Nouvel Article pour notre plateforme média ManagerSante.com, rédigé par notre nouvelle experte-auteure, le Docteur Juliette HAZART, Médecin addictologue, nutritionniste, coach certifiée en cohérence cardiaque.
Consultante en santé. Formatrice DPC. Rédactrice santé. Elle est également responsable du programme de communication au service du management de projet (Université de Lorraine, Nancy).
N°2, Octobre 2021
La crise sanitaire a mobilisé l’ensemble des acteurs du réseau spécialisé en Addictologie nécessitant une rapide adaptation et en particulier le développement de la téléconsultation, important vecteur d’amélioration de l’accès aux soins. Quel est l’apport de cette pratique en Addictologie ? Comment l’intégrer de façon pérenne au sein de l’écosystème de santé ?
Une discipline qui se prête bien à l’exercice de la téléconsultation
En Addictologie, les temps forts de la consultation médicale sont l’entretien et l’observation du patient. L’absence d’examen physique n’est pas un critère rédhibitoire. Dans le cas où il s’avère nécessaire, l’examen physique peut être réalisé par le médecin traitant ou par un médecin spécialiste selon la nature des conséquences somatiques des troubles addictifs identifiés, dans la cadre de la coordination du parcours de soins. L’ensemble des examens paracliniques nécessaires sont prescrits dans le cadre de la téléconsultation. De plus, l’Addictologie repose essentiellement sur des outils de repérage standardisés et des interventions brèves.
La vidéoconférence proposée en option permettrait d’augmenter l’adhérence des patients atteints de troubles de l’usage de l’alcool de 45% à 70% tout particulièrement en début de traitement, période à laquelle les abandons sont les plus fréquents selon une étude randomisée et contrôlée menée en 20175. L’offre de téléconsultation en contribuant à autonomiser les patients permettrait d’améliorer l’adhérence au traitement proposé. Les taux de satisfaction concernant la commodité du service, la nouveauté de l’expérience, l’accompagnement thérapeutique et la préservation de la qualité de l’alliance thérapeutique étaient élevés, selon les résultats de cette étude. En effet, la téléconsultation peut se prêter aussi bien à des consultations de suivi qu’à des consultations complexes dans la filière Addictologie. Les outils utilisés habituellement comme par exemple, l’entretien motivationnel, la thérapie cognitivo-comportementale, les thérapies psychocorporelles et la capacité à faire alliance avec le patient sont préservés.
Un acte médical à part entière
Oui, la téléconsultation s’inscrit comme une réponse partielle aux problématiques de démographie médicale et d’accès aux soins. Oui, elle contribue à éviter des ruptures de parcours de soins et à faciliter la coordination entre les différents professionnels de santé. Pour autant, elle ne doit pas être perçue par les patients ou par les professionnels comme un acte dégradé ou un outil de déshumanisation de la médecine.
Ainsi, dans le cadre du développement d’un projet de téléconsultation, les besoins en ressources humaines et logistiques, l’adaptation organisationnelle et les impacts sur les professionnels doivent être anticipés puis réévalués pour un bon fonctionnement du projet. Il est nécessaire d’anticiper l’impact sur les professionnels exerçant dans la structure afin d’assurer une bonne intégration de cette nouvelle pratique de télémédecine dans l’écosystème de l’organisation de la structure de santé. En effet, l’ensemble des professionnels exerçant au sein de la structure sont concernés directement ou indirectement par l’implantation d’un projet de télésanté.
Une vision élargie des champs de la téléconsultation
Oui, la téléconsultation est indéniablement un vecteur d’offre de soins sur un territoire sous médicalisé. Cependant, elle ne se limite pas à être un outil de substitution. En effet, elle s’avère être une nouvelle opportunité pour l’accompagnement des patients. Un nouvel outil à intégrer dans l’écosystème de santé dans le cadre du déploiement national de l’e-Addictologie. L’incitation au développement de la téléconsultation fait d’ailleurs partie intégrante des recommandations du rapport « Addictions : la révolution de l’e-Santé » remis en mai 2019 à la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) par le Fonds Actions Addictions6.
Il s’agit d’une réflexion à mener dans le cadre d’une approche territoriale et coordonnée de l’addiction intégrant la télémédecine et l’e-santé entre les différents réseaux de soins : ville, hôpital et médico-social.
Une technologie adaptée
Un plan de développement de la télémédecine nécessite une technologie appropriée afin d’affiner le diagnostic à distance pour une prise en soins efficaces et sans risque du patient. Les écrans utilisés doivent être de taille suffisante avec une haute définition afin de se rapprocher de la téléprésence, donnant au patient mais aussi au téléconsultant la perception de se trouver en présence physique l’un de l’autre.
Une relation médecin-patient préservée
La qualité de la relation médecin-malade peut être préservée lors de la téléconsultation. Comme le rappelle le rapport émis par l’Académie nationale de médecine, « les principaux facteurs de la relation médecin malade sont, de la part du médecin, l’écoute, l’empathie, le respect, la clarté et la sincérité des explications. »7. Ainsi, il semble tout à fait possible d’allier téléconsultation et personnalisation de l’accompagnement, préservation de la qualité humaine de la relation et de l’alliance thérapeutique.
Parmi les retours d’expériences dans le cadre de ma pratique, de nombreux patients évoquent l’oubli de l’écran et une sensation de proximité avec le médecin téléconsultant. Il me semble que les patients se livrent parfois plus qu’en présentiel. Cela peut peut-être s’expliquer par le fait que le temps de contact visuel est important durant une téléconsultation. En effet, du côté patient comme du côté du soignant, il y a moins de distraction et plus de focalisation sur l’interlocuteur. Ce mode de communication invite le soignant comme le patient à augmenter son attention, sa concentration, à poser et peser ses paroles qui sont le véhicule de communication principale dans le cadre d’une téléconsultation. Ainsi l’écoute active et la bienveillance inconditionnelle inhérentes à la pratique de la consultation médicale sont préservées.
Le recours à la téléassistance
Le recours à la téléassistance du professionnel de santé accompagnant un patient par le médecin téléconsultant permet d’optimiser la téléconsultation.
Dans le cadre de la téléassistance médicale, les professionnels de santé non médicaux participent à la structuration du parcours de soins par la télémédecine. En effet, le médecin téléconsultant peut compléter la pratique par l’évaluation de certains paramètres cliniques du patient pertinents en Addictologie : température, pression artérielle, fréquence respiratoire et cardiaque, saturation en oxygène, poids, taille, réflexes pupillaires…
La téléassistance médicale peut aussi être un levier d’optimisation du parcours de soins du patient. En effet, à la fin de la téléconsultation, le professionnel accompagnant le patient en présentiel peut accompagner le patient dans ses démarches : prises de rendez-vous avec d’autres médecins spécialistes, médecin traitant, psychologues ou accompagnants dans le secteur social.
La téléassistance est aussi une opportunité de la télémédecine de tisser une fine coopération entre différents professionnels de santé.
Un échange et une coordination interprofessionnels
L’addiction étant une pathologie médicale, psychologique et sociale, l’accompagnement se doit d’être pluridisciplinaire : somatique, psychiatrique, addictologique, psychologique et sociale. Cela implique souvent l’instauration de coopération entre professionnels de santé et professionnels du champ médico-social. De plus, les comorbidités psychiatriques étant fréquentes, une coopération entre addictologues et psychiatres est souvent indispensable. La téléexpertise pourrait par exemple être une des réponses à la faible disponibilité des psychiatres au sein de certaines structures de santé, en particulier médico-sociales. Le requérant pourrait ainsi bénéficier d’un avis spécialisé et protocolisé concernant l’accompagnement de son patient. La téléexpertise peut parfois impliquer un échange entre le requis, c’est-à-dire le spécialiste et le patient. C’est parfois une opportunité d’initier un suivi spécialisé du patient qui y était jusqu’alors réticent.
C’est aussi l’occasion de mobiliser de « nouveaux » acteurs dans l’accompagnement en Addictologie : patient expert, pair-aidants, préventeurs, associations de patients…
Une formation dédiée
L’essor et la pérennisation de la télémédecine nécessitent le développement de la formation des médecins à cette pratique. En effet, la téléconsultation implique un savoir-être et un savoir-faire spécifiques requérant la validation par des études scientifiques des procédures de télésémiologie.
Conclusion
Au sein de la télémédecine, la téléconsultation, la téléexpertise et la téléassistance médicale constituent des actes médicaux particulièrement adaptés à l’écosystème de la filière addictologique. Une vision élargie des champs de la téléconsultation me semble être une des conditions d’une mise en œuvre efficace et de sa pérennisation.
Plus qu’un outil de substitution, c’est une possibilité de faire entrer des patients réticents dans le soin, d’aller vers les patients dans l’impossibilité physique ou psychique de mener une consultation en présentiel, de favoriser la communication entre les professionnels. La téléconsultation s’avère indispensable pour garantir la continuité des soins, s’intégrant progressivement en complément des autres modes d’exercice. Son apport dans la réduction du « Treatment gap » des addictions en France pourrait s’avérer déterminant.
La télémédecine couplée à l’e-santé pourrait à l’avenir améliorer le service médical rendu dans la prévention, le repérage, le diagnostic et le traitement des addictions.
Son essor rapide nécessite d’analyser les cas de pratiques de télésanté déployés dans les différents services d’Addictologie. À cette fin, une étude européenne, menée par l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA) est en cours afin d’identifier les bonnes pratiques d’utilisation de la télé santé/e-médecine dans les services d’Addictologie et de pouvoir créer un cadre qui pourra ainsi servir de guide pour une intégration optimale de cette pratique au sein de l’écosystème de santé.
Pour aller plus loin
[3] Décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine. 2010-1229 oct 19, 2010.
[5] Tarp K, Bojesen AB, Mejldal A, Nielsen AS. Effectiveness of Optional Videoconferencing-Based Treatment of Alcohol Use Disorders: Randomized Controlled Trial. Eysenbach G, ed. JMIR Mental Health. 2017;4(3):e38. doi:10.2196/mental.6713
[6] Thierry J-P, Reynaud M. (2019). e-SANTÉ ET ADDICTIONS. ADDICTIONS : LA RÉVOLUTION DE L’e-SANTÉ POUR LA PRÉVENTION, LE DIAGNOSTIC ET LA PRISE EN CHARGE Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives
Nous remercions vivement
le Docteur Juliette HAZART, Médecin addictologue, nutritionniste, coach certifiée en cohérence cardiaque, consultante en santé, formatrice DPC, rédactrice santé, responsable du programme de communication au service du management de projet (Université de Lorraine, Nancy), pour partager son expertise médicale auprès de nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie de l'auteure :
Le Docteur Juliette HAZART est médecin addictologue, nutritionniste et coach certifiée en cohérence cardiaque.
Ancienne interne des hôpitaux, assistante spécialiste des hôpitaux en Santé publique et médecine sociale puis praticienne attachée au sein du Service de Nutrition clinique au CHU de Clermont-Ferrand, elle apporte son expertise en santé des populations, épidémiologie, prévention et promotion de la santé.
Le Dr Juliette HAZART est aujourd’hui spécialiste des addictions. Au sein d’un établissement médico-social, elle propose une approche dimensionnelle intégrative avec un accompagnement personnalisé intégrant la téléconsultation. La prévention, du primaire au tertiaire, est au cœur de son parcours professionnel et guide sa pratique au quotidien. Coach certifiée en cohérence cardiaque et animatrice d’ateliers de méditation de pleine conscience, elle étudie l’impact de ces pratiques sur les conduites addictives et la relation patient/soignant-soignant/patient. Enseignante à l’université de Lorraine, elle est responsable du programme de Communication au service du management de projet.
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