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La e-Santé mobile prend-t-elle suffisamment en compte la complexité des besoins des patients atteints de maladies chroniques ? Résultats d’une étude américaine commentée par le Docteur Pierre SIMON

 

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N°27, Décembre 2019


 

Article américain d’une équipe de l’Université du Michigan aux Etats-Unis traduit par notre expert, le Docteur Pierre SIMON    (Medical Doctorat, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine), auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine.

 

 

L’information des patients et leur participation active aux soins sont essentielles pour réussir une prise en charge des maladies chroniques tant sur le plan préventif que curatif. Depuis l’arrivée du smartphone en 2007, de nombreuses applications mobiles sont fournies aux patients pour leur permettre d’être mieux informés sur leur maladie, les aider à mettre en place des comportements bénéfiques pour leur santé et à être compliants aux traitements prescrits.

Une revue récente fait le point sur le niveau de preuves scientifiques d’un impact sur la maladie et la santé des méthodes dites « d’accompagnement » de patients (« centrées » sur le patient). Ce travail étudie en particulier l’impact des technologies de l’information et de la communication (TICs) lorsqu’elles visent à aider le patient à mieux connaître sa maladie et à la prendre en charge. Cette revue de la littérature a été réalisée par une équipe de l’Université du Michigan aux Etats-Unis.

Mitchell KM, Holtz BE, McCarroll A. Patient-Centered Methods for Designing and Developing Health Information Communication Technologies: A Systematic Review. Telemed J E Health. 2019 Nov;25(11):1012-1021.

CONTEXTE

La prise en charge personnalisée des patients atteints de maladies chroniques et l’éducation à des comportements « sains » dans leur vie quotidienne afin de prévenir l’aggravation et les complications sont des actions importantes à mettre en oeuvre dans un parcours de santé de qualité. L’adhésion des patients à de tels programmes est souvent insuffisante. Les comportements « sains », tels que recommandés par les médecins pour prévenir les complications secondaires et tertiaires, sont en fait rarement obtenus dans la durée, ce qui contribue souvent à des résultats négatifs.

Plusieurs explications sont possibles : un manque  de  connaissances suffisantes sur la ou les maladie(s) chronique(s) dont ils sont atteints, une faible efficacité des traitements prescrits et un coût élevé des prises en charge et des traitements. L’amélioration des connaissances  et la recherche de l’efficacité thérapeutique sont des facteurs importants pour améliorer les résultats. Les moyens technologiques mis à la disposition des patients doivent être à la fois ludiques pour les utilisateurs et rentables pour le fournisseur de soins. Ces moyens visent à accroître les connaissances, à augmenter l’efficacité des traitements et, in fine, à améliorer l’observance pour obtenir les meilleurs résultats possibles sur la santé.

Les technologies de la communication de l’information (TICs) représentent une solution à la fois ludique et rentable pour lutter contre ces insuffisances. Aux Etats-Unis, 77% des américains ont un smartphone. Quelques études ont déjà montré que l’utilisation de ces technologies de la santé mobile peut avoir un impact positif sur le taux d’observance aux traitements.

Cependant, l’utilisation à long terme des TICs donne des résultats mitigés. L’une des raisons pourrait être que la création de ces services d’e-santé ne prend pas suffisamment en compte la complexité des besoins des patients. L’objectif de cette étude est d’explorer le paysage actuel des technologies numériques « centrées sur le patient » et le développement général des TICs en santé.

Outre la perspective recherchée pour le patient, l’usage de la « théorie »  pourrait  jouer un rôle important  dans la mise en oeuvre de TICs efficaces. La théorie, dans le domaine scientifique, est un système formé d’hypothèses, de connaissances vérifiées et de règles logiques. La théorie est souvent intégrée au moment de la conception d’une étude parce qu’elle aide à fournir des explications plutôt que des prédictions sur l’efficacité des interventions.

Dans le cas des TICs, l’impact de l’intégration d’une théorie dans la conception et le développement des TICs pose question. La théorie intégrée pourrait permettre d’offrir des explications sur les résultats obtenus de manière similaire à son utilisation dans la conception d’une ‘étude clinique. Par conséquent, les auteurs de cette revue ont souhaité découvrir la fréquence de l’utilisation d’une théorie au moment de la conception et du développement des TICs en santé, afin de mieux savoir si une démarche théorique initiale peut être bénéfique ou non aux interventions du service d’e-santé.

MATÉRIEL ET MÉTHODE

Les recherches ont été effectuées dans la littérature scientifique, en particulier dans les bases de données EBSCO, PubMed et Web of Science, entre octobre 2016 et février 2017. Chaque article a été évalué de façon critique et classé en fonction de la maladie chronique concernée, de son impact sur la santé, de la méthode technologique centrée sur le patient, des thèmes qui en résultent et de l’utilisation ou non de la « théorie » au moment de la conception.

Les questions posées par les auteurs dans l’analyse des articles ont été les  suivantes :

  1. Quelles  méthodes ont été utilisées pour inciter les utilisateurs à s’approprier l’usage des TICs en santé (ateliers, groupes de  discussion, etc.) ?
  2. Dans quelle mesure les utilisateurs de ces services d’e-santé ont-ils-été impliqués dans les différentes étapes de la création de l’outil technologique (à une ou plusieurs des phases  du  développement) ?
  3. Quels  types d’information les utilisateurs fournissent-ils aux créateurs de services d’e-santé (besoin de convivialité, suggestions liées à la santé, suggestions liées à la communication sociale, etc.) ?
  4. Quelles théories initiales ont été utilisées au moment de la conception et du développement des services d’e-santé ?

RÉSULTATS

Sélection des articles.

La recherche dans la littérature scientifique a abouti à 3748 articles sur ce thème, mais seulement 1350  articles ont été retenus après suppression des doublons. Une autre recherche, par date, dans les bases de données a été effectuée pour trouver d’autres articles qui auraient été publiés entre mars 2017 et juillet  2017, soit 126 articles supplémentaires. Au total, 1476 articles ont été éligibles à l’étude. De ce nombre, 95 étaient des articles en texte intégral, avec des résumés, permettant une analyse approfondie, en particulier celle de la technologie utilisée pour obtenir une action « centrée » sur le patient. Le nombre de 95 articles a été ensuite réduit après l’analyse critique. Un certain nombre d’articles ne satisfaisaient pas in fine à tous les critères de l’étude. Après cette dernière sélection, seuls 57 articles ont été retenus par les auteurs.

Caractéristiques de l’étude

Chaque étude  a été  évaluée en fonction de plusieurs  critères :  le nombre de participants, l’âge et le sexe, les maladies chroniques concernées, les comportements « sains » préconisés par les médecins, la description de la technologie, la description des méthodes centrées sur le patient,  le nombre de répétitions et l’utilisation ou non d’une théorie préalable.

Le nombre des participants aux 57 études était de 5 à 59. 45% étaient des femmes et l’âge allait de 5 à 78 ans, avec un âge moyen de 39,2 +/- 20,7 ans. Tous les patients avaient une maladie chronique ou un problème de comportement en santé. Au total 23 maladies chroniques et troubles du comportement de santé étaient recensés : cancer, goutte, maladie pulmonaire chronique, maladie mentale, sida, diabète, maladie rénale chronique,   arthrite,  amblyopie, maladie cardio-vasculaire, lupus,  autisme, douleur chronique, obésité, maladie de peau, troubles du comportement en gériatrie, etc.

Les solutions technologiques étaient variées : appli mobile, logiciel d’ordinateur, tablette, site Web, assistant personnel, jeux video, jeux sérieux (serious games). L’autogestion de l’outil caractérisait le plus grand nombre d’études (28 %), suivie par l’outil d’éducation (25 %) et l’ outil d’autosurveillance  (23 %).

Résultats de l’étude

Quatre thèmes principaux sont ressortis de l’analyse: l’expérience des participants, les exigences technologiques, les demandes en matière comportementale et de connaissance, et les demandes en matière sociale.

L’expérience des participants (patients)

Elle était analysée dans le quart des 57 études. Les auteurs ont distingué l’expérience des patients vis à vis de leur maladie ou des troubles du comportement en santé, de l’expérience dans l’usage de la technologie. Deux études seulement ont recherché des informations sur la vie quotidienne des patients, leurs besoins pour mieux appréhender leur maladie afin de les prendre en compte dans la construction de l’outil. Cinq paramètres furent particulièrement pris en compte: (1) l’impact de l’outil sur la maladie,(2) les stratégies d’adaptation possibles, (3) les pratiques médicales, (4) les difficultés d’accès aux soins, (5) la communication avec les soignants ou autres personnes.

Les exigences technologiques

La majorité des articles faisaient état de commentaires des utilisateurs sur leurs besoins technologiques. Les commentaires étaient principalement dirigés sur (1) la personnalisation de l’outil, (2) son contenu, (3) sa conception pour une vie quotidienne adaptée, (4) l’aptitude des patients à l’utiliser, (5) le soutien apporté à son utilisation, (6) la sécurité des données que l’outil utilise, (7)  les obstacles rencontrés à son utilisation. La capacité de la technologie à s’adapter et à tenir compte de la personnalité de l’utilisateur était la demande la plus importante des participants et a été mentionnée comme une  exigence technologique dans toutes les  études évaluées.

Les demandes en matière comportementale et de connaissance

Les demandes en matière comportementale étaient l’aide à l’établissement d’objectifs et à la prise de décisions. Celles sur la connaissance en santé comprenaient l’information éducative sur une maladie particulière ou un comportement sain en santé, et/ou l’observance des médicaments.

L’établissement d’objectifs et d’aide à la prise de décisions par l’outil technologique a été mentionné par les participants (dans deux études) comme  étant particulièrement  importants pour qu’ils soient inclus dans la technologie numérique. Par exemple, dans une  étude, les participants ont demandé un calendrier de planification des taches et des objectifs afin de suivre et de gérer leurs propres tâches et les objectifs à atteindre.

Les demandes en matière de connaissance comprenaient l’accès à une information sur leur maladie ou une éducation en santé  ou une information sur le bon usage des médicaments. Ces demandes ont été citées comme étant cruciales pour qu’elles soient prise en compte dans la création de l’outil.

Les demandes sociales

Les demandes sociales, mentionnées par les utilisateurs comme importantes, étaient :

  • les forums de soutien organisés par les associations de patients,
  • la création d’un sentiment de communauté avec d’autres patients atteints de la même maladie chronique,
  • la possibilité de communiquer par l’outil avec l’équipe médicale et soignante,
  • l’envoi de messages appropriés donnant des conseils devant une situation rencontrée par les patients.

Le contact avec d’autres patients ou pairs était régulièrement noté dans plusieurs articles comme une composante sociale qui devait être prise en compte dans la construction de l’outil technologique. Les participants veulent avoir la possibilité de discuter de leur état de santé avec leurs pairs et obtenir ainsi un soutien moral et social. Les participants soulignent également la nécessité d’inclure dans l’outil technologique la possibilité d’une communication directe avec les médecins et le personnel soignant. L’accès avec les pairs et/ou l’équipe soignante doit être simple et facile.

L’application préalable d’une théorie dans la construction de l’outil

Treize articles signalent avoir utilisé une théorie au stade de la phase de conception de l’outil dans le but de mieux maîtriser son développement. Parmi les théories  utilisées, neuf  étaient des théories sociales ou comportementales, y compris des théories concernant la foi dans les problèmes de santé, la théorie de l’autodétermination vis à vis d’un traitement et le modèle trans théorique du changement possible de comportement.

CONCLUSIONS

L’adhésion des patients atteints de maladies chroniques à leurs traitements et à une vie quotidienne saine est cruciale pour espérer obtenir des résultats positifs sur le plan de leur santé. Les TICs peuvent jouer un rôle intéressant dans la surveillance à distance des patients atteints de maladies chroniques et la promotion d’un comportement de « bonne santé » est certainement un facteur déterminant dans les résultats obtenus. Les utilisateurs des services d’e-santé doivent contribuer à la création de ces technologies de soutien.

COMMENTAIRES

Beaucoup de services d’e-santé sont proposés aux patients sans qu’il y ait eu la démonstration scientifique du service médical rendu aux patients. De nombreux articles sont d’intérêt insuffisant et/ou de qualité médiocre sur le plan méthodologique. Les auteurs de ce remarquable travail de review de la littérature internationale n’ont retenu que 3% des articles consacrés à ce thème. L’étude montre qu’on parle souvent de technologies numériques (IoT) « centrées » sur le patient, pouvant générer une nouvelle relation soignant-soigné, mais qu’in fine peu d’études apportent les preuves scientifiques de la manière dont cette relation soignant-soigné peut répondre aux attentes des patients. La grande majorité des outils de type IoT sont créés sans connaissance approfondie des besoins réels des patients atteints de maladies chroniques.

La transformation numérique d’un système de santé ne peut reposer que sur la collaboration étroite et permanente d’un trio : le patient, le professionnel de santé et l’industriel. C’est la garantie d’un usage pérenne des services d’e-santé, en particulier des IoT à finalité médicale.

 


 

    


Nous remercions vivement le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine) , auteur d’un ouvrage sur laTélémédecine,  pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com


Biographie du Docteur Pierre SIMON :
Son parcours : Président de la Société Française de Télémédecine (SFT-ANTEL) de janvier 2010 à novembre 2015, il a été de 2007 à 2009 Conseiller Général des Etablissements de Santé au Ministère de la santé et co-auteur du rapport sur « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins » (novembre 2008). Il a été Praticien hospitalier néphrologue de 1974 à 2007, chef de service de néphrologie-dialyse (1974/2007), président de Commission médicale d’établissement (2001/2007) et président de conférence régionale des présidents de CME (2004/2007). Depuis 2015, consultant dans le champ de la télémédecine (blog créé en 2016 : www.telemedaction.org).
Sa formation : outre sa formation médicale (doctorat de médecine en 1970) et spécialisée (DES de néphrologie et d’Anesthésie-réanimation en 1975), il est également juriste de la santé (DU de responsabilité médicale en 1998, DESS de Droit médical en 2002).
Missions :accompagnement de plusieurs projets de télémédecine en France (Outre-mer) et à l’étranger (Colombie, Côte d’Ivoire).

 

 

Jean-Luc STANISLAS (Fondateur du site, [photo à droite]) tient à remercier chaleureusement leDocteur Pierre SIMON(Past-Président de la Société Française de Télémédecine, SFT-ANTEL) pour  proposer régulièrement le partage de son expertise de la Télémédecine à travers ses nombreux articles publiés gracieusement sur notre plateforme média digitale ManagerSante.com®

[Vidéo ]

de l’interview du Docteur Pierre SIMON par Jean-Luc STANISLAS (Fondateur de managersante.com) sur

« L’impact de la télémédecine dans le contexte du projet de transformation de notre système de santé en France, suite aux annonces du programme #MaSanté2022 », 

à l’occasion des 3èmes Rencontres #RencontresAfrica Sectorielles Santé au Palais des Congrès de Paris les  24 & 25 Septembre 2018, dont managersante.com était un des partenaires médias officiels de l’événement 2018


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Docteur Pierre SIMON

Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine, Past-CGES French Ministry of Health Praticien Hospitalier en néphrologie pendant près de 35 ans, il s'est intéressé a la Télémédecine des le milieu des années 90 en développant une application de Télémédecine en dialyse, devenue opérationnelle en 2001. Cette application a été évaluée par la HAS en 2008-2009 (recommandations publiées en janvier 2010). Après avoir co/signe le rapport ministériel sur "La place de la Télémédecine dans l'organisation des soins", avec Dominique Acker lorsqu'il était Conseiller Général des Etablissements de Sante (2007-2009), il a été, de janvier 2010 à décembre 2015, président de la SFT-ANTEL Société savante de Télémédecine, qui regroupe plus de 400 professionnels de santé, médecins et non médecins ( infirmiers, pharmaciens, etc.). et dont l'objet est de promouvoir et soutenir les organisations nouvelles de soins structurées par la Télémédecine, apportant la preuve d'un service médical rendu aux patients. La SFT-ANTEL organise chaque année un Congres européen de Télémédecine et a crée un journal de recherche clinique en Télémédecine ( Européan Research in Télémédecine) publie par Elsevier.

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