N°3, Mars 2017
(article publié sur managersante.com avec l’aimable autorisation de son auteur, Frédéric SPINHIRNY, qui fera l’objet d’une intervention Vendredi 24 Mars 2017 lors des Rencontres Annuelles des Cadres, à l’ESCP-Europe, Paris 11ème)
Relire la 1ère partie de son article publié en Décembre 2016 sur MMS
Relire la 2ème patie de son article publié en Janvier 2017 sur MMS
Nous poursuivons ici l’analyse de l’expérience d’hôpital libéré[1]. Notre objectif est d’anticiper l’innovation managériale que représente « l’entreprise libérée », d’en saisir le sens et de définir si son application à l’hôpital est souhaitable. Dans un premier temps, nous approfondirons les fondements de l’entreprise libérée, le contexte de son apparition et ses implications sur nos pratiques. Puis nous détaillerons les retours d’expériences réalisées sur l’hôpital avec leurs avantages, leurs limites, leurs résistances. Enfin nous pourrons conclure sur l’opportunité de libérer le travail à l’hôpital public.
Dans le rythme des tendances managériales, nous observons un basculement classique entre d’une part centralisation, passion de l’unité, de l’ordre, et d’autre part, décentralisation, désir de multiple, de prolifération. Il existe parallèlement une oscillation entre l’attrait pour le théorique, le goût du formalisme, les idées et d’un autre côté, le matérialisme, le « réel » ou, comme nous l’entendons désormais car le mot « réforme » a été démasqué, les « transformations ». Souvent les prédicateurs proférant l’une ou l’autre de ces tendances se pensent à l’initiative ou croient faire preuve d’un courage inédit alors que, nous l’avons montré, ces volontés sont en partie dictées par les situations économiques du moment. C’est aujourd’hui le tour de l’entreprise libérée.
Petite philosophie de la « libération » des organisations de travail
Isaac Getz[2] définit l’entreprise libérée comme « une entreprise où les salariés sont libres de faire ce qu’ils pensent être bon pour l’entreprise, sans y être contraints par une hiérarchie ou par des procédures. Une entreprise où les dirigeants font confiance à l’intelligence de leurs collaborateurs et les laissent s’organiser entre eux de façon à trouver la meilleure réponse aux problèmes qu’ils rencontrent ». En somme, tout le monde y gagne, car les salariés donnent le meilleur d’eux-mêmes et l’entreprise est plus compétitive.
Allons plus loin. Apporter de la liberté dans l’entreprise permet de convoquer d’emblée un rapport de domination et des manières de s’en défaire. La dichotomie traditionnelle entre employeur et employé est plus complexe à l’hôpital car les centres de pouvoir sont multiples : administration, encadrement, direction, représentants du personnel, consultants, experts, soignants, médecins, chercheurs, doyen de faculté, syndicats soignants, ordres médicaux, usagers, inspections sanitaires, agence régionale de santé, etc.
Alors comment penser la liberté au travail ?
1/ La libération sous-entend que l’optimum n’est atteint qu’une fois disparus les verrous, régulations et autres contraintes (physiques ou symboliques). Ce discours s’applique à toutes les sphères d’activité : économie (il faut déréguler, assouplir, réformer), administration (simplifier, transformer, s’adapter, être acteur), moralité (mettre fin au conservatisme, libérer la parole, décomplexer) et politique (plus de souveraineté, moins de captation par les élites, renforcer la démocratie directe, accentuer le populisme en invoquant le peuple « vrai » ou « réel »).
2/ L’un des fantasmes du libéralisme économique est traditionnellement une entreprise sans travailleurs, les charges de personnel étant trop lourdes dans un budget, et les aléas du comportement humain trop imprévisibles. Dans cet objectif, se sont développés l’automatisation, l’informatique, le numérique puis les méthodes gestionnaires du type lean management[3]. Plus récemment, « l’entreprise libérée » nous parle de redonner le pouvoir, capté par l’encadrement et la direction, aux producteurs les plus proches du terrain. Cette nouvelle méthode managériale dépasse le vieux modèle fordiste, et s’appuie sur la société « ouverte » apparue depuis les années 80, où aucune contrainte ne doit exister pour optimiser au mieux la production de richesse. Ouverte, dynamique, libre, sans entrave, interactive, participative, sans domination : qui pourrait s’opposer à ce mouvement libérateur ? Toute opposition est une « résistance » voire du conservatisme.
3/ Il existe ainsi une double postulation du libéralisme, difficilement dissociable donc critiquable, entre économie et moralité : d’abord introduire la logique de marché dans une sphère de valeur non marchande (certains monopoles d’Etat ou l’hôpital par exemple), limitant les secteurs non rentables (le service public et les missions d’intérêt général, l’associatif ou le don) ; et en même temps, favoriser l’individualisme et le développement personnel des agents en réduisant l’influence des collectifs et des corps intermédiaires.
4/ Travail/Economie/Morale/Politique sont donc traversées par une même tendance : d’une part, une dévalorisation des figures de représentation (élus, experts, directeurs, cadres supérieurs, syndicats, administration centrale), de la prise de décision formelle, des discours théoriques ou d’intention, des promesses ; d’autre part, la valorisation du « réel », de la production de richesse, de l’authenticité des travailleurs ou même, parce que le mot est à la mode, l’empouvoirement[4].
5/ Qui est le « libérateur » ? Est-ce le directeur, le cadre ? Pourquoi la libération ne viendrait-elle pas des employés eux-mêmes, de l’un des leurs ? Et dans quel but ? La maximisation des profits, des recettes ? La satisfaction des clients ? Qui libère qui et de quoi ? Peut-on sortir de cette sémantique piégée entre libération, servitude et résistance ? Et sincèrement, est-ce rendre la liberté ou bien seulement l’octroyer, la concéder ? Qu’espère le libérateur en retour ? Que veut ce nouveau missionnaire, cet évangéliste d’un nouveau genre ? Quelles sont ses intentions ? Enfin, peut-on refuser cette liberté tendue par un tel bienfaiteur ?
Traduire l’entreprise libérée à l’hôpital public
Nous le voyons, transposer les réflexions sur la libération dans une organisation de travail nous questionne, au-delà d’une troublante conjonction entre les intérêts de l’entreprise et ceux des employés, entre les réflexions libérales et les thèses sociales. Nous avons donc voulu opérer cette petite révolution au sein de l’hôpital public, car il n’est pas évident que l’administration puisse accueillir sans réagir ce type d’innovation managériale issue du monde de l’entreprise. Pourtant le contexte est similaire :
1/Le développement du libéralisme économique depuis les années 80 a entrainé une modification du modèle de financement des établissements de santé, anciennement sous dotation globale.
2/L’introduction de la tarification à l’activité dans le secteur sanitaire et social a pour conséquence une transformation des méthodes de travail, désormais tournées vers les résultats et l’optimisation des ressources.
3/Le management moderne, arme relationnelle de la gestion des organisations complexes, change progressivement les principes traditionnels d’encadrement dans la fonction publique, ancrés autour de l’égalité de traitement, la hiérarchie verticale, la neutralité et les valeurs collectives.
4/Economiquement, libérer l’hôpital public peut ainsi signifier aujourd’hui : libéraliser la fonction publique en allégeant les contraintes (ou dit plus positivement, les « sécurités »), juridiques et financières (disparition du statut au profit des contrats ; assouplir le code des marchés publics ; permettre la rémunération à l’activité et favoriser les licenciements ; revoir les modalités de financement privé).
5/Moralement, libérer l’hôpital public peut aussi signifier libéraliser les rapports de pouvoir autour des moyens de production : allégement des moyens administratifs, diminution de l’encadrement transversal, suppression des dépenses d’expertise ou de consultants, limitation des formations au management, revaloriser les cadres de proximité et les agents opérationnels, rendre horizontale la structure hiérarchique, permettre la prise de parole et les actions des producteurs (de soins, de prestations logistiques ou administratives, de valeurs marchandes).
Modalités pratiques dans une direction fonctionnelle
Dans notre article précédent nous avions montré les étapes pour rendre plus opérationnelle une direction achats/logistique. L’objectif était de créer un alignement stratégique sur toute « la chaîne de production de la décision ». Il s’agit donc d’abord de libérer l’administration d’une direction afin, en premier lieu, de montrer l’exemple : liberté bien ordonnée commence par soi-même. C’est pour nous, un cas de lean management tourné non plus vers les agents administratifs, ouvriers ou soignants, mais vers l’administration centrale (cadres transversaux, chargés de missions, consultants, direction, direction générale, tutelles). Car l’administration centrale ne suit pas entièrement les règles de l’économie et garde un rôle de prescription à travers règles, méthodes, protocoles, cartographies, certifications et autres innovations managériales (dont actuellement le lean, l’entreprise libérée, l’agilité ou la disruption). Souvent ces prescriptions sont ordonnées verticalement, par soucis de professionnalisme pour améliorer le système de santé, mais souvent aussi par panique devant de mauvaises conjonctures, ennui ou simple effet de mode.
Nous résumons brièvement ici les étapes avant de poursuivre notre expérience :
Organigramme avant réorganisation
L’enjeu était d’abord de déterminer les unités d’œuvre de production dans le secteur logistique (nombre de lignes de commande aux achats, repas servis par an, tonnes de linge, surfaces nettoyées, flux logistiques, nombre de courses, gestion et délai sur les stocks du magasin, taux de décrochés, nombre d’appels, etc). Mais également le ratio d’encadrement en fonction des unités d’œuvre de production.
Organigramme après réorganisation
Une fois réalisée la photographie de l’existant, il était nécessaire de partager les objectifs et la méthode. L’encadrement doit pouvoir s’approprier une démarche contre-intuitive, à savoir porter un discours de « libération » qui signe une forme de dépossession de pouvoir vers les agents opérationnels. Le directeur est là pour orienter les cadres sur les moyens d’informer au mieux les agents pour qu’eux-mêmes se réapproprient les outils de travail. La réorganisation passe ainsi par l’allègement des « puissances intellectuelles de la production » au profit des producteurs. Il s’agit de considérer que les experts ne sont plus ceux qui réfléchissent mais ceux qui maitrisent les moyens de production. Il s’agit donc de réduire non plus la main d’œuvre, mais les cerveaux-d’œuvre. L’encadrement redevient une contre-maîtrise de proximité, inséparable de la production. L’entreprise libérée, si elle n’entend pas la libération comme l’entend le libéralisme économique, suit ce chemin : le dirigeant assure une véritable démocratie sociale en libérant la puissance de coopération, sans captation excessive de richesse.
Nous avions pourtant observé certaines limites qui sont aussi nos appuis de réflexion :
1/Avons-nous réellement les moyens de modifier nos organisations rapidement ? N’est-ce pas une question culturelle plus délicate ?
2/Il faut trouver des dirigeants qui rendent possible ce type de discours paraissant affaiblir précisément leur pouvoir
3/Transférer le principe de décision vers l’opérationnel peut générer des tensions avec des cadres qui souhaitaient justement une position hiérarchique loin de l’opérationnel
4/Cadres et agents peuvent ressentir le transfert de pouvoir comme un excès de responsabilité
5/Ne passe-t-on pas simplement d’un modèle de subordination à un modèle d’auto-exploitation menant à l’épuisement ? Vers qui s’opposer en cas de problème si les agents ont accepté eux-mêmes leurs conditions de travail ? Y a-t-il encore une place pour les représentants du personnel ?
6/Le modèle de l’entreprise libérée suppose une forte autonomie des cadres et des agents
7/Que faire des réfractaires ?
8/Comment rétribuer les agents directement dans une fonction publique où les salaires sont fixés ?
Approfondissements avec deux retours d’expérience
Pour répondre à certaines de ces interrogations, nous partageons deux expériences réalisées dans une direction logistique, proche par ses fonctions support, d’une entreprise de service. Voici l’organigramme du magasin hôtelier et du service des archives.
Magasin hôtelier: nous pouvons profiter du départ à la retraite de l’adjoint des cadres sur le magasin hôtelier pour ne pas le remplacer, réunir les agents autour du coordonnateur logistique et du directeur. Les agents sont sollicités directement pour l’ensemble des dysfonctionnements, répondre aux services de soin afin de personnifier et de responsabiliser les relations entre fournisseurs et usagers. Des ateliers peuvent être organisés pour aborder un problème et optimiser les méthodes de rangement ou d’approvisionnement. Cela fonctionne un temps car l’encadrement se concentre sur l’autogestion du magasin et la transmission des consignes ou des demandes de la direction. L’organisation parait plus souple, volontaire et centrée sur la production des agents. Mais rapidement les limites apparaissent :
1/Il existe une différence entre les agents qui ne tarde pas à émerger : capacité physique, engagement à suppléer l’absentéisme, compétence pour répondre à une directive ou à une requête chiffrée en l’absence du coordonnateur. Un « référent » a été désigné par les agents eux-mêmes pour répondre aux urgences et avoir un encadrement léger.
2/Comment valoriser les agents car une rémunération supplémentaire n’est pas possible dans la fonction publique? Il n’y a pas de retour sur investissement comme dans une entreprise. Personne n’a de part au capital.
3/Le référent demande à passer adjoint des cadres pour valoriser ses missions. Mais le poste a été supprimé. Comment gérer la situation ?
4/Les services de soin ne voient pas la différence avant/après le changement d’organisation. Quels sont les résultats qualitatifs d’un modèle libéré ?
5/Les agents ne peuvent faire preuve d’initiative car les processus sont contraignants, la gestion des stocks rigoureuse, les demandes des services de soin (commandes, problème de livraison) ou de la direction (unité d’œuvre, urgences, certification des comptes) les ordonnent dans leur travail au quotidien.
6/Que faire d’un agent qui refuse de prendre de nouvelles responsabilités ? Doit-on le « forcer à être libre » ?
Archives médicales : en multipliant les processus de gestion des dossiers médicaux en routine et dans les situations d’urgence, nous pouvons accentuer l’initiative des agents opérationnels, notamment en atelier, pour optimiser la gestion des dossiers. Nous pouvons alors soit diminuer progressivement le personnel avec le gain de temps ou l’informatisation, soit réduire l’encadrement pour ne laisser d’un adjoint des cadres ou un attaché et un référent. Là aussi, théoriquement cela fonctionne mais rapidement :
1/Même problème de valorisation concrète des agents, hormis notation ou titularisation pour les agents contractuels
2/La mise en routine provoque une baisse de motivation des agents qui ne voient plus le sens de leur travail. Dans une organisation, il n’y a pas toujours des « conduites du changement », des projets. Parfois il n’y a pas de mouvement et cela ne veut pas dire que le service fonctionne moins bien.
3/Les agents opérationnels peuvent prendre des initiatives collectives pour régler des problèmes courants mais ne peuvent répondre aux sujétions de l’administration, des services médicaux ou des nombreuses contraintes institutionnelles (certification qualité, codage, visite de médecins experts de l’assurance maladie).
4/Liberté et participation de tous, entraine beaucoup d’ateliers, de réunions, de bureaucratisation et ralentit fortement la prise de décision. C’est l’un des coûts cachés de la libération du travail.
5/Les agents savent-ils naturellement ce qui est bon pour le service ou sont-ils trop absorbés par le quotidien ? N’y-a-t-il pas trop d’asymétries d’information dans un domaine aussi complexe que la santé et aussi multiple que l’hôpital ?
6/Que faire d’un cadre qui ne souhaite pas quitter son poste ou qui n’arrive pas à trouver un autre service ? Doit-on forcément libéraliser les recrutements dans la fonction publique ?
Conclusion : liberté et résistance à l’hôpital public
Imaginons cette libéralisation dans un service de soin, un bloc opératoire par exemple. Le soin opératoire n’est-il pas si protocolé qu’aucune initiative n’est vraiment possible ? En dehors du conseil de bloc, a-t-on le temps de se réunir ? Peut-on vraiment se passer d’une chaîne de commandement notamment sur des services de pointe ? Hiérarchie, commandement, liberté et excellence sont-ils vraiment incompatibles ? Quelle liberté laisser aux soignants et médecins autours de malades immunodéprimés ? Quelle initiative pour un parcours de soin autour du cancer ? Qui maîtrise les enjeux financiers, techniquement, pour répondre aux tutelles ? Et qui répond aux situations de crise? Etrangement, en situation d’urgence, les responsabilités se dispersent et réapparaît une demande forte de direction ou d’encadrement.
Mais il y a plus : entreprise libérée signifie entreprise librement consentie, où le travail libre n’est pas du temps libre. Premièrement, c’est une liberté tournée vers la rentabilité de l’entreprise. Elle est donc « dirigée » et cela renforce les objectifs de la direction. Deuxièmement, même si ses promoteurs en sont conscients, elle ne prend pas assez en considération les résistances anthropologiques : tous les agents ne se ressemblent pas, certains individus souhaitent être commandés (c’est une servitude volontaire qui touche d’ailleurs toutes les strates de la hiérarchie), le consentement prend un temps incompatible avec la réactivité que doit avoir l’entreprise. Troisièmement, cela semble plutôt s’appliquer à de petites entreprises ou des administrations centrales au milieu de travail homogène et limité. Enfin, le patient lui, se sent-il libéré de quoi que ce soit au bout du compte?
A l’hôpital public, il y a donc une résistance. Pourtant, redonner l’initiative aux agents pour s’auto-commander répond actuellement à une demande. Il est ainsi possible de penser et de pratiquer favorablement cette « libération » si nous nous focalisons sur les relations de pouvoir et sans ignorer les résistances même des ressources humaines. L’enjeu est délicat car il s’agit de privilégier le versant social du libéralisme sans céder aux excès du versant économique: valoriser les producteurs, permettre l’accès libre à la prise de parole, réduire la supervision des experts, prescrire des valeurs pouvant être contre-productives, et portant au-delà des individus pour préserver un modèle social de travail qui les protège sans les étouffer. Permettre l’initiative des cadres et surtout des agents, sans tomber dans l’angoisse de la liberté. En visant un juste équilibre entre partage des décisions et consentement, qualité des soins et respect des valeurs du service public. Finalement, l’hôpital public conjugue la liberté avec une autre valeur primordiale de l’administration : l’égalité.
En résumé, l’entreprise libérée poursuit de bonnes intuitions et répond à un besoin actuel de « moins de gouvernement ». Une conception moderne appelle en ce sens une administration « plateforme » où l’encadrement met en relation les usagers et les producteurs afin d’optimiser la satisfaction et l’équilibre économique. Mais il ne faut pas oublier deux choses fondamentales. La première c’est que l’entreprise libérée responsabilise l’individu dans le sens de la survie de l’entreprise, mais toujours sous couvert de son bien-être, de son développement personnel. Rien de neuf depuis les années 80. Nous ne pouvons pas nous opposer à plus de libertés individuelles ou au bonheur, mais gardons à l’esprit que le lieu de travail n’est pas un lieu public où s’exerce toute forme de liberté (pensez à la liberté d’aller et venir par exemple, voire à la liberté d’expression). Alors pour paraphraser Rousseau qui évoquait lui la démocratie réelle, « à prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable entreprise libérée et il n’en existera jamais ». Si on prend la liberté au sérieux, peut-on se libérer aussi des consultants, des formateurs en management, des tutelles ou même des libérateurs ? Deuxièmement, l’administration est une institution qui possède en propre un pouvoir de médiation et de prescription de valeurs qui oriente les individus dans leur choix, afin de préserver l’intérêt général, qui n’est pas l’intérêt privé d’une entreprise. L’hôpital public représente cette administration par excellence. Les libérateurs verront cette résistance comme un obstacle alors qu’il s’agit aussi d’une force d’appui. Ce point de résistance assume de dépasser l’individualisme pour orienter les comportements vers des valeurs non marchandes ou même, qui ne sont pas à la mode. Mais finalement, ne sommes-nous jamais aussi libres que sous la résistance?
Article complet avec illustrations et les encadrés « la liberté pour les nuls! » et « Peut-on être malade de la liberté? », à paraître bientôt dans le n°561 de la revue Gestions Hospitalières, décembre 2016
[1] La première partie a été publiée en juillet 2016, dans le numéro 557 de Gestions Hospitalières
[2] Isaac Getz, « La liberté, ça marche ! – L’entreprise libérée, les textes qui l’ont inspirée, les pionniers qui l’ont bâtie », Flammarion, 2016, 375 pages
[3] Nous renvoyons ici le lecteur aux articles que Gestions Hospitalières a consacré à ce sujet et pour une approche plus philosophique, à notre essai « l’Eloge de la dépense » (éditions Sens&Tonka)
[4] Néologisme issu de la notion d’empowerment, parfois aussi traduit par la capacitation, soit le fait pour un individu d’avoir la possibilité de connaître sa valeur, de devenir plus autonome et d’agir sur ses conditions de vie
Nous remercions vivement Frédéric SPINHIRNY, Directeur des Achats, de la Logistique et du Développement Durable chez Hôpital Necker-Enfants Malades, Rédacteur en Chef de la Revue Gestions Hospitalières, pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com