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Comment redonner ses lettres de noblesse au management ? Vincent CRISTALLINI nous livre les clés à l’occasion de la publication de son dernier ouvrage.

Nouvel article publié par Vincent CRISTALLINI, Docteur en sciences de gestion, Habilité à diriger des recherches, Président fondateur de l’équipe de recherches action Endogène.

Il est également auteur de plusieurs ouvrages, notamment le dernier intitulé « Le génie managérial« , publié en Juin 2022 aux éditions EMS Management & Société.

N°1, Novembre 2022

Peut-être devrions-nous nous méfier des évidences, des impressions, de ces idées-reçues qui nous animent ou que l’on nous assène, à coup de bien-pensance. Dans cette optique, assimiler le management aux pratiques douteuses des décideurs, aux pratiques gestionnaires productivistes et réductionnistes, au cynisme du capitalisme prédateur, au démantèlement des services publics, est tout bonnement erroné, mais plus encore, nuisible.

Malheureusement, au lieu de se développer et de prospérer en tant que discipline scientifique, saine, utile, robuste, le management est quasiment devenu une invective, à tout le moins un sous-entendu narquois proféré avec mépris… « ah, oui, encore le management ! » ; l’insulte suprême consistant à associer management et tableurs, ce qui est très réducteur et très polémique.

Admettons en premier lieu que la gestion, le management, et leurs outils, ne sont pour rien dans le fait que « des » décideurs soient malsains, peu ou pas compétents, faiblement conscients, et, à leurs heures, individualistes et prédateurs. Disons-le plus nettement, les pratiques perverses ne sont pas du management, ce sont « juste » des pratiques perverses !

Plus certainement, le management est le besoin naturel d’orchestration et de régulation de la vie d’une organisation. C’est donc son exercice qu’il convient d’améliorer significativement, et non son existence qu’il faut fustiger. Cela relève d’un véritable chantier et non d’un bavardage de salon.

Cinq présupposés encombrent le champ du management : le champ du management est clair ; ceux qui exercent le management en ont appris les principes ; les managers ont la consistance nécessaire pour l’exercer ; les managers ont des pratiques communes et partagées ; les managers disposent d’un équipement d’outils, de méthodes, de concepts, de principes, robuste, formel et explicite. Toutes ces affirmations sont fausses.

La plupart des organisations supposent qu’elles disposent d’un management digne de ce nom car elles sont dotées de dirigeants et de managers (l’organe) ; elles devraient plutôt s’intéresser finement aux pratiques et aux effets de ce dit management (la fonction). Cette fonction est bien malade dans la très grande majorité des organisations.

Un grave problème sociétal, et peut-être même de civilisation

Comment pourrait-il y avoir un grave problème sociétal avec le management, alors que ce thème fait l’objet d’une production incommensurable : ouvrages, revues, magazines, enseignements et formations, débats, colloques ? C’est probablement dans cette profusion, ce grand hypermarché, ce grand mélange des genres, que se trouve une partie de la réponse. Rien n’est clair, tout se vaut, et tout un chacun peut revendiquer d’ajouter son opinion à un méli-mélo sans grande cohérence.

Le juge de paix de toutes ces idéologies devrait être les effets observables, ou dit autrement, la performance, réelle et non contestable, des organisations, si tant est qu’on la définisse correctement. Si l’on affirme, par exemple, que la bonne performance d’une organisation est strictement son résultat comptable, on risque de passer à côté de nombreuses variables qui font la performance globale d’une organisation.

Quatre familles de performances sont déterminantes pour cerner la performance globale et durable d’une organisation : la performance humaine et sociale, la performance organisationnelle, la performance économique et financière et la performance stratégique. Ces quatre familles sont absolument indissociables, car les unes contribuent de manière systémique à la santé des autres ; de même que négliger l’une d’entre elles nuit automatiquement aux autres. Qui le sait ? Qui l’a appris réellement ? L’approche comptable et financière ne dit pas cela.

Un manager aguerri est une personne sérieusement formée à cette performance globale, et à la façon de l’obtenir. Les formations dites de management ne font pas cela, car elles forment en réalité à la gestion, c’est-à-dire à des spécialités certes importantes (RH, comptabilité-finance, qualité, marketing, communication, production-méthodes, stratégie…), mais qui n’ont que peu à voir avec la coopération et l’orchestration des activités humaines dans l’organisation vivante. Une formation sérieuse à toutes les dimensions du management devrait comporter entre 400 et 600 heures, et non pas seulement, 10 à 30, ou 0, comme cela se constate fréquemment.

Comment fait un manager peu ou mal formé pour s’en sortir ? Il se sert de sa personnalité et de son caractère (ce qui peut s’avérer très fâcheux), il applique des recettes, il s’accroche à une formation courte qui lui a été concédée, il cite le livre de sa vie, il applique des bouts de ses expériences passées, il fait le gestionnaire (sans manager donc), il rentre dans des rapports de force inappropriés, il fait le politicien et manœuvre dans l’intrigue. Puis on constate le grand trou noir de tout ce qu’il n’a pas fait, parce qu’il n’aurait même pas imaginé que ce puisse l’être. Manager n’est pas une consécration mais un métier.

Beaucoup de nos concitoyens ne savent pas que quantité de leurs difficultés au travail ne proviennent pas « du management », mais de son absence ou de ses lacunes.

Une discipline scientifique à part entière

Le management est un objet social où chacun est libre d’affirmer ce qu’il veut. Il est aussi un objet de science, une discipline à part entière. La science (sérieuse) n’a que faire des fonds de commerce, des idéologies et des vues de l’esprit, elle s’intéresse aux phénomènes.

La phénoménologie des organisations est un domaine immense. Nous avons déjà évoqué celui de la performance en général. Certains de ces phénomènes sont particulièrement récurrents et partagés. Il est naturel dans le mouvement des sciences de nommer les phénomènes, de les expliquer, de découvrir des lois, de conceptualiser les connaissances, de modéliser.

Si ce vrai travail était fait, plutôt que de juxtaposer des approches, de courir après tel concept nouveau supposé moderne, ou tout simplement d’énoncer des absurdités, les organisations n’en seraient certainement pas à ce haut niveau de dysfonctionnements et de conflits en leur sein.

La science permettrait également de donner une dimension ontologique affirmée à la discipline et au concept de management, ontologie dont on peut rappeler qu’elle consiste à modéliser un ensemble de connaissances dans un domaine donné, qui en constituent l’essence.

De ce point de vue, plusieurs propositions peuvent être faites :

  • le management est la fonction d’orchestration d’une organisation, et vise la cohésion ;
  • le management répond à six enjeux de l’organisation vivante : structurer, dynamiser, finaliser, réguler, apprendre, transformer, 
  • le management est un domaine disciplinaire complémentaire, mais qui ne se confond pas avec celui de la gestion ;
  • le management sert les intérêts d’une organisation et de toutes ses parties prenantes, et non pas des intérêts ou des stratégies particuliers ;
  • le management sert donc fondamentalement la survie et le développement d’une organisation, dans son environnement.

Partant de ces propositions, une approche de management empreinte de complétude, et saine, développe des concepts, outils, méthodes et principes répondant à cette ontologie.

Il reste que cette saine recherche d’harmonie et d’efficacité dans les organisations, d’essence scientifique et humainement justifiable, est sévèrement attaquée par la manière dont fonctionne l’économie à l’échelle mondiale, portée une finance outrancière, décomplexée et obscène. Non seulement la cupidité, le cynisme, la prédation sont problématiques au plan moral, en outre elles ont mis les États en faillite et en miette, si bien qu’ils ne sont plus en mesure, ou n’ont plus l’intention, de protéger leurs citoyens. Beaucoup de commentateurs, de journalistes, de personnages politiques, de citoyens croient et affirment qu’il s’agit là de « management », alors qu’il s’agit tout simplement de stratégies de prédation, de cynisme et d’incompétence.

La fonction vitale de management : un objet tangible

Lorsque le cœur d’un être humain bat, que son système respiratoire fonctionne, que son cerveau traite des informations, il est évident pour tout un chacun que cela n’est possible que sous l’impulsion d’un principe de vie.

Par analogie, lorsqu’une organisation formule des projets, qu’elle produit des biens ou services, qu’elle recrute, elle le fait sous l’impulsion d’un principe de vie. Dans cette perspective, les énergies de décision et de mises en actes de la vie dans l’organisation ne peuvent pas être considérées comme quelconques ou contingentes, mais au contraire nettement finalisées.

Imaginons « l’objet management » comme un cube, qui comporterait six faces, qui formeraient un tout indissociable, donc systémique, que l’on pourrait qualifier d’ingénierie du management.

Face 1 – Bâtir une organisation saine – L’organisation vivante est la mise en œuvre de cinq variables clés d’une organisation dont la configuration et la dynamique sont pensées correctement, évolutives et compatibles avec la nature humaine : le découpage, les processus et les procédures, le travail humain responsabilisant, l’animation et les ressources.

Face 2 – Se doter des outils du pilotage et de la coopération inter-équipes – En l’absence d’outils concrets beaucoup de managers connaissent des désarrois dans leur action : gestion du temps, dispositifs de concertation, mandat managérial, plan d’orientations stratégiques, plan de mise en œuvre stratégique, tableau de bord de pilotage, cartographie des activités, système d’organisation et contrat d’objectifs, par exemple.

Face 3 – Adopter des rôles et des postures consistants – Les rôles fondamentaux des managers forgent leur valeur ajoutée et leur légitimité : gardien du temps, pilote de la performance, formateur, radar actif, agent de cohésion, intervenant décisif, stratège, meneur de projet, pour ne citer que les principaux.

Les postures expriment l’intelligence dialectique consistant à savoir se jouer des forces complémentaires face aux difficiles situations de la vie en organisation : courage/habileté, directivité/souplesse, contrôle/autonomie, discours/méthode, exigence/bienveillance, convivialité/professionnalisme, pour les plus marquants.

Face 4 – Corriger les dysfonctionnements et leurs conséquences économiques – Le management doit être en capacité de prévenir et de corriger les 3000 formes de dysfonctionnements et leurs conséquences, qui menacent potentiellement le bon fonctionnement tous les jours, des plus banals aux plus graves.

Face 5 – Mener l’action politique, stratégique et prospective – L’action politique fixe les grandes règles du jeu et exprime l’autorité. La stratégie exprime la clarté des buts poursuivis et des chemins pour y parvenir. La prospective imagine l’avenir, s’en empare et s’y prépare.

Face 6 – Cultiver les principes qui fondent les liens, l’unité et l’engagement de tous – Sans cohésion, pas de coopération active, efficace et durable. La prise en compte des personnes, vues comme des stratèges, est primordiale. L’équité et la sécurité sont valorisées. La solidarité n’est pas une option. Les valeurs humaines sont manifestes : respect, dignité, chaleur, par exemple. Signalons simplement que la faiblesse de cette face compromet lourdement l’efficacité de toutes les autres, tant elle est déterminante.

La recherche-action et ses résultats spectaculaires

Compte tenu de sa complexité relative et de sa nature, la fonction vitale de management d’une organisation ne se développe pas spontanément, elle doit faire l’objet d’une ingénierie délibérée et soigneuse. Cette ingénierie consiste à impliquer tous les managers dans l’acquisition des principes développés ci-dessus. Cette démarche peut se réaliser aisément en l’espace d’un an à un an et demi.

La force du concept de fonction vitale de management tient à ses résultats. Ils sont rapides, variés, profonds et durables. Pour mémoire, ils concernent les performances humaines, organisationnelles, économiques et stratégiques. Toute organisation qui constate les effets concrets d’une telle démarche, s’engage ensuite dans l’entretien et la maintenance de sa fonction management. Les plus avancées créent même une École de management interne.

Ce sont ces résultats qui valident et consolident rétroactivement les connaissances patiemment accumulées sur le fonctionnement réel de l’organisation vivante. L’accumulation de résultats probants dépasse de loin les spéculations intellectuelles sur ce qu’est ou non le management.

Perspectives

L’on aura compris, je l’espère, à la lecture de ces quelques lignes, que le management est désirable, souhaitable, incontournable. Il prend tout son sens s’il est envisagé dans une perspective de grandeur, de respect, d’humanité et d’exemplarité, dans une sorte d’exigence morale, intellectuelle et scientifique.

L’époque actuelle montre que le management est problématique dans beaucoup d’organisations sous le double effet conjugué du cynisme financier et politicien externe aux organisations, et de la profonde ignorance de l’ontologie de la fonction management en interne.

Avec la multiplication des crises, au rang desquelles une crise sanitaire sans précédent, les souffrances ont été grandes dans beaucoup d’organisations, particulièrement celles du monde de la santé. Y voir la patte du management serait erroné, tant la main du politique gestionnaire a primé sur les managers. Ce sera pourtant au management de rebâtir ce que d’autres ont malmené, si tant est qu’on ne le prive pas de moyens.

Mais ce n’est pas là le moindre mal, car la fuite en avant idéologique, qui nuit tant au management, risque de poursuivre son œuvre de lutte contre l’intelligence. Prenons l’exemple du télétravail présenté à la fois comme la panacée et le futur souhaitable par un matraquage médiatique inopportun. Il ne s’agit là qu’une des formes possibles de l’organisation du travail, dont l’efficience est loin d’être évaluée et démontrée expérimentalement. Elle reste donc de l’ordre du dogme.

Il a été question dans les médias, ces dernières semaines, d’envisager de former les ministres au management. Cette perspective devrait plus nous inquiéter que nous rassurer. Car si leur « management » est la pratique sans foi ni loi des gestionnaires rationalistes, nous sommes très loin des principes de la saine fonction vitale de management, fonction naturelle, qui a pour finalité la survie-développement des personnes, des équipes, des entités et des territoires.

En conclusion

Retenons pour conclure que le management est « l’âme » d’une organisation, porteuse de principes de vie et d’harmonie. Lorsque l’ego, son antithèse, prétend manager, il détraque tout et il détruit tout. C’est notamment la raison pour laquelle la compréhension profonde de ce qu’est un management sain et responsable suppose une très grande humilité.

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