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Comment la télémédecine peut-elle répondre en 2023 à la tension éthique qui existe dans les Ehpads pour améliorer l’accès aux soins des résidents ? Le Docteur Pierre SIMON nous explique.

Article publié  par notre expert, le Docteur Pierre SIMON    (Medical Doctorat, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine).

Auteur de plusieurs ouvrages sur la Télémédecine, il vient de co-rédiger le 07 Avril 2021, aux éditions Elsevier Masson un nouvel ouvrage intitulé « Télémédecine et télésoin : 100 cas d’usage pour une mise en oeuvre réussie ».

Il est également co-auteure d’un chapitre de l’ouvrage collectif de référence publié depuis le 04 Octobre 2021, sous la direction de Jean-Luc STANISLAS  chez LEH Edition, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins » .

le Docteur Pierre SIMON   est intervenu au Ministère des Solidarités et de la Santé sur la table ronde,  à l’occasion du 1er Colloque  national annuel de ManagerSante.com, sur la thématique « Comment embarquer les acteurs du numérique en santé ?« , le Mardi 29 Mars 2022.

N°64, Juin 2023

Une tension éthique dans les pratiques de télésanté en Ehpad existe depuis plusieurs années et nous ne sommes pas encore parvenus à la surmonter. De quoi s’agit-il ? En prenant la méthodologie proposée par le Groupe de Travail (GT8) de la DNS, peut-on parvenir à établir une réflexion éthique éclairante et à identifier des solutions ?

Une situation sanitaire préoccupante depuis plus d'une décennie.

La plupart des résidents d’ Ehpad, qui ne sont pas atteints de troubles cognitifs et dont l’âge moyen est de 85 ans, sont dans un état d’illectronisme. Ils doivent être assistés lorsqu’ils veulent correspondre avec leurs proches à travers l’écran d’une tablette, comme ce fut le cas pendant les confinements liés à la pandémie Covid-19.

La téléconsultation médicale assistée d’un professionnel de santé est devenue essentielle en Ehpad pour assurer la continuité des soins. Ce problème d’accès aux soins des résidents d’Ehpad existe depuis plus d’une décennie, car les médecins traitants de ces résidents ont de plus en plus de mal à se déplacer dans les établissements et les patients sont de plus en plus handicapés pour se déplacer au cabinet de leur médecin traitant ou d’un médecin spécialiste. Dès les années 2014-2015, la téléconsultation médicale assistée dans les Ehpads fut une priorité des pouvoirs publics à travers les programmes conduits par les ARS. La plupart des expérimentations menées à cette époque ont échoué car les infirmiers/infirmières salariés des Ehpads ne trouvaient pas le temps professionnel nécessaire pour accompagner le résident au cours d’une téléconsultation médicale. Cette insuffisance de prise en charge médicale se traduit par de fréquentes hospitalisations dites « potentiellement évitables » (HPE).

Les études épidémiologiques, réalisées depuis le début des années 2010, révélent que dans la plupart des Ehpads, un résident sur deux est hospitalisé en urgence chaque année, souvent pour la décompensation d’une insuffisance cardiaque chronique qui aurait pu être prévenue, que dans certains Ehpads 40% des résidents n’ont plus de médecin traitant, que le taux d’infirmiers/infirmières pour 100 résidents est au mieux de 6% et que cette filière reste peu attractive pour les jeunes générations d’infirmiers, que plus du tiers des Ehpads n’ont plus de médecin coordonnateur, etc. L’Ehpad est devenu en quelques années un véritable désert médical.

« Le parcours de soin des personnes âgées en Ehpad est aujourd’hui brisé. Découpé en morceaux par la distension du tissu médical, des profils de soin de plus en plus complexes, des établissements d’accueil en surchauffe, et une offre des soins devenue inaccessible parce que trop loin, trop rare, trop dure à mobiliser. Résidents, familles, directeurs appellent à l’aide : mais dans un désert médical, il est difficile de se faire entendre.
Faire venir les médecins traitants au sein d’un Ehpad est une gageure. Le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) s’en émeut lui-même, qualifiant pudiquement la permanence des soins ambulatoires (PDSA) de « problématique qui demeure peu traitée ». Dit clairement : les médecins ne se déplacent pas ou peu. La pratique en Ehpad est chronophage et le temps disponible faible. Comment s’en étonner, quand la difficulté d’accès au soin s’accroît déjà pour le grand public ?

Face au manque d’aide externe, on a tenté de renforcer les capacités médicales en interne. Les médecins coordonnateurs sont pourtant absents de 30% des établissements. Leur statut est peu clair, leur présence souvent à temps partiel. Le dénuement est encore plus criant en ce qui concerne la médecine de spécialité : à la baisse démographique s’ajoute un phénomène de concentration des spécialistes dans les centres urbains et souvent d’une surspécialisation des exercices.

Faute d’un suivi médical adapté, en particulier dans une logique de prévention, c’est l’hospitalisation qui devient le seul moyen d’accès au soin. Environ 60% des passages aux urgences pourraient être évités si les patients atteints de maladies chroniques étaient mieux suivis. » (Témoignage de la Polyclinique Mobile de Télémédecine, établissement engagé depuis 2020 dans un article 51 visant à améliorer l’accès aux soins des résidents de plusieurs Ehpads du Grand Est).

La grille de l'éthique pour une téléconsultation médicale en Ehpad appliquée au contexte actuel.

L’utilisation de la grille précédemment décrite permet de mieux identifier les facteurs de tension éthique pour la réalisation de la téléconsultation en Ehpad (en rouge) : manque ou insuffisance de l’accompagnement d’infirmier ou d’infirmière, médecin traitant faiblement impliqué dans le suivi médical des résidents, patient en état d’illectronisme incapable d’être autonome devant un écran, etc. En revanche, de nombreuses interrogations ont des réponses positives (en vert) montrant que la téléconsultation assistée en Ehpad peut apporter un réel service aux résidents si une organisation professionnelle innovante permet de lever les points de tension éthique. Comme nous l’avons déjà souligné dans de précédents billets, la téléconsultation médicale assistée d’un professionnel de santé chez les patients touchés d’illectronisme, en particulier les plus âgés atteints de maladies chroniques, est le maillon faible des pratiques actuelles de télémédecine depuis le « boom » de la téléconsultation pendant la pandémie, comme l’ont montré les données du Health Data Hub en 2020-2021.

Quelle organisation professionnelle innovante permettrait de lever la tension éthique de la téléconsultation médicale en Ehpad ?

Un article 51 qui se termine en juin 2023 pourrait être l’organisation professionnelle innovante qui permettrait de lever les tensions éthiques de la téléconsultation en Ehpad. Nous avons plusieurs fois commenté, les expérimentations art.51 voulues par les pouvoirs publics et l’Assurance maladie depuis 2018 afin de trouver de nouvelles organisations professionnelles et leur financement.

Premiers résultats de la Polyclinique Mobile de Télémédecine

Le modèle de « Policlinique Mobile de Télémédecine » (PMT), expérimenté depuis 2020 par TokTokDoc dans le cadre d’une expérimentation article 51, est une organisation qui a démontré son efficacité. Les infirmiers/infirmières de la PMT assurent l’organisation et l’assistance des téléconsultations médicales avec les médecins spécialistes en accord avec les médecins traitants. À quelques mois de son échéance, la PMT accompagne plus de 1300 résidents d’ Ehpad sur 17 établissements et 3 bassins de santé.

Une organisation innovante.

La collaboration étroite avec la cellule Article 51 du ministère de la santé (DGOS), l’Agence Régionale de Santé (ARS) Grand Est et les pouvoirs publics, a permis de dégager 9 composants essentiels de cette organisation innovante :

  1. Des infirmières mobiles spécialisées en télémédecine, équipées d’objets connectés, sont mises à disposition des établissements. Elles sont salariées de la PMT. Avec l’accord des médecins traitants, elles organisent et réalisent des prises en charge au chevet des résidents en coordination à distance avec les médecins téléconsultants.
  2. Un pool de médecins spécialistes, vacataires de la PMT et issus d’une activité hospitalière salariée ou d’une activité libérale.
  3. Un cadre de santé qui coordonne l’équipe soignante.
  4. Un secrétariat médical qui organise la réponse aux besoins remontés par les établissements, les plannings des médecins, celui des infirmiers et des infirmières, s’assurant ainsi d’un maximum de temps médical disponible.
  5. Un médecin référent gériatre intégré à l’organisation qui permet d’établir et de suivre les Projets Personnalisés de Soins (PPS) transmis aux médecins traitants.
  6. Un coordinateur de cellule, véritable chef d’orchestre, qui met en musique les collaborations, planifie les besoins de vacations, gère la ressource humaine.
  7. Le coordonnateur de cellule qui fait le lien avec le logiciel de télémédecine et son équipe technique.
  8. Une tarification expérimentale au forfait (per capita) qui permet une gestion dans la durée et avec du recul des besoins et de l’allocations des ressources.
  9. Le médecin traitant, externe à cette organisation, est informé dès l’intégration de son patient dans la PMT. Il surveille les soins demandés ou effectués, peut demander à réaliser des téléconsultations de médecine générale pour le suivi de son patient.

Des premiers résultats qui montrent l’efficacité de cette organisation innovante en matière de prévention des HPE.

Une diminution de la fréquence des HPE de 30 à 40% comme l’illustre le tableau :

Perspectives et conclusions

En résumé, à la suite de l’expérimentation article 51, les Pouvoirs publics et l’Assurance maladie disposent dès l’été 2023 d’une solution organisationnelle innovante qui permet d’améliorer la prise en charge médicale des résidents âgés ayant plusieurs pathologies chroniques. La grille éthique en télésanté a permis, d’une part d’identifier les facteurs de tension éthique de la téléconsultation médicale en Ehpad, d’autre part de montrer qu’une téléconsultation assistée d’un professionnel de santé était la plus appropriée chez ces résidents âgés en état d’illectronisme. Enfin, l’expérimentation article 51 de la PMT, tant sur le plan du service médical rendu aux résidents d’Ehpad que les coûts de santé évités nous semblent concluante pour étendre cette organisation innovante à tous les Ehpads du territoire français. Les coûts évités par la diminution significative des HPE doivent permettre à l’Assurance maladie d’avoir un modèle économique soutenable et pérenne.

Nous remercions vivement le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine) , auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine,  pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com

Biographie de l'auteur : 

Son parcours : Président de la Société Française de Télémédecine (SFT-ANTEL) de janvier 2010 à novembre 2015, il a été de 2007 à 2009 Conseiller Général des Etablissements de Santé au Ministère de la santé et co-auteur du rapport sur « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins » (novembre 2008). Il a été Praticien hospitalier néphrologue de 1974 à 2007, chef de service de néphrologie-dialyse (1974/2007), président de Commission médicale d’établissement (2001/2007) et président de conférence régionale des présidents de CME (2004/2007). Depuis 2015, consultant dans le champ de la télémédecine (blog créé en 2016 : telemedaction.org).
Sa formation : outre sa formation médicale (doctorat de médecine en 1970) et spécialisée (DES de néphrologie et d’Anesthésie-réanimation en 1975), il est également juriste de la santé (DU de responsabilité médicale en 1998, DESS de Droit médical en 2002).
Missions :accompagnement de plusieurs projets de télémédecine en France (Outre-mer) et à l’étranger (Colombie, Côte d’Ivoire).
 avril 2007, Gazette du Palais 2007
Docteur Pierre SIMON

Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine, Past-CGES French Ministry of Health Praticien Hospitalier en néphrologie pendant près de 35 ans, il s'est intéressé a la Télémédecine des le milieu des années 90 en développant une application de Télémédecine en dialyse, devenue opérationnelle en 2001. Cette application a été évaluée par la HAS en 2008-2009 (recommandations publiées en janvier 2010). Après avoir co/signe le rapport ministériel sur "La place de la Télémédecine dans l'organisation des soins", avec Dominique Acker lorsqu'il était Conseiller Général des Etablissements de Sante (2007-2009), il a été, de janvier 2010 à décembre 2015, président de la SFT-ANTEL Société savante de Télémédecine, qui regroupe plus de 400 professionnels de santé, médecins et non médecins ( infirmiers, pharmaciens, etc.). et dont l'objet est de promouvoir et soutenir les organisations nouvelles de soins structurées par la Télémédecine, apportant la preuve d'un service médical rendu aux patients. La SFT-ANTEL organise chaque année un Congres européen de Télémédecine et a crée un journal de recherche clinique en Télémédecine ( Européan Research in Télémédecine) publie par Elsevier.

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