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En quoi l’intrapreneuriat soignant & les méthodes collaboratives peuvent-ils contribuer à l’amélioration de l’expérience patient ? Agathe BOUTAUD, Aude NYADANU et Domitille ROUX nous en parlent avec Lowpital.

Nouvel article rédigé pour ManagerSante.com par Agathe BOUTAUD, Consultante chez Lowpital , Aude NYADANU, Fondatrice et dirigeante de Lowpital , et Domitille ROUX, Responsable de la communication chez Lowpital.

L'expérience patient :

Depuis le début des années 2000, la thématique de l’expérience patient et la prise en compte du vécu des patients prennent de plus en plus de place au sein des établissements de soins, et, plus largement, du système de santé. L’expérience patient est ainsi devenue, en 2020, l’une des clés de la nouvelle certification HAS[1]. Cette expression recouvre l’ensemble des interactions et des situations vécues par une personne ou son entourage au cours de son parcours de santé. Ces interactions sont façonnées à la fois par l’organisation de ce parcours, mais aussi par l’histoire de vie de la personne concernée[2].

Elle touche donc le patient et son entourage, mais aussi le vécu des professionnels de santé, qui jouent un large rôle dans le parcours de santé. Améliorer l’expérience d’un professionnel de santé peut, par exemple, lui donner le temps d’échanger davantage avec ses patients, et impacter positivement l’expérience de ceux-ci ! Ainsi, Valérie Moulins, directrice de la communication et de l’expérience patient à l’hôpital Foch, travaille aussi beaucoup sur l’expérience des professionnels de santé : « Tous les outils que je peux mettre en place sont au service des soignants, du personnel de l’hôpital, pour les aider dans leur quotidien, parce qu’aujourd’hui, on ne peut pas faire d’expérience patient sans expérience des soignants. On a aussi besoin de prendre soin des gens qui y travaillent. »[3] C’est pourquoi nous évoquerons dans cet article des innovations pouvant s’adresser aux patients, mais aussi à leurs proches ou aux professionnels du soin.

En effet, au-delà des professionnels dévolus à la qualité dans les établissements hospitaliers, la thématique de l’expérience patient touche toutes les personnes impliquées dans le parcours de soins. Utiliser des méthodes collaboratives pour l’améliorer peut ainsi constituer une manière de remobiliser les équipes soignantes et de les engager sur un projet commun, tout en agissant de façon tangible sur le vécu du patient. C’est même une façon d’encourager l’intrapreneuriat : il est fréquent que des soignants impulsent de leur propre chef des projets qui résolvent les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien.


Prenons un exemple concret : depuis 2018, l’association LallianSe, immergée à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, a initié et organise un concours d’innovations, le Challenge Innovation, en partenariat avec le groupe hospitalo-universitaire AP-HP. Sorbonne Université. Ouvert à tous les professionnels paramédicaux et techniques, cet appel à projets poursuit un double objectif :

– Repérer et développer des projets concrets, issus du terrain, ayant le potentiel d’améliorer significativement l’expérience des patients, de leurs proches et/ou des soignants

– Valoriser les idées et l’expertise des personnels, ce qui contribue également directement à améliorer leur qualité de vie au travail, en leur permettant de développer de nouvelles connaissances et de se sentir reconnus pour l’ensemble de leurs capacités.

 

Pour la 4e édition du Challenge Innovation en 2022, l’équipe Lowpital a accompagné les professionnels souhaitant candidater au Challenge Innovation, avec des méthodes issues notamment du design. En leur proposant nos méthodes collaboratives, nous leur offrons l’opportunité de renforcer leur projet mais aussi de s’approprier des outils qui facilitent le travail en équipe, qu’ils pourront réutiliser tout au long de leur carrière.

 

Les participants, aux profils divers (infirmier, cadre de santé, coordinateur, kinésithérapeute…), commencent l’aventure avec des projets bien définis : accompagnement des aidants, aide à la planification, support de formation, gamification de l’éducation thérapeutique du patient… Ils les structurent via un dossier et postulent pour un financement, qui est attribué à un ou plusieurs lauréat(s). Notre méthode, en 3 étapes, leur permet de réunir de sérieux éléments nécessaires à la rédaction d’un dossier solide.

 

L'innovation collaborative :

L’innovation collaborative utilise les atouts de diverses organisations et individus pour découvrir, développer et implémenter des idées[4]. De telles méthodes, sollicitant les patients, leurs proches et leurs professionnels de santé pour apporter des solutions utiles à leurs problèmes quotidiens, sont particulièrement pertinentes sur ces thématiques qui relèvent de l’expérience, du bien-être et du ressenti. Sur des éléments subjectifs comme ceux-ci, le vécu de l’individu et sa perception de son environnement influencent fortement le projet résultant de la démarche. Il est donc essentiel de l’impliquer dans le développement de la solution pour pouvoir comprendre son point de vue à chaque étape.

Dans un premier temps, il s’agit de recueillir l’expérience des individus concernés : prendre le temps d’échanger avec eux pour noter les problèmes qu’ils rencontrent, ce qu’ils apprécient dans leur parcours aujourd’hui, ce qu’ils aiment moins, leurs idées pour changer les choses… Cette première démarche permet de comprendre leurs besoins et d’ouvrir la réflexion sur des problématiques qu’ils rencontrent au quotidien.

Au-delà du patient lui-même, cette étape permet aussi de s’interroger sur les proches et les professionnels gravitant autour du patient, pour plusieurs raisons. D’une part, leurs interactions avec les patients impactent directement l’expérience de ces derniers : il est donc essentiel de les rencontrer pour acquérir une connaissance exhaustive des tenants et aboutissants. D’autre part, il est indispensable d’anticiper le retentissement des changements que l’on souhaite proposer sur l’ensemble de l’environnement, au risque de passer à côté de freins majeurs au déploiement de la future solution.

La première étape de notre méthode repose sur l’étude des besoins. Tout le monde s’accorde à dire qu’une innovation utile est une innovation qui répond réellement aux besoins de celles et ceux à qui elle s’adresse. Néanmoins, il est aisé de se baser sur une compréhension erronée ou incomplète de ces besoins. Idées reçues, biais cognitifs, influence de nos croyances personnelles : de nombreux pièges doivent être évités. La seule manière de s’assurer que l’on a bien compris les problèmes, habitudes et contraintes des bénéficiaires du projet… c’est de leur demander directement, en garantissant la neutralité et l’objectivité des méthodes de recueil des informations. Suite au premier atelier, où nous leur avons présenté les outils adaptés, les équipes du Challenge sont donc parties à la rencontre des publics ciblés par leurs projets : adolescents et jeunes adultes, détenus à l’hôpital, professionnels des laboratoires d’analyse médicale, insuffisants cardiaques… Ils ont réalisé que leurs hypothèses étaient incomplètes, voire erronées, et les ont remplacées par des informations objectives, directement issues d’échanges avec les personnes concernées.

 

Une fois les besoins et le contexte compris en profondeur, et seulement une fois que l’on a la certitude que c’est le cas, on peut réfléchir à la solution. Plutôt que d’y réfléchir seul sur un coin de table, nous encourageons les porteurs de projet à travailler en intelligence collective. Pourquoi ?

Parce que cela permet de faire reposer son projet sur une grande diversité de visions complémentaires, ce qui nourrit la créativité et limite certains biais cognitifs[5]. Lors des sessions de réflexion et d’idéation, la co-construction et les échanges de groupe font émerger des idées non seulement plus nombreuses, mais aussi plus originales et plus pertinentes.

Idéalement, les publics à qui le projet est destiné sont invités à s’impliquer dans le projet : leur point de vue s’avère très précieux lors des phases d’idéation, de conception ou de test de la solution. Expertes de leurs propres vécus, ces personnes garantissent que les apprentissages de la première phase ne soient pas oubliés ni déformés et que l’innovation proposé sera bien en adéquation avec les besoins du terrain. Il sera en tous cas indispensable de les solliciter pour la 3e étape de votre travail : le prototypage et le test.

S’ils croient dans votre projet et s’y impliquent dès le début, ils en deviendront naturellement de très bons ambassadeurs ! Vous pourrez d’ailleurs vous appuyer sur leurs témoignages pour communiquer autour de votre projet.

Lors des 2 ateliers suivants, les porteurs de projets ont appris comment organiser et animer des ateliers d’intelligence collective, en s’adaptant aux contraintes inhérentes au système de santé (manque de temps, diversité de profils à mobiliser…).  Nous leur avons fourni des outils clé-en-main pour réussir les phases d’idéation et de conception et aboutir rapidement sur une idée de solution pertinente et originale, dans un format facile à communiquer. Nous avons aussi présenté plusieurs manières de la prototyper et de la tester. Enfin, nous avons travaillé l’aspect gestion du projet futur avec un rétroplanning et un budget prévisionnel.

De manière générale, pour convaincre les décideurs ou candidater à des appels à projets donnant lieu à des financements, il faut démontrer l’adéquation de la solution à un besoin réel et la capacité à porter le projet jusqu’à sa diffusion. Ce sont tous ces éléments que nous avons travaillés avec les participants au Challenge Innovation LallianSe x AP-HP.Sorbonne Université.

Finalement, les usagers de votre innovation sont aussi les seules personnes aptes à vous faire des retours sur l’impact que le changement que vous avez amorcé a eu sur leur expérience ou sur leur vie. Ce sont eux que vous devrez solliciter pour effectuer des mesures d’impact.

Divers indicateurs vous permettront de mesurer l’impact de votre projet sur le patient et sur son quotidien, mais aussi sur ses proches et sur les professionnels de santé impliqués dans son parcours de soins.  Cette démarche vous permettra de communiquer sur les résultats obtenus, mais aussi continuer à ajuster votre innovation en fonction des retours que vous recevrez.

En somme, impliquer les futurs usagers de votre solution et leur écosystème dans la co-création de celle-ci est bénéfique à bien des égards : cela offre non seulement à ces personnes un cadre de confiance et d’écoute qui donne de l’importance à leur vécu, mais cela garantit également la mise en œuvre d’une solution crédible qui leur sera véritablement utile.

Julie Rachline, présidente de l’association LallianSe, précise : À l’issue de l’accompagnement des équipes, le Jury du Challenge Innovation composé de représentants du Groupe Hospitalier AP-HP.Sorbonne Université, de l’Université et de LallianSe ont décidé de récompenser deux projets. Le premier prix a été remis à Sandrine Bottius, coordinatrice de parcours dans le service de transition de la pédiatrie au secteur adulte à la Pitié-Salpêtrière, pour le développement d’un escape game à destination des adolescents et jeunes adultes. Un second prix a été attribué à Axelle Pierre-Joseph, pour son programme original de formation des infirmières à la stomie, intégrant des mécanismes de gamification. Au-delà des dotations financières accordées, les prix incluent un accompagnement LallianSe pendant 6 à 12 mois pour construire et développer le projet. 

Pour LallianSe, immergée au sein de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière depuis 2017, collaborer avec Lowpital pour cette 4è édition du Challenge Innovation est une façon originale de mettre en avant l’innovation et d’impulser des dynamiques nouvelles pour des personnels parfois à bout de souffle. Notre objectif ? Faire émerger des envies, des initiatives et des projets concrets portés par les personnels hospitaliers !

Toutes les équipes ont par ailleurs salué le bénéfice que leur avaient apporté nos ateliers :

“Ces ateliers m’ont apporté toute une ligne directrice sur la conduite d’un projet. J’ai beaucoup apprécié le soutien et cette méthodologie qui nous a été très bénéfique ! »

Cadre de santé

“Cela m’a permis de me recentrer et d’aller d’objectif en objectif et, surtout, de réaliser que mon projet vaut le coup ! »

Infirmière stomathérapeute

« Les ateliers m’ont permis de structurer davantage mon projet et cibler ma problématique pour être au plus proche des besoins.”

Coordinatrice de parcours de soin

Conclusion :

Si les méthodes d’innovation collaboratives se prêtent parfaitement aux enjeux de l’expérience patient, l’impact de leur appropriation par les acteurs du soin dépasse largement ce cadre. En effet, il est aisé d’appliquer ces outils à une grande diversité de projets et de s’en servir comme levier de conduite du changement.  En proposant d’accorder une importance capitale au vécu des personnes, en valorisant toutes les expertises indépendamment des corps de métier, et en ouvrant le champ des possibles, l’approche du design nous invite à repenser nos façons de collaborer. Elle remet au centre des interactions l’empathie, l’humilité et la confiance : des valeurs socles de la relation de soins. Finalement, il s’agit d’offrir aux soignants un cadre dans lequel revenir aux fondamentaux de leur métier, à la fois dans l’objectif des projets et dans la manière de les mener.

En ces périodes de fortes tensions, les établissements pionniers de l’intrapreneuriat soignant et de l’expérience patient ont su activer un précieux levier pour leur réputation et leur attractivité.

Pour aller plus loin :

[1] voir “La certification des établissements de santé en pratique”, par la HAS

[2] définition tirée de l’Institut Français de l’Expérience Patient (IFEP)

[3] podcast Les Transformateurs #20 – Valérie Moulins, produit par Lowpital 

[4] définition adaptée et traduite de “Collaborative innovation in the public sector”, Bommert B., International Public Management Review, vol. 11-1, 2010

[5] Plus d’informations sur les biais individuels vs les biais collectifs sont disponibles dans “Stratégies de réduction des biais de la décision collaborative à distance, vers une auto-régulation émotionnelle. Revue, clarification de la littérature et extension”, par Delphine van Hoorebeke, dans Management International, Volume 23, numéro hors-série, 2019, p.12-26

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