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Le management de l’intelligence collective est-il le nouveau mode de Gouvernance des G.H.T. ? Régine ROCHE nous propose son analyse (1ère partie)

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Article proposé par notre experteRégine ROCHE , Directrice d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux, anciennement Chargée de mission auprès du ministère des solidarités et de la santé, dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme de la tarification des EHPAD, Docteure en Sciences de Gestion.


N°2, Mars 2019


 

Les hôpitaux publics sont régulièrement étudiés, dans le champ des sciences de gestion. Ce sont des organisations d’une complexité qui les rend atypiques (Abernethy et al. 2006), à tel point qu’elles sont qualifiées d’ingérables (Couanau, 2003). Cependant, la nature du service public rendu par les hôpitaux comme le coût supporté par les contribuables font que le contrôle de ces organisations est au coeur des préoccupations des dirigeants.

Pendant, longtemps, le cloisonnement a été de mise dans un domaine de la santé qui s’est bâti autour de nombreuses dichotomies : entre sanitaire et social, entre médecine de ville et médecine hospitalière, entre hôpital public et clinique à but lucratif, entre Centre Hospitalier Universitaire et Centre Hospitalier, entre somatique et psychiatrique.

De la performance médico-économique à la performance servicielle du GHT : une étude de cas ancrée dans le terrain

Nous allons montrer ici que si l’introduction de la tarification à l’activité (T2A), par des réformes hospitalières inspirées par le Nouveau Management Public (NMP), a contribué à la remise en cause des principes fondamentaux du  service public hospitalier ; paradoxalement elle a ouvert aux dirigeants la possibilité de sortir de la performance médico-économique en recentrant l’activité hospitalière sur la qualité du service rendu à l’usager/client, et que ce changement de paradigme a eu pour conséquence de réinterroger les critères de la performance hospitalière.

L’étude de cas que nous présentons ici, aborde la thématique de la performance globale des réseaux territorialisés d’organisations hospitalières à l’aune de la remise en cause des critères traditionnels de qualification du service public hospitalier.

Son actualité est intrinsèquement liée à la création des Groupements Hospitaliers de Territoires (GHT), dont la vocation ultime au sens de la loi de modernisation de notre système de santé, est d’être l’instrument de la rénovation du service public hospitalier.

S’intéresser dans ce contexte, à la question de l’évaluation de la performance globale des réseaux territorialisés d’organisations hospitalières revient sur un plan théorique à identifier les critères d’évaluation de la qualité du parcours de soins du patient au regard des principes fondateurs du service public hospitalier, et donc à sortir sur un plan conceptuel de la performance médico-économique, pour entrer dans un modèle serviciel de performance.

Partant d’une étude exploratoire menée à partir d’un cas de GHT, nous avançons l’hypothèse selon laquelle :

« La modernisation du service public hospitalier ne résulte pas purement et simplement de l’alignement du management public sur le management privé, mais que l’opposition public-privé doit être au contraire dépassée, au profit d’un modèle de service public hospitalier par combinaison susceptible à terme d’être identifié comme un nouveau levier de gestion ».

L’objectif de nos investigations est de déterminer dans quelle mesure le fonctionnement en réseau du système hospitalier est compatible avec l’exercice d’une activité de service public hospitalier, et peut contribuer à la rénover sans dénaturer son mode de gestion.

La démarche méthodologique employée pour mener notre étude se rapproche davantage d’un audit organisationnel, en l’occurrence d’une étude qualitative fortement ancrée dans le terrain, utilisant la méthode de l’analyse de cas. Dans cette phase exploratoire, nous allons recenser les causes de dysfonctionnement réduisant la performance des GHT, en analysant les pratiques organisationnelles concrètes sur le terrain.

Comment concilier performance de la prise en charge des patients et performance des GHT ?

La question de la performance des organisations fait le plus souvent référence à la notion d’évaluation, et donc à des indicateurs. Dans le secteur hospitalier, les indicateurs souvent utilisés pour mesurer et comparer la qualité des soins que les hôpitaux dispensent, ont le défaut de ne s’attacher qu’à la dimension médico-économique de la performance, ce qui est en contradiction avec les objectifs d’une activité de service public hospitalier.

La « performance hospitalière » au sens de l’efficience économique pose le problème de la rentabilité économique de l’organisation hospitalière publique, garante des missions de service public hospitalier, et enferme donc son évaluation dans un schéma de mise en concurrence avec le secteur privé.

L’enjeu pour sortir de la performance médico-économique, est d’aller vers une vision élargie de la performance plus en adéquation avec les objectifs d’une activité de service public hospitalier.

Le raisonnement en termes d’activité et de processus va permettre, notamment de décrypter le processus d’élaboration du service hospitalier. Dans ce contexte, le contrat qui lie les établissements membres du GHT, est à envisager comme « l’initialisation d’un processus dans lequel l’explicitation et le suivi collectif de ces points de repères incitent à structurer des argumentaires, à visibiliser des plages d’autonomie et à révéler des difficultés en obligeant, en même temps, à rechercher collectivement les moyens de les résoudre » (Cauvin, 1999).

Approche « bouclée » de la chaîne de valeur de M. Porter, adaptée au GHT étudié

 

Du contrôle de gestion intégrée au développement de l’intelligence collective :  les enjeux d’une évolution vers un service public hospitalier territorial

D’un point de vue économique, le GHT présente des similitudes avec le réseau d’entreprises, au sens où les « lignes de production » peuvent être assimilées à celles des parcours patients. Le concept de « produit » revêt alors une acception particulière, puisque chaque patient présente un problème de santé singulier, qui doit être traité de façon adaptée et personnalisée. Dans ce contexte, la chaîne de valeur développée par Porter, permet d’analyser la contribution de chacune des filières de soins à l’atteinte des buts du GHT, en décomposant chaque parcours patient en processus de soins.

Une approche « bouclée » ou « en circuit » de la chaîne de valeur, c’est-à-dire intégrant les feedbacks à tous les niveaux du GHT permet d’analyser, non seulement les relations entre chaque process, y compris les rétroactions nécessaires, mais également d’évaluer leur impact sur l’atteinte des résultats du GHT, c’est-à-dire sa capacité à innover, à s’ajuster rapidement à un environnement mouvant, son agilité.

La création de valeur ne peut être entendue ici, comme une recherche de profit financier (Pestiau et Gathon, 1996), mais plutôt comme la recherche de la satisfaction globale de l’usager. Car la satisfaction de l’usager et la valeur perçue, ne dépendent pas de la qualité objective du service délivré, mais de la perception subjective qu’a l’usager de l’adéquation de la prestation vécue avec son attente.

Cette démarche intégrative dépasse l’idée d’un simple calcul de coût. Elle contribue à lui associer une véritable gestion, dans la mesure où elle permet aux managers de proximité d’identifier rapidement, en temps réel, les déviances par rapport aux finalités stratégiques.

 

L’intérêt de prendre comme base d’analyse les processus est qu’une fois ces derniers mieux connus, il devient possible de les déléguer (Bouquin, 1994). Ce qui importe finalement, c’est d’utiliser la nouvelle représentation du fonctionnement du système hospitalier pour en améliorer la performance et la compétitivité. En découvrant la logique processus, l’organisation fonctionnelle doit donc reconfigurer, et « inventer de nouvelles formes de coordination combinant le réseau et la hiérarchie, et définir ses frontières entre la logique fonctionnelle et la logique processus » (Besson, 2000).

 

Lire la suite de cet article, le mois prochain


Pour aller plus loin : 

Les articles/communications réalisé(es)/écrit(es) par l’auteure sur le même thème dans la revue Gestions Hospitalières 

Abernthy J. (2006), « Accounting and Control in Health Care : Behavioural, Organisational, Sociological and Critical Perspectives« , en Handbooks of Management Accounting Research, Volume 2, P. 805-829, Elsevier.

Besson P. (2000), « Risques organisationnels et dynamique du contrôle« , in Encyclopédie de la comptabilité et du contrôle de gestion, B. Colasse (éds), Economica, Paris.

Bouquin H. (1994), « Les fondements du contrôle de gestion« , coll. Que Sais-je ?, PUF.

Cauvin C. (1999), « Les habits neufs du contrôle de gestion« , in Question de contrôle sous la direction de Lionel Collins, PUF.

Couanau R. (2003), Assemblée Nationale, 57 p.

Pestiau P., Gathon H. (1996), « La performance des entreprises publiques. Une question de propriété ou de concurrence ? », Revue économique, volume 47, n°6, pp. 1225-1238.

Porter M. (1998), « Clusters and the New Economics of Competition« , Harvard Business Review vol. 76, n°6, pp. 77-90.

 

    


Nous remercions vivement  Régine ROCHE , Directrice d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux (FPH), et Docteure en sciences de gestion, de partager son expertise professionnelle avec nos fidèles lecteurs de www.managersante.com


Biographie de l’auteure : 
Diplômée de l’École des Hautes Études en Santé Publique (promotion DESSMS 2007-2008) et titulaire d’un Doctorat en sciences de gestion, Régine ROCHE a été successivement au cours de sa carrière chargée de la définition et de la mise en oeuvre des politiques de protection sociale en faveur des personnes âgées dans le département du Gard, de développer et de promouvoir la filière psycho-gériatrique à l’échelle du territoire de santé Nord-Lozérien, d’organiser et de gérer la reprise et/ou le transfert d’activité d’EHPAD publics en difficulté économique dans le Cantal, d’impulser et de mettre en oeuvre la fusion de 2 EHPAD publics autonomes dans le Haut-Var. Depuis 2014, elle dirige également la publication, du guide pratique et mémento « Interventions sociales et médico-sociales à domicile » pour les Editions WEKA.

 


AGENDA 2019 :

 à ne pas manquer avec, notre experte-auteure,  

Régine ROCHE :


 


Le 05 Avril 2019 (PARIS) : Intervention de Régine ROCHE lors de la Journée FOCUS Executive du CNEH « Réalisation d’un diagnostic et d’un plan d’action QVT »

 PUBLICATIONS 2019  


 

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Régine ROCHE

Directrice déléguée du Centre Hospitalier de LAMASTRE et de la Filière gérontologique Drôme-Ardèche, Directrice du Pôle Audit & Ingénierie de projet du Centre Hospitalier de Valence, Experte réseau ANAP parcours médico-social PA, Docteure en Management Public, Certifiée aux fonctions de MCF, Diplômée de l'EHESP (promotion DESSMS 2007-2008), Anciennement chargée de mission auprès du ministère des solidarités et de la santé, dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme de la tarification des EHPAD (2002-2006), Enseignante vacataire affiliée au laboratoire ARÈNES CNRS (UMR 6051) | EHESP, Consultante Experte en Audit & Contrôle de gestion, Directrice/co-rédactrice des guides pratiques "Interventions sociales et médico-sociales à domicile" & "Maîtrise des risques et de la qualité en milieu hospitalier", pour les Editions WEKA, Auteure de l'ouvrage "Piloter la performance globale des GHT. D'une gestion intégrative à un outil de performance servicielle", chez LEH Edition et de l'article de revue "Du pilotage de la performance médico-économique au pilotage de la performance servicielle des GHT" paru dans GMP 2021/1 (Volume 9/n°1).

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