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Comment l’I.A. Médicale va changer le comportement des patients et de leurs familles selon la « National Academy of Medicine » ? Le Dr Pierre SIMON nous propose une synthèse

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N°28, Janvier 2020


 

Article publié  par notre expert, le Docteur Pierre SIMON    (Medical Doctorat, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine), auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine.

 

 

Partie I : L’Intelligence Artificielle Médicale (IAM) selon l’Académie Nationale de Médecine américaine

Après l’emballement médiatique des dernières années, l’Intelligence artificielle médicale (IAM) devient aujourd’hui une innovation parmi d’autres, traversée à la fois par l’espoir et le doute qui caractérisent tout progrès scientifique, en particulier dans le domaine de la santé. Le récent rapport de l’Académie Nationale de Médecine américaine (Artificial Intelligence in Health Care : the Hope, the Hype, the Promise, the Peril) donne une vision médicale et académique sur les avancées et les incertitudes de l’IAM. Il vise à corriger certains faux espoirs suscités par une médiatisation excessive du sujet.

Ce document est volumineux (237p). Nous vous proposerons en 2020 plusieurs articles pour en tirer les principaux enseignements. Nous commençons par une brève synthèse de l’ouvrage afin d’encourager les lecteurs  à le lire en entier.

L’implication de l’IA dans le champ de la santé au XXIème siècle est irréversible

L’émergence  de l’intelligence  artificielle  (IA) comme moyen d’améliorer les soins de santé est considérée par les académiciens américains comme un événement sociétal majeur du XXIème siècle. Les possibilités d’agir sur les systèmes de santé sont sans précédent. L’IAM soulève de grands espoirs d’amélioration des résultats cliniques chez les patients. L’IAM peut réduire certains coûts de santé tout en ayant un impact significatif sur l’amélioration de la santé des populations.

Bien qu’il y ait eu un certain nombre d’exemples prometteurs d’applications d’IAM dans les soins de santé, en particulier dans l’interprétation des images médicales et dans les traitements ciblés de certains cancers, l’Académie américaine pense qu’il devient impératif d’avancer avec prudence. Sinon, nous pourrions être confrontés dans le futur à de grandes désillusions, notamment si on constatait dans quelques années que l’IAM a exacerbé les disparités déjà existantes en matière de santé et d’accès aux technologies numériques.

C’est la raison pour laquelle la National Academy of Medicine publie cet ouvrage dont le titre en français serait « l’intelligence artificielle dans les soins de santé : les espoirs, les exagérations médiatiques, les promesses raisonnables, les risques méconnus. L’ouvrage fait une synthèse de toutes les connaissances actuelles sur l’IAM et offre ainsi un document de référence à tous les acteurs concernés par le développement de l’IAM : les développeurs industriels d’applications, les professionnels de santé, les patients, les régula­teurs financiers et les décideurs administratifs, pour n’en nommer que quelques-uns.

Cet ouvrage décrit les applications actuelles et à venir de l’IAM, met en évidence les défis, les limites et les meilleures pratiques professionnelles pour un développement réussi de l’IAM, son adoption par les soignants et les patients, ainsi que la formation continue qui doit exister dans ce domaine en constante évolution. L’ouvrage offre également un aperçu du cadre juridique et réglementaire en vigueur non seulement aux Etats-Unis, mais également en Chine et en Europe (France, Allemagne, Royaume-Uni) sur l’usage des outils d’IAM conçus pour améliorer les soins de santé, notamment les IoT. Il souligne la nécessité de veiller à l’équité des solutions mises en oeuvre, en prenant en compte en particulier les droits des personnes et des patients. Enfin, il décrit plusieurs perspectives qui permettent de continuer à avancer dans le domaine de l’IAM.

Les conditions d’accès aux données de santé, le cadre normatif et la qualité du recueil sont essentiels au développement de l’IAM.

Les algorithmes d’IAM doivent être construits à partir de données représentatives de la population pour atteindre les niveaux de performance attendus et éviter les biais. Le coût du stockage et de la gestion des données de santé, le recueil de données partielles dans les dossiers de santé électroniques, la génération exponentielle de données du « bien-être » par les consommateurs d’applis mobiles, etc., incitent à construire un écosystème de soins de santé qui s’appuie sur cette richesse en données de santé.

Cependant, cette croissance des données sur les soins de santé est confrontée à l’absence de mécanismes efficaces d’intégration et de fusion lorsqu’on les sort de leur cloisonnement actuel. Bien qu’il  existe  de multiples cadres normatifs déjà en place pour aider à agréger et à atteindre un volume de données suffisant à la création d’algorithmes, une adhésion plus large de la population s’avère essentielle pour soutenir la création d’outils de l’IAM, leur déploiement et leur maintenance.

Il persiste des questions importantes sur l’interopérabilité des systèmes de collecte de données entre eux. Elle est nécessaire pour réaliser le transfert et le stockage de toutes les données de santé. Les raisons de ces freins sont à la fois culturelles, sociales et réglementaires. Pour les académiciens américains, les solutions à mettre en place nécessitent l’engagement de toutes les parties concernées par le développement de l’IAM.

L’ensemble de la communauté professionnelle des soins de santé devrait plaider en faveur de la mise en place de mécanismes politiques, réglementaires et  législatifs qui visent à améliorer la collecte de ces données de santé et leur agrégation équitable et transparente dans un entrepôt afin qu’elles soient utilisées de la meilleure façon possible. Pour les académiciens américains, un juste équilibre doit être trouvé entre les fortes incitations financières du secteur marchand et le bien public.

Dans une pratique éthique des soins de santé, l’Académie estime qu’il faut prioriser l’équité d’accès et l’inclusion de toutes les données de santé d’une population.

­ Pour parvenir à de tels objectifs, il faut avoir une représentation fiable de la population en donnant la priorité à ce que l’on pourrait appeler « le quintuple objectif d’équité et d’inclusion pour la santé et les soins de santé ». Celui-ci peut se décliner de la manière suivante : une meilleure santé de la population, une meilleure expérience des soins pour les patients, le bien-être des équipes soignantes, des soins à moindre coût, l’équité en matière d’accès à la santé.

La priorité donnée à l’équité et à l’inclusion la plus large de données de santé doit être un objectif clairement énoncé au moment de l’élaboration et du déploiement de l’IAM dans les soins de santé. Il existe de nombreux exemples très médiatisés d’outils d’IA truffés de biais et d’erreurs qui ont desservi l’IAM et nui à la confiance du public dans l’IAM. Il serait judicieux que les développeurs d’IAM évaluent préalablement la pertinence des données recueillies avant de les utiliser pour créer les outils d’IAM. Ils doivent en particulier supprimer tous les biais sous-jacents liés à la non-représentativité des données.

Ils doivent également se demander si les environnements du déploiement ont un impact négatif sur l’équité  et  l’inclusivité. Il existe  des insuffisances ou des erreurs largement reconnues dans certains résultats en raison de la variété des déterminants sociaux de la santé et des incitations parfois perverses qui peuvent exister au sein même d’un système de santé. Malheureusement, les technologies qui reposent uniquement sur un usage consumériste de l’IA ont souvent aggravé les inégalités dans des domaines autres que la santé. Elles risquent également de créer de telles inégalités dans le domaine des soins de santé.

La transparence dans les applications de l’IAM doit créer la confiance 

La transparence est essentielle pour renforcer la confiance dans l’IAM, confiance nécessaire entre les utilisateurs et les développeurs. Mais il existe des domaines où les besoins de transparence sont différents. L’Académie américaine estime qu’il devrait y avoir une transparence totale sur la définition, la provenance, la composition et la qualité des données utilisées pour développer des outils d’IAM.

Les académiciens américains estiment aussi que la question d’une transparence algorithmique totale ou partielle est essentielle à aborder lors du développement des applications de l’IAM. Les développeurs, les patients et les professionnels de santé doivent s’entendre sur le niveau de transparence nécessaire pour créer la confiance dans l’usage de l’IAM.

Ce sont des questions-clés pour les organismes de réglementation de l’IAM et les utilisateurs cliniques, qu’ils soient professionnels de santé ou patients. Les exigences de transparence peuvent être différentes selon le risque encouru et l’utilisation prévue de l’IAM. Enfin, l’Académie américaine conseille de séparer clairement le mode de recueil des données de santé, les solutions algorithmiques proposées et les performances attendues lors du nécessaire dialogue entre les développeurs d’applications d’IAM et leurs utilisateurs.

L’objectif à terme de l’IAM doit être une intelligence humaine augmentée plutôt qu’une IAM complètement automatisée et indépendante de l’intelligence humaine.

Pour les académiciens américains, l’IAM doit se concevoir comme un soutien aux cliniciens qui sont aujourd’hui totalement dépendants de l’avis des médecins spécialistes, quel que soit le motif. L’IAM peut jouer le rôle d’un filtre pour séparer les cas cliniques simples ou normaux des cas cliniques plus complexes qui doivent relever de l’expertise des médecins spécialistes. L’IAM doit aider le médecin à corriger ses inattentions ou ses insuffisances dues, par exemple, à une fatigue liée à un travail trop dense ou soumis à de multiples contraintes de l’environnement.

Il faut que les outils de l’IAM soient centrés sur les besoins de l’intelligence humaine. Les erreurs d’une machine d’IAM totalement indépendante seront moins bien acceptées par les patients qu’une erreur humaine que le médecin peut expliquer. 

Et les académiciens de conclure que le dialogue à court terme autour de de l’usage de l’IAM dans les soins de santé doit se concentrer sur la promotion, le développement et l’évaluation d’outils qui soutiennent les humains plutôt que ceux qui visent à les remplacer par une automatisation complète de l’algorithme.

Il faut élaborer et déployer des programmes de formation appropriés pour soutenir l’usage de l’IAM dans les soins de santé.

Compte tenu de l’impact que les systèmes d’IAM auront sur l’organisation des soins, le paysage médical traditionnel évoluera. L’enseignement universitaire sur l’IAM doit être multidisciplinaire avec les développeurs, les responsables du système de santé, les équipes professionnelles de premier recours, les éthiciens, les humanistes, les patients et les soignants, chacun  de ces métiers apportant un ensemble d’exigences et d’expertises nécessaire.

Pour l’Académie américaine de médecine, l’enseignement universitaire doit désormais intégrer l’approche scientifique du traitement algorithmique des données de santé et tous les services que peut apporter l’IAM. Les  besoins des professionnels de santé en activité doivent être satisfaits par un programme de formation continue qui leur permette d’être des utilisateurs avisés de l’IAM. Des programmes réguliers de mise à jour des compétences doivent être institués tant que le développement de l’IAM aura un impact significatif sur la progression de l’intelligence humaine. Enfin, et ce n’est pas le moindre, des programmes de formation à l’usage des services de l’IAM doivent être engagés auprès des consommateurs « patients » de ces services.

Elaborer des recommandations et des guidelines sur les meilleures pratiques de l’IAM 

Les défis liés à l’opérationnalité des technologies de l’IAM dans les systèmes de santé sont considérables,  malgré le fait qu’il s’agit de l’un des secteurs de la recherche biomédicale qui a la plus forte croissance depuis quelques années. La communauté professionnelle qui utilise l’IAM doit élaborer un cadre décrivant les meilleures pratiques d’IAM qu’il importe de mettre en œuvre. Cette communauté professionnelle doit faire connaître aux cliniciens et aux patients les meilleures pratiques qui existent en matière d’inclusion des données de santé, d’approche éthique de leur collecte et de leur traitement, de mise en oeuvre de logiciels et d’algorithmes adaptés aux besoins identifiés, d’interaction possible entre la machine learning et l’intelligence humaine.

Les outils d’IAM ne devraient être utilisés que dans les cas où d’autres solutions technologiques se révèlent plus faibles ou inférieures aux possibilités offertes par l’IAM. Une mise en œuvre réussie de l’IAM a besoin de l’engagement de multiples intervenants du domaine de la santé: dirigeants d’établissements, développeurs d’IAM, organismes de réglementation, professionnels de santé, patients, etc.

Une des clés de la réussite des projets d’IAM passe par la mise en place d’une stratégie qui s’appuie sur une gouvernance robuste et compétente dans les technologies numériques, en particulier dans celles de l’IAM. Ainsi, les pouvoirs publics doivent être en mesure de fournir une capacité technologique de déploiement de l’IAM dans des environnements aux ressources numériques plus faibles et où les capacités informatiques sont moins robustes. C’est une question d’équité pour que toute population puisse bénéficier des progrès apportés par l’IAM.

Les académiciens suggèrent aussi que l’IAM dépasse les simples questions de données biologiques et puisse s’élargir au traitement de déterminants sociaux et aux risques psycho-sociaux après avoir obtenu le consentement des personnes.

Avoir une réglementation souple vis à vis de l’IAM pour que l’innovation suscite à la fois de la confiance et de la sécurité.

Les applications d’IAM ont la capacité puissante d’améliorer la santé des patients. Cela est aujourd’hui démontré dans le traitement des images médicales et dans le traitement personnalisé de certains cancers. Mais certaines applications ont aussi une capacité de nuisance si l’évaluation préalable du rapport bénéfices/risques est inappropriée. L’IAM peut être à l’origine d’erreurs diagnostiques, cela a déjà été démontré, et d’intrusions inacceptables dans la vie privée des personnes, ainsi que d’autres préjudices.

Malgré ces risques, la réglementation doit rester souple (soft-Law), en s’appuyant davantage sur des recommandations de bonnes pratiques et de bons usages de l’IAM que sur un cadre général d’obligations réglementaires. Aux Etats-Unis, le Congrès américain et la Food and Drug Administration ont choisi une  approche graduée de la réglementation de l’IAM basée sur le niveau de risque encouru par les patients, le niveau d’autonomie de l’IAM et d’autres critères (voir les billets intitulés « Int.Artificielle (4) » et « Int.Artificielle (6) dans la rubrique « Revue Publications). 

Les académiciens américains estiment que dans la mesure où les systèmes d’apprentissage automatique fondés sur un apprentissage continu à partir de nouvelles données fournies à l’algorithme existent, les organismes de réglementation devraient adopter des mécanismes de surveillance post-vente pour assurer le maintien (et idéalement l’amélioration) de performances de haute qualité.  

La responsabilité liée au déploiement d’algorithmes d’IAM continue d’être un domaine émergent qui fait débat. En effet, que ce soient les organismes de réglementation, les tribunaux ou les industries de gestion des risques, tous s’interrogent sur la manière d’aborder cette question. Il devient toutefois nécessaire d’avoir une réglementation sur la responsabilité des utilisateurs d’IAM lorsqu’il s’agit d’évaluer les risques et les bénéfices des applications.

Les organismes de réglementation doivent inciter les intervenants et les experts d’IAM à évaluer de façon­ continue les services cliniques rendus par l’IAM afin de juger de son efficacité et de son innocuité. Tout au long de ce processus d’évaluation, la transparence totale ou partielle des algorithmes peut aider à trouver les bonnes solutions.

Enfin, pour permettre à la fois le développement et la surveillance de l’IAM, les organismes gouvernementaux doivent investir dans une infrastructure qui favorise la collecte des données de santé la plus large possible, en conformité avec les règles éthiques qui permettent l’accès à ces données, afin de favoriser la construction de solutions fiables et pérennes d’IAM.


Partie II :  Comment l’IAM va changer le comportement des patients et de leurs familles vis à vis de la santé

Cet article propose une synthèse du 3ème chapitre de l’ouvrage, intitulé « « HOW ARTIFICIAL INTELLIGENCE IS CHANGING HEALTH AND HEALTH CARE » [1]

Ce chapitre explore les possibilités qu’on attribue à l’intelligence artificielle médicale (IAM) pour changer les comportements et les organisations professionnelles des différents acteurs du champs de la santé. Sont discutées successivement les applications possibles de l’IAM pour les patients et leurs familles, pour les cliniciens (médecins et autres soignants), pour les professionnels de la santé publique, les administrateurs et les chercheurs en santé publique. Ces  solutions offrent au  lecteur un aperçu des possibilités offertes par l’IAM à court et moyen termes. Enfin, les académiciens offrent une perspective sur la façon dont l’IAM pourrait transformer la pratique des soins. Ils proposent quelques solutions qui permettraient d’éviter certains obstacles.

Les industries de la santé investissent depuis plusieurs années dans les solutions technologiques numériques, dont fait partie l’IAM. Il y a déjà eu des exemples prometteurs de solutions d’IAM destinées aux soins de santé, mais il y a eu aussi d’importantes lacunes dans l’évaluation de ces outils d’IAM lorsqu’on parcourt les différentes publications dans la littérature médicale scientifique. Il est difficile aujourd’hui d’évaluer l’impact réel des différents outils qui utilisent l’IAM.

L’impact de solutions combinées est également diffi­cile à évaluer. Lorsque les solutions technologiques sont couplées, elles peuvent donner des résultats positifs à cause de leur synergie. Par exemple, une solution d’IAM  peut  devenir  plus  puissante  si  elle  est  couplée à un système de réalité augmentée, à la réalité virtuelle, aux systèmes informatiques plus rapides, à la  robotique ou à l’Internet des objets (IoT).

Trois billets sont nécessaires pour résumer cet important chapitre consacré aux applications actuelles et à venir de l’IAM. Ce premier résumé est consacré aux solutions d’IAM qui modifient progressivement les comportements des patients et leurs familles.

L’IAM peut-elle modifier les comportements des patients et leurs familles vis à vis de la santé ?

L’IAM peut jouer un rôle important dans le self-management des maladies chroniques par les patients eux-mêmes. Les maladies cardiovasculaires­, le diabète et  la dépression en sont des exemples parmi d’autres. L’autogestion de sa propre maladie peut inclure la prise de médicaments, la modification de son alimentation, le développement d’une activité physique adaptée, la gestion des soins, comme par exemple les soins de plaies chroniques, la gestion d’un dispositif médical, comme par exemple celui qui permet le traitement par dialyse au domicile. Le patient peut être assisté par des solutions d’IAM dans ses différentes taches de self-management, en particulier grâce à des dispositifs de surveillance de la maladie et de prévision d’éventuels risques. De même, l’IAM peut renforcer la possibilité de certaines technologies à répondre aux besoins des personnes handicapées.

Les agents conversationnels dans le champ de la santé

Les agents conversationnels permettent d »engager un dialogue bidirectionnel avec l’utilisateur par le biais de la reconnaissance vocale, du traitement du langage naturel, de sa compréhension et de sa génération. L’IAM est derrière beaucoup de dispositifs conversationnels. Les interfaces peuvent inclure le dialogue textuel, la langue parlée, ou les deux. Ils sont appelés diversement, « agents virtuels », « chatbots » ou « chatterbots ». Certains agents conversa­tionnels dits « incarnés » (ACI) présentent une image humaine (par exemple, l’image d’une infirmière ou d’un médecin) ou une image non humaine (par exemple, un robot ou un animal) dans le but de fournir une expérience interactive plus riche et plus convaincante que les agents vocaux non incarnés comme Siri d’Apple, Alexa d’Amazon ou Cortana de Microsoft.

Dans le domaine du self-management en santé, des agents conversationnels sont déjà utilisés pour lutter contre la dépression, aider au sevrage tabagique, améliorer les traitements de l’asthme et du diabète. Bien qu’il existe de nombreux chatbots et ACI, l’évaluation scientifique de tels dispositifs dans le champ de la santé reste très limitée (Fitzpatrick KK, Darcy A, Vierhile M, JMIR Ment Health. 2017 Jun 6;4(2):e19. doi: 10.2196/mental.7785).

La place des agents conversationnels dans le self-management en santé est néanmoins très prometteur. Tout en simulant une interaction avec le monde réel, l’agent conversationnel peut évaluer les symptômes, faire un rapport sur les indicateurs de la surveillance, recommander un plan d’action basé sur le recueil de ces indicateurs. La plupart des adultes se disent prêts à utiliser un aidant virtuel avec IAM ou une infirmière virtuelle « intelligente » pour surveiller à leur domicile leur santé et/ou les symptômes de leur maladie chronique. Il y a cependant moins d’enthousiasme à les utiliser comme soutien à la santé mentale.

Ces agents conversationnels peuvent aussi être utiles pour lutter contre la solitude et l’isolement, en particulier dans les établissements pour personnes âgées dépendantes. Il est démontré que la stimulation conversationnelle des personnes qui débutent une démence permet de ralentir son évolution.

Ces agent peuvent également modifier le comportement des patients vis à vis de leur maladie : des études ont montré que les patients sont plus rigoureux vis à vis de leur traitement lorsqu’ils sont aidés par des agents virtuels.

Comment les solutions d’IAM contribuent à mieux reconnaître les comportements humains pour prévenir les risques en santé.

Les solutions d’IAM peuvent se nourrir de données brutes fournies par les « accéléromètres » qui existent sur les appareils mobiles tels que les smartphones, les tablettes tactiles, les bracelets connectés, les caméras, les drones, les consoles de jeux video, etc. Les algorithmes d’apprentissage automatique peuvent être construits à partir de ces données brutes pour identifier certains modèles, afin de les classer comme des indicateurs de comportement d’un individu vis à vis de sa santé. Ces systèmes permettent aux patients de mieux comprendre leurs symptômes, de gérer leur propre état de santé et de les partager ensuite avec les professionnels de santé qui les aident dans le parcours de soin.

L’IAM peut adapter ses interventions pour qu’elles soient mieux ciblées et davantage personnalisées. C’est ce qui est appelé « les interventions de l’IAM qui s’adaptent au bon moment » (JITAI pour just-in-time adaptive interventions). Il s’agit de systèmes d’apprentissage qui offrent une intervention personnalisée. Le JITAI prend des décisions immédiates en fonction de la réponse à une intervention préalable. Il vise à favoriser la prise de conscience d’un évènement externe ou interne (humeur, anxiété, hémorragie, etc) en fonction de l’emplacement de la personne et/ou de son activité au moment de l’évènement.

L’assistance de JITAI  se déclenche  lorsque les utilisateurs en ont  le plus besoin ou seront dans une situation la plus réceptive possible pour la prendre en compte. Ces systèmes peuvent également indiquer à un clinicien un problème qui ne serait pas détecté immédiatement par une autre méthode de surveillance. Par exemple, une intervention JITAI peut détecter une situation à risque de rechute dans la toxicomanie et déclencher immédiatement une action pour la prévenir.

Ces interventions par JITAI s’appuient sur des capteurs, et non sur un système classique d’auto déclaration jugé moins efficace, pour détecter les états de vulnérabilité d’une personne ou l’opportunité d’une intervention pour prévenir un risque.

Le système JITAI permet de répondre à au moins deux défis du self-management : d’une part, la contrainte importante que représente pour un patient une auto-surveillance permanente de sa maladie ou de ses facteurs de risque, d’autre part, les limites de la conscience humaine sur la prise en compte des enjeux de santé.

Lorsque les capteurs sont de plus en plus présents au domicile, dans les smartphones, et sur le corps humain (wearables), ces sources de données alimentent le système JITAI et ne peuvent que se dévopper. L’IAM peut aussi être utilisée pour permettre aux appareils domestiques connectés de communiquer entre eux. Par exemple, un glucomètre pourrait recevoir des informations d’un frigidaire connecté sur la fréquence et les types d’aliments consommés. En tirant partie de toutes ces données, provenant de plusieurs sources et lieux de vie, la capacité de l’IAM à fournir une gestion­ comportementale adaptée et en temps réel ne peut que progresser.

Apport de l’IAM chez les patients atteints de déficiences cognitives

Les académiciens américains partent des données épidémiologiques fournies par le Center for Disease Control and Prevention (CDC). Selon le CDC, 16 millions de citoyens américains vivent avec une déficience  cognitive. L’âge est le meilleur prédicteur de risque de survenue d’altérations ­cognitives. Environ 5 millions d’Américains, âgés de plus de 65 ans, ont la maladie d’Alzheimer. Les autorités américaines s’attendent à ce que ces chiffres augmentent avec la croissance de la population vieillissante. Actuellement, près de 9 % de tous les adultes américains ont plus de 65 ans, un pourcentage qui devrait doubler d’ici 2050 selon le CDC.

Selon l’association Family Caregiver Alliance, 15,7 millions de membres de la famille fournissent des soins et un soutien (non rémunéré) aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’autres démences. Le système actuel de soins, aux USA comme en Europe, n’est pas préparé à gérer la charge actuelle ou future de la dépendance des patients âgés, de leur permettre de rester vivre à leur domicile plutôt que d’être obligé de déménager dans des centres spécialisés pour la dépendance.

La surveillance par l’IAM à la maison et l’usage de la robotique pourraient permettre de relever les défis de la dépendance liés au vieillissement et de soulager les aidants familiaux. La surveillance de la maison par l’IAM pourrait augmenter l’indépendance de ces personnes âgées et améliorer les conditions de vieillissement au domicile en surveillant leur espace de vie, le risque de chutes, le temps passé au lit, etc. Par exemple, il est démontré qu’un temps excessif au lit d’une personne âgée peut être la cause d’un état dépressif, peut augmenter le risque d’escarres, aggraver la dépendance par perte de mobilité et, in fine, augmenter la mortalité.

Les  robots sociaux actuellement disponibles aux Etats-Unis, tels que PARO,  Kabochan ou  PePeRe fournissent une compagnie aux personnes en état de démence et une stimulation bénéfique. Récemment, l’utilisation d’animaux de compagnie robotisés a été évaluée. L’usage de ces animaux robotisés s’est révélé très efficace pour réduire l’agitation de patients atteints de démence.

Par exemple, PARO est un robot conçu pour ressembler à un mignon bébé phoque blanc. De plus en plus utilisé dans les hôpitaux et les établissements pour personnes âgées dépendantes, il a un impact significatif sur le comportement des patients en institution. Les premiers essais pilotes de PARO ont montré que l’interaction avec le robot améliorait l’affect et la communication des patients atteints de démence. Cet impact a été particulièrement démontré chez ceux qui avaient des déficits cognitifs sévères. De plus, une meilleure participation du patient à la vie collective de l’institution a été démontrée.

Moyle W, The promise of technology in the future of dementia care.Nat Rev Neurol. 2019 Jun;15(6):353-359. doi: 10.1038/s41582-019-0188-y. Review

Bien que les robots sociaux soient conçus principalement pour les personnes âgées, les soignants en institution ou les aidants familiaux en bénéficient également puisqu’ils soulagent leur charge de travail et améliorent ainsi leur bien-être. Comme la technologie continuera de s’améliorer, il est possible que les robots puissent réaliser dans le futur des tâches de plus en plus sophistiquées.

 

De futures applications de la robotique sont en cours de développement pour fournir des soins de plus en plus élaborés. Les plateformes de surveillance à domicile par IAM  peuvent intégrer à la fois les besoins des soignants et des patients afin de construire une expérience familiale de la robotique plutôt que des expériences seulement individuelles. Les concepteurs de la surveillance à domicile par IAM doivent aussi avoir un regard éthique sur cette évolution en faisant en sorte que l’accès à ces nouvelles solutions organisationnelles pour les personnes âgées, les personnes dépendantes socialement et les personnes handicapées physiquement, soit équitable pour la population concernée.

 


Pour aller plus loin : 

[1] : travail collaboratif avec les auteurs suivants : Joachim Roski, Booz Allen Hamilton; Wendy Chapman, University  of Melbourne; Jaimee Heffner, Fred Hutchinson Cancer Research Center; Ranak Trivedi, Stanford University; Guilherme Del Fiol, University of Utah; Rita Kukafka, Columbia University; Paul Bleicher, OptumLabs; Hossein Estiri, Harvard Medical School; Jeffrey Klann, Harvard University; and Joni Pierce, University of Utah. Tous ces auteurs sont membres de l’Académie Nationale de Médecine américaine


 

    


Nous remercions vivement le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine) , auteur d’un ouvrage sur laTélémédecine,  pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com


Biographie du Docteur Pierre SIMON :
Son parcours : Président de la Société Française de Télémédecine (SFT-ANTEL) de janvier 2010 à novembre 2015, il a été de 2007 à 2009 Conseiller Général des Etablissements de Santé au Ministère de la santé et co-auteur du rapport sur « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins » (novembre 2008). Il a été Praticien hospitalier néphrologue de 1974 à 2007, chef de service de néphrologie-dialyse (1974/2007), président de Commission médicale d’établissement (2001/2007) et président de conférence régionale des présidents de CME (2004/2007). Depuis 2015, consultant dans le champ de la télémédecine (blog créé en 2016 : www.telemedaction.org).
Sa formation : outre sa formation médicale (doctorat de médecine en 1970) et spécialisée (DES de néphrologie et d’Anesthésie-réanimation en 1975), il est également juriste de la santé (DU de responsabilité médicale en 1998, DESS de Droit médical en 2002).
Missions :accompagnement de plusieurs projets de télémédecine en France (Outre-mer) et à l’étranger (Colombie, Côte d’Ivoire).

 

 

Jean-Luc STANISLAS (Fondateur du site, [photo à droite]) tient à remercier chaleureusement leDocteur Pierre SIMON(Past-Président de la Société Française de Télémédecine, SFT-ANTEL) pour  proposer régulièrement le partage de son expertise de la Télémédecine à travers ses nombreux articles publiés gracieusement sur notre plateforme média digitale ManagerSante.com®

[Vidéo ]

de l’interview du Docteur Pierre SIMON par Jean-Luc STANISLAS (Fondateur de managersante.com) sur

« L’impact de la télémédecine dans le contexte du projet de transformation de notre système de santé en France, suite aux annonces du programme #MaSanté2022 », 

à l’occasion des 3èmes Rencontres #RencontresAfrica Sectorielles Santé au Palais des Congrès de Paris les  24 & 25 Septembre 2018, dont managersante.com était un des partenaires médias officiels de l’événement 2018


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Docteur Pierre SIMON

Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine, Past-CGES French Ministry of Health Praticien Hospitalier en néphrologie pendant près de 35 ans, il s'est intéressé a la Télémédecine des le milieu des années 90 en développant une application de Télémédecine en dialyse, devenue opérationnelle en 2001. Cette application a été évaluée par la HAS en 2008-2009 (recommandations publiées en janvier 2010). Après avoir co/signe le rapport ministériel sur "La place de la Télémédecine dans l'organisation des soins", avec Dominique Acker lorsqu'il était Conseiller Général des Etablissements de Sante (2007-2009), il a été, de janvier 2010 à décembre 2015, président de la SFT-ANTEL Société savante de Télémédecine, qui regroupe plus de 400 professionnels de santé, médecins et non médecins ( infirmiers, pharmaciens, etc.). et dont l'objet est de promouvoir et soutenir les organisations nouvelles de soins structurées par la Télémédecine, apportant la preuve d'un service médical rendu aux patients. La SFT-ANTEL organise chaque année un Congres européen de Télémédecine et a crée un journal de recherche clinique en Télémédecine ( Européan Research in Télémédecine) publie par Elsevier.

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