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Médiation des conflits interprofessionnels des médecins à l’hôpital public : quels enjeux pratiques et perspectives ? Le Professeur Yann MIKAELOFF présente les contours du processus d’accompagnement (Partie 1).

N°1,  Décembre 2022

Nouvel article publié pour ManagerSante.com par le Professeur Yann MIKAELOFF, Neuropédiatre à la Faculté de médecine Paris-Saclay. Il est également expert judiciaire près la Cour d’Appel de Paris (Compagnie CEMCAP)/ Médiateur santé, éducation (DU IFOMENE ICP)/

Il est responsable du Centre de Protection de l’Enfant et de l’Adolescent (CPEA) Val-de-Marne/Hauts-deSeine, DMU SEA, Hôpital Bicêtre, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et Consultant des CMS de Cachan et Villejuif/ Equipe « Psychiatrie du développement », CESP INSERM Paris-Saclay

Les acteurs de santé ont de plus en plus besoin de la médiation, comme l’ensemble de la société en France. La réforme de la justice l’envisage comme une issue majeure à la crise judiciaire. La médiation territoriale a fait la preuve de sa grande efficience au profit des solutions constructives et durables des conflits. Le besoin de médiation en santé concerne tous ceux qui y jouent un rôle : les professionnels médicaux, non médicaux ou administratifs, mais aussi les patients qui, au sein d’associations, sont attentifs pour que leurs droits soient pris en compte au mieux.

Il s’agit de permettre aux professionnels et aux patients confrontés à une rupture de confiance à la suite d’un incident dans la relation de renouer un dialogue interrompu et de donner aux professionnels la possibilité de traiter le plus tôt possible les différends interpersonnels qui s’expriment dans leur activité.

Les difficultés de l’hôpital public interrogeant sur son avenir en France, dans un contexte de stress des personnes comme du système, et appuient l’urgence d’aborder la médiation des conflits comme un levier pertinent pour améliorer les relations et les communications entre les personnels de santé dans les établissements.

Quelle posture et responsabilité de moyens pour la médiation santé à l’hôpital public ?

Le suicide du Pr Jean-Louis Mégnien à l’HEGP à l’APHP en 2015 a été largement médiatisée et a encouragé la démarche d’accompagnement par la médiation « curative » des situations de conflits associant médecins et administratifs, voir dans l’idéal « préventive ». Des commissions de vie hospitalière ont été mises en place dans les hôpitaux dont une évaluation d’activité et d’efficience est attendue. Elle a été suivie de mises en examen judiciaires pour harcèlement moral au travail, dont le procès pénal est en cours. Il ne s’agit manifestement pas de situations isolées. Les suicides en augmentation des médecins alertent sur leur souffrance au travail et sur les actions à engager.

Des injonctions politiques ou de santé publique en contexte de crise sanitaire ont pu encourager les impératifs d’économies (et de rationalisation financière depuis de nombreuses années), des surcharges horaires et des rotations complexes dans les plannings pour assurer la continuité des soins. Les directeurs d’hôpitaux sont aussi soumis à des contraintes qui leur sont propres et qu’ils transmettent. Les relations avec les médecins sont parfois compliquées et conflictuelles dans le cadre d’une gouvernance remise en cause par le Collectif Inter Hospitalier. Le premier bilan des Départements Médico-Universitaires à l’APHP montre qu’ils sont questionnés par les médecins en termes de processus démocratique.

Tout en restant dans sa posture et ses principes, le médiateur santé ne peut que s’interroger sur sa place dans la résolution amiable de telles situations, qu’il soit soignant, juriste, administratif ou dans une autre position. Il s’agit donc d’un « intermédiaire » connaissant le domaine de la santé et formé à la relation constructive. Il prend cependant une posture de non-sachant pour faciliter le processus résolutif entre les médiés et ne propose pas de solutions lui-même, il favorise leur émergence par l’échange entre les médiés.

La médiation est un processus par lequel, l’intervention d’un tiers lors d’un différend, facilite la circulation d’information, et permet d’éclaircir ou de rétablir des relations afin de faire émerger une solution. Une rigueur méthodologique avec une structuration du processus sont indispensables pour le bon respect des 3 principes indérogeables d’un processus de médiation: impartialité, neutralité, indépendance, auxquels se rajoute le cadre de confidentialité, précisé avec les médiés, et de sécurité. Manager Santé a déjà publié sur ces principes généraux dans le cadre santé et il est aisé de s’y référer, par les articles de Michèle Guillaume-Hofnung.

Le médiateur n’a pas une obligation de résultat, mais une obligation de moyens engageant sa responsabilité. Le Conseil National de la Médiation (decret n°2022-1353 du 25 octobre 2022) se met en place pour un réguler un « monde médiation » en développement louable, mais nécessitant de vérifier que les formations sont sérieuses et référencées, au-delà des seules expériences professionnelles. Comme toute action en organisation, la médiation peut être bénéfique, parfois sans effet, mais aussi associée à une aggravation du conflit dont il importe de déterminer si elle a pu y contribuer pour rectifier si besoin.

Les conséquences des conflits sont graves en termes de risques psychosociaux, de burn out voir de suicides, comme évoqué par Marie Peze dans ses articles dans Manager Santé. Le management toxique a aussi de grandes conséquences sur l’efficience de toute organisation, dont l’hôpital public, comme évoqué par Stéphanie Carpentier dans des articles précédents. Selon l’Organisation Internationale du Travail, ces dysfonctionnements peuvent impacter 1/3 de l’efficience réelle d’une organisation. Nous identifions ici une cause des difficultés de l’hôpital public, pouvant entraîner des dysfonctionnements majeurs dans la prise en charge des patients, des problèmes de santé au travail pour les agents, y compris les médecins et des démissions épidémiques, comme il est constaté pour les infirmières depuis quelques années, avec des fermetures partielles ou totales de services. Par analogie avec le harcèlement scolaire, des phénomènes de « meutes » harcelantes sont parfois décrits dans nos hôpitaux publics, plusieurs contre un, avec un cordon isolant « ostracique » toxique contre la victime.

Quelles spécificités de la médiation santé des conflits interprofessionnels des médecins à l'hôpital public ?

Je fais partie des PUPH de l’APHP engagés dans la lutte contre la souffrance au travail à l’hôpital public, dans mon environnement proche et en m’impliquant en médiation santé et en prévention par la formation et l’action quotidienne.

Il s’agit d’endiguer et de tarir une des sources de l’hémorragie de personnel et de l’inefficience dans l’organisation, délétère aussi pour les patients et les territoires de santé.

Les médecins doivent prendre leur part de responsabilité et s’impliquer pour éradiquer ce fléau qui mine notre système de santé : harcèlement moral au travail, abus de pouvoir en position hiérarchique parfois en association, harcèlement et abus sexuels justifiés par une vision inadaptée et dangereuse de la culture de corporation avec pour conséquences des troubles de la santé, burn-out, voire des suicides.

Déployer une réelle prévention pour le bien être des groupes et des personnes à l’hôpital public est indispensable pour passer du cercle vicieux des souffrances psychiques et physiques au cercle vertueux de la motivation au travail en phase avec des valeurs citoyennes et de soins. Le modèle scandinave nous ouvre des pistes confirmées par l’expérience.

La médiation des conflits entre personnels prévient l’aggravation de la victimisation et elle est curative par une issue constructive et durable pour l’individu, le groupe et le système. Elle serait aux mieux préventive, nous y reviendrons.

Stéphanie CARPENTIER rapporte dans ces colonnes qu’il est urgent de rapidement libérer les établissements du monde de la santé de leurs comportements toxiques, les établissements du monde de la santé connaissent les situations de stress récurrentes. Pourtant ils n’ont souvent pas conscience des comportements toxiques ainsi générés d’une façon systémique quand managers et collaborateurs n’arrivent plus à gérer de telles circonstances. Elle rappelle un sondage américain : au moins un manager sur trois ne peut pas gérer des situations à enjeux élevés et à forte pression (en 2018, bien avant la crise de la Covid-19 !).

Cela concerne bien sûr aussi des médecins hospitaliers. Les pistes de solutions sont rarement envisagées dans des situations chroniques en aggravation, nous sommes loin de la prévention. Et nous sommes loin de la médiation, qui, au-delà de proposer des solutions par une approche analytique (une démarche de type processus peut bien sur être parfois utile dans des dysfonctionnements organisationnels simples), propose aux acteurs en conflit de rétablir une communication dans un cadre constructif, si possible vers une solution durable, excluant de fait tout rapport de force toxique aggravant.

Comment effectuer la remédiation des conflits interprofessionnels non résolus impliquants des médecins au sein des hôpitaux publics ?

Au-delà de la médiation interne hospitalière, le 28 août 2019, un décret a institué un médiateur national, ainsi que des médiateurs régionaux, pour les personnels des établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux. Auparavant, la conciliation était l’usage. Le médecin conciliateur (Ordre des médecins), les commissions de conciliation (loi Kouchner de 2002) promouvaient la résolution amiable des conflits en santé.

Depuis les années 2000, des professionnels, issus du domaine de la santé ont été formés à la résolution amiable des conflits. En médiation, ce sont les parties – et non le médiateur – qui ont la responsabilité de la solution à leur différend, par une communication respectueuse de l’autre encadrée par le médiateur. L’expérience montre que l’on peut réussir à s’entendre, dans 2/3 des cas où l’on n’y arrivait pas seuls.

S’expliquer est une expression du respect d’autrui, difficile lorsque nous avons l’impression que l’autre se ferme, fuit, préférant nous ignorer, cherchant à nous raconter des histoires ou nous attaquant verbalement et parfois physiquement, nous conduisant à réagir ou à nous résigner. Chacun voit l’autre comme un obstacle. Alors peut s’enclencher « l’escalade » dans les attaques réciproques.

Parmi ce que l’on peut faire, plus souvent qu’on ne le croit est la désescalade. Les notions de respect, de courtoisie, d’écoute, de reconnaissance, manquent souvent pour faire amorcer la résolution des conflits, voire pour les traiter en profondeur.

Si nous n’avons plus envie de parler à l’autre, nous disposons des recours réglementaires ou juridiques. Si cela n’aboutit pas ou si l’échange s’enlise sans avancer ou dans le cadre de non-réponses aux questions et demandes par l’autre partie, parfois en abus de position dominante hiérarchique, nous pouvons, afin de résoudre le différend, transférer à un autre la responsabilité de nous accompagner à la reprise du dialogue. Les parties ne se sont souvent plus parlé pendant des mois, voire des années, et rétablir l’échange médié direct en présentiel peut même avoir un effet cathartique rapide en faveur d’une résolutation pragmatique et rapide du conflit.

Le médiateur est donc indépendant, neutre et impartial bienveillant à l’égard de tous, dans le respect du réglementaire, des lois et de la confidentialité indispensables pour établir la confiance tout au long du processus. Une médiation peut se mettre en place même en cours de réclamation ou de procédure réglementaire ou judiciaire, ou auprès d’un conseil de l’ordre. À tout moment, les participants sont libres de choisir un autre mode de résolution du différend : judiciaire, arbitrage, conciliation, coaching de groupe. Au-delà de la médiation santé interne, régionale ou autre type conventionnel, la médiation judiciaire peut être envisagée au tribunal administratif, comme au civil, voire au pénal dans certaines situations.

Le médiateur reçoit chacun individuellement (présentiel préférable ou visioconférence si besoin) et explique le déroulement « type » de la médiation, ses principes et recueille le consentement ainsi éclairé des participants pour une rencontre plénière dans un cadre de respect mutuel. Il accueille leur perception des problèmes, leurs sentiments et leur état d’esprit. Il organise alors sans préjugés, un ou plusieurs échanges en intégrant si besoin ceux qui peuvent aider à résoudre le différend : famille, personne de confiance, représentant syndical, avocat, personnel de santé, responsable d’établissement. Il accompagne au final la co-construction d’un accord et s’assure au mieux de sa mise en œuvre par les différentes parties.

Tous s’engagent sur la confidentialité des débats. Le médiateur est responsable de la sécurité des échanges (les agressions verbales et/ou physiques ne sont pas tolérées).

Au cours de ces échanges : chaque personne exprime sa vision des faits dans le respect de l’autre. Concrètement, chacun s’exprime à titre personnel en favorisant le « je ». Le médiateur vérifie que les ressentis et les besoins de chacun aient été entendus voire compris par tous par des reformulations qu’il réalise ou demande à l’autre partie de réaliser.

Une fois un minimum de dialogue rétabli, il invite les participants à imaginer, eux-mêmes, des pistes multiples de solutions susceptibles de répondre à leurs besoins, sans préjudice pour l’autre partie.

En conclusion :

La médiation santé des conflits interprofessionnels des médecins à l’hôpital public est indispensable à déployer à l’échelle la plus accessible et étendue possible. Les conséquences de ces conflits sont graves pour les personnes impliquées et leur famille, comme pour l’efficience de l’organisation. La médiation santé doit considérer sa responsabilité en termes de moyens avec une rigueur méthodologique indispensable pour le respect des principes d’impartialité/bienveillance, de neutralité et d’indépendance, dans un cadre de confidentialité indérogeable. Les médiés apportent des solutions constructives par leurs échanges au cours du processus favorisant l’expression de leurs besoins. Ils sont libres de rapports de forces ou d’influence hiérarchique pouvant contraindre leur parole et leurs propositions.

La deuxième partie de l’article développera les pratiques de la médiation santé, notamment dans les dérives graves de conflits de type harcèlement moral au travail.

Lire la deuxième partie de cet article le mois prochain.

 

Note : Merci à Luc Heimendinger pour ses avis éclairants sur cet article. Merci à mes enseignants de l’IFOMENE de l’Institut Catholique de Paris d’accompagner ma réflexion sur le sujet.

Pour aller plus loin :

Revoir les [REPLAY] du 1er Colloque National Annuel de ManagerSante.com® au Solidarités et de la Santé avec de nombreux experts intervenants.

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