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Est-il possible de caractériser le « professionnalisme » ? Vincent CRISTALLINI nous propose 7 clés pour mieux comprendre ce modèle conceptuel (partie 3/3).

Nouvel article publié par Vincent CRISTALLINI, Docteur en sciences de gestion, Habilité à diriger des recherches, Président fondateur de l’équipe de recherche-action Endogène.

Il est également auteur de plusieurs ouvrages, notamment le dernier intitulé « Le génie managérial« , publié en Juin 2022 aux éditions EMS Management & Société.

N°4, Juillet 2023

Relire la deuxième partie de cet article.

Cet article vient clore une série de trois consacrés au sujet crucial du professionnalisme.

Dans le premier article, nous nous sommes attachés à répondre à la question « Le professionnalisme est-il un humanisme ? »  et avons mis en lumière les liens entre les performances et le professionnalisme, et avons notamment montré en quoi le professionnalisme est une forme d’altruisme, caractéristique de l’humanisme efficace.

Dans le deuxième article, à travers la question « Peut-on encore faire confiance aux professionnels ? », nous avons montré que le professionnalisme correspond à un ensemble de pratiques et de comportements permettant de tendre vers l’excellence, et avons ainsi pu expliquer que le statut de professionnel ne confère pas automatiquement à son porteur la capacité à en faire preuve. Si l’on nous pardonne ce néologisme, un professionnel devrait aussi être un « professionnaliste ».

Dans cet article, nous nous attacherons à répondre à la question « Est-il possible de caractériser le professionnalisme ? », et proposerons une modélisation du concept de professionnalisme.

Le professionnalisme, une combinaison de comportements et un véritable système de pensée

Le professionnalisme pourrait être considéré comme « la volonté et la capacité à formuler, faire évoluer et à mettre en œuvre clairement des règles de l’art dans son domaine d’action ». Cette formulation ouvre un champ d’analyse important, dans la mesure où le professionnalisme ne reposerait pas sur une ou deux règles simplistes, des quasi-recettes, mais sur un véritable art de vivre.

La notion de professionnalisme, les enjeux et les objectifs qu’elle sous-tend sont relativement aisés à appréhender intellectuellement. Ce qui la rend difficile à mettre en œuvre concrètement, est le fait qu’elle embrasse un vaste champ d’expression qui relève parfois du détail, ce que d’aucuns appelleraient le « petit plus » : 

– fabriquer un bien et un service avec un niveau de qualité ou de service irréprochable,

– connaître son sujet,

– s’organiser pour tenir un délai, une échéance,

– accueillir, recevoir, conseiller un client,

– se concerter et se coordonner avec des clients internes de l’entreprise,

– l’apparence personnelle, et la capacité à communiquer,

– ne pas oublier,

– la manière de traiter un problème sereinement et méthodiquement…

C’est la combinaison de ces comportements qui conduit au final à un résultat et à une lecture externe d’un niveau de professionnalisme, que nous pouvons qualifier de relief de l’acte professionnel (ce qui donne du relief à son action).

Pour parvenir à un relief de professionnalisme significatif, c’est un véritable principe de vigilance et de détermination qui est à l’œuvre. Dans ce sens, le professionnalisme, même s’il est aussi autre chose que cela, est avant tout une disposition d’esprit.

Pour une définition multi-facette du professionnalisme

L’exploration du concept de professionnalisme nous conduit non seulement à expliciter comment il s’exprime, mais à le définir. Cette tentative nous a montré qu’il y avait deux manières de définir le professionnalisme. Soit on le définit d’une manière simple mais réductrice, qui présente l’avantage d’être mémorisable. Soit on le définit de manière stratifiée et complète pour rendre compte de toutes ses facettes. Nous avons concentré nos efforts sur la deuxième option, tout en proposant malgré tout une définition simple.

Le professionnalisme est un comportement d’exigence vis-à-vis de soi-même, puis des autres, qui sacralise (qui est digne d’un respect absolu) les activités et les relations humaines, en produisant des effets conformes, et plus sûrement encore, supérieurs, à un attendu.

Cette définition peut être commentée au travers de tout ce qui s’y oppose. Le professionnalisme n’est donc pas l’économie de soi, les jeux d’intérêts particuliers, les jeux pervers. Ce n’est pas non plus l’entretien des conflits, la déloyauté professionnelle, le manque de modestie, les faux-semblants. Il ne s’agit pas non plus de résistance au changement, de raison du plus fort, de mesquinerie et de jalousie. Le professionnalisme prévient et résout, en fait, de nombreux problèmes.

Il existe chez l’être humain une compétence éthique susceptible de développement. Elle s’appuie sur la notion de décision responsable, dans laquelle la responsabilité est une triple capacité consistant à faire ce que les circonstances exigent, à assumer (réellement) les conséquences de ses actes, et à ne pas provoquer d’externalité délétère dans son environnement.

Le manque de professionnalisme est donc un profond manque de respect vis-à-vis de soi-même, puis des autres, par le simple fait qu’il avilit, plus qu’il n’élève.

Voici quelques illustrations de situations d’entreprises, qui seront toutes en italique dans la suite du texte :

« Il n’y a aucun contrôle sur le travail réalisé. Par exemple, le service courrier n’a pas de raison de s’inquiéter s’il ne répond pas à un client, car personne ne pourra identifier qui a fait quoi. »

« Les secrétaires sont totalement autonomes. Il n’y a pas de permanence le midi et elles peuvent arriver en retard sans problème. »

« Comme tout le monde touche des commissions à chaque visite chez un client, qui a intérêt à bien faire son travail la première fois ? Il est plus rémunérateur de revenir voir le client une seconde fois. Je trouve ce système malhonnête. »

« Les horaires de réunions ne sont pas respectés. Il y a un manque de respect des personnes et toute l’agence en pâtit. »

« La nouvelle mode, c’est l’échange de mels, qui permet, comme on ne voit pas la personne, de s’insulter. »

Par-delà cette première approche rudimentaire, une définition multi-facettes, plus approfondie, du professionnalisme, pourrait être traduite au travers des sept points suivants :

Le professionnalisme comme moyen d’atteindre l’excellence

1. Le principe de « Résultat supérieur »

A- C’est une énergie individuelle qui s’appuie sur et qui s’exprime par : une très grande rigueur et une exigence dans l’action (A1), un très fort respect (A2) de son environnement, une forte capacité à se donner les moyens de parvenir à des objectifs (A3) et une passion pour les progrès et le perfectionnement (A4). (Principe de RESULTAT SUPERIEUR)

Une personne qui fait preuve de professionnalisme utilise donc son énergie personnelle pour transformer son environnement. Elle cherche délibérément à produire des actes décisifs, tout en conservant la coopération active de son environnement. Elle obtient des performances supérieures relativement à ce qu’elles auraient été naturellement, sans professionnalisme.

« Aujourd’hui, les techniciens nous donnent des fiches client qui ressemblent à des torchons. Il nous est difficile de saisir des informations fiables et, souvent, cela se retourne contre nous. »

 » Aux archives, nous recevons des demandes mal formulées et incomplètes qui nous obligent à faire des recherches sur le module informatique. »

 

2. Le principe de « Méthode »

B- C’est la mise en œuvre de règles de connaissance et d’action (au sens d’un système expert et des algorithmes), leur formalisation et leur capitalisation, qui conduisent à des résultats peu communs. (Principe de METHODE)

Le professionnalisme est une série de compétences fines, qui sont déterminées par des modes opératoires, des façons de procéder. Si l’on parvient à faire émerger ces pratiques et à les formaliser, on peut alors les transférer. Ce principe du professionnalisme permet de s’extraire de la vision strictement comportementale du professionnalisme, qui laisserait croire qu’il s’agit de qualités innées ou tout du moins extraordinaires, de personnes hors du commun. Ces personnes sont simplement plus sensibles à l’observation et la mise en œuvre de règles efficaces.

« Il n’y a pas de canevas type de propositions commerciales communes aux agences. Il y a vingt et une agences, vingt et une façons de faire une proposition. »

« La culture orale est très forte dans la société. Cela pose des problèmes surtout en cette période de transition et de mutation, où le travail nécessite encore plus de rigueur. »

3. Le principe d’« Implication »

C- C’est la qualité de réponse à des attentes explicites ou implicites de clients internes ou externes, par-delà les enjeux et intérêts personnels. (Principe d’IMPLICATION)

Ce principe pourrait se formuler comme la capacité pour une personne de faire son affaire de la réussite et de la qualité d’une opération. La personne prend en charge la qualité de service en s’impliquant personnellement dans son obtention. Ce qui est l’inverse de se justifier ou de se décharger sur d’autres, jusque et y compris sur le client. En réalité, le professionnalisme consiste à dépasser ses préférences personnelles.

« Personne n’est responsable dans cette entreprise. Comme tout le monde travaille dans son coin, personne ne veut résoudre les problèmes sous prétexte que c’est un autre service qui l’a créé. »

4. Le principe d’« Image »

D- C’est la sauvegarde à tout prix de l’image même de professionnalisme, de sérieux, de courtoisie, d’esthétique, de bienséance, d’honorabilité. (Principe d’IMAGE)

Puisqu’il est détaché des enjeux partisans, du copinage et des manœuvres dilatoires, le professionnalisme s’appuie sur la probité qu’il génère par sa propre action saine et déterminée. Le professionnalisme se forge naturellement une image positive et il est à même de la défendre plus aisément lorsqu’elle est attaquée.

« Il y a un manque de matériel et de pièces détachées en stock. Alors, quand le technicien a fait deux heures de route pour aller chez un client, il bidouille techniquement tant bien que mal, et ça peut entraîner des litiges avec les clients. »

« Les règles et les procédures sont très souvent transgressées par nos dirigeants, qu’elles concernent le business ou la gestion du personnel. Est-ce une volonté d’exercer le fait du prince ? »

5. Le principe d’« Estime »

E- C’est le choix de faire, à un instant donné, ce que l’on estime être la réalisation la plus élevée pour soi ou pour les autres. (Principe d’ESTIME)

Le professionnalisme ne se contente pas du minimum vital, de l’à peu près. Il fait ce qui est nécessaire pour aller au bout des règles de l’art telles qu’elles existent ou qu’elles sont connues, explicitement ou implicitement.

« Je suis souvent choquée quand j’en entends certains qui disent voilà j’en ai fait assez, j’en ai marre, ça fera ce que ça fera. »

6. Le principe de « Précision »

F- C’est la capacité à être précis et minutieux dans la prise d’information, la prise de décision et le passage à l’acte. (Principe de PRÉCISION)

Le professionnalisme consiste à passer sous contrôle ce que le naturel aurait tendance à laisser dériver, à rendre chaotique, désorganisé, imprécis. Laisser au hasard et laisser « courir » sont les antithèses du professionnalisme. En ce sens, le professionnalisme est une puissante force d’organisation et d’intervention sur les événements.

« Quand vous demandez une information à quelqu’un, si vous ne vérifiez pas l’information en retour, vous êtes sûr de vous planter ! »

« Avec mon chef quand on traite d’un sujet c’est toujours on verra, on va s’en occuper. Quinze jours après il n’y a toujours rien de fait. »

7. Le principe de « Contagion »

G- C’est la capacité à obtenir de la part d’autres personnes les six points précédents. (Principe de CONTAGION)

Le professionnalisme est aussi une responsabilité partagée, dans la mesure où celui qui a la conscience d’un phénomène en devient en quelque sorte un messager pour les autres. Le professionnalisme va donc consister à ne pas laisser faire certaines choses, à apprendre ou à transmettre des pratiques, et à être exemplaire..

Conclusion

Les professionnels semblent parfois inconscients ou insensibles au fait que le travail génère toujours des niveaux et des qualités de relations entre des personnes, qui sont générateurs à court et moyen termes d’un niveau de performance. Lorsque l’acte professionnel est terminé, son niveau de professionnalisme continue de produire des effets dans l’espace et dans le temps.

Tout produit, et par conséquent tout service, est une relation. Cela signifie qu’à tout objet ou à toute prestation visible est associée une relation immatérielle de professionnalisme. Le professionnalisme est un puissant bâtisseur ou destructeur de confiances.

Par définition, le travail d’une personne n’est pas réalisé pour elle-même, sinon il ne s’agirait pas d’une relation professionnelle. Dans sa production personnelle, un professionnel est un fournisseur. Qu’il le veuille ou non, ce professionnel est en relation. L’idée de simplement fabriquer un produit ou de faire une prestation est une hérésie car le client ne regarde pas seulement le produit ou la prestation, mais la manière dont il est traité. Le professionnalisme peut alors être considéré comme une relation intime et subtile entre un fournisseur et un client. Tout dans le produit respire ou non le professionnalisme : son coût, les délais, sa vente, ses caractéristiques… Produire un acte professionnel revient à rendre un service, à traiter quelqu’un d’une certaine manière.

Le discours incantatoire de la qualité et de l’excellence trouve ses limites dans l’autosatisfaction des personnes ou leur manque de clairvoyance. C’est dans le management, actif, délibéré et transformateur, que se trouve probablement une source profonde et puissante d’amélioration effective du professionnalisme.

Conclusion générale

Cet article clôt une série de 3 sur le sujet du professionnalisme. Le premier article « Le professionnalisme est-il un humanisme ? », nous a permis d’apprécier ses enjeux et de montrer en quoi il est la condition sine qua none de performances durables. Ce qui, mis en perspective avec le deuxième article « Peut-on encore faire confiance aux professionnels ? » nous a permis de décrire le professionnalisme comme un ensemble de gestes et de décisions qui ne sont pas innés, mais qui supposent une grande conscience et une volonté de professionnalisme. Ces observations nous ont finalement permis de proposer, dans ce dernier article, une modélisation du professionnalisme, au service du management.

La place nous a manqué pour expliciter la manière dont le professionnalisme pouvait être développé et encouragé dans les organisations, sans verser dans la moralisation. Disons le, en quelques mots, le professionnalisme est un sujet politique et pratique, fortement dépendant de la détermination des managers à ne rien concéder au manque de professionnalisme, d’une part par une pédagogie de tous les instants, d’autre part par une exigence bienveillante, mais ferme, fort bien encapsulée dans une formule du type : « les dysfonctionnements ne passeront pas par moi ! »

Pour aller plus loin :

  • Boussard V., Demazière D., Milburn P., L’injonction au professionnalismeAnalyses d’une dynamique plurielle, PU Rennes, 2010
  • Friedson, E., Professionalism: Theory, Prophecy and Policy. Chicago: The University of Chicago Press; 1994.
  • Hensel W.A., Teaching Professionalism. Passing the Tocken. Acad.Med, 1996
  • Langlois L., Le professionnalisme et l’éthique au travail – PU Laval, 2011
  • Legault, G.A., Professionnalisme et délibération éthique – Manuel d’aide à la décision responsable, Collection Ethique, Presses de l’Université du Québec, 1999
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Les publications de l'auteur :

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