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Pourquoi la téléconsultation est-elle plus qu’un outil de « substitution » pour le patient ? Le Dr Juliette HAZART nous partage son expérience clinique en Addictologie (Partie 1/2).

Nouvel Article pour notre plateforme média ManagerSante.com, rédigé par notre nouvelle experte-auteure, le Docteur Juliette HAZART, Médecin addictologue, nutritionniste, coach certifiée en cohérence cardiaque.

Consultante en santé. Formatrice DPC. Rédactrice santé. Elle est également responsable du programme de communication au service du management de projet (Université de Lorraine, Nancy).

N°1, Septembre 2021

L’addiction, pathologie chronique multifactorielle a des retentissements somatiques, psychiques mais aussi sociales durables et significatives dans la vie de la personne qui en souffre : désinsertion sociale et professionnelle, problèmes financiers… Ces répercussions qui concernent à la fois l’individu et la société ont été amplifiées en raison des restrictions imposées par la pandémie de COVID-19. La crise sanitaire a impliqué la forte mobilisation de l’ensemble des acteurs du réseau spécialisé en Addictologie qui a fait preuve d’adaptation et d’innovation. La distanciation sociale ainsi que les réductions temporaires d’effectifs du personnel soignant en Addictologie en raison de la mobilisation et du redéploiement des soignants pendant la pandémie à COVID-19 ont conduit à une rapide augmentation de la prévalence des interventions thérapeutiques et de réduction des risques et des dommages en distanciel dans les services d’Addictologie. L’un des impacts de la crise sanitaire est l’accélération du développement de la télémédecine en raison des contraintes imposées à la société pendant la pandémie de COVID-19.  

Quel est l’impact de la crise sanitaire sur les conduites addictives et l’accès aux soins en Addictologie ? Quelle place pour la téléconsultation au sein de la filière Addictologie ?

La crise sanitaire et les conduites addictives.

Afin de mieux appréhender l’impact de la crise sanitaire sur l’accès aux soins dans le domaine des addictions, une enquête a été menée par BVA Santé pour Association Addictions France, entre février et mars 2021 par Internet, auprès de 1224 personnes accompagnées actuellement ou dans le passé pour un problème d’addiction1.

Ainsi, la crise sanitaire a majoré les difficultés des personnes suivies pour des addictions puisque 70 % d’entre elles déclarent avoir eu du mal à maîtriser leur consommation pendant les périodes de confinement. Plus de la moitié des personnes suivies pour des troubles liés à l’usage de tabac (61%), d’alcool (51 %), de cannabis (49 %) ou de médicaments psychotropes (51%) ont augmenté leur consommation de la substance pour laquelle elles étaient suivies.

Elles constituent une population particulièrement vulnérable sur le plan socio-économique :  difficultés professionnelles, problèmes financiers, isolement social… Au premier plan concernées par les retentissements de la pandémie sur la santé mentale, 71% d’entre elles déclarent un impact négatif de la crise sur leur santé psychologique.

La crise sanitaire et l'accès aux soins en addictologie.

Dans l’enquête menée par BVA Santé pour Association Addictions France, le besoin de bénéficier d’un accompagnement renforcé pour leur problème d’addiction est exprimé par 60% des répondants. Cela est corroboré par la hausse du nombre de consultations par personne dans les établissements médico-sociaux depuis le début de la crise sanitaire. Cela explique en partie la saturation de la capacité d’accueil rencontrée par certains établissements. En effet, 39 % des répondants ont dû renoncer à un accompagnement. Les raisons évoquées étaient les difficultés à obtenir un rendez-vous et la méconnaissance des structures auprès desquelles ils pouvaient se tourner.

La crise sanitaire a remis en question nos pratiques et accéléré l’essor de la télémédecine. Des modalités de consultation à distance ont été mises en place pour assurer la continuité du parcours de soins des personnes suivies pour des problématiques addictives.

Lorsque les usagers sont interrogés sur le type d’accompagnement prioritaire souhaité suite à ces périodes de confinement et à l’expérimentation de la téléconsultation, 23% plébiscitent un accompagnement prioritairement par la téléconsultation. Ainsi, les patients semblent avoir une manière différente aujourd’hui de concevoir l’accès aux soins. Cela confirme l’intérêt de poursuivre la diversification de l’offre d’accompagnement avec l’intégration de la télémédecine au sein de l’écosystème de santé.

Aux origines de la téléconsultation.

Les nouvelles technologies au service de la santé sont actuellement en plein essor et modifient les relations entre le patient et le médecin, tout d’abord dans le cadre de la télémédecine.

A quand peut-on faire remonter la télémédecine et le télésoin ? Etymologiquement, le préfixe télé– vient du grec têle, signifiant «au loin, à distance». Aux prémices de la téléconsultation, le docteur René Théophile Hyacinthe Laennec inventa le stéthoscope en 1816. Après avoir pratiqué l’auscultation « immédiate » en plaçant son oreille sur la poitrine du patient, le stéthoscope est sans doute la première pratique à distance du patient.

Aujourd’hui, la téléconsultation a pour objet de permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient.  Sa faisabilité et son acceptabilité en Addictologie ont été validées par une première étude randomisée contrôlée en 2014 qui a concerné 85 patients traités pour un trouble de l’usage des opiacés2.

Pendant le premier confinement lié au COVID-19 débuté le 17 mars 2020, la téléconsultation s’est développée parmi les acteurs du système de soins en particulier dans le champ de l’addictologie afin d’assurer une permanence des soins et de l’activité. Au sein des structures médico-sociales et hospitalières, de nombreux professionnels de santé, psychologues et accompagnants dans le secteur social ont fait l’expérience de la télémédecine dans la filière Addictologie. En quelques mois, nous sommes passés d’une dizaine de sociétés à plus de 250 proposant de la téléconsultation en France. Ce boom des téléconsultations et les risques qu’elles génèrent nécessitent un encadrement.

Le cadre juridique de la téléconsultation.

Par définition, la télémédecine étant de la médecine, elle implique le respect de certaines réglementations.

La loi précise que la télémédecine est une forme réglementée de pratique médicale. Elle ne constitue en aucun cas un acte médical à la forme dégradée. Que dit le code de la Santé publique ? Relèvent de la télémédecine définie à l’article L. 6316-1 du code de la santé publique « les actes médicaux, réalisés à distance, au moyen d’un dispositif utilisant les technologies de l’information et de la communication ». Le cadre juridique de la télémédecine est officialisé par l’article 78 de la loi HPST du 21 juillet 2009 et sa définition est intégrée dans le code de la santé publique (article L6316-1-CSP).

Trois des cinq actes de la télémédecine, définis par le décret d’application n° 2010-1229 du 19 octobre 2010, se prêtent bien à l’exercice de l’Addictologie3 :

 -la téléconsultation, acte médical de télémédecine « qui a pour objet de permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient » grâce aux technologies de l’information et de la communication,

 -la téléassistance médicale, « qui a pour objet de permettre à un professionnel médical d’assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte »,

-la téléexpertise, « qui a pour objet de permettre un professionnel médical de solliciter à distance l’avis d’un ou de plusieurs professionnels médicaux en raison de leurs formations ou de leurs compétences particulières, sur la base des informations médicales liées à la prise en charge d’un patient ».

La téléconsultation, un vecteur d'offre de soins et un "aller vers".

La télémédecine est un moyen de compléter l’offre de soins pour le patient dans une zone sous-médicalisée et contribue à l’accès aux soins de premier et second recours, sur un territoire de santé sous-médicalisé. Elle s’intègre dans le cadre d’une vision d’ensemble de l’offre de soins par territoires afin d’optimiser le parcours de soins. Le patient peut ainsi par exemple accéder facilement et dans des conditions sécurisées à un médecin addictologue au sein d’établissements médico-sociaux qui ne disposent pas ou plus de présence médicale. Cela permet à la structure de bénéficier d’une permanence de soins médicaux en Addictologie et ainsi de compléter l’offre de soins en place.

La téléconsultation, c’est un moyen d’aller vers, enjeu majeur pour l’accompagnement des addictions.

Les habitants des territoires avec une faible densité médicale ont été les premiers bénéficiaires potentiels de la téléconsultation. La téléconsultation s’intègre dans le développement de parcours de soins coordonnés pour les suivis complexes. Certaines populations spécifiques comme les personnes incarcérées ou les personnes âgées sont autant de potentiels bénéficiaires de la téléconsultation.

Aujourd’hui, la téléconsultation pourrait même s’avérer être un initiateur de parcours de soins. En effet, en Addictologie, les comorbidités psychiatriques sont fréquentes. Certaines peuvent être des freins à la prise de rendez-vous et à la consultation d’un soignant :  agoraphobie, anxiété sociale… La crainte de la stigmatisation lors de visites dans un centre d’Addictologie constitue un frein majeur pour certains patients.

Selon l’OFDT, en France, 13 millions de personnes sont des fumeurs quotidiens, 5 millions boivent de l’alcool tous les jours et 900 000 consomment quotidiennement du cannabis. Moins de 20 % des personnes avec un trouble de l’usage de substances psychoactives (tabac, alcool ou substances dites illicites) bénéficient d’un accompagnement thérapeutique.  Les addictions sont les pathologies psychiatriques qui ont les taux de Treatment gap les plus élevés. En 2004, l’OMS en précise les impacts : «le recours aux soins tardifs est une perte de chance pour le patient avec le risque d’aggravation de troubles et de l’apparition des conséquences somatiques psychologiques psychiatriques sociales, professionnelles et financières»4.

Dans ce contexte, la proposition de premier rendez-vous en téléconsultation à domicile pourrait permettre de proposer un conseil ou accompagnement dans une perspective de réduction des risques et des dommages. Puis, une fois la confiance instaurée, s’entrevoie la possibilité d’initier un parcours de soins.

Par sa spécificité et par l’absence de contact en face-à-face entre le médecin et le patient, la téléconsultation limite les capacités d’examen et génère des risques spécifiques nécessitant un encadrement. Cependant, nous pourrons constater dans le prochain article que l’Addictologie se prête particulièrement bien à l’exercice de la téléconsultation. Ainsi, nous pourrons entrevoir les leviers pour son implantation pérenne au sein de l’écosystème de santé.

Pour aller plus loin

[1] https://addictions-france.org/presse/addictions-et-acces-aux-soins-nabandonnons-pas-les-publics-vulnerables/

[2]  King, V. L., Brooner, R. K., Peirce, J. M., Kolodner, K., & Kidorf, M. S. (2014). A randomized trial of web-based videoconferencing for substance abuse counseling. Journal of Substance Abuse Treatment, 46(1), 10.1016/j.jsat.2013.08.009. 

[3] Décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif  à la télémédecine. 2010-1229 oct 19, 2010.

[4 ] Kohn, Robert, Saxena, Shekhar, Levav, Itzhak & Saraceno, Benedetto. (‎2004)‎. The treatment gap in mental health care. Bulletin of the World Health Organization, 82 (‎11)‎, 858 – 866. World Health Organization.

[5] Tarp K, Bojesen AB, Mejldal A, Nielsen AS. Effectiveness of Optional Videoconferencing-Based Treatment of Alcohol Use Disorders: Randomized Controlled Trial. Eysenbach G, ed. JMIR Mental Health. 2017;4(3):e38. doi:10.2196/mental.6713

[6]  Thierry J-P, Reynaud M. (2019). e-SANTÉ ET ADDICTIONS. ADDICTIONS : LA RÉVOLUTION DE L’e-SANTÉ POUR LA PRÉVENTION, LE DIAGNOSTIC ET LA PRISE EN CHARGE Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives

[7] La relation médecin-malade Académie nationale de médecine Une institution dans son temps [internet] [cité 2 sept 2021] Disponible sur : 

Nous remercions vivement 

le Docteur Juliette HAZART, Médecin addictologue, nutritionniste, coach certifiée en cohérence cardiaque, consultante en santé, formatrice DPC, rédactrice santé, responsable du programme de communication au service du management de projet (Université de Lorraine, Nancy), pour partager son expertise médicale auprès de nos fidèles lecteurs de www.managersante.com

Biographie de l'auteure :

Le Docteur Juliette HAZART  est médecin addictologue, nutritionniste et coach certifiée en cohérence cardiaque.
Ancienne interne des hôpitaux, assistante spécialiste des hôpitaux en Santé publique et médecine sociale puis praticienne attachée au sein du Service de Nutrition clinique au CHU de Clermont-Ferrand, elle apporte son expertise en santé des populations, épidémiologie, prévention et promotion de la santé.
Le Dr Juliette HAZART est aujourd’hui spécialiste des addictions. Au sein d’un établissement médico-social, elle propose une approche dimensionnelle intégrative avec un accompagnement personnalisé intégrant la téléconsultation. La prévention, du primaire au tertiaire, est au cœur de son parcours professionnel et guide sa pratique au quotidien. Coach certifiée en cohérence cardiaque et animatrice d’ateliers de méditation de pleine conscience, elle étudie l’impact de ces pratiques sur les conduites addictives et la relation patient/soignant-soignant/patient. Enseignante à l’université de Lorraine, elle est responsable du programme de Communication au service du management de projet.
ManagerSante.com soutient l’opération COVID-19 et est partenaire média des  eJADES (ateliers gratuits)
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 Parce que les soignants ont plus que jamais besoin de soutien face à la pandémie de COVID-19, l’association SPS (Soins aux Professionnels en Santé), reconnue d’intérêt général, propose son dispositif d’aide et d’accompagnement psychologique 24h/24-7j/7 avec 100 psychologues de la plateforme Pros-Consulte.

Juliette HAZART

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