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Intelligence émotionnelle : pourquoi sommes-nous si mauvais ? Le Docteur ANSELEM nous explique

Article publié par notre expert en Neurosciences pour managersante.com, le Docteur Bernard ANSELEM, auteur de plusieurs ouvrages dont, « Je rumine, tu rumines, nous ruminons » (aux Editions Eyrolles, 2017) et « Ces émotions qui nous dirigent » (aux éditions Alpen éditions, 2017)


N°8, Septembre 2018


 

Une question exaspérante : les humains sont capables de conquérir l’espace, de traiter des maladies mortelles, de concevoir des intelligences artificielles hallucinantes, mais pas de s’entendre avec leur conjoint(e) ou leurs proches. Curieux, non ?

Nous exprimons les mêmes doutes que Platon et Aristote. Depuis plus de 2000 ans nous savons ce qu’il faut faire pour être heureux, mais ne le faisons pas car les émotions négatives prennent le dessus. Malgré les milliers de chefs-d’œuvre écrits sur le sujet, malgré des bibliothèques remplies, les leçons ne sont pas tirées, les conflits, les craintes, les frustrations, les doutes sont toujours aussi florissants! Serions nous tous nuls ? Comment expliquer ce grand écart entre explosion technologique et stagnation émotionnelle millénaire ?

les apports des neurosciences

Depuis quelques années cette faiblesse est enfin comprise, les moyens d’y remédier se précisent. Les neurosciences ont révolutionné notre rapport aux raisonnements.

Pour expliquer nos déficiences émotionnelles, les sciences cognitives fournissent deux réponses d’une simplicité déconcertante : la primauté de l’affect (le cœur prime la raison) et l’illusion du rationnel (nos raisonnements sont déformés à notre insu par des influences inconscientes).

1) La primauté de l’affect. Explication : Les émotions ne sont pas là par hasard, elles ont toutes leur utilité. A chaque instant nous sommes bombardés de milliers d’informations. Les émotions vont sélectionner les plus pertinentes pour notre survie, en premier lieu les dangers (émotions négatives) et les ressources (alimentation, confort, reproduction, générant des émotions positives), puis elles vont accélérer notre prise de décision. Elles sont au cœur de tout élan vital et existaient bien avant le développement de l’intelligence humaine, ancrées au plus profond de notre cerveau. Ces fonctions basiques (survie et reproduction) sont plus anciennes que le langage, le raisonnement ou la mémoire, elles reprennent logiquement le dessus dès qu’une information importante survient[i]. En période de tension, elles assurent les besoins fondamentaux, en étouffant temporairement nos capacités de raisonnement, liées à des objectifs plus lointains que l’instant présent.

Au calme, nous savons très bien discerner les comportements utiles. Nous sommes tous d’accord pour instaurer plus d’efficacité, tolérance, motivation, écoute et entraide. Les vœux pieux réunissent toutes les bonnes volontés. Mais face aux épreuves, nous oublions les bonnes résolutions, les émotions négatives reprennent le dessus et nous dictent des pensées ou comportements que nous regrettons par la suite.

 2) L’illusion d’une décision rationnelle : l’influence inconsciente des émotions sur nos pensées. Nous ne sommes pas nuls, mais nous ne maîtrisons presque rien ! Des milliers d’études montrent la fragilité de nos jugements. Un rayon de soleil, un sourire orientent nos décisions! La belle logique déductive d’Aristote et Descartes est le plus souvent conditionnée à notre insu par les événements que nous venons de vivre, les habitudes de pensées, le moment de la journée, notre dernier repas, la qualité de notre sommeil, l’attitude de nos proches ou une multitude d’autres facteurs dont nous n’avons pas conscience. Le plus souvent nous utilisons notre intuition ou nos routines de pensée. Problème : ces raccourcis automatiques sont directement sous influence des émotions[ii]Nous sommes tous vulnérables, même les plus « rationnels ». Dans les situations simples et répétitives ces raccourcis sont le plus souvent suffisants, mais dès que les conditions deviennent complexes (soit dans la majorité des cas professionnels), les automatismes se transforment en piège, en « biais cognitifs ».

3) Un exemple de biais cognitif utile à connaitre : le biais de négativité, notre préférence involontaire pour le négatif. Au départ c’est une réaction de survie (dans un monde hostile, repérer les dangers ou les anticiper est plus important que rechercher les plaisirs, manquer un aliment est gênant mais pas vital, alors que manquer l’ombre d’un prédateur est un chemin direct vers son estomac). Mais ce câblage cérébral qui a nécessité des millions d’années pour s’instaurer, ne va pas disparaître en quelques instants sous l’effet de nos aspirations modernes au bien-être. Il persiste et perturbe nos jugements complexes en générant des doutes, des craintes, des suspicions et autres interprétations négatives qui nous gâchent la vie.

Encore plus perturbant, les travaux de neuroéconomie du prix Nobel D. Kahneman [iii] ont montré que les décisions les plus rationnelles – des choix économiques basés sur des nombres- sont influencés par nos émotions, nos réactions sont différentes face à des pertes ou à des gains. À l’inverse, les émotions peuvent être utiles pour les décisions complexes : Antonio Damasio a démontré brillamment qu’en certaines circonstances précises l’intuition pouvait surpasser en efficacité, nos tentatives de réflexions rationnelles [iv].

Il devient donc impossible de négliger l’affect dans nos décisions professionnelles ou nos choix de vie. Il est aussi nuisible de le nier (en ne comptant que sur notre volonté ou notre raison), que de lui faire entièrement confiance (en ne se fiant qu’à ses intuitions). L’intelligence consiste à savoir discerner les situations où l’instinct est pertinent et celles nécessitant une prise de distance avec ses premières impulsions.

Les raisons d’espérer

« On peut aussi bâtir quelque chose de beau avec les pierres du chemin » J.W. von Goethe

Si les conseils de sagesse existent depuis l’antiquité, il faut attendre la fin du XXe siècle pour que l’on commence à étudier en détail les notions d’intelligence émotionnelle et d’émotions positives. Ces savoirs permettent de déterminer, parmi un océan de conseils plus ou moins contradictoires, ceux qui s’avèrent les plus efficaces et comment les appliquer. Comprendre nos rouages internes permet de gagner en motivation et confiance en soi. Nous apprenons à tirer parti de nos potentiels mentaux inexploités, éviter les pièges de certains raisonnements, faire la part des efforts productifs et des impasses. Il devient possible de dégager des chemins vers des attitudes profitables à tous. Lesquelles ?

1) Accepter. La primauté de l’affect nous enseigne qu’il est inutile de lutter contre ses émotions, le premier stade de toute amélioration sera d’accepter toutes les émotions, y compris les moins présentables (honte, colère, jalousie, culpabilité, rancœur). Accepter ne signifie pas les approuver, encore moins s’y complaire, simplement comprendre qu’elles peuvent exister chez chacun, qu’elles sont transitoires et qu’il faut faire avec. Cette acceptation permet d’apaiser, de déculpabiliser (et donc d’améliorer son estime de soi), de barrer la route aux ruminations, de libérer le cerveau pour l’action (au lieu de se focaliser sur la souffrance), de s’ouvrir sur la recherche de solutions, plutôt que la recherche de coupables. L’acceptation n’est pas la passivité, accepter ce qu’il est impossible de changer et agir sur le reste.

2) Évoluer. Le simple fait de connaitre l’existence des biais, ces véritables pièges de pensée, permet de prendre plus de distance avec nos propres croyances, et de remettre en cause les plus douloureuses ou les plus nuisibles. La conscience d’être à la merci de ses propres biais incite à accepter plus facilement les critiques d’autrui et en retour de corriger les biais de son entourage avec plus de bienveillance et donc plus d’efficacité. Deux composantes indispensables d’intelligence émotionnelle

3) Mettre à distance le négatif. La prise de conscience et l’acceptation de nos émotions négatives (et de leur rôle nocif sur nos jugements) permet de mettre en place des stratégies de mise à distance. On distingue les stratégies immédiates à effet bref (par exemple se distraire, penser à autre chose) des méthodes actives en profondeur au premier rang desquelles figurent

Il est possible d’améliorer nos émotions par chacune de ces démarches, avec un minimum de motivation et d’entrainement

4) Retrouver notre liberté de choix. Après avoir montré que notre libre arbitre est limité par les facteurs génétiques, les influences culturelles et les événements immédiats qui précèdent notre prise de décision, les neurosciences nous rendent enfin l’espoir et la libertéen démontrant qu’une action choisie librement (par exemple l’entrainement à la pleine conscience) peut modeler notre cerveau et améliorer notre comportement de façon durable[v]. Nous pouvons apprendre et améliorer nos comportements émotionnels à tout âge ! Nos choix d’amélioration ne dépendent que de nous, à chacun de décider !

En résumé les sciences du cerveau permettent de : 


Pour aller plus loin : 

[i] LeDoux J.The amygdala.Curr Biol. 2007 Oct 23;17(20):R868-74.

[ii] Wegner, D.M. (2003). The mind’s best trick: How we experience conscious will. Trends in Cognitive Science. 7:65-69.

[iii] Tversky, A., & Kahneman, D. (1974). Judgment under uncertainty: Heuristics and biases. Science. 85.4157. 1124-1131.

[iv] Bechara, A., Damasio, AR. (2005). The somatic marker hypothesis: A neural theory of economic decision. Games and Economic Behavior, 52.

[v]  Lutz, J., Herwig, U., Opialla, S., Hittmeyer, A., Jäncke, L., Rufer, M., Brühl, A. B. (2014). Mindfulness and emotion regulation—an fMRI study. Social Cognitive and Affective Neuroscience, 9(6), 776–785.

 


Pour aller plus loin : 

[i] Diener, E., Seligman, M.E.(2002).Very happy people. Psychol Sci.13(1):81-4.

[ii] Lyubomirsky , S., King, L., Diener, E. (2005).The Benefits of Frequent Positive Affect: Does Happiness Lead to Success? Psychological bulletin. 131. 6, 803-855.

 

    


Nous remercions vivement le Docteur Bernard ANSELEM, Médecin spécialiste en imagerie médicale, master de recherche en Neuropsychologie (Toulouse, Lyon, Grenoble), titulaire d’un Certificat de « science of happiness » (Berkeley) et Formateur professionnel pour médecins ou entreprise. Il est également Auteur de plusieurs ouvrages dont, « Je rumine, tu rumines, nous ruminons » (Editions Eyrolles, 2017) et « Ces émotions qui nous dirigent » (Alpen éditions) conférencier.
Membre du comité d’éthique de l’université de Savoie

Il propose de partager son expérience professionnelle en Neuropsychologie pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com


Biographie de l’Auteur : 
Médecin spécialiste en imagerie médicale, master de recherche en neuropsychologie (Toulouse, Lyon, Grenoble), certificat de « science of happiness » (Berkeley) et formateur professionnel pour médecins ou entreprise. Auteur conférencier.
Membre du comité d’éthique de l’université de Savoie.
Thèmes de travail : émotions, motivation, anxiété, prise de décision et efficacité, IRM fonctionnelle. Il souhaite créer des ponts entre les avancées récentes des recherches sur le cerveau ou le bien-être, et les applications pratiques au quotidien, à l’intention des personnes ne disposant pas de temps pour aborder les ouvrages théoriques ou académiques.

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Docteur Bernard ANSELEM

Médecin spécialiste en imagerie médicale. Auteur de 2 ouvrages : "Je rumine tu rumines nous ruminons" (2017 Eyrolles). & " Ces émotions qui nous dirigent" (2016 Alpen). Membre comité d'éthique Recherche de l'Université de Savoie (UFR LLSH). Master de recherche en Neuropsychologie (Toulouse, Lyon, Grenoble) Juin 2014. Certificate of achievement "Science of happiness, University of California, Berkeley " 2014. Conférencier. Conseil en Neuropsychologies appliquées. Formateur professionnel pour Médecins & Entreprises.

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