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Pourquoi est-il paradoxal de décréter un changement et naturel d’y résister ? Dominique BERIOT nous explique…

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Article proposé par notre expert, Dominique BERIOT  (spécialiste de l’approche systémique du changement et du management dans les entreprises depuis plus de 40 ans), conférencier  et auteur de nombreux articles & ouvrages, dont le dernier paru en Février 2018, « Guide systémique du manager d’équipe: 40 situations managériales du quotidien«  aux Editions Eyrolles)


N°3, Juillet 2018 


 

Avant-Propos : les articles de Dominique Bériot qui seront publiés sur www.managersante.com  seront plus particulièrement centrés sur le management et le changement par l’approche systémique. Les premiers articles abordent une vision globale afin de faciliter une meilleure compréhension de cette nouvelle logique. En effet, l’approche systémique s’applique quel que soit le type d’organisation, de métier, de contexte et donc tout aussi bien en milieu hospitalier.

Décréter le changement pour changer la réalité !

Il est fréquent de constater, dans les organisations, des actions de changement qui s’avèrent contradictoires, paradoxales ou incohérentes. Pour l’entreprise, elles constituent des formes de cancers qui la rongent, l’affaiblissent et la rendent, avec le temps, de plus en plus rigide et inadaptable aux évolutions. 

J’observe des décideurs qui se piègent eux-mêmes dans leur manière de changer les choses.   Au lieu de faciliter les échanges et de développer des synergies, ils contribuent, au contraire,       à générer des dysfonctionnements, des tensions et des conflits qui entraînent des perturbations plus ou moins importantes pour le personnel, les clients ou les patients et parfois mêmes les fournisseurs. Les conséquences se traduisent par des pertes d’énergie et des surcoûts inutiles, d’autant plus que ces managers freinent, bien involontairement, le changement au lieu de le faciliter.

Certains dirigeants, confrontés à une difficulté d’ordre relationnel, succombent assez naturellement à la tentation de la régler par une modification de l’organigramme, la définition d’une charte des valeurs, la diffusion de règles, la rédaction de normes, ou encore par une injonction verbale ou écrite. Ils considèrent ces actions comme des leviers de changement et obtiennent souvent des résultats inverses à ceux qu’ils ont envisagés. Or, elles ne sont que des supports d’information et de clarification qui disent le changement sans pour autant le déclencher.

Dans le secteur de la santé, le Cadre hospitalier est souvent exposé à des conflits récurrents entre deux collaborateurs dont les contributions sont complémentaires. Pour tenter de remédier à cette situation dommageable à l’ambiance de l’équipe, il rédige avec eux leur  » définition de fonction  » afin de bien clarifier les limites de leurs activités. Au bout d’un certain temps il s’étonne de voir les tensions persister.

Le dirigeant d’une société de service, en proie à des tensions permanentes avec ses collaborateurs directs qui le contestent à chaque réunion de direction, décide, pour ne plus avoir de problème, de  » renforcer son organigramme  » (dit-il), en engageant un adjoint. Le résultat est encore plus désastreux pour lui car, au bout de quelques mois, cet adjoint se rallie aux critiques sur sa manière de manager.

Le directeur général d’une importante société reçoit, depuis plusieurs mois, les plaintes des responsables de projets, à propos du comportement des maîtres d’ouvrage internes. En effet, disent-ils, ceux-ci n’hésitent pas à demander, voire à exiger, des modifications non prévues et non budgétées. Pour mettre fin à cette situation génératrice de conflits, le directeur général adresse, aux maîtres d’ouvrage, une note leur rappelant l’obligation de suivre les règles fixées par la procédure qualité en vigueur, au risque de perdre la certification si difficilement obtenue. Un point réalisé quelques mois plus tard montre que rien n’a changé.

Pour qu’une action crée du changement, elle doit être réalisée comme une réponse à un objectif clairement défini, traduit si possible, en termes de résultats attendus. Et la stratégie choisie doit être destinée à mettre en place de nouvelles relations entre les acteurs pour que l’ensemble du système puisse tendre vers cet objectif. Ce qui suppose une approche la plus concertée possible.

 Une organisation (entreprise, hôpital, association, institution…) est, qu’on le veuille ou non, le siège permanent de négociations et d’inter-rétroactions, destinées à maintenir un équilibre global entre ses orientations, celles de ses entités et celles des individus. Seule l’organisation résultant de finalités parfois divergentes et d’alliances opportunistes nous intéresse et non celle présentée à travers un organigramme, des définitions de fonction ou des règles de procédure.

Or, si les managers percevaient mieux qu’une organisation réelle n’est jamais l’organisation apparente et que les changements de comportement ne se décrètent pas mais nécessitent une action effective sur les relations, ils feraient le plus souvent l’économie de solutions qui confinent à toujours plus de la même chose pour rien.

Résister à un changement, une tendance naturelle

A l’annonce d’un changement, un système humain qui en est la cible oppose aussitôt des résistances et est soutenu par ceux qui trouvent un intérêt à le défendre. Une personne, un groupe, une entité, une entreprise, une collectivité, un pays … n’échappent pas à ce mécanisme d’opposition spontanée.

Lorsqu’un responsable politique décide de modifier le régime de retraites, d’installer un aéroport, de construire une piscine municipale, des forces d’opposition surgissent pour en contrer la réalisation. De même, quand un dirigeant veut faire évoluer son organisation, déplacer son siège social, externaliser une fabrication, moderniser des équipements, il se trouve toujours confronté à des résistances de tous ordres.

Voici un exemple qui illustre les effets systémiques d’une décision sur un ensemble d’acteurs concernés par son impact.

Le directeur d’une usine de fabrication de roulement à billes de grande série a décidé, avec sa direction générale, de se lancer dans la production de roulements de petites séries destinées à la construction de radars. Il déclare : « J’ai été très surpris du nombre de réactions négatives. La direction commerciale du siège a réagi parce que la visibilité d’une telle opération sur le marché était insuffisante et que cela n’entrait pas dans le plan à trois ans. Le directeur d’une autre usine du groupe estimait que je marchais sur ses plates-bandes et m’a fait comprendre qu’il s’opposerait aux demandes d’affectation de spécialistes de son établissement vers mon usine. Mes cadres m’ont manifesté leur désapprobation parce qu’ils n’avaient pas été suffisamment consultés. Les organisations syndicales pensaient qu’une telle initiative allait servir d’alibi pour casser une ligne de production et justifier l’engagement de personnel intérimaire. Les ouvriers qualifiés qui travaillaient sur les grandes séries craignaient la réduction de leurs effectifs. Un concurrent a fait pression sur mon fournisseur principal pour qu’il me quitte, m’obligeant à négocier avec lui certaines garanties. Les écologistes régionaux craignaient que l’agrandissement de l’usine soit préjudiciable à l’environnement« . Une kyrielle d’opposants, une litanie de fausses bonnes raisons !

La résistance au changement n’est certes pas une donnée récente – l’histoire de l’humanité en témoigne. Le maintien du statu quo, qu’il s’agisse de modes de fonctionnement, de valeurs, de comportements ou de structure, a toujours donné l’illusion de pouvoir préserver indéfiniment l’acquis, de cheminer en terrain connu, sinon sûr. Il en est du changement comme d’un mobile, toute action même légère sur l’un de ses éléments met en mouvement l’ensemble jusqu’à ce qu’il retrouve son équilibre initial.

Deux vecteurs essentiels poussent à réagir :

– Le besoin de se protéger contre l’incertitude du lendemain qui pourrait remettre en cause ses habitudes, ses marges de manœuvre, ses avantages acquis, sa survie, et qui entraîne la peur de perdre ses repères, de se montrer incompétent, d’être en surcharge de travail, de déstabiliser sa vie familiale et sociale, de faire les frais d’une mauvaise décision, de tomber dans la trappe de l’exclusion…

– L’intérêt que certaines personnes de l’entreprise trouvent dans l’immobilisme. Ce peut-être, un manager qui ne veut pas perdre son pouvoir ou faire l’effort du changement, une organisation syndicale qui voit sa représentativité menacée, les personnes d’une équipe qui craignent d’être séparées, un dirigeant qui s’oppose à un autre dirigeant par ambition ou simple inimitié…

Ce mécanisme de résistance peut avoir deux effets de nature totalement opposée. L’un bénéfique, quand ce comportement de protection assure au système une certaine stabilité dans un contexte globalement instable ou quand un changement va manifestement à l’encontre de son intérêt. L’autre dommageable, lorsque le changement imposé est réellement conçu dans son intérêt – ses résistances deviennent alors une réelle menace pour sa propre survie.

Ce n’est pas un mécanisme spécifique à telle ou telle catégorie de personnel, il apparaît à tous les niveaux. Il se développe à l’initiative d’une ou plusieurs personnes à chaque fois qu’une information ou une action engagée est susceptible de remettre en cause leur équilibre, c’est à dire leur fonctionnement habituel ou leurs enjeux.

Par ailleurs, ces résistances peuvent être spontanées ou organisées. Dans le cas de résistance spontanée, il s’agit d’actions d’opposition active ou passive, volontaires ou involontaires, qui prennent des formes diverses : réclamation, absentéisme, tension dans les relations avec la hiérarchie, baisse de productivité ou de la qualité de service, renforcement du cloisonnement interservices, arrêt de travail, etc.

La résistance organisée s’exprime par une stratégie d’opposition volontaire, individuelle ou collective, et généralement structurée dans le temps. À la suite d’une information officielle ou d’une rumeur sur un projet de changement, elle s’organise à l’initiative d’une ou de plusieurs personnes qui se concertent. Il peut s’agir de collègues de travail, de groupes de coordination ou encore de groupes institutionnels comme les organisations syndicales, les associations de riverains, les comités de soutien… Elle se traduit par des manifestations, des demandes d’audience, des conflits, des grèves, et parfois par la destruction de l’outil de travail. De plus, ces réactions ne se limitent pas toujours à l’entité concernée, elles peuvent également toucher d’autres personnes ou d’autres organisations extérieures.

Tout système à composantes humaines fonctionne selon une norme résultant de ses valeurs, de ses besoins, de ses règles et des contraintes imposées par son environnement. Sa tendance naturelle à se maintenir dans l’état initial par un mécanisme  » d’autorégulation  » permanent est une des propriétés fondamentales des systèmes ouverts dénommée homéostasie. C’est la propension à rester dans sa norme, c’est-à-dire à maintenir un équilibre tendant vers le statu quo, malgré les pressions de l’environnements.

Mais quand des managers mettent en place un changement, il arrive qu’ils deviennent eux-mêmes victimes de ce mécanisme naturel en « résistant à la résistance » ! En effet, confrontés à la résistance du personnel ou d’organisations syndicales, ils opposent de nouvelles règles, des procédures de contrôle, des pressions, des injonctions, des sanctions, des menaces plus ou moins déguisées, parfois du harcèlement moral… Sans toujours s’en rendre compte, ils résistent aux résistances au lieu de trouver un moyen de les utiliser comme une ressource ou de les contourner.

La résistance des autres provoque chez chacun d’entre nous une contre-résistance. Identifier cette tendance naturelle peut nous aider à nous méfier de nos propres réactions qui vont toujours à l’encontre de l’intérêt des parties.

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Nous remercions vivement  Dominique BERIOT  (spécialiste de l’approche systémique du changement et du management dans les entreprises depuis plus de 40 ans), conférencier  et auteur de nombreux articles & ouvrages, dont le dernier paru en Février 2018, « Guide systémique du manager d’équipe: 40 situations managériales du quotidien«  aux Editions Eyrolles), de partager son expertise professionnelle avec nos fidèles lecteurs de www.managersante.com

 


Biographie de l’auteur : 

 

 

 

Dominique BERIOT

Dominique BERIOT, possède une triple expérience professionnelle. D'abord comme manager ou dirigeant dans cinq entreprises différentes de 2000 à 15000 personnes, puis comme consultant de l'entreprise de conseil qu'il a créée et spécialisée dans la conduite du changement par l'approche systémique. Il contribue à la diffusion de la pensée systémique à travers des conférences et des travaux de recherche. Dominique BERIOT a publié 6 ouvrages dans le domaine du management et, plus spécifiquement sur l'approche systémique du changement : - "Guide systémique du manager d'équipe, 40 situations managériales du quotidien", Eyrolles, 2018. , - "Manager par l'approche systémique, s'approprier de nouveaux savoir-faire pour agir dans la complexité", Eyrolles, 2014. (préface Michel Crozier). - "Du microscope au macroscope, l'approche systémique du changement dans l'entreprise", (préface de Joël de Rosnay) ESF, 1992. - Management et Sécurité, la protection des personnes et des biens, Fayard, 1971. - Les tests en procès, (en collaboration avec Alain Exiga), Dunod, 1970. - Passeport pour l'emploi, (en collaboration avec Alain Exiga), Fayard, 1969. Il a publié de nombreux articles sur plusieurs sites et dans différentes revues spécialisées. Dans le champ de l'ingénierie pédagogique, il a réalisé des films et produit des CD pédagogiques sur le management. Il a également une expérience dans l'enseignement sur les relations sociales dans des Grandes Ecoles prestigieuses (HEC, CESA, ENST, ESCP...). Enfin, de 1987 à 1991, il a été Président du Comité d'Ethique de l'Institut Curie à Paris pour les essais thérapeutiques sur l’homme.

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