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Entre émotion & crise de la liberté : quelles perspectives du Management à l’Hôpital ? Frédéric SPINHIRNY nous livre ses réflexions (partie 2/2)

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N°8, Septembre 2018


 

Frédéric SPINHIRNY, est  Directeur des Ressources Humaines, chez Hôpital Necker-Enfants Malades (AP-HP), Rédacteur en Chef de la Revue Gestions Hospitalières et auteur de son dernier ouvrage paru en Juillet 2018, intitulé « Hôpital et modernité : comprendre les nouvelles conditions de travail » paru aux Editions Sens & Tonka, ainsi que  deux autres ouvrages  :  l’Eloge de la dépense (2015) et de l’Homme sans politique (2017) aux Editions Sens & Tonka. 

Relire la 1ère partie de l’article

 

Nous reprenons ici notre réflexion sur les métamorphoses contemporaines des conditions de travail, afin de déterminer les fondements du malaise à l’hôpital public, dont les symptômes sont généralement décrits en termes de désengagement, d’absentéisme, de dépression voire de suicide. Nous poursuivons ici la description de l’évolution intime du travailleur et de son environnement social pour montrer que le nœud du dilemme hospitalier se concentre autour de l’exploitation des émotions comme ressource humaine et des conséquences de la liberté individuelle.

Sixième condition : efficience et rapport au temps

Le rapport économique installé durablement dans les établissements publics de santé provoque également une perte de sens.  Inutile de revenir sur la financiarisation de l’hôpital et l’instauration de la tarification à l’activité comme mode de fonctionnement comptable, ces aspects sont désormais connus de tous, et alimentent régulièrement l’actualité. Notre questionnement se porte plutôt sur le lien entre développement de la technique et impératif économique. Les deux sphères se nourrissent mutuellement et ne sont plus séparables. Aujourd’hui, le progrès technique sert le processus économique comme moteur de l’activité hospitalière et chaque projet doit désormais offrir son lot d’innovations pour ne pas passer pour obsolète.

Dans le détail, l’hôpital numérique et son cortège d’applications « smart », sont censés résoudre conflits et dysfonctionnements des organisations (nous pensons par exemple aux récentes applications  sur lesquelles les agents volontaires se positionnent pour des remplacements, ou bien celles qui réalisent des rendez-vous médicaux en ligne). La valeur centrale est devenue l’efficience, version radicalisée de l’efficacité, où chaque gaspillage de ressources ou de temps doit être réduit au maximum. Celle-ci modifie ainsi les méthodes de gestion pour développer un nouveau management public caractérisé par ceci :

 

Au quotidien, ces mutations managériales orientent une activité de soin traditionnellement portée par une rationalité « en valeur », c’est-à-dire gouvernée par des principes moraux, vers une rationalité « instrumentale » qui objective les relations de travail pour les limiter à la stricte optimisation des recettes de l’établissement. Ce bouleversement induit par ailleurs une modification du rapport au temps dans le soin.

Le temps long de la sollicitude et de l’écoute, se réduit au profit d’une gestion à flux tendu où chaque élément du mécanisme est paradoxalement fixé à une place précise, prévu dans un tableau des emplois et calculé à l’ETP près, tout en étant soumis à l’injonction de la mutualisation et de la flexibilité. Ce nouveau rapport au travail provoque pour les soignants un fort sentiment d’instabilité et de fragilité, et pour les cadres une impression d’urgence permanente, le métier se résumant au colmatage quotidien, délaissant la médiation et la formation des plus jeunes. Il favorise également une disposition subjective orientée vers des stratégies égoïstes, l’individu essayant par tous les moyens de diminuer la charge ou d’obtenir des avantages, quitte à nuire à autrui.

Septième condition : le management paradoxant

Nous entendons régulièrement parler d’injonctions paradoxales lorsque nous essayons de comprendre l’origine de la souffrance au travail. Il y a d’abord le positionnement ambigu de chaque professionnel, soignant, médecin, cadre, directeur, trop proches du terrain pour répondre aux exigences de l’institution et parfois trop  distanciés pour satisfaire correctement les besoins des patients. Mais il s’agit avant tout d’un discours, d’un certain lexique. L’anthropologue Grégory Bateson et le psychologue Paul Watzlawick, définissaient les injonctions paradoxales comme des doubles contraintes, des dilemmes insolubles, où un ordre est donné sans qu’il soit jamais possible d’y répondre entièrement, soit parce que l’ordre est inatteignable, soit que la réponse demandée heurte un autre ordre, ou bien qu’elle nécessite des ressources indisponibles ou en quantité insuffisante.

Quelques exemples nous sont familiers : « sois spontané », « tout le monde doit être authentique », « il faut faire plus avec moins », « vous êtes libre de consentir, mais vous n’avez pas le choix », « ce n’est pas obligatoire mais tout le monde le fait », «échouer c’est réussir », « excellence durable », « plus on gagne du temps, moins on a de temps », « nous devons réduire les dépenses pour retrouver notre autonomie ».

Mais il faudrait aussi ajouter les boursouflures du langage qui évitent à nouveau les conflits en neutralisant les antagonismes : « réforme » pour parler de libéralisation, « libérer » pour démanteler des droits acquis, « plan de transformation et de modernisation » pour évoquer la réduction du personnel, « efficience » pour restriction budgétaire, « hygiène relationnelle » ou « asepsie verbale » pour impolitesse ou incivilité. Et pourquoi pas également, « éthique », « bientraitance », « management participatif », « démocratie », « bien-être », « reconnaissance », « labellisation ».

Dans son essai, Le capitalisme paradoxant, Vincent De Gaulejac souligne à quel point ces manières de s’adresser aux autres entraînent des dissonances cognitives qui peuvent induire de la souffrance psychique, de l’épuisement et donc de l’absentéisme. Selon le sociologue, l’organisation de travail se définit comme une instance de médiation des difficultés et des contradictions, le rôle de l’encadrement étant précisément d’exercer cet art de la médiation.

En effet, il a toujours existé de nombreuses oppositions au sein de l’hôpital, des objectifs difficilement compatibles et il appartient justement à l’institution de rendre solubles les contradictions. Aujourd’hui, c’est l’absence de médiation ou pire, les fausses ou mauvaises médiations, qui provoquent l’impression que les injonctions sont insolubles et par la suite, induisent de la souffrance morale. Souvent les premiers mots qui viennent, illustrent ce double langage ou cette bipolarité du travail quotidien : « on devient schizophrène », « on est tout le temps entre le marteau et l’enclume », « je me sens déchiré », etc.

Il y a enfin un paradoxe sur notre rapport au temps. Nous avons le sentiment de subir à la fois une urgence permanente et une impossibilité d’avancer. Dans son essai Accélération[1], le philosophe allemand Harmut Rosa définit cette confusion avec le terme « immobilité fulgurante ». Celle-ci est issue d’un phénomène complexe qui voit l’individu intégrer les contraintes temporelles modernes pour en faire un style de vie adaptable en permanence. Le temps se densifie, s’épaissit et pourtant il reste sans contenu, glissant, liquide, « sans contact » et une journée compte toujours 24h. Sous couvert de s’adapter sans cesse, l’individu ressent une certaine fragilité car les temps de pause véritables diminuent simultanément.

C’est ce phénomène intime que nous retrouvons dans les services de santé : urgence permanente, flexibilité accrue, qui génèrent du mouvement sans pour autant faire fonctionner le service. Sans créer de temps long, sans poursuivre une histoire collective qui fonde traditionnellement la solidarité dans une équipe. Il n’y a pas de respiration, de halte. Cet effet est encore amplifié par un phénomène administratif connu : la forte aversion au risque, renforcée par la confusion générale sur l’interprétation des évolutions sociales comme par l’impératif de maîtrise budgétaire, entraînent un réflexe centralisateur et une multiplication des contrôles qui, eux-mêmes, ralentissent le fonctionnement de l’hôpital et donc consolident ce cercle vicieux, où rien ne semble avancer.

Huitième condition : l’émotion comme ressource

D’un autre côté, tout n’est pas aussi impersonnel que l’excès de formalisme le laisse entendre. Nous sommes également témoins d’une évolution du management moderne qui dépasse la simple gestion des corps physiques des agents, pour investir un champ nouveau, plus intime et psychologique, l’émotion. Comme nous l’avons vu en introduction, il ne fait plus de doute pour les experts que la motivation (étymologiquement, « ce qui met en mouvement ») découle de l’émotion (qui a la même racine étymologique, « ce qui est mis en mouvement par une stimulation extérieure »). Dès lors il importe de la stimuler correctement dans l’optique de rendre l’agent performant. Là encore, de nombreuses études mettent en avant le facteur relationnel, bien avant la rémunération ou les conditions matérielles.

 

 

Source : Hélène Weber, Education nationale

 

 

Source: think tank vivement lundi

Autrement dit, le cadre professionnel impose à toute personne de mobiliser ses capacités émotionnelles, ajoutant un enjeu supplémentaire au travail soignant quotidien. C’est ce qu’implique le terme « intelligence émotionnelle », à savoir l’art d’utiliser ses émotions, et qui se caractérise généralement par cinq compétences : la conscience de soi, la maîtrise des émotions, la motivation, l’empathie et la capacité à entrer en relation.

 

Source: managementvisuel.fr

 

Voici donc le nouveau territoire du management, l’émotion. Il est fort à parier que certains trouveront l’aisance et la culture personnelle nécessaire pour appréhender les émotions et en jouer à leur avantage. Toutefois, il faut rappeler que l’incitation permanente à l’émotion peut aussi éloigner des décisions rationnelles parfois nécessaires dans un milieu déjà très affectif comme le soin. L’émotion, dont les limites sont floues, peut enfin entraîner l’hypersensibilité et l’épuisement moral.

Allons plus loin. Pourquoi s’intéresse-t-on aujourd’hui à la motivation et à l’émotion ? Dans son essai Psychopolitique, le philosophe allemand Byung-Chul Han estime qu’il n’est pas étonnant de constater une inflation de l’émotion au moment où celle-ci devient un élément comme un autre du processus économique. Pour le dire directement, l’émotion constitue une autre manière de tirer la productivité vers son optimum, ce qui s’avère particulièrement efficace dans une société dite « intelligente » où les secteurs sont majoritairement tertiaires (souvent des emplois de services, basés sur le relationnel).

Pour le philosophe, contrairement au sentiment qui a une temporalité longue, basée sur un récit, l’émotion (ou l’affect) est subjective, immédiate, difficilement racontable ; elle n’ouvre aucun espace, cherchant simplement à se décharger. L’émotion est liée à l’action, à l’efficience ; elle est performative et, avantage ultime, elle peut être façonnée, conditionnée. Un basculement s’opère dans les méthodes de gestion. Celles-ci s’adaptent à la demande de liberté des individus, en les insérant émotionnellement dans la production, là où le management classique était rationnel, universel, objectif, et pour qui toute émotion était perçue comme parasite pour le fonctionnement de la machine.

Byung-Chul Han conclut : « L’objectivité, l’universalité, mais aussi la stabilité caractérisent la rationalité. Elle s’oppose ainsi à l’émotionnalité subjective, situationnelle et volatile. Les émotions naissent avant tout des changements de circonstances, des modifications de la perception. La rationalité en revanche, va de pair avec la durée, la constance et la régularité. Elle privilégie les situations stables. L’économie qui, pour accroître la productivité, ronge toujours plus la continuité et intègre de plus en plus d’instabilité, stimule la mise en jeu des émotions dans le processus productif. Dès lors, l’exigence d’accélération exerce une pression qui conduit à une dictature de l’émotion »[2]. Le manager devient un motivateur, capable d’exploiter l’émotion comme une ressource jusqu’à  la pénurie.

 

 

Neuvième condition : La liberté en crise

Nous arrivons au cœur de notre interprétation, qui s’attache à la principale difficulté du management hospitalier actuel ,liée l’évolution des mentalités.  L’individualisme semble avoir franchi un cap. A la fin de son œuvre, Michel Foucault a eu l’intuition qu’un changement de paradigme émergeait au début des années 1980 et qu’une autre ère des pratiques de pouvoir transformerait bientôt la société disciplinaire. En effet, ce type de société reposait principalement sur des moyens de contrainte, de limitation, de répression des corps en tant que forces productives et reproductives.

Pourtant, le capitalisme, comme système de production, ne peut que constater les blocages d’un investissement massif sur le corporel en raison même des limites physiques du travailleur. Se produit alors une mutation des rapports de production pour optimiser non plus les performances physiques, mais bien les processus psychiques. Dès lors, la société dite « intelligente » mise sur les conditions intangibles – algorithmes, démarche projets, Internet, réseaux sociaux, smartphones –, comme outils numériques « hors sol », loin de la gravité des corps, afin d’accentuer l’enregistrement des données d’activité au plus près des besoins des consommateurs.

Cependant, nous ne ressentons pas cette évolution comme une nouvelle modalité de contrôle sur nos vies nous sommes toujours persuadés que ce qui vient de notre liberté individuelle est bon. Lorsque nous consentons, nous ne ressentons pas de conditionnement.

Le management actuel, qu’il soit émotionnel, agile, libéré, slow, porte en lui ces évolutions. Et les ambiguïtés rendent difficile l’expression de ce qui ne va pas. Nous culpabilisons de souffrir si autour de nous, cela fonctionne mieux, si l’hôpital retrouve l’équilibre ou si le patient est plus satisfait. Par ailleurs, l’auto-exploitation de l’individu, incité à se réaliser et à exprimer ses émotions publiquement, ne considère plus le retrait, la temporisation ou la déconnexion comme refuges possibles au monde.

Définitivement, nous sommes témoins d’un moment de bascule : « nous vivons une phase historique singulière, où la liberté même est créatrice de contraintes. La liberté du pouvoir-faire engendre même davantage de contraintes que le devoir-faire disciplinaire avec ses commandements et ses contraintes»[3].

Ainsi, la liberté, définie traditionnellement comme absence de contraintes, est elle-même en train de produire des contraintes. Rejoignant Ehrenberg, De Gaulejac et Honneth, Han considère que les dépressions sont symptomatiques de notre société qui entre dans  un nouveau mode de production.

Dixième condition : l’avenir de la simulation

Concluons notre analyse des nouvelles conditions de travail par un phénomène ambigu qui rejoint l’excès de formalisme. Parmi les outils de motivation qui apparaissent dans cet environnement, il y a la simulation. Derrière ce mot, il faut entendre encore une fois, notre capacité à s’éloigner de la réalité pour lui préférer une médiation virtuelle qui y ressemble.

D’un point de vue culturel, pour Matthew Crawford, la simulation est l’aboutissement ultime de la philosophie des Lumières, et notamment de la pensée kantienne qui affirmait l’autonomie du jugement contre tout ce qui se présente en dehors de soi, comme le monde réel : « le remplacement sournois du réel par la réalité virtuelle est une caractéristique saillante de la vie contemporaine, mais qui a aussi des racines profondes dans la pensée occidentale. Il s’agit d’un projet culturel qui obéit à une orientation déjà ébauchée à notre intention par Kant et qui vise à établir l’autonomie de la volonté en filtrant la réalité matérielle à travers des abstractions »[4]. Trois exemples distincts sont emblématiques de notre environnement multidimensionnel : la simulation médicale, la gamification et la complexification de la parole.

La simulation médicale constitue une avancée pour préparer les équipes aux soins complexes ou à la gestion de crise (attentats, afflux massif de victimes, etc.). Pour la Haute Autorité de Santé, « la simulation en santé correspond « à l’utilisation d’un matériel (comme un mannequin ou un simulateur procédural), de la réalité virtuelle ou d’un patient standardisé, pour reproduire des situations ou des environnements de soins, pour enseigner des procédures diagnostiques et thérapeutiques et permettre de répéter des processus, des situations cliniques ou des prises de décision par un professionnel de santé ou une équipe de professionnels. »[5] Elle précise que la simulation en santé s’adresse à tous les professionnels de santé et permet :

En pointe dans le domaine, le CHU d’Angers a par exemple récemment ouvert un centre de simulation. Dans celui-ci, des mannequins « haute fidélité » permettent de nombreuses formations à des techniques très précises, où le soignant œuvre d’abord dans le virtuel pour se préparer au contact réel ultérieurement, selon le principe clé de la simulation en santé : « jamais la première fois sur le patient ». Il s’agit de pousser la médiation entre le soignant et le monde vécu, vers un univers fabriqué artificiellement, dans le but de rendre le geste soignant plus optimal et éviter la non-qualité.

Dans un autre registre, qui obéit à la même dynamique, la gamification ou ludification, consiste à transformer une tâche en jeu pour vous motiver à la faire. Il est prouvé à l’aide des neurosciences, dont l’implication va croissant dans le processus productif, que, quand vous êtes récompensé, quand vous atteignez vos buts et que vous interagissez avec d’autres personnes sur le mode de la coopération ou de la concurrence, le cerveau libère de la dopamine, une substance chimiquestimulante . Vous éprouvez alors du plaisir. Quelques exemples bien connus des amateurs de jeux vidéo :

La plupart des tableaux de bord de suivi d’activité par l’encadrement ou bien même les processus de certification ou de suivi des risques par code couleur, sont des manières de « ludifier » le quotidien pour le rendre attractif.

En voici donc les traductions dans la sphère professionnelle:

 

 

 

Toutefois, sous couvert de faciliter nos tâches quotidiennes, il s’agit d’amener le ludique du côté du travail, le rendant ainsi plus émotionnel, au détriment d’une distinction nette entre loisir et travail. Le temps libre où s’exerce une activité autre que le travail, s’amenuise au profit d’une intensification affective du travail. La ludification de la communication, par la présence importante des modes de dialogues issus des réseaux sociaux, réduit aussi la capacité à passer un message professionnel légitime, en privilégiant le plaisir, le décalage, l’ironie et le jeu de mots.

Enfin, il existe une simulation qui découle de ces nouveaux environnements de travail, et qui rend la tâche de l’encadrement particulièrement difficile. Pourtant, l’injonction à l’émotion par l’institution pourrait laisser croire en une valorisation de la sincérité des individus, mobilisés dans leurs ressources les plus intimes. Mais il n’en est rien. Et pour cause : les nouvelles exigences de présentation de soi et d’optimisation du parcours professionnel dans un milieu concurrentiel, amène l’individu à dissimuler ses motivations réelles ou, plus rarement, à manipuler ses affects pour obtenir des avantages ou limiter leur souffrance.. C’est comme si l’injonction à être soi, à être authentique, à n’être que productif et à focaliser son attention sur le travail, amenait cette conséquence inattendue qui voit l’individu se rediviser pour échapper à une part de contrôle. Lui-même devient paradoxal comme pour répondre aux injonctions paradoxales.

Ainsi, un agent agressif se fera passer pour victime pour éviter une sanction. Un cadre se protègera du conflit par un excès de politesse ou des rapports impersonnels. D’autres exagèreront leur souffrance pour bénéficier d’inaptitude; d’autres enverront des données d’activités faussées pour répondre aux objectifs institutionnels; certains porteront de faux témoignages pour favoriser leur carrière ; des managers exagéreront l’urgence ou le contexte financier pour forcer les réformes. La parole n’est plus à prendre au premier degré et devient elle-même paradoxale.

Dans cette nouvelle ère du soupçon, Harmut Rosa parle ainsi des « joueurs » que nous rencontrons de plus en plus : « A la place de la personnalité de la modernité classique, caractérisée par une personnalité relativement permanente, émerge la figure du soi situatif et protéiforme, ou bien celle de la personnalité pastiche [à savoir] un caméléon social qui ne cesse d’emprunter bribes et fragments d’identités partout où ils sont disponibles, pour les organiser selon ce qui est utile ou souhaitable dans une situation donnée »[6].

Difficile de savoir véritablement si ce type de réponse psychologique est provoqué ou non par les nouvelles organisations. Ou si ce sont des manifestations intangibles, exacerbées par la culture psychologique ou le milieu concurrentiel. Toujours est-il que les dix nouvelles conditions de travail que nous avons décrites, ont une influence sur le comportement des individus qui prennent leur poste tous les matins, et sur la possibilité ou non de maintenir  un collectif au sein de l’hôpital public.


Pour aller plus loin : 

[1] Harmut Rosa, Accélération : Une critique sociale du temps, La découverte

[2] Byung-Chul Han, Psychopolitique: le néolibéralisme et les nouvelles techniques de pouvoir, Circé

[3] Ibid.

[4] Matthew Crawford, Contact. Comment nous avons perdu le monde et comment le retrouver, La découverte.

[5] Rapport de mission État de l’art (national et international) en matière de pratiques de simulation dans le domaine de la santé, HAS, janvier 2012

[6]Harmut Rosa, Accélération.


   

 

Nous remercions vivement Frédéric SPINHIRNY, Directeur des Ressources Humaines, chez Hôpital Necker-Enfants Malades, Rédacteur en Chef de la Revue Gestions Hospitalières, pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com


Biographie de l’auteur : 
Directeur des Ressources Humaines chez Hôpital Necker-Enfants Malades, Rédacteur en Chef de la Revue Gestions Hospitalières. Directeur adjoint à l’Hôpital Universitaire Necker-Enfants Malades, ancien élève de l’École des Hautes Études en Santé Publique. Diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris et titulaire d’une licence de philosophie. Enseignant en Prep’Ena à l’IEP de Paris et auteur de deux essais de philosophie aux Editions Sens&Tonka (« L’homme sans politique », 2017, « Eloge de la dépense », 2015)

 

Jean-Luc STANISLASFondateur de managersante.com (photo à droite) tient à remercier vivement Frédéric SPINHIRNY (photo à gauche) pour partager régulièrement ses réflexions dans ses articles passionnants sur les innovations en stratégies managériales pour nos fidèles lecteurs sur notre plateforme d’experts.  

 


NOUVEL OUVRAGE PUBLIE EN Juillet 2018 :

par notre expert-auteur,  Frédéric SPINHIRNY :

 

Parution d’un nouvel essai en librairie, vendredi 13 juillet, aux Editions Sens&Tonka, consacré au malaise à l’hôpital public et plus largement aux nouvelles conditions de travail dans les organisations.
Présentation de son ouvrage : 
En détresse, sous pression, à bout de souffle, en crise: le diagnostic de l’hôpital public fait régulièrement l’actualité dans les médias. Les symptômes du malaise sont généralement décrits à travers le harcèlement, l’épuisement professionnel, la perte de sens, ou en termes de désengagement, d’absentéisme, de dépression voire de suicide. Les causes désignées sont multiples et souvent ambivalentes: logique du chiffre, concurrence, méthodes de gestion, lean management, mais aussi mandarinat du corps médical, hiérarchie excessive, bureaucratie, individualisme.

L’enracinement dans les principes fondamentaux du service public ainsi que la multiplication des problématiques spécifiques au secteur de la santé, font des établissements de soin des lieux complexes à observer et a fortiori à interpréter. Institution républicaine mais également organisation innovante, l’hôpital public est avant tout le miroir des évolutions sociales et des métamorphoses contemporaines du travail. La difficulté de l’exercice est bien là car ce qui ne se conçoit pas bien, ne s’énonce pas clairement.
Mettre des mots précis sur les nouveaux rapports sociaux reste un art délicat, ce qui laisse souvent une impression vague de mal-être, sans définition, ainsi qu’une impossibilité constitutive de trouver des remèdes efficaces. Par conséquent, tous les acteurs de l’hôpital interprètent ces phénomènes à leur avantage ou pour défendre une posture attendue.
C’est toute l’ambition de cet essai, étayé par des textes de sciences humaines et des références managériales: ressaisir ce qui nous file entre les doigts, à chaque fois que nous cherchons les causes de nos difficultés et les solutions à nos malheurs. Pour enfin répondre au malaise.

 


 

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Frédéric SPINHIRNY

Directeur des Ressources Humaines chez Hôpital Necker-Enfants Malades, Rédacteur en Chef de la Revue Gestions Hospitalières. Ancien élève de l’École des Hautes Études en Santé Publique. Diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris et titulaire d’une licence de philosophie. Egalement auteur de trois essais de philosophie aux Editions Sens&Tonka (« Hôpital et Modernité », 2018, "L'homme sans politique", 2017, "Eloge de la dépense", 2015). Son prochain essai paraîtra aux éditions Payot en mars 2020, « Philosophie de la naissance ».

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