel Localisée).
L’APL permet de tenir compte conjointement de la proximité et de la disponibilité de l’offre médicale, mais aussi de l’âge de la population et de l’activité des médecins. D’après l’APL, 8 % de la population française a une accessibilité aux médecins généralistes inférieure à 2,5 consultations par an et par habitant. Cette faible accessibilité touche des espaces ruraux et urbains, mais les trois quarts de cette population résident en zone rurale. Cette population connaît une accessibilité moyenne deux fois plus faible que la moyenne nationale (5 à 6 consultations/an/habitant) (voir le billet « Désert médical et TLM » dans la rubrique « articles de fond »).
L’étude de la DREES a identifié 4982 communes françaises (1 890 632 habitants) où l’indicateur APL était < 2,5 consultations/an/habitant. Les régions françaises les plus touchées sont la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, le Centre-Val de Loire, la Bourgogne-Franche-Comté, l’Auvergne-Rhône-Alpes et la Corse.
Cette étude suggère qu’il manquerait une quinzaine de millions de consultations médicales en zone rurale, dont une partie pourrait être réalisée par télémédecine. D’ici 2022, l’Assurance maladie a prévu de financer 2 à 2,5 millions de TLC.
Quelles organisations territoriales pourraient améliorer l’accessibilité des patients vivant en zone rurale aux médecins généralistes ?
Il faut d’abord augmenter le temps de disponibilité des médecins généralistes.Réduire leur temps administratif en leur allouant 4000 assistants médicaux, un des objectifs du plan santé 2022 présentée par la Ministre de la santé et des solidarités, permettrait à quelques 4000 à 10 000 médecins généralistes qui auront cette aide pour dégager par exemple dans leur planning deux nouvelles consultations médicales/jour. Ce serait alors de 2 à 5 millions de consultations médicales supplémentaires qui seraient ainsi offertes aux populations rurales qui ont un APL < 2,5 consultations/an/habitant. Certaines de ces consultations pourraient être réalisées par télémédecine si le médecin traitant l’estime nécessaire, notamment lorsqu’une partie de sa patientèle réside en EHPAD .
Il faut une organisation territoriale qui gère cette ressource supplémentaire de consultations. Le plan santé 2022 crée les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui ont la mission, entre autres, de trouver une consultation médicale aux patients qui n’ont pas encore de médecin traitant ou aux patients dont le médecin traitant n’est pas disponible.
Le rôle des pharmaciens d’officine pour répondre à cette demande de consultations de patients vivant dans les zones isolées est essentiel et leur implication dans les CPTS est très attendue. Dans certains territoires, la pharmacie en zone rurale est souvent le dernier ilot de santé. Le plan santé 2022 s’appuie sur les pharmaciens d’officine pour faciliter les TLC avec le médecin traitant ou d’autres médecins du territoire (avenant 15 de la Convention pharmaceutique signé avec l’Assurance maladie le 06 décembre 2018).
En résumé, la TLC programmée en zone rurale, demandée par de nombreux maires, est aujourd’hui possible sur le plan technique et organisationnelle. On verra dans quelques mois si les moyens mis en place par les pouvoirs publics et l’Assurance maladie auront donné les résultats escomptés.
Nous remercions vivement le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine) , auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine, pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie du Docteur Pierre SIMON :
Son parcours : Président de la Société Française de Télémédecine (SFT-ANTEL) de janvier 2010 à novembre 2015, il a été de 2007 à 2009 Conseiller Général des Etablissements de Santé au Ministère de la santé et co-auteur du rapport sur « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins » (novembre 2008). Il a été Praticien hospitalier néphrologue de 1974 à 2007, chef de service de néphrologie-dialyse (1974/2007), président de Commission médicale d’établissement (2001/2007) et président de conférence régionale des présidents de CME (2004/2007). Depuis 2015, consultant dans le champ de la télémédecine (blog créé en 2016 : www.telemedaction.org).
Sa formation : outre sa formation médicale (doctorat de médecine en 1970) et spécialisée (DES de néphrologie et d’Anesthésie-réanimation en 1975), il est également juriste de la santé (DU de responsabilité médicale en 1998, DESS de Droit médical en 2002).
Missions :accompagnement de plusieurs projets de télémédecine en France (Outre-mer) et à l’étranger (Colombie, Côte d’Ivoire).
ÉVÉNEMENT 2019
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Jean-Luc STANISLAS (Fondateur du site, [photo à droite]) tient à remercier chaleureusement le Docteur Pierre SIMON (Past-Président de la Société Française de Télémédecine, SFT-ANTEL) pour proposer régulièrement le partage de son expertise de la Télémédecine à travers ses nombreux articles publiés gracieusement sur notre plateforme média digitale ManagerSante.com®
de l’interview du Docteur Pierre SIMON par Jean-Luc STANISLAS (Fondateur de managersante.com) sur
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