N°2, Novembre 2022
Article rédigé par Sylvain BOUSSEMAERE, Coordonnateur Général des Soins, directeur de la qualité, de la gestion des risques et de la communication, directeur référent COVID19 territorial et directeur référent du responsable de la sécurité du système d’information du GHT des Pyrénées Ariégeoises
Centre Hospitalier Intercommunal des Vallées de l’Ariège et Résidence Jules ROUSSE de Tarascon sur Ariège.
De par sa place centrale dans le système de santé français, l’hôpital est un acteur essentiel des réformes mais force est de constater qu’il est actuellement en crise : crise des vocations, crise des moyens, crise du sens donné à l’action. Si celle-ci existait depuis déjà quelques années, elle s’est renforcée après deux années de pandémie de COVID19 qui a mis la communauté hospitalière à genoux, complètement essoufflée des efforts consentis pour tenir bon et continuer à faire « tourner la boutique ». Que reste-t-il des applaudissements aux balcons au moment de la gestion de la crise COVID? Certes une revalorisation salariale de certains professionnels de santé a depuis été menée mais, déjà prévue par le gouvernement avant l’épidémie, elle n’a pas suffi aux espoirs de reconnaissance des acteurs hospitaliers et n’a pas vraiment permis de modifier le ressenti d’abandon ou le besoin en bras supplémentaires pour améliorer les conditions de travail et de prise en charge des patients. La question posée ici est celle des leviers qui permettraient de sortir de la crise à l’hôpital.
Le système de santé en France et le lancement récent du volet santé du Conseil National de la Refondation
- Définition, qualités et composantes
Le système de santé désigne l’ensemble des organisations, institutions et ressources consacrées aux soins. En France, il regroupe les activités sanitaires, sociales et médico-sociales et s’organise aux niveaux national, régional et local à travers une grande diversité d’acteurs. Selon l’OMS[1], un système de santé inclut toutes les activités dont le but essentiel est de promouvoir, restaurer ou entretenir la santé. Il se distingue d’un système de soins qui est l’ensemble d’éléments organisés et de pratiques coordonnées mis en place pour la prise en charge de la maladie. Le système de santé s’étend lui à toutes les dimensions de la vie sociale.
Les qualités reconnues que doit disposer un système de santé sont en particulier l’accessibilité (financière, géographique), l’acceptabilité (pour les usagers mais aussi pour les professionnels de santé et pour les financeurs), l’efficacité technique et économique (ou efficience).
Les 3 buts essentiels d’un système de santé sont la santé, la réactivité du système de santé aux attentes légitimes de santé et l’équité de la contribution financière. Il est important de bien identifier les piliers essentiels du système de santé afin de pouvoir agir si besoin sur chacun d’entre eux dans le cadre des propositions d’actions à mener pour la refondation du système de santé, même si le prisme ici porté concernera plus spécifiquement l’hôpital. Ce sont notamment les prestations de service, les Ressources Humaines pour la Santé, le financement et le système d’Assurance, le système d’information sur la santé, le système d’approvisionnement et enfin la recherche sur les systèmes de santé.
- Le CNR (Conseil National de la Refondation)
C’est un organisme créé en septembre 2022 ayant pour ambition de revivifier le débat démocratique et faire face aux enjeux forts devant lesquels se trouve le pays. La santé est considérée une thématique importante pour laquelle les professionnels, élus et citoyens sont invités à trouver ensemble des solutions innovantes pour améliorer l’accès à la santé, répondre à des questionnaires et à initier des projets dans leur bassin de vie pour le volet santé du CNR. Pour cela, 4 grands défis ont été identifiés : donner un accès à un médecin traitant ou une équipe traitante pour tous et en particulier aux plus fragiles, garantir la permanence des soins et la réponse aux besoins de soins non programmés, créer une nouvelle alliance pour une politique de prévention dans le quotidien des français et enfin mobiliser les leviers locaux d’attractivité du système de santé.
Points saillants du rapport du Sénat de mars 2022[2] sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France et recommandations pour améliorer la situation actuelle
- Des facteurs humains et financiers responsables de la crise à l’hôpital
- Concernant les facteurs humains :
Les soignants font face à une instabilité accrue des équipes qui érode le sens du collectif, ainsi que la réduction des temps de transmission de consignes entre deux équipes. Les cadres de santé indiquent quant à eux consacrer une part croissante de leur temps aux réaménagements de planning et aux rappels de personnels en repos ou congé pour remplacer les absents et devoir constamment gérer des injonctions contradictoires, entre les exigences de qualité des soins et les contraintes liées au sous-effectif en soignants. Une tension du même ordre est ressentie par beaucoup de cadres de direction.
Les preuves scientifiques [3][4][5] selon lesquelles un effectif infirmier plus élevé est associé à de meilleurs résultats pour les patients – incluant un nombre moins élevé d’infections nosocomiales, une durée de séjour plus courte, de moindres réadmissions et un épuisement professionnel du personnel infirmier plus faible – continuent d’augmenter. Les premières mises en œuvre de politiques de ratio « patients par infirmier » sont intervenues dans les États de Victoria, en Australie, et de Californie, à la fin des années 1990. Depuis, le pays de Galles, l’Irlande et l’État du Queensland en Australie ont mis en œuvre de telles politiques. Étudiant spécifiquement le Queensland, McHugh et al. [3] ont trouvé en 2021 que diminuer d’une unité le ratio « patients par infirmier » en le fixant à 4 pour une journée (et 7 pour une nuit) – comme l’ont fait 27 des 55 hôpitaux du Queensland en 2016 – entraînait une chute de la mortalité à 30 jours de 7 %, une baisse de 7 % des réadmissions dans la semaine, et une durée de séjour 3 % moins élevée. Financièrement, cette stratégie a été payante puisque les 33 millions de dollars australiens dépensés sur deux ans pour employer 167 infirmiers ont permis de gagner 69 millions en coût évités.
En 2006, la Cour des Comptes [6] indiquait que « le ministère de la santé ne dispose pas d’informations fiables sur les effectifs et la répartition des personnels hospitaliers. L’opacité qui en résulte, conjuguée à la méconnaissance du temps de travail médical, ne permet pas une connaissance de l’offre de soins suffisamment précise pour orienter les décisions. […] Les lacunes des systèmes d’information et les imprécisions conceptuelles ne facilitent pas l’appréciation de l’adéquation de la répartition des effectifs à l’activité et aux besoins de santé de la population alors qu’il s’agit bien évidemment d’un sujet majeur. » La situation semble n’avoir que peu évolué depuis ce sévère constat, en dehors d’une statistique annuelle dont les résultats sont mis à disposition avec un délai très décalé dans le temps.
- Concernant les facteurs financiers :
Les tensions qui affectent le système hospitalier s’accentuent alors même que les comparaisons internationales placent plutôt la France parmi les pays qui consacrent le plus de moyens à leurs hôpitaux en proportion de leur PIB, et dont les capacités hospitalières par habitant sont les plus élevées [7].
L’activité hospitalière a augmenté de 9,2 % entre 2013 et 2019, soit une augmentation d’environ 1,3 % par an. Cette progression est nettement supérieure à celle du personnel, qui a augmenté de 1,8 % sur la même période. Les situations sont différentes selon les catégories de personnel. Les effectifs d’aides-soignants salariés de l’hôpital public n’ont augmenté que de 0,7 % entre 2013 et 2019, ce qui est inférieur à la progression de l’activité sur une seule année. Les infirmiers de l’hôpital public ont augmenté de 2 % entre 2013 et 2019, ce qui reste un rythme très inférieur à celui de l’activité. L’augmentation du personnel médical salarié, de 7,6 % de 2013 à 2019, est en revanche plus proche de celle de l’activité. La faible progression des effectifs au regard de l’activité peut dès lors conduire à accentuer les situations de surcharge de travail.
Le niveau plutôt favorable, comparé à d’autres pays, des indicateurs globaux de capacités et de moyens des hôpitaux français masque une situation de pression financière qui s’est accentuée au milieu des années 2010. Celle-ci s’est répercutée sur leur principal poste de dépenses – la masse salariale – avec des effets très sensibles sur les conditions de travail des équipes de soins, dans un contexte d’augmentation continue de l’activité. Cette pression n’est pas tant due, comme on l’entend souvent, à l’introduction de la tarification à l’activité comme mode principal de financement des établissements, qu’à la façon dont celle-ci a été réduite à une simple clef de répartition d’une enveloppe prédéfinie, arrêtée trop indépendamment des tendances lourdes des besoins en soins hospitaliers.
La sans doute trop stricte régulation des dépenses des établissements de santé, faute de capacités de pilotage développées sur les soins de ville, apparaît aujourd’hui comme responsable de retards dans la modernisation et la transformation de ceux-ci et de décrochages multiples dans leurs capacités de soins.
En 2019, plus de la moitié des hôpitaux publics étaient en déficit. Leur dette s’est stabilisée, mais au détriment de l’effort d’investissement, qui s’est réduit de moitié en dix ans, avec pour corollaire, une augmentation continue du taux de vétusté des équipements.
Propositions de 16 recommandations formulées en s’appuyant sur celles du rapport du Sénat [8] pour améliorer la situation actuelle et relever les défis du CNR :
- Mettre en place par le Ministère de moyens de mesure précise et de suivi des postes vacants, des flux de départ, des résultats du recrutement ou des fermetures de lits liées à un déficit en personnel (ne pas se borner à des enquêtes partielles et ponctuelles comme c’était le cas jusqu’à présent)
- Définir un ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie) juste et adapté, considérant les efforts que l’hôpital doit consentir uniquement au regard de ses propres objectifs, sans que les établissements de santé n’aient à compenser les dynamiques des dépenses de soins de ville.
- Adapter la progression nécessaire des effectifs au regard de l’activité afin d’éviter les situations de surcharge de travail
- Renforcer le rôle du cadre de santé en limitant le nombre d’équipes placées sous sa responsabilité et en facilitant son accès à des formations adaptées à ses attributions
- Impliquer le chef de service dans le choix du cadre de santé, même si la décision finale appartient au directeur des soins par délégation du chef d’établissement
- Renforcer les responsabilités et les capacités d’initiative des équipes de soins en donnant aux équipes de soins une prise tangible sur les choix qui les concernent, en assurant une meilleure prise en compte de leurs projets et en accordant à celles qui le souhaitent une réelle marge d’autonomie
- Réévaluer l’indemnité compensatrice pour le travail de nuit, de WE (avec une revalorisation plus importante pour les jours fériés ou des fêtes comme Noël et Nouvel an par exemple) des personnels paramédicaux et en assurer régulièrement la revalorisation
- Relancer la stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail et diffuser les principales préconisations de l’ONQVT (Observatoire National de la Qualité de Vie au Travail) auprès des établissements de santé
- Accentuer la politique de qualité de vie au travail des établissements de santé, notamment par l’amélioration du cadre de travail et la prise en compte des contraintes de logement et de garde de jeunes enfants des personnels hospitaliers
- Alléger la charge administrative des soignants en développant des outils numériques plus performants : question de l’interopérabilité des systèmes d’information, de la délégation de tâches à des secrétaires ou à des techniciens (ou à des personnels en cours de reclassement ou en postes aménagés ?)
- Procéder rapidement à une évaluation des conditions de formation des infirmiers, notamment des modalités de sélection des étudiants en début d’études et de l’adéquation des maquettes de formation aux exigences des métiers (dispositif Parcours Sup à abandonner ou à adapter, alternance et apprentissage à développer)
- Mettre en place des équipes de suppléance, qui permettraient « aux professionnels de s’inscrire et participer aux formations institutionnelles et diplômantes et avec une possibilité de mettre en œuvre leur pratique […] et s’inscrire dans des protocoles de coopération » (développer les protocoles de coopération locaux après accord conjoint des présidents de CME et de CSIRMT)
- Planifier un renforcement significatif du nombre d’infirmiers et d’aides-soignants, développer et valoriser le rôle des infirmiers de pratique avancée à l’hôpital, mettre au point des standards capacitaires en utilisant des outils de mesure objective de la charge en soins et mettre en place un mécanisme d’alerte lorsque le ratio « patients par soignant » dépasse un seuil critique
- En vue d’une montée en puissance du financement à la qualité, faire un bilan des indicateurs existants, de leur adéquation aux différentes catégories d’établissements de santé et, avec la Haute Autorité de santé, mettre à jour les procédures d’évaluation de la qualité mais aussi renforcer les politiques d’intéressement à la qualité pour les équipes de soins
- Renforcer la formation continue, y compris par le tutorat, en l’inscrivant dans des perspectives de carrières plus motivantes (et en y associant les professionnels volontaires proches de la retraite, ou en postes aménagés)
- Garantir un pilotage médico-soignant-administratif dans une gouvernance équilibrée (avec le triumvirat chef d’établissement, le Président de la Commission Médicale d’Etablissement et le coordonnateur général des soins) en revivifiant le rôle des représentants des praticiens et personnels paramédicaux dans les instances de gouvernance, en renforçant l’interaction avec celles-ci et les services de soins et en donnant un rôle accru à la CSIRMT.
Conclusion :
Après une décennie de réformes hospitalières très proches les unes des autres mais aussi une régulation financière déconnectée du terrain et des transformations des besoins de santé, la commission d’enquête du Sénat (2) apporte la conclusion suivante : l’hôpital est indéniablement en souffrance. Mais ce constat ne doit pas conduire à se résigner à ce qui serait un inévitable effondrement de l’hôpital public. Au contraire. La sortie de la pandémie doit être le moment d’un électrochoc pour redresser l’hôpital. Sur la base du diagnostic posé par le rapport du Sénat, il est clair que ce dont l’hôpital a aujourd’hui besoin, ce n’est pas d’une nouvelle loi, c’est de confiance : « L’hôpital doit désormais sortir d’un pilotage erratique et d’un quotidien où soignants et dirigeants ne cessent de courir après le temps et les moyens, de gérer les urgences jusqu’à l’épuisement. Il faut redonner du souffle à l’hôpital, lui donner davantage de liberté et d’autonomie dans son organisation, en lui attribuant des moyens proportionnés aux défis de santé actuels. Redessiner sa juste place au sein du système de soins. Permettre aux soignants de soigner. Donner aux gestionnaires médicaux et administratifs les moyens nécessaires aux projets de transformation ». Puisse le CNR être à l’écoute des acteurs du terrain et redonner la confiance perdue afin que l’hôpital puisse rester attractif, fidéliser ses personnels et mener à bien ses missions de service public.
Pour aller plus loin :
[1] Evaluation de la performance des systèmes de santé, rapport du secrétariat de l’OMS, 14 décembre 2000
[2] Rapport n°587 de Mme Catherine DEROCHE, sénatrice, fait au nom de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France, remis à M. le Président du Sénat et enregistré à la Présidence du sénat le 29 mars 2022
[3] Matthew D McHugh, Linda H Aiken, Douglas M Sloane, Carol Windsor, Clint Douglas, Patsy Yates, « Effects of nurse-to-patient ratio legislation on nurse staffing and patient mortality, readmissions, and length of stay: a prospective study in a panel of hospitals », Lancet 2021; 397: 1905–13.
[4] Aiken LH, Sloane DM, Bruyneel L, et al., « Nurse staffing and education and hospital mortality in nine European countries: a retrospective observational study », Lancet 2014; 383: 1824–30.
[5] Aiken LH, Clarke SP, Sloane DM, Sochalski J, Silber JH, « Hospital nurse staffing and patient mortality, nurse burnout, and job dissatisfaction », JAMA. 2002 Oct 23-30; 288(16): 1987-93.
[6] Cour des comptes, Les personnels des établissements publics de santé, rapport public thématique, mai 2006.
[7] Chiffres OCDE 2020, Eurostat et l’Organisation mondiale de la santé. Cité par Valérie Paris, dans « Les comparaisons internationales des hôpitaux : apports et limites des statistiques disponibles », Revue française d’administration publique, n° 174, 2020, p. 363-384.
[8] Rapport n°587 de Mme Catherine DEROCHE, sénatrice, fait au nom de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France, remis à M. le Président du Sénat et enregistré à la Présidence du sénat le 29 mars 2022