N°7, Décembre 2016
Quand j’étais sur les bancs de l’école d’infirmières, j’avais eu une monitrice dont j’entends encore parfois la voix douce et posée nous dire : « mesdemoiselles, messieurs ! Vous allez exercer le plus beau métier du monde ! Vos patients ont besoin de vous ! Empathie et respect sont les piliers essentiels de notre profession…… »
Professions médicales et soignantes à l’épreuve des conflits de valeurs
Que nous soyons dans des filières médicales ou paramédicales, les étudiants sont bercés par la réussite humaine de leur prise en charge de la Personne Soignée. Nous avons encore tous, les noms de Florence Nightingale, Cicely Saunders ou de ce viel Hippocrate qui résonnent dans nos oreilles. Les budgets qui diminuent, le fonctionnement des accréditations, les délais insuffisants ou la pénurie de personnel sont peu abordés…..
Nos études nous amènent à travailler sur nos valeurs et celles qui sont inhérentes à notre profession. Diplômés, nous continuons à en entendre parler, parfois de manière plus globale à l’occasion de formation ou de réunion. Sur un parcours professionnel, nous pouvons être amenés à traverser des conflits de valeurs où nos convictions personnelles vont être mises en tension et en opposition avec une réalité de terrain où « l’hôpital entreprise » tend à faire naître des « soignants industriels». Les exigences émotionnelles et le conflit de valeur impactent les professionnels de la santé à tous les niveaux.
C’est en 2011 que le rapport Gollac décrit le conflit éthique en tant que facteur particulier de risque psychosocial. La deuxième partie du document met en avant les 6 facteurs de risques identifiés par le collège. La catégorie « conflit de valeur » est divisé en 3 sous-groupes :
- Conflits éthiques: le travail que l’on fait entre en contradiction avec ses convictions personnelles.
- Qualité empêchée: être en mesure de retirer de la fierté du travail entrepris favorise une image valorisante de son métier. Par opposition, un soignant contraint de faire une activité bâclée par manque de temps, de moyens le conduise à être en désaccord avec ses valeurs professionnelles. A cela s’ajoutent une autonomie et une marge de manœuvre souvent faibles.
- Travail inutile : l’utilité fait référence à la contribution du soignant au travail qui lui est confié. Par opposition, l’inutilité ressentie peut provenir du fait d’orientations stratégiques donnant à l’organisation du travail des buts auxquels le soignant n’adhère pas. Un écart se creuse entre le travail prescrit et le travail réel. Le manque de reconnaissance du travail accompli engendre alors incompréhension et frustration.
Le travail relationnel du soignant à l’épreuve du « temps »
De même, le conflit de valeurs amène parfois à opposer deux ou plusieurs personnes (collègue ou supérieur hiérarchique), les tensions deviennent inévitables. Ainsi, une personne convaincue que les valeurs qu’elle privilégie sont « les bonnes » peut ne pas comprendre pourquoi « l’autre » n’est pas du même avis.
Par manque de temps, de communication et donc d’échanges, chacun reste sur ses positions dans une incompréhension réciproque. Cette incompréhension peut affecter l’efficacité de l’unité de travail mais aussi le climat et dégénérer en hostilité.
Le travail du soignant en quête de sens au quotidien
Des contradictions accumulées au sein de l’organisation des services de santé baignant dans les injonctions paradoxales déstabilisent: « vous devez prendre soin de vos malades, mais nous ne vous en donnons plus ni le temps ni les moyens». Chaque soignant est en mesure de raconter au moins une situation où une de ses valeurs a été sacrifiée au détriment d’un acte qu’il réprouve.
Ce vécu entraîne alors : anxiété, frustration, colère ou culpabilité. Le malaise prend de plus en plus de place et se majore par un sentiment d’injustice. L’incohérence de ce tiraillement devient importante d’autant plus si elle survient de façon répétitive, le travail perd de son sens, engendrant une souffrance considérable et une diminution de la performance du soignant.
Les conflits de valeurs font partie intégrante du vécu au travail.
Ce ne serait qu’une illusion de penser qu’ils disparaîtront… Une solution à cette résolution de situation serait d’arriver à se distancier de manière posée et réfléchie, d’échanger entre membres d’une équipe, d’un service, d’un pôle. De dialoguer. Les gestionnaires et les soignants de terrain n’ont pas toujours développé des dextérités pour le faire. Briser les silences reviendrait alors à atténuer ce mal-être et redonner une normalité relative à des situations difficiles, cela éviterait de se taire ou pire s’en moquer. Etre à l’écoute, prendre le temps nécessaire à la réflexion et offrir, si tant soit peu qu’elle soit minime, une marge de manœuvre et une autonomie décisionnelle favoriserait un adoucissement du climat social. Cette démarche managériale justifierait sa prise de position comme raisonnable tout en maximisant une adhésion des autres plus large.
Enfin sachant que préventivement ce facteur de risque psychosocial ne peut être évité, il convient alors de l’identifier et de mettre au tant que les nécessaires les moyens utiles pour l’atténuer. Les soignants, protéger dans leur armure blanche sont des « super héros », mais comme tous les super-héros ils ont leur limites. Il convient donc de prendre soin de soi pour prendre soin de l’autre….
N’hésitez-pas à laisser vos commentaires… Chrystel ARTUS vous répondra avec plaisir !!!
Nous remercions vivement Chrystel ARTUS pour partager son expérience professionnelle en proposant sa Rubrique mensuelle, pour nos fidèles lecteurs du Site www.managersante.com