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Peut-on concevoir les politiques de santé pour les jeunes ? Le Docteur Pauline MARTINOT présente les propositions de la mission ministérielle « santé jeunes ».

Article  rédigé pour ManagerSante.com par Pauline MARTINOT, Interne en Médecine ayant un double cursus PhD en Neurosciences. Elle est co-fondatrice de l’association Imhotep et du think thank  « Les Ateliers Mercure ».  En tant qu’experte des sujets d’innovation et de santé publique, elle a été chargée de Mission par le Ministère des Solidarités et de la Santé pour co-rédiger avec Aude NYADANU, Fondatrice de Lowpital, un rapport sur la santé des jeunes remis en Mars 2022.

 

Après la sortie de crise Covid-19 mondiale, les vagues de désespoir concernant le climat, les crises économiques et la guerre sur le sol Européen, un lourd mal-être et une appréhension forte de leur avenir marquent profondément la jeunesse de notre pays.

Lorsqu’on regarde leur santé, ce sont les troubles psychiques et la santé mentale qui empêchent en premier les jeunes de se sentir bien et en bonne santé. Par ailleurs, une fois adultes, les Français sont les plus grands consommateurs de psychotropes (i.e., antidépresseurs, …) et le poste de santé mentale est le premier dans les dépenses de notre sécurité sociale.

Comment l’expliquer ? D’où vient ce mal français ? Et est-ce une fatalité ou pouvons-nous le combattre et faire en sorte qu’on vive en bonne santé dans notre pays ?

En comparaison des autres pays de l’OCDE, les études montrent que les Français se situent en dernière place concernant leur confiance en eux, leur capacité à collaborer avec autrui, et leur confiance en la société, et ce, dès le plus jeune âge (cela a été mesuré à l’âge de 4 ans).

Sur la dernière décennie plusieurs plans prévention de maladies et de dépistage ont vu le jour : dépistage du cancer colorectal, dépistage du cancer du sein, dépistage du portage HPV … La promotion de la santé est la grande absente des projets de santé récents. Or, plus que jamais, mieux se connaître, et pouvoir être autonome sur son bien-être sont essentiels pour être en bonne santé.

En effet, deux éléments fondamentaux pour être en bonne santé – se sentir bien à titre individuel, être capable de réaliser ses projets de vie et se sentir socialement inclus – sont le fait d’avoir un bon niveau d’estime de soi (i.e., l’importance qu’on s’accorde à titre individuel) et le sentiment d’être inclus dans la société ou d’appartenir à un collectif.

Gestion du stress, développement de leur estime de soi, envie de prendre soin de soi… Face au besoin grandissant de développer des projets de prévention et de promotion de la santé ouverts aux jeunes, et de s’adapter à leurs modes de vie et à leurs modes de consommation de l’information, le ministre de la santé,  

Le ministre a rappelé que la communication menée auprès des jeunes par les institutions est un échec, et ne les atteint pas. Ils n’ont en général pas de problèmes liés aux soins ou à une pathologie et ne se sentent donc pas concernés. Le ministre a donc donné trois mois à cette équipe pour déterminer les attentes des jeunes en la matière, en précisant : « Je veux du concret. Vous avez carte blanche ».

Plutôt que d’auditionner uniquement des experts et à la grande surprise de tous, ces jeunes sont allés recueillir les besoins sur le terrain, directement auprès des jeunes et des professionnels qui travaillent avec eux au quotidien.

Au total, l’équipe a auditionné 70 jeunes et 200 professionnels travaillant au contact des jeunes. Qu’est-il ressorti de cet exercice ? Que partir des besoins des jeunes était important. Ils se sont appuyés sur la méthodologie du « design thinking » avec l’aide de designers en santé comme Inès Gravey (Directrice hospitalière et directrice innovation à l’HAD de l’APHP) ou encore Marie Coirié, et l’ont appliquée à la santé. Cette approche permet d’inclure les premiers concernés dans toutes les phases d’un projet, de A à Z. C’est une source de richesse pour penser avec les publics cibles et pour eux.

La méthode a surpris au sein des équipes du ministère. L’habitude est plutôt de se tourner vers des experts pour entamer la réflexion sur un sujet et penser les solutions pour le grand public. Eux ont souhaité faire différemment, en établissant des profils type de jeunes, un peu partout en France, pour s’assurer de rencontrer la diversité de la jeunesse.

Le premier enseignement, c’est l’importance de la méthode. Et après la surprise, le ministère envisage de développer des missions similaires, en complément de ses travaux plus classiques. Selon l’équipe de jeunes, l’implication des citoyens dans le virage du « tout médicalisé » vers la promotion de la santé est un des challenges majeurs des années à venir en santé.

Les principaux retours de terrain au niveau des projets santé sont les suivants :

  • Un travail parfois effectué en doublon par plusieurs administrations manquant de collaboration sur des sujets concernant la même population cible
  • Des difficultés à collaborer entre les différents acteurs de la santé publique
  • Des usagers désireux de s’impliquer
  • Des dispositifs coûteux et qui n’atteignent pas leurs cibles
  • Un besoin fort de s’adapter constamment aux nouvelles manières de consommer l’information en santé

« Actuellement, une vidéo Tiktok ou un Reels d’instagram est désuet passé 10 jours d’existence, tandis que les campagnes de promotion de la santé sont pensées pour être divulguées sur plusieurs mois, et adressées à des populations larges (peu ciblées) »

Dans un monde envahi par le numérique, où toute l’information qu’on reçoit est personnalisée, où les produits et les services viennent jusqu’à nous presque sans effort, il est indispensable que l’État s’aligne sur les attentes des populations cibles.

Pour les jeunes, la promotion de la santé doit être aussi facile d’accès, attrayante, ergonomique. Chaque mesure, chaque dispositif se doit d’être pensé pour être attractif.

Partant de ces 2 constats, une évidence s’impose. Il est indispensable :

  • D’adapter en permanence les dispositifs et messages que l’on adresse aux jeunes
  • De personnaliser ces mesures pour répondre aux attentes de chacun avec une solution sur-mesure.

Sans cela, les institutions seront condamnées à accuser un retard, préjudiciable pour l’impact escompté des dispositifs.

Une méthode participative, s’appuyant sur les principes du design, permettent de construire les dispositifs de santé publique à destination de publics cibles, notamment des jeunes : partir des attentes pour leur proposer des parcours qui leur permettent à la fois d’avoir envie de prendre soin d’eux et d’avoir les outils en main pour le faire.

Sur le fond ensuite, il ressort que les jeunes se sentent très passifs face à leur existence, et donc face à leur santé et face à la société.

Ils estiment que certains problèmes de leur quotidien pourraient être évités si on leur permettait de le faire.

Beaucoup de leurs solutions pourraient être intégrées dès l’école. C’est trop souvent le lieu où ils perdent confiance en eux, mais aussi où ils altèrent leur santé. En étant assis plus de 6 heures par jour dès le CP, ils apprennent à être sédentaires, alors qu’ils ont envie de sortir et de bouger. Ces grosses journées impactent également leur sommeil. Leur rythme ne leur permet pas de respecter les recommandations.

Concernant le sommeil, l’équipe a été fortement surprise de voir à quel point ce dernier est altéré parmi les jeunes Français : de nombreux témoignages rapportent que les jeunes « mettent leur réveil à 2h et 4h du matin pour vérifier leurs notifications sur les réseaux sociaux ». Ils parlent du fait qu’ils sont bien au courant des fruits et légumes à manger chaque jour, mais n’ont aucune connaissance de l’utilité du sommeil sur leur bien-être, leur santé mentale, leur énergie, ni de connaissances sur comment développer un sommeil de qualité.

Les jeunes ont aussi envie de s’engager, de se sentir utiles, mais ont trop peu d’occasion de le concrétiser. Ils ne peuvent pas créer une association avant 16 ans. Beaucoup sont pourtant demandeurs d’un peu plus de liberté et d’autonomie.

En santé, il est temps de sortir du « tout curatif » pour enclencher le virage de la promotion de la santé, et cela sera bénéfique pour tous.

Associer le plaisir aux conseils concrets sur comment prendre soin de soi, fondé sur des preuves scientifiques, peut non seulement être bénéfique pour notre jeunesse mais également pour notre société tout entière.

Il est même inscrit dans l’ADN du Français d’être un vrai « bon vivant », de s’éloigner de la maladie, et de s’approcher du plaisir de vivre, d’un niveau d’énergie nécessaire pour réaliser ses projets de vie, en bonne santé.

Encore faut-il savoir comment s’y prendre concrètement.

Les campagnes de santé nationales déplaisent à l’unanimité : trop négatives, utilisant la peur et les injonctions comme « ne pas faire ci », elles sont décriées par les citoyens, ainsi que par les sciences comportementales. Ces dernières recommandent de partir à la fois des besoins et des freins en santé de populations cibles, et ainsi de travailler à rendre attractif, et intelligible les conseils concrets à implémenter dans son quotidien.

Utiliser le digital s’avère être un atout majeur : il permet cette personnalisation des informations et leur côté attractif lorsqu’elles sont associées à des personnalités inspirantes, suivies par la population cible.

La jeunesse propose de participer à ces projets de communication, et d’être créatif sur comment transmettre les éléments fondamentaux qui permettent de se sentir bien, chaque jour, et de réaliser ses projets de vie. Avec l’association Imhotep en promotion de la santé, on parle des 4 fondamentaux NAPSO que sont la Nutrition, l’Activité Physique, le Sommeil et l’Optimisme.

Enfin, une des recommandations est d’associer les événements de plaisir tels que les festivals, ou encore les Jeux Olympiques et Paralympiques, aux conseils concrets et inspirants pour prendre soin de soi – à condition que ceux-ci soient fiables et fondés sur des preuves scientifiques.

Conclusion :

En somme, co-construire la communication en santé avec les citoyens concernés est la meilleure manière de les toucher et d’agir sur leur bien-être

Plutôt que de penser à la place des jeunes, la mission santé confiée à Pauline Martinot et à ses équipes a surpris par sa méthodologie, utilisant des interviews de jeunes et professionnels sur les besoins et les freins à développer leur confiance en eux, leur bien-être et leur sentiment d’inclusion dans la société.

S’inspirer des besoins identifiés en santé de la jeunesse pour en faire bénéficier chaque citoyen de notre société est une superbe opportunité de faire basculer la culture de la santé, actuellement centrée sur le système de soin, et de la déplacer vers plus d’autonomie, de joie de vivre en pleine santé, qu’est le domaine de la promotion de la santé.

Et cette équipe le confirme : Les Français sont prêts, la France a tout pour réussir et montrer l’exemple de la collaboration entre les institutions et le terrain lors de chaque projet implémenté en santé, et peut certainement inspirer les autres pays à en faire de même.

NB : Représentée par Dr Pauline Martinot et Aude Nyadanu, l’équipe de jeunes volontaires ayant réalisé la mission santé jeunes est composée de Dr Caroline Bevalot, Agathe Boutaud, Jacques-Antoine Caille, Dr Thomas Cantaloup, Tiphaine Detoudeville, Benoit Fagnou, Dr Marie-Mélissa Jasmin, Colin Lenoble, Helen Martinot, Lou Masqueliez.

Pour aller plus loin :

–  Mission Santé Jeunes 2021-2022avec les mentions des 270 personnes auditionnées – Document

–   Synthèses de la “Mission Santé Jeunes 2021-2022” – Slides

–   Yann Algan Elise Huillery – Note sur « Confiance et Collaboration au XXIe siècle « 

–    Christine Ferron (FNES) – “Estime de soi des enfants et adoles

cents, que peut faire l’école ? « 

–   Conseil Scientifique de l’Education Nationale – « Mieux dormir pour mieux apprendre «    

Biographie de l'auteure : 

Interne en Médecine et double cursus PhD en Neurosciences, Pauline MARTINOT a co-fondé l’association Imhotep, pour transformer le savoir médical et académique en communication encourageante, dynamique et positive pour le grand public.
Déterminée à développer des projets interdisciplinaires dans le milieu de la santé et à conseiller les décideurs politiques sur ses innovations, elle a co-fondé en 2019 et présidé le Think Tank Les Ateliers Mercure, rassemblant aujourd’hui 70 jeunes professionnels, patients, et entrepreneurs dans le soin.
Avec Imhotep, nous invitons les professionnels de santé (médecin, dentiste, pharma, infirmier, kiné, Sage femme, chercheurs) à travailler avec des spécialistes du travail du texte et de l’art oratoire (humoristes, standupper, éloquence) et avec des sportifs de haut niveau pour réinventer une communication positive en santé en France et donner envie au grand public de prendre soin de lui, facilement, et avec fun !
Débordante d’énergie, curieuse, bosseuse et dynamique, elle encourage en permanence ceux qui m’entourent à être confiants, à développer leurs talents et à avoir le plus d’impact positif possible sur nos sociétés.
En 2019, elle a démarré une thèse de Neurosciences appliquées à l’apprentissage du langage et des mathématiques à l’école primaire, pour aider à comprendre la physiopathologie de la dyslexie et de l’hyperlexie, grâce aux IRM fonctionnelles et aux macro-données. J’ai reçu une bourse de la Fondation pour la Recherche Médicale à cet effet.

Article  rédigé pour ManagerSante.com par Jean-Pierre DIDIER, professionnel de santé, consultant en projets de développements organisationnels, humains et de valeur d’usage globale.

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initiées par l’Association Soins aux Professionnels de Santé 
en tant que partenaire média digital

 Parce que les soignants ont plus que jamais besoin de soutien face à la pandémie de COVID-19, l’association SPS (Soins aux Professionnels en Santé), reconnue d’intérêt général, propose son dispositif d’aide et d’accompagnement psychologique 24h/24-7j/7 avec 100 psychologues de la plateforme Pros-Consulte.

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