N°1, Décembre 2016
Le milieu de travail de la santé est un milieu difficile pour les professionnels comme le traduisent les nombreux témoignages récents sur les réseaux sociaux.
La pénibilité des conditions de travail peuvent conduire à des situations critiques dont les comportements suicidaires (5 suicides d’infirmiers et infirmières pour le seul été 2016, suicides de médecins…).
Cette actualité tragique rappelle combien la prévention des risques au travail, et spécialement les risques psychosociaux, est nécessaire.
Cette prévention faisant pourtant partie du référentiel de certification en vigueur, montre encore, à la lecture des rapports récents disponibles sur le site de la Haute Autorité de Santé, de nombreuses lacunes dans les établissements de santé (la revue sera limitée aux rapports parus depuis un an).
Quelles sont les exigences du référentiel de certification ?
Le manuel de certification V 2010 traite explicitement du document unique mais l’approche thématique introduite en 2014 le renvoie aux fonctions supports.
Analyse de la Version 2010 – critère 3.c : Santé et sécurité au travail
Le critère 3.c : Santé et sécurité au travail fait partie du CHAPITRE 1 : MANAGEMENT DE L’ÉTABLISSEMENT, Partie 2 : Management des ressources, Référence 3 : La gestion des ressources humaines.
Le critère 3.c Santé et sécurité au travail dispose :
E1 – Prévoir : Les risques professionnels sont identifiés à périodicité définie. Le document unique est établi. Un plan d’amélioration des conditions de travail est défini.
E2 – Mettre en œuvre : Des actions de prévention des risques sont mises en œuvre en collaboration avec le CHSCT et le service de santé au travail. Des actions d’amélioration des conditions de travail sont mises en œuvre.
E3 – Évaluer et améliorer : Le programme de prévention des risques et le document unique sont évalués à périodicité définie sur la base du bilan du service de santé au travail, du CHSCT, des déclarations d’accidents du travail et d’événements indésirables. Ces évaluations donnent lieu à des actions d’amélioration.
Il faut observer que ce critère 3.c, Santé et sécurité au travail, est complété sur un plan pratique par le Critère 3.d, Qualité de vie au travail (QVT), qui traite sans les citer les risques psychosociaux (RPS), ce que fera la nouvelle version de la norme ISO 9001 de septembre 2015 (7.1.4. La mise en œuvre des processus) ; en revanche la norme internationale ISO n’évoque pas le document unique car il s’agit d‘une spécificité française.
Analyse de la Version 2014 : L’approche par thématique relègue le document unique dans les fonctions support
A noter que pour la V2014, la HAS a choisi une approche par thématique : une liste de vingt thématiques a ainsi été établie, qui fait la correspondance avec les critères du Manuel de certification.
Le critère 3.c se trouve ainsi rattaché à la thématique 17 Gestion des Ressources humaines dans le bloc des Fonctions Supports alors que 3.d se retrouve dans la thématique 2 Qualité de vie au travail qui fait partie du bloc Management.
Il n’est pas certain que cette dissociation de santé et sécurité au travail du bloc Management soit heureuse car c’est bien la responsabilité du représentant légal qui sera mise en cause en cas de manquement.
Quels enseignements retenir de l’analyse des « rapports de certification » sur la prévention des RPS ?
Sur la trentaine de rapports parcourus, on note que certains rapports font une confusion de terminologie : « document unique » y renvoie à autre chose. Par exemple
- document unique de prescription et administration des médicaments,
- les différentes évaluations et audits réalisés sont recensés dans un document unique,
- le PPS n’est pas formalisé en tant que tel au sein d’un document unique,
- contrôles qualité réalisés par une société extérieure et centralisés sur un document unique,
- en psychiatrie, plusieurs dossiers patients coexistent dans le service : le dossier de soins institutionnel adapté au service, le dossier patient unique de l’hôpital, le dossier « technique » où sont conservés la plupart des pièces pour des raisons de confidentialité et, le cas échéant, le dossier du CMP. L’ensemble de ces éléments n’est pas réuni dans un document unique
- …
On note également que plusieurs rapports ignorent les risques psychosociaux qui ne sont pas cités alors que c’est un risque majeur dans le secteur de la santé.
Il est présenté ci-après une sélection de bonnes pratiques et de pratiques perfectibles en matière de santé et sécurité au travail à la lecture des rapports parus depuis un an.
Quelques exemples de bonnes pratiques de prévention dans certains établissements de santé :
Exemple 1 : CENTRE HOSPITALIER D’ANGOULEME, janvier 2016
Un établissement utilise les données du bilan social et le document unique pour alimenter sa réflexion en matière de qualité de vie au travail. Le projet social comporte des actions relevant d’un plan d’amélioration de la qualité de vie au travail que l’établissement met en œuvre (politique d’attribution du temps partiel aux agents, réflexion sur les risques psychosociaux, temps d’ergonome).
Chaque action est présentée sous forme de fiche projet. L’établissement a mis en place un dispositif permettant d’identifier les postes aménagés ou adaptables. Il a recruté un ergonome à mi-temps qui participe à l’analyse des accidents de travail, des postes de travail, aux choix des matériels et à la conception des nouveaux locaux. Des actions de formation sont inscrites dans le plan de formation (gérer les situations de violence, gérer son stress pour prévenir l’épuisement professionnel, formation sur les risques psychosociaux). Un groupe de travail est en place sur les risques psychosociaux. En cas de besoin, un psychologue du travail intervient auprès des équipes (soutien et groupe de parole en service de cancérologie par exemple).
Les équipements utiles à l’amélioration de la qualité de vie au travail sont fournies (bouchons d’oreilles et parois contre le bruit en blanchisserie). Des formations sur la violence, le stress et l’épuisement professionnel ont eu lieu. Une journée à thème réunissant l’encadrement a été consacrée au management de la génération Y, aux risques psychosociaux et aux réseaux sociaux.
Exemple 2 : CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE MONTPELLIER, janvier 2016
Dans un autre établissement, au regard des risques identifiés dans son plan d’actions, il a été prévu les ressources nécessaires de formation notamment dans le champ de la prévention des risques psychosociaux, en termes d’effectifs (bourse aux heures supplémentaires pour les soignants), d’organisation (consolidation du pôle d’accompagnement professionnel et social – PAPS) et de matériel (projet de création d’une «conciergerie» visant à favoriser la conciliation entre vie privée et professionnelle).
Exemple 3 : CENTRE HOSPITALIER JEAN COULON, mars 2016
Dans un autre établissement, à partir du recensement et de l’identification des risques liés au document unique et au processus qualité de vie au travail, une priorisation a été réalisée conjointement par le management de l’établissement d’une part et le CHSCT et les partenaires sociaux d’autre part ainsi qu’une communication vers les collaborateurs. Les risques identifiés bénéficient d’un plan d’actions spécifique intégré dans le programme qualité et management des risques institutionnel. Les actions sont priorisées sur la base de la criticité et du niveau de maîtrise.
Les objectifs d’amélioration figurant au plan d’amélioration sont assortis d’indicateurs. Les risques ayant une criticité élevée et un niveau de maîtrise faible sont intégrés dans le Compte qualité. La déclinaison formalisée de la qualité de vie au travail se retrouve dans le document unique actualisé, dans le compte qualité et dans le plan d’actions institutionnel. Un groupe de travail « Document unique » de composition paritaire (direction, administration, CHSCT) traite de la Qualité de vie. Les interfaces entre les secteurs pour le déploiement du programme QVT institutionnel sont organisées. Le document unique et son plan d’actions sont suivis et évalués par le groupe de travail document unique qui se réunit tous les mois. Les signalements d’événements indésirables sont analysés, ceux relatifs à la qualité de vie au travail sont présentés en Comité de Retour d’Expérience
Exemple 4 : GROUPE HOSPITALIER PUBLIC DU SUD DE L’OISE, mai 2016
Dans un autre établissement, la mobilisation des équipes sur la qualité de vie au travail est ciblée autour des actions relatives au document unique. L’encadrement sensibilise les équipes sur ce sujet et des actions de communications sont régulièrement réalisées via l’outil intranet à partir des données du document unique. Quelques actions en lien avec la qualité de vie au travail mobilisent les professionnels comme par exemple l’organisation des temps de pause et relève, le suivi des pratiques au regard des règles et procédures déterminées par la sécurité au travail.
L’encadrement est mobilisé dans l’évaluation, l’identification et la définition des actions correctives relatives au document unique. L’évaluation et le suivi des actions sont ciblés autour de la prévention des risques professionnels dans le cadre du document unique qui fait l’objet d’un bilan annuel. Les autres indicateurs suivis en lien avec la qualité de vie au travail sont ceux du bilan social (l’absentéisme, turnover, …).
Même si l’on peut observer de bonnes pratiques préventives pour certains établissements de santé, beaucoup d’autres établissements font état restant perfectibles de l’avancement des actions menées dans leur « document unique » (à noter que certains établissement n’ont pas encore rédigé ce document), .
Des pratiques perfectibles : retours d’expériences…
Trois situations perfectibles méritent d’être mises en exergue et commentées.
Exemple 1 :
Pour un établissement, le programme de prévention des risques et le document unique ne sont pas évalués à périodicité définie sur la base du bilan du service de santé au travail, du CHSCT, des déclarations d’accident de travail et d’événements indésirables, le document unique des risques professionnels, bien que réalisé n’est pas validé à ce jour par les instances (CHSCT).
Exemple 2 :
Pour un autre établissement, les risques ne sont pas identifiés selon une méthode définie. L’évaluation des risques n’est pas réalisée a priori pour les risques avérés ou prévisibles mais uniquement au regard des déclarations des fiches d’événements indésirables (exemple survenu en visite au sujet du DPI), des remontées des vigilances et de la veille sanitaire.
Exemple 3 :
Pour un autre établissement, le document unique des risques professionnels, en cours de réactualisation, n’a pu être contributif dans l’identification des risques pour des raisons méthodologiques. L’identification des besoins et leur analyse ont été réalisées notamment sur la base des remontées d’information et des travaux du CHSCT. Par ailleurs, il n’existe pas de déclinaison structurée de la politique dans un programme définissant les modalités de mise en œuvre. Le plan d’action qualité de vie au travail comporte des objectifs d’amélioration incomplets. Validé en directoire, il n’est pas toujours assorti d’indicateurs de résultat (« à définir ») ou de modalités de suivi opérationnelles. Il ne comporte pas de priorisation des actions. Le plan Qualité institutionnel de 2013 ne traite pas la thématique de la QVT en dehors d’une action ciblant la réalisation d’une cartographie des risques a priori. La politique QVT du projet social et le plan d’action QVT ne se recoupent pas complètement.
Le « document unique » : un document obligatoire et réglementé
Le document unique nécessite une proactivité pour anticiper les risques afin de les prévenir.
Le document unique nécessite un bon service de santé au travail pour analyser les risques avérés ou prévisibles en amont et que l’établissement se pose les bonnes questions après un accident du travail (ou de service) ou un événement indésirable sur la personnel du (de la) salarié(e).
Le document unique est un document vivant qui doit responsabiliser les membres de CHSCT.
Si dans les exemples perfectibles qui précèdent le document unique existe bien, pour un établissement enfin, le document unique ne répond pas au décret n°2008-244 du 7 mars 2008 du code du travail. L’évaluation des risques professionnels ne comporte pas un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’établissement et n’a pas été actualisée depuis septembre 2009. Il n’y a pas de ce fait de plan d’amélioration des conditions de travail adapté.
Un tel constat est d’une extrême gravité en 2016 : le document unique est une obligation requise dans le référentiel de certification pour tous les établissements. Il a été créé par le décret N°2001-1016 du 5 novembre 2001 et trouve son origine dans le droit européen. La directive N°89/391CE dispose que l’évaluation des risques professionnels et au sommet de la hiérarchie des principes généraux de prévention.
S’il n’y a pas de modèle type de document unique, un contenu précis est requis pour son efficacité.
Pour conclure, l’enjeu de la prévention en matière de santé et de la sécurité au travail en milieu de santé est largement sous-estimé voire purement et simplement ignoré, sous réserve de quelques établissements qui ont pris des initiatives intéressantes.
C’est pourtant un enjeu pour les directions suite aux évolutions jurisprudentielles de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation (25 novembre 2015 – N°14-24444 et 1er juin 2016 – N°14-19702), même si pour les personnels du secteur public hospitalier la justice administrative n’est pas tenue par les positions du juge judiciaire.
N’hésitez-pas à laisser vos commentaires… Jérôme Turquey vous répondra avec plaisir !!!
Nous remercions vivement Jérôme Turquey (Dirigeant – SAS Qualitiges, Formateur dans le réseau Ad’Missons, Conseil en management et gouvernance, Ambassadeur Metz Métropole) , pour partager son expertise professionnelle en proposant de rédiger des articles sur le management de la qualité , pour nos fidèles lecteurs du Site MMS