Article publié par notre experte, la Professeure Michèle GUILLAUME-HOFNUNG , docteure en Droit, experte à l’UNESCO, experte à l’Union Européenne et au Conseil de l’Europe, fondatrice de l’Institut de la Médiation Guillaume Hofnung), formatrice & consultante en médiation et en éthique et auteure de l’ouvrage « La Médiation » Que sais je ? (PUF. 8ème édition 2020).
N°11, Juin 2021
Les autres fonctions de la médiation
En redécouvrant les trois autres fonctions de la médiation, Jean-François SIX dans un ouvrage pionnier « Le temps des médiateurs » (Le Seuil) faisait remarquer dès 1990 que la médiation assume quatre fonctions :
« La médiation créatrice suscite des liens, la médiation réparatrice améliore, la médiation préventive devance les conflits, la médiation curative aide à les résoudre ».
Le caractère visible des conflits explique que l’on ait plus facilement perçu la fonction curative de règlement des conflits que les trois autres. Je me demande si ces trois autres ne donnent pas, une fournissent pas une piste de réponse à la question de savoir « où sont passés les contentieux ? » La médiation d’amont, selon la formule du Président Bézard les a désamorcés.
Il faut cependant relever nettement que le conflit ne constitue pas le critère indispensable de la médiation dont les seuls critères restent le processus et le tiers.
L'autonomie conceptuelle de la médiation
En reconnaissant son autonomie conceptuelle et en lui reconnaissant un régime juridique qui ne soit pas celui de la conciliation.
Les MARC forment aujourd’hui une nébuleuse dont la médiation pâtit :
- Elle s’y trouve amputée de 3 de ses 4 fonctions pour n’être perçue que dans la fonction de règlement des conflits ;
- Cette amputation permet une dénaturation puisque le concept cohérent elle passe au rang de notion floue que le législateur confond avec la conciliation.
Plus grave, on réduit la médiation à un moyen au service des MARC. Ainsi, la médiation serait le moyen qui doit conduire au règlement du conflit par une entente entre les parties, c’est-à-dire une conciliation.
Enfin, alors qu’à première vue, il ne devrait pas exister de confusion entre l’arbitrage qui confère à l’arbitre le pouvoir de trancher et la médiation qui stimule la totale autonomie des partenaires, dans la dérive terminologique qui fait appeler l’expert « médiateur », il arrive que les parties s’en remettent par avance à l’avis du médiateur, coinçant ce dernier dans un rôle d’arbitre. La seule qualité de tiers, pour indispensable qu’elle soit à la médiation, ne suffit pas à caractériser un médiateur, encore faut-il qu’il mette en œuvre un processus exempt du pouvoir de trancher. Encore faut-il aussi qu’il rencontre les parties. Les procédures sur dossier, même avec une dose d’équité que le « médiateur » introduira, ne transformera pas une procédure allégée en véritable processus. La confiance des parties à l’égard d’un tiers présenté comme un arbitrage, il y a là abandon et non codirection dans la recherche de solution.
Vers un régime juridique autonome
Lui reconnaître un régime juridique autonome : on peut sérieusement s’interroger sur le caractère innovant de procédés qui utilisent à l’identique le vocabulaire du contentieux juridictionnel le plus pur : convocation, assignation, recevabilité, saisine, instruction du dossier, parties, délais, protocole d’accord. L’identité terminologique ne peut qu’induire une parenté des comportements. Peut-on vraiment innover en gardant les mêmes, dans l’enfermement d’un champ lexical clos ? Trop souvent, on parle à tort de médiation à propose de modes de gestion des conflits, des réclamations ou des plaintes qui proposent une solution en équité infléchissant à peine ce qu’aurait donné la solution juridique. Ces procédés ont leur utilité mais innovent peu et ne devraient surtout pas se réclamer de la médiation.
On en donnera pour preuve l’incapacité des supposés médiateurs à respecter les principes déontologiques caractéristiques de la médiation.
Et si au contraire la médiation était plus développée qu’on ne le croit ? La médiation n’est pas là où les juristes regardent. Ils regardent les MARC mais la médiation se développe dans d’autres sphères. Chaque jour, des médiations préviennent des conflits, créent ou recréent du lien social, fonctions qui présenteraient une grande utilité dans les relations commerciales.
Conclusion générale
Je la formulerai en forme de question pour ouvrir la voie aux débats et à d’autres colloques. La lenteur du développement de la médiation mentionnée dans le propos liminaire du Président Armand Prévos ne proviendrait-elle pas de l’édulcoration de son potentiel révolutionnaire par les acteurs traditionnels du règlement des conflits ?
Un vaste chantier s’ouvre alors devant nous : comment faire évoluer les esprits pur que les entreprises, les partenaires commerciaux accèdent enfin à la médiation et non pas seulement à son image récupérée ?
A un moment où les magistrats ont pris la mesure de la différence entre la conciliation et la médiation, il est dommage que de nombreuses institutions et de nombreuses entreprises croient faire de la médiation alors qu’elles perpétuent la conciliation (et je le répète, je n’ai rien à reprocher à la conciliation assumée commet telle) entourées de leurs partenaires traditionnels, sous l’emprise de leur formation initiale elle-même traditionnelle, sans formation à la médiation. Elle se privent de la chance d’innover et privent leurs partenaires comme leurs clients d’une évolution appropriée.
Sur la base de mon expérience de médiatrice, je peux mesurer la suspicion grandissante des consommateurs à l’égard des « médiateurs » internes, et la réaction des unions de consommateurs s’organise en vue de l’instauration d’une médiation authentique. Les consommateurs réclament un vrai processus, reposant sur une communication éthique, être écoutés, et non pas se voir proposer un traitement interne de ce qui le plus souvent d’ailleurs ne deviendrait même pas une réclamation si un tiers vraiment extérieur leur garantissait une communication réelle, ainsi qu’une participation active et égalitaire, à l’émergence d’une solution.
Le discrédit de la médiation et avec lui la perte de son potentiel d’innovation sont au bout de méthodes qui pourtant se voudraient empiriques et réalistes.
Quand la contrefaçon de la médiation aura tué la médiation, aura-t-elle une autre chance ? Je me réjouis que des lieux qui recherchent avec sérieux et méthode l’innovation professionnelle et sociale contribuent, en organisant des journées de réflexion comme celles de ces deux jours, à ce qu’on n’en n’arrive pas là.
Nous remercions vivement la Professeure Michèle GUILLAUME-HOFNUNG , docteure en Droit, experte à l’UNESCO, experte à l’Union Européenne et au Conseil de l’Europe, fondatrice de l’Institut de la Médiation Guillaume Hofnung), formatrice & consultante en médiation et en éthique et auteure de l’ouvrage « La Médiation » Que sais je ? (PUF. 7ème édition du 28 Janvier 2015).
Elle propose de partager son expertise juridique pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie de l'auteure :
Michèle GUILLAUME-HOFNUNG est Docteure en droit, Professeure émérite de droit public à l’Université Paris-Sud où elle a dirigé le Collège d’Etudes Interdisciplinaires, le Master Diplomatie & Négociation Stratégique) et le 3ème cycle de droit de la santé.
Elle a créé le diplôme « La médiation » à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas.
Elle est également Conférencière, Consultante, Formatrice et Experte en médiation et en éthique. Elle est auteure de nombreux articles et d’un ouvrage sur la « médiation » aux éditions PUF (7ème édition en 2015).
Elle est fondatrice de l’Institut de la Médiation Guillaume Hofnung (IMGH) qui propose des formations et des médiations.
Elle est aussi Directrice du CERB (Centre d’Etude et de Recherche en Santé Publique et en Bioéthique). Dans le champ de la médiation, Michèle GUILLAUME-HOFNUNG a participé à la création en 1987 de la première formation de médiation en Europe. Elle est Présidente de l’Union Professionnelle Indépendante des Médiateurs et est présidente d’honneur de l’association des médiateurs diplômés de Paris 2 Panthéon-Assa (MDPA).
Dans le domaine de l’éthique, elle a apporté sa contribution à la création en 1989 des premiers diplômes d’éthique médicale à l’Université de Paris V. Elle apporte son expertise dans la gestion des ressources humaines par la communication éthique. Michèle GUILLAUME-HOFNUNG est également Vice-présidente de l’Académie de l’éthique.
Elle a été vice-présidente du comité éthique et droits de l’Homme de la Commission Nationale française pour l’Unesco entre 1995 et 2010 (en qualité d’Experte en éthique de l’Unesco, Experte en éthique de l’Union Européenne).
Elle a participé à l’accompagnement des politiques publiques dans le domaine de la médiation auprès de plusieurs ministères et diverses organisations internationales.
Son institut de médiation l’IMGH est partenaire d‘Universités, Grandes Ecoles, entreprises, hôpitaux, collectivités territoriales, associations interculturelles.
Michèle GUILLAUME-HOFNUNG s’est impliquée depuis de nombreuses années à l’internationale sur les questions liées à la médiation à travers plusieurs missions au Conseil de l’Europe, l’Union européenne et l’Unesco.
Ouvrages de l’auteure :
« La Médiation » Que sais je ? (PUF. 8ème édition 2020).
« Hôpital et Médiation, l’Harmattan 2001.
« Les modes alternatifs de règlement des conflits » in L’expertise médicale sous la direction du Professeur Hureau, 3° édition 2009.
« Médiation et santé », in médiations et société 2006
« La médiation dans le domaine des affaires », colloque de l’Association droit et commerce, 30 mars-1 avril 2007, Gazette du Palais 2007
Qu’il s’agisse du Diplôme d’Université (DU) « La médiation » de l’université Panthéon-Assas Paris-2, pris comme modèle de tronc commun par le Conseil national consultatif de la médiation familiale (CNCMF), ou des enseignements que l’IMGH (Institut de la Médiation Guillaume Hofnung) assure à la demande des établissements de santé, les contenus fondamentaux demeurent.
Le socle de principes consiste à :
présenter, analyser et justifier la définition de la médiation, en soulignant l’importance de ses quatre fonctions et de son unité ;
former au processus de communication éthique, maïeutique reposant sur l’autonomie et la responsabilité des «médiés » ;
poser le cadre de la médiation, du respect de l’ordre public ;
apprendre à respecter en toutes circonstances la confidentialité qui justifie la confiance sans laquelle la médiation n’existe pas.
La formation intègre également : « un axe sociologique (évaluer les besoins, les obstacles, les contre indications), » un axe psychologique (travailler sur soi-même pour être et rester tiers, fonctionner sans pouvoir, rechercher l’impartialité, écouter, reformuler, intégrer les éléments de psychologie, d’analyse transactionnelle, de programmation neurolinguistique), »un axe juridique (connaître les règles d’ordre public, la hiérarchie des règles de droit, la déontologie ; savoir passer le relais aux professionnels du droit), »un axe pratique (jeux de rôles reprenant des situations vécues par les enseignants ou les personnes en formation).
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