Article publié par notre expert, le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctorat, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine).
Auteur de plusieurs ouvrages sur la Télémédecine, il vient de co-rédiger le 07 Avril 2021, aux éditions Elsevier Masson un nouvel ouvrage intitulé « Télémédecine et télésoin : 100 cas d’usage pour une mise en oeuvre réussie ».
Il est également co-auteure d’un chapitre de l’ouvrage collectif de référence publié depuis le 04 Octobre 2021, sous la direction de Jean-Luc STANISLAS chez LEH Edition, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins » .
N°50, Février 2022
La collaboration "ville-hôpital" est en débat depuis de nombreuses années.
I had a dream…. Nous sommes en 2030… Lors de la dernière élection présidentielle, le nouveau président élu en 2027 s’est engagé à donner une nouvelle impulsion à la coopération entre les professions de santé. La plupart des soins délivrés aux usagers de la santé sont désormais pluriprofessionnels. C’est le cas en particulier pour les 20 millions de Français atteints de maladies chroniques. Ils représentent 80% des dépenses de l’Assurance maladie obligatoire (AMO). L’organisation des parcours de santé et de soins a considérablement changé grâce à l’usage du numérique et de l’IA.
Le nouveau président souhaite que les ordres nationaux des professions de santé soutiennent l’évolution du système de santé. Il encourage la création d’ « une fédération des ordres professionnels en santé » (FOPS) pour mieux accompagner la transformation du système de santé. La coopération entre toutes les professions de santé est devenue une évidence pour accompagner un parcours de vie, de santé ou de soins, en particulier chez les patients atteints de maladies chroniques. Tout doit être fait pour que le meilleur service soit rendu aux usagers de la santé. La coopération interprofessionnelle a toujours été l’objectif fixé par les gouvernements successifs depuis près de 20 ans. Le nouveau président pense qu’il faut un geste fort de la part des ordres professionnels pour qu’elle devienne une réalité pérenne.
Il faut en effet mettre un terme aux dernières résistances au changement, où chaque profession de santé, par la voix de ses représentants syndicaux, défend encore pied à pied une totale indépendance d’exercice professionnel dans les parcours de santé et de soins. Ces pratiques en silo créent parfois des situations ubuesques, comme la pratique d’examens redondants. La Cour des Comptes a maintes fois dénoncé ce gâchis financier depuis 20 ans. Certains professionnels refusent toujours de verser dans le DMP de Mon Espace Santé (MES) de l’usager les comptes rendus de leurs interventions. Alors que c’est un moyen évident d’éviter la redondance d’examens inutiles. De plus, si tous les professionnels engagés dans le parcours d’un patient sont bien informés, la qualité de la prise en charge ne peut être que meilleure.
Les pouvoirs publics estiment que l’heure est venue de consolider ces nouvelles pratiques. Ils demandent aux Ordres de jouer pleinement leur rôle de médiation et ne plus apparaître aux yeux de l’opinion comme une caisse de résonnance de certaines positions syndicales. La nouvelle Fédération que le nouveau président appelle de ses voeux devrait veiller à ce que les avis donnés ne soient plus le relais de revendications lobbyistes.
Les Ordres professionnels doivent parler au nom de l’intérêt général des usagers de la santé et ainsi contribuer à ce que le système de santé du 21ème siècle soit le plus efficient possible et de grande qualité clinique et humaine. La Fédération doit exercer ce rôle de médiateur pour aplanir les divergences qui ne manquent pas d’apparaître ou de persister au sein des diverses professions de santé.
Une Fédération des Ordres professionnels de santé ne pourrait-elle pas être cette nouvelle structure qui soutiendrait la coopération entre les professionnels de santé ?
La quinzaine d’ordres nationaux (ils étaient 7 en 2021), ceux qui ont des actes décrits dans le CSP, tout en conservant leur identité par métier de la santé, pourraient désormais conduire leur mission au sein d’une Fédération qui serait le seul représentant officiel des professions de santé auprès des pouvoirs publics. Le ministère de la Santé ne demanderait plus l’avis de chaque ordre, mais uniquement celui de la Fédération.
Cette nouvelle Fédération nationale des professions de santé devrait revoir les codes de déontologie pour les adapter à cette approche de la santé au 21ème siècle, plus personnalisée, plus préventive, plus participative, plus collective, plus éthique, plus humaine. Ce nouveau Code, qui serait élaboré par la FOPS, aurait des chapitres communs à toutes les professions de santé, comme les devoirs généraux des professionnels de santé, les devoirs des professionnels de santé envers les patients, les rapports des professionnels de santé entre eux. Chaque profession pourrait conserver un chapitre spécifique à l’exercice de son propre métier.
La représentation de chaque ordre professionnel au sein de la FOPS serait paritaire. Elle veillerait à ce que la représentation soit équilibrée entre les professions exercées en ville et celles exercées en établissements de santé, entre les libéraux (devenus minoritaires en nombre) et les salariés, entre les hommes et les femmes. Une coopération renforcée entre les professionnels de la ville et ceux des établissements de santé (publics et privés) serait une des priorités de la FOPS.
Il y aurait une réplication de l’organisation de la fédération nationale au niveau des 16 régions françaises. Les représentants régionaux seraient élus tous les trois ans par les fédérations départementales. La représentation au sein de la fédération régionale serait également paritaire. Chaque fédération régionale désignerait tous les 3 ans un représentant de chaque profession pour siéger au niveau de la fédération nationale. La fédération régionale gèrerait sur le plan disciplinaire les conflits et fautes professionnels.
Les représentants des professions de santé au sein des fédérations départementales seraient également élus pour trois ans. La fédération départementale des ordres aurait pour mission principale d’être fortement engagée dans la mise en place et le fonctionnement des parcours et chemins cliniques au sein des territoires de santé, aux côtés des CPTS et des GHT.
Comment la coopération entre professionnels de santé dans les parcours de santé et de soins pourrait-elle être soutenue par les ordres réunis ?
Le parcours des patients au sein des territoires s’est amélioré depuis la transformation numérique (réussie) du système de santé. Chaque professionnel de santé, dans sa compétence propre, y contribue. La coordination des parcours de soins est toujours sous la responsabilité des médecins traitants, celle des parcours de santé et de vie sous la responsabilité des IPA dont le nombre est passé de 5000 à 45 000 en 10 ans. Le nombre est désormais suffisant pour que cette profession d’infirmier et d’infirmière, spécialisée dans le suivi des patients atteints de maladies chroniques et dans d’autres pathologies, comme l’insuffisance rénale chronique dialysée et transplantée, le diabète, le cancer, la maladie mentale, etc., ait un rôle essentiel dans notre système de santé, dans les différents parcours de patients, au côté des professionnels médicaux libéraux et salariés avec lesquels la coopération devient de plus en plus étroite.
L’IPA soulage désormais le médecin traitant et le médecin spécialiste de plusieurs taches, en particulier celle de suivre tous les trois mois les patients atteints de maladies chroniques. Les IPA ont la délégation du renouvellement d’ordonnance lorsque le patient est stabilisé dans sa maladie chronique. Comme les maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) l’ont déjà mis en place il y a 30 ans avec les infirmiers et infirmières dites « asalées », ce sont désormais les IPA qui assurent ce suivi. Le médecin traitant ne les voie en consultation qu’une fois par an, sauf si l’IPA lui demande une consultation. Le rôle de l’IPA est aujourd’hui inscrit dans les chemins cliniques de plusieurs pathologies chroniques comme le diabète, la maladie rénale chronique, l’insuffisance cardiaque chronique, le cancer, les maladies mentales, etc.
Les ordres, réunis au sein de la Fédération, veillent à ce que chaque professionnel de santé engagé dans un parcours agisse dans le périmètre de son rôle propre, coopère avec les autres professions de santé et contribue à cette coopération en versant dans le DMP ses propres comptes-rendus. Cela devrait devenir une obligation déontologique.
La transformation numérique du système de santé a-t-elle un impact favorable sur les coopérations interprofessionnelles ?
Le nouveau plan numérique mis en place entre 2019 et 2022 dans le cadre de la loi OTSS (« Ma santé en 2022) a été un succès et la France est devenue leader européen du numérique en santé.
Depuis 2025, tous les citoyens français, sans exception, ont un accès à internet. Ils ont pu créer leur espace santé (MES), s’ils le souhaitaient. Les déserts numériques, qui ont tant pénalisé le développement de l’e-santé au cours des 20 dernières années, ont totalement disparu. La fibre optique est accessible dans tous les foyers sur tout le territoire national. Une médiation numérique a été mise en place pour les personnes en situation d’illectronisme, en particulier celles qui sont âgées et handicapées.
Chaque citoyen a pris l’habitude de gérer ses propres données de santé dans le DMP de MES, en toute confiance car la plateforme de l’Etat garantit leur confidentialité. L’usager de MES a appris à communiquer par messagerie sécurisée (MSS) avec les différents professionnels de santé impliqués dans son (ses) parcours. Le médecin traitant peut coordonner les parcours de soins grâce au DMP qui reçoit tous les comptes-rendus des interventions professionnelles. L’IPA spécialisée dans la prévention des facteurs de risque peut aussi l’utiliser pour coordonner les parcours de vie et de santé.
Les CPTS, tant décriés lors de leur création en 2018, sont un vrai succès. La plupart des territoires de santé en ont. On en dénombre en 2030 plus de 3000 sur l’ensemble du territoire national. Les professionnels de santé avaient réellement besoin de se retrouver au sein de telles structures pour coopérer au sein du territoire de santé.
Leur action a mis fin au nomadisme médical de certains patients, à la recherche d’un médecin traitant disponible. Comme les médecins de soin primaire ont été soulagés de certaines charges par les IPA, ils ont retrouvé la disponibilité d’accueillir de nouveaux patients à la demande des CPTS. L’abandon du numérus clausus en 2020 a également un effet favorable avec une augmentation de 15% du nombre de médecins généralistes. La coopération interprofessionnelle a donné une image plus attractive du difficile métier de médecin de soins primaires.
Les GHT sont également un succès, d’autant que leur gestion est devenue plus médicalisée. Le recrutement des professionnels de santé hospitaliers a repris après la fin de la crise sanitaire due à la Covid-19. Grâce à un considérable effort de transformation architecturale des établissements de santé, dont le financement par l’Etat a été lancé en 2021 (19 Mds d’euros), les établissements de santé publics sont redevenus attractifs, grâce à des organisations professionnelles innovantes et des équipements techniques performants, centrés davantage sur l’ambulatoire que sur l’hospitalisation traditionnelle. Grâce également à une amélioration du système d’information, la coopération avec les professionnels de ville est devenue une réalité.
Toutes ces structures, sans oublier les établissements médico-sociaux, ont bénéficié du programme de transformation numérique lancé en 2019.
Les coopérations interprofessionnelles ont-elles été améliorées par le développement de l'e-santé et des pratiques de télésanté ?
Tous les logiciels métiers des professionnels de santé sont devenus interopérables entre eux, en ville comme dans les établissements de santé ! Belle réussite du programme conduit entre 2019 et 2022. C’était véritablement le talon d’Achille du système de santé français qui faisait de la France au début du 21ème siècle un « tiers-monde » numérique. Tout est rentré dans l’ordre à partir de 2025. Les professionnels de santé, qu’ils soient en ville ou dans les établissements de santé, communiquent désormais entre eux facilement par messagerie sécurisée. Les usagers de la santé communiquent avec leurs professionnels de santé par la messagerie sécurisée de MES.
Les usagers de la santé et les patients disposent dans le « magasin » (store) de MES d’applications numériques qui peuvent les aider à s’éduquer en santé, à s’autosurveiller, à prévenir les facteurs de risque. Ils sont aidés dans leur choix par les professionnels médicaux, les pharmaciens et les auxiliaires médicaux.
Les professionnels médicaux, les pharmaciens et les auxiliaires médicaux disposent également au niveau de cet espace numérique en santé des outils nécessaires pour réaliser des téléconsultations, des téléexpertises, des télésoins, des télésurveillances de maladies chroniques. Les pratiques à distance de télésanté sont utilisées avec le consentement des usagers et des patients. Elles alternent avec les actes en présentiel qui restent majoritaires dans les parcours de santé et de soins.
Finalement, grâce aux formations professionnelles du développement continu (DPC) et les formations académiques des nouveaux professionnels, ces nouvelles pratiques font désormais partie de tous les métiers de la santé. Grâce à la plateforme nationale qui gère le DPM, la coopération interprofessionnelle a été considérablement simplifiée et efficace. Les usagers et les patients le disent lorsqu’ils sont interrogés par les instituts de sondages…
Is it really a dream ? Maybe not !
Nous remercions vivement le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine) , auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine, pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com
Biographie de l'auteur :
Son parcours : Président de la Société Française de Télémédecine (SFT-ANTEL) de janvier 2010 à novembre 2015, il a été de 2007 à 2009 Conseiller Général des Etablissements de Santé au Ministère de la santé et co-auteur du rapport sur « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins » (novembre 2008). Il a été Praticien hospitalier néphrologue de 1974 à 2007, chef de service de néphrologie-dialyse (1974/2007), président de Commission médicale d’établissement (2001/2007) et président de conférence régionale des présidents de CME (2004/2007). Depuis 2015, consultant dans le champ de la télémédecine (blog créé en 2016 : telemedaction.org).
Sa formation : outre sa formation médicale (doctorat de médecine en 1970) et spécialisée (DES de néphrologie et d’Anesthésie-réanimation en 1975), il est également juriste de la santé (DU de responsabilité médicale en 1998, DESS de Droit médical en 2002).
Missions :accompagnement de plusieurs projets de télémédecine en France (Outre-mer) et à l’étranger (Colombie, Côte d’Ivoire).
avril 2007, Gazette du Palais 2007
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