Article rédigé par notre nouvelle experte, Florence TANTIN, Directrice d’Hôpital honoraire, Auteure, Executive MBA, NEOMA Business School, Coach certifiée professionnelle et personnelle MHD
Co-auteure de l’ouvrage « Santé & Management » (Juillet 2021), sous la direction de Jean-Michel HUET et d’Arlette PETITJEAN.
N°03, Mai 2022
La pandémie de maladie à CORONAVIRUS de 2019 a relancé le débat de la place des collectivités locales dans le système de santé. En effet, prenant de court, dans un premier temps, les autorités de l’Etat et leurs représentants, principaux acteurs du système santé en France, elle a amené les collectivités locales à répondre aux besoins des populations de leur territoire (vaccinations, dépistages, lien hôpital et domicile, masques…).
Dans ce contexte, dépassant les revendications jusqu’alors portées sur la gouvernance des hôpitaux [1], les collectivités territoriales ont mis en avant leur légitimité à être plus impliquées dans l’organisation du système de santé face à un Etat qu’elles ont estimé défaillant compte tenu des enjeux.
Il devient alors nécessaire de s’interroger dans un premier temps sur les fondements sur lesquels les collectivités locales font reposer traditionnellement leur légitimité, les attentes qu’elles en retirent et les réponses apportées.
Mais cette légitimité est-elle bien celle attendue des parties prenantes au système de santé compte tenu des évolutions perceptibles ? ce sera l’objet de la deuxième partie qui sera abordée dans un prochain article.
La légitimité des collectivités locales dans le système de santé repose traditionnellement sur les fondements suivants :
La France a retenu le modèle de démocratie représentative au sein de laquelle les citoyens délèguent leurs pouvoirs à des élus par un vote au suffrage universel[2]. Le mandat ainsi confié est général, libre et non révocable.
Ce modèle a été décliné au niveau des collectivités territoriales, par l’article 72 de la constitution qui consacre ainsi une organisation décentralisée de la République [3].
Elles s’administrent « librement par des conseils élus qui disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences ».
Compte tenu de l’accroissement des responsabilités des élus locaux, le renforcement de leur légitimité s’est effectué également par l’adoption d’un statut particulier de l’élu local[4].
La Constitution donne aux collectivités territoriales « vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ».
C’est la loi qui détermine les compétences des collectivités territoriales et celles-ci ne peuvent intervenir dans les domaines qui relèvent de la souveraineté nationale ou d’une autre collectivité. Relevons d’ores et déjà que si le 11e alinéa du préambule de la Constitution de 1946[5] confie la responsabilité de la protection de la santé à l’Etat[6], la santé n’est cependant pas considérée comme étant une compétence régalienne et peut donc être décentralisée.
Elles disposent à titre expérimental et dans certaines conditions « d’un droit à déroger aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences ».
Si la commune bénéficie toujours de la clause de compétence générale[7], elle a été supprimée pour les départements et les régions par la loi NOTRe[8].
On pourrait synthétiser la répartition des compétences entre les collectivités territoriales comme suit :
LES COMMUNES : principalement axées sur leur pouvoir de police, l’hygiène, l’alimentation, l’habitat, l’environnement et la création de centres de santé ou des aides pour l’installation des professionnels de santé, la gestion des écoles préélémentaires et élémentaires…
LES DEPARTEMENTS : principalement sur le champ de la prévention et de la solidarité (action sociale et médico-sociale). Recueil d’informations en épidémiologie et santé publique, infrastructures, gestion des collèges…
LES REGIONS : développement économique et aménagement du territoire, formation professionnelle, gestion des lycées, définition et mise en œuvre d’objectifs particuliers à la région en matière de santé[9]
COMPETENCES PARTAGEES ENTRE LES COLLECTIVITES : Sport, tourisme, culture, promotion des langues régionales, éducation populaire
LES INTERCOMMUNALITÉS OU COMMUNAUTES DE COMMUNES OU METROPOLES :[10]instruments d’une meilleure organisation territoriale et de développement économique local.
On peut donc constater que même si sur le plan de la santé, l’Etat est titulaire, d’une compétence de principe sur le plan sanitaire, les collectivités territoriales n’en sont pas exclues.
Elles ont par ailleurs un pouvoir d’influence qui s’exerce par :
– La concertation obligatoire des élus inscrite dans le code la santé publique[11], sur l’organisation territoriale des soins. Cet article vient compléter l’article 24 de la loi du 4 mars 2002[12].
– Les conseils territoriaux de santé[13], auxquels participent les collectivités territoriales, les députés et sénateurs, ont vu leurs compétences plus étendues y compris en cas de crise sanitaire,
– Elles peuvent intervenir par la voie des contrats locaux de santé conclus avec l’ARS[14] pour la mise en œuvre du projet régional de santé ou de coopérations avec des établissements de santé.
Le territoire et les vertus de la proximité :
Le territoire, n’est pas seulement un espace institutionnel, il est un lieu de vie, de dialogue et d’écoute des habitants où la notion de proximité prend toute sa mesure. Ainsi, traditionnellement la commune était considérée comme « le premier référent des citoyens »[15] dans la sphère de l’action publique.
Puis, pendant des décennies, la notion de proximité a eu des qualifications négatives (appréhension trop étroite des problématiques, manque de hauteur de vue ou de recul, archaisme, etc.). L’Etat a été considéré comme le mieux à même d’assurer l’égalité d’accès aux soins et à la santé. Principe réaffirmé par la loi n° 2004-806 du 9 août 2004
Par ailleurs, le contexte a été celui de la prévalence d’une logique de rationalisation de la gestion, d’amélioration de la productivité entrainant concentration du pouvoir. La loi HPST dans le domaine de la santé en a été le reflet[16]. En effet, si l’Etat reconnaissait le territoire régional comme étant le mieux adapté aux besoins des populations, il en faisait surtout un outil de déconcentration sans pour autant en tirer toutes les conséquences, notamment pour ses services déconcentrés.
La crise sanitaire est venue démontrer la puissance de la proximité qui a permis une mobilisation et créativité des acteurs de terrain et en particulier des collectivités locales[17].
Mais c’est aussi la permanence des inégalités sociales[18] dont les déterminants sociaux sont à l’origine, et territoriales de santé[19] qui prouvent également la nécessité d’une approche au plus près des besoins des usagers et faisant appel à une conception de la santé plus large que le soin.
Dans ce contexte, les collectivités territoriales souhaitent renforcer leur légitimité sur la gouvernance du système de santé mais aussi sur la définition et la mise en œuvre de la politique de santé territoriale.
Les attentes des collectivités territoriales dans le domaine de la santé sont différenciées ou se rejoignent sur certains points :
- Face à l’hypercentralisation de la décision au sommet de l’Etat, une déconcentration effective de l’action de l’Etat est demandée par l’ensemble des collectivités territoriales. Le préfet serait « le patron en matière de santé et aurait plus de latitude vis-à-vis de l’ARS [20]qui devra déléguer le pouvoir de décision au niveau de ses services départementaux
- En ce qui concerne la décentralisation, les positions sont variables suivant l’organisation ou la catégorie de collectivité concernée.
– Parmi les « 50 mesures pour le plein exercice des libertés locales [21]» proposées par le Sénat, celles concernant la santé consistent à confier la gouvernance de l’agence régionale de santé à la région et la totalité du bloc médico-social au département.
– L’AMF[22] demande que dans le domaine de la santé « les maires soient à nouveau présidents des conseils d’administration des hôpitaux, que les collectivités puissent investir dans les établissements de santé, à condition que ce soit un transfert de compétences compensé financièrement ».
– L’association des communautés de France et France urbaine prône « l’alignement des périmètres sanitaires (les GHT[23] notamment) sur ceux des collectivités locales, le renforcement du rôle des élus locaux dans la gouvernance hospitalière et des CPTS[24], la généralisation des contrats locaux de santé et le renforcement de leurs ingénieries d’animation et de coordination ainsi que le déploiement et le soutien des conseils locaux de santé mentale ».
– L’Assemblée des départements de France demande la gestion totale du bloc médico-social, confirmant ainsi son rôle de chef de file en matière de solidarité. Cette requête rencontre l’opposition des professionnels du secteur[25].
– Les présidents de région souhaitent obtenir une place plus importante dans le domaine de la santé dans une acception plus large qui prendrait en compte ses compétences sur les volets économique, transport, formation, installations d’entreprises ou évolution du territoire. Dans ce cadre ils revendiquent une co-présidence des conseils de surveillance des ARS appelés à devenir des conseils d’administration ainsi que la co-élaboration des projets régionaux de santé au lieu de simplement « financer les murs d’hôpitaux ou de maisons de santé »[26]. Ils aimeraient également pouvoir donner leur avis sur la nomination des directeurs généraux d’ARS
En résumé, si les collectivités territoriales s’entendent pour une répartition plus claire des compétences fondée sur le principe de subsidiarité reconnu par l’article 72 alinéa2 de la Constitution[27] , une plus grande visibilité dans leurs relations avec l’Etat et ses services, une déconcentration des services de l’Etat parachevée pour plus d’efficacité, elles semblent plutôt vouloir s’orienter vers une co-construction des politiques publiques plutôt qu’une décentralisation, sans doute en raison des enjeux financiers et de santé publique particulièrement importants.
Des réponses partielles ont été apportées par la loi :
- L’organisation territoriale de la France est marquée par des révisions constitutionnelles et de nombreuses réformes législatives qui portent des objectifs de territorialisation de l’action de l’Etat, de dialogue avec les acteurs des territoires concernés et notamment les collectivités territoriales, de simplification et clarification de cette organisation tout en manifestant une certaine réticence à se dessaisir de ses pouvoirs en matière de santé, en dépit de la pression exercée par l’ensemble des acteurs du système de santé suite à la COVID-19.
Ainsi la loi 4DS[28], ne répond que partiellement aux attentes des collectivités territoriales en matière de gouvernance des agences régionales de santé ou de contribution aux politiques de santé.
Toutefois, il faut souligner l’article L1110-1 du code de la santé qui reconnait pour la première fois, que les collectivités territoriales et leurs groupements contribuent également « dans le champ de leurs compétences respectives fixées par la loi à développer la prévention, garantir l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible »
- Les différentes lois intervenues dans le domaine de la santé depuis la COVID-19[29], si elles affirment la nécessité de doter la France d’un système de santé publique adapté aux enjeux, après avoir cherché à réduire la place des élus locaux dans la gouvernance du système de santé jusqu’à la crise de la COVID, ne fait que leur permettre d’intervenir ponctuellement dans les politiques de santé ou alors sous le contrôle de l’Etat, l’animation territoriale étant conduite par les ARS qui délimitent les territoires de démocratie sanitaire à l’échelle infrarégionale et constituent les conseils territoriaux de santé.
En conclusion :
En conclusion sur cette partie, la légitimité des collectivités locales dans le domaine de la santé est revendiquée par les collectivités territoriales, affirmée par l’Etat[30]. Dans les faits, elle se heurte aux réticences de l’Etat, plutôt centré sur les professionnels de santé et l’usager, à en tirer toutes les conséquences utiles. Mais c’est aussi la difficulté pour les collectivités territoriales à se positionner de façon concertée et dans une approche plus globale de la santé que la gouvernance, sans doute, par manque de garantie sur les financements nécessaires, parce que l’organisation territoriale générale de la France constitue actuellement un enjeu important en débat. Cependant, le pouvoir réglementaire des collectivités[31] ainsi que le pouvoir d’expérimentation accordé avec plus de souplesse par la loi organique du 19 avril 2021 sont des facteurs d’évolution.
Par ailleurs cette concurrence Etat-collectivités territoriales masque le fait que la légitimité telle que se la représentent les collectivités territoriales est mise à l’épreuve de la représentation que s’en font les autres parties prenantes au système de santé comme les usagers et les professionnels de santé.
Ce qui amène à se poser la question suivante : la légitimité des collectivités territoriales dans le système de santé est-elle bien celle que l’on croit ? Ce sera l’objet de la 2ème partie de l’article à venir.
Pour aller plus loin :
[1] en particulier depuis la loi Hôpital patients et territoire du 21 juillet 2009
[2] Article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958[2]
[3] Les collectivités territoriales sont définies comme étant notamment « les communes, les départements, les régions », le législateur pouvant créer d’autres collectivités en lieu et place de ces collectivités
[4] A travers plusieurs lois accordant droits et garanties notamment : Loi ATR du 5 février 1994, Loi du 27 février 2002, loi du 14 février 2014
[5] « La nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé »
[6] Principe réaffirmé par l’article L 1411-1 du code la santé publique,
[7] La clause de compétence générale permet aux collectivités territoriales d’intervenir dans toutes les matières d’intérêt public local sans être limitées dans une énumération de compétences, dès lors qu’elles n’empiètent pas sur les compétences attribuées par la loi à l’Etat ou à une autre collectivité territoriale, l’intérêt public local étant vérifié par le juge
[8] Loi portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe) du 7 août 2015 avait notamment pour objectif de clarifier les compétences des collectivités territoriales
[9] Article L1424-1 du code de la santé publique, à condition d’en informer au préalable le représentant de l’Etat dans la région et le directeur général de l’ARS
[10] Les communes peuvent mettre en commun, sur la base du volontariat, sans condition de disparition, la gestion de certains services ou l’élaboration de politiques, sous forme de syndicats intercommunaux ou communautés urbaines ou communautés d’agglomération, communauté de communes, métropoles
[11] Article L 1435-15 : Afin d’assurer une bonne coordination de l’action des collectivités territoriales et des agences régionales de santé, dans chaque département, les élus sont concertés sur l’organisation territoriale des soins au moins une fois par an par le directeur général ou le directeur de la délégation départementale de l’agence régionale de santé. Les élus peuvent demander à inscrire une question à l’ordre du jour. Ils peuvent, en outre, solliciter l’organisation d’une réunion spécifique lorsque les circonstances le justifient ».
[12] Loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui prescrit l’organisation, chaque année, d’un débat spécifique au parlement sur les orientations de la politique de santé pour l’année suivante.
[13] Conseils territoriaux mis en place par la loi n°2016-41 de modernisation de notre système de santé et son décret d’application n°2016-1024 du 26 juillet 2021, modifié par le décret du 28 juin 2021
[14] Agence régionale de santé mise place par la loi HPST
[15] Élu de proximité… entretien avec Jean-Pierre Sueur, maire, 1er janvier 2001
[16] CF Article « Quel avenir pour les agences régionales de santé », Florence Tantin, décembre 2021, Manager santé
[17] Selon une enquête publiée le 23 juillet 2021, le lien de confiance entre une majorité de français avec plus particulièrement leurs maires (74%) mais aussi les conseillers départementaux (57%) et régionaux (54%) s’est conforté voir amélioré. « Les personnes interrogées, prônant plus de décentralisation, se disent d’abord motivés par une prise en compte des réalités différenciées du territoire (35%), par une proximité renforcée entre les décisionnaires et les citoyens (33%) et par une rapidité accrue dans la prise de décisions (33%) ».
[18] Santé Publique France, Les inégalités sociales et territoriales de santé, 17 mai 2021
[19] (accès aux services, ou à l’emploi, disparités de qualité de vie, d’environnement et de travail)
[20] Table ronde organisée le 11 mars 2021au Sénat sur « initiatives des collectivités en matière de santé »
[21] Rapport « 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales » élaboré par Philippe Bas et Jean-Marie Bockel du 2 juillet 2020
[22] Interview du nouveau président de l’Association des maires de France sur France Bleu le 18 novembre 2021
[23] Groupements hospitaliers de territoire
[24] Communautés professionnelles territoriales de santé
[25] Non à la gouvernance exclusive des conseils départementaux sur le secteur médico-social, communiqué de presse des principales fédérations représentatives du secteur du grand âge (AD-PA, CNDEPAH, FEHAP, FHF, FNADEPA, FNAQPA, SYNERPA, UNIOPSS), 2 juillet 2021. par crainte principalement de la rupture de l’équité territoriale et du lien avec le secteur sanitaire et social
[26] François Bonneau, vice-président de Régions de France et président de Cantre Val-de-Loire, 1er mars 2021
[27] Principe de subsidiarité selon lequel les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon
[28] Loi 4DS du 21 février 2022 pour différenciation, décentralisation, déconcentration, décomplexification transforme le conseil de surveillance des agences régionales de santé en conseils d’administration dont deux des trois vice-présidents seront des élus locaux et permet aux collectivités de financer les établissements de santé ainsi qu’aux communes intercommunalités et aux départements de recruter des professionnels de santé pour les affecter à leurs centres de santé. Elle permet également aux départements de contribuer à la politique publique de sécurité sanitaire par l’intermédiaire notamment de leurs laboratoires d’analyse
[29] La stratégie nationale de santé inscrite dans la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, la stratégie nationale de santé 2018-2022 qui a fait l’objet de la loi n°2019-774 du 24 juillet 2019
[30] « Chacun ressent à quel point l’action publique locale est décisive. Au jour le jour, maires, intercommunalités, départements et régions démontrent en effet leur caractère indispensable, aux côtés des services de l’Etat, pour répondre aux besoins de nos concitoyens, construire des milliers de projets et, plus largement, accélérer les grandes transitions écologiques, économiques et sociales de notre époque ». Jacqueline Gouraud, Ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, Éditorial du dossier de presse pour la présentation du projet de loi 4D, mai 2021.
[31] , renforcé par la loi 4DS
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